mercredi 21 janvier 2009

Le coût infini de l'abaissement du Q.I. (Ma catastrophe dans ton cul.)

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Rien de tel qu'une affaire comme celle des « anarcho-autonomes-terroristes-sans-téléphones-portables » pour faire resurgir le gauchiste en moi - eh oui, il en reste encore un peu... Du coup, je suis allé jeter un coup d'oeil, non pas à L'insurrection qui vient (enfin, si, simplement, dès les premières lignes, le livre m'est tombé des mains), mais au dernier opus publié par les têtes de gondole de l'encyclopédie des nuisances - qui n'apprécieraient sans doute pas d'être catalogués chez les « gauchistes », mais bon -, René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable. Je garde pour plus tard les observations les plus négatives que je pourrais faire sur cet essai, je vous en livre aujourd'hui un long extrait qui peut être utile à divers titres.

Une des principales thèses du livre est que la « prise de conscience » de l'importance des problèmes climatiques divers (pour ceux qui l'ignorent, je rappelle que ces problèmes sont depuis longtemps un cheval de bataille des deux auteurs) devient une belle occasion pour le capitalisme de se refaire une morale en même temps que de s'ouvrir de nouveaux marchés. Et ce qui m'intéresse, notamment, à côté de ce constat qui n'est pas, si j'ose dire, d'une nouveauté révolutionnaire (nos duettistes sont désespérément à la recherche de la théorie révolutionnaire perdue), et qui se trouve d'ailleurs aussi, paraît-il, dans L'insurrection qui vient, c'est l'équivalence que R. Riesel et J. Semprun semblent parfois faire entre capitalisme et Etat moderne, ce qui me ramène à l'une de mes questions préférées. Mais allons-y :

"On connaît le rôle qu'ont chaque fois joué les guerres, au cours de l'histoire moderne, pour accélérer la fusion de l'économie et de l'Etat. Et c'est justement une guerre qu'il faut livrer, pour vaincre la nature détraquée par les opérations antérieures de la raison économique et la remplacer par un monde intégralement produit, mieux adapté à la vie dans l'aliénation. Un des propagandistes américains d'une reconversion écologico-bureaucratique du capitalisme (...), Lester Brown, a explicitement appelé à une « mobilisation de temps de guerre », et proposé pour modèle la reconversion de l'appareil productif pendant la Deuxième Guerre mondiale ; soulignant cependant cette différence qu'étant donné qu'il s'agit cette fois de « sauver cette planète sous contrainte et notre civilisation en péril », la « restructuration économique » ne devrait pas être temporaire mais permanente. Rappelant que « l'année 1942 a été le témoin de la plus grande expansion de la production industrielle de l'histoire du pays » (un poète américain qui avait été soldat pendant les combats en Europe résumait la chose ainsi : « Pour chaque obus que tirait Krupp, General Motors en renvoyait quatre »), il s'exalte au souvenir de cette mobilisation totale, avec son rationnement et son organisation autoritaire : « Cette mobilisation des ressources, effectuée en l'espace de quelques mois, démontre qu'un pays, et en fait le monde entier, peut restructurer son économie rapidement s'il est convaincu de la nécessité de le faire. » Galvanisé par l'exemple qu'avait alors donné l'industrie de la tuerie en masse, il s'exprime dans le style des relations publiques mis au point au même moment pour remplacer le vieux « bourrage de crâne » : « Nous disposons de la technologie, des instruments économiques et des ressources financières nécessaires (...) pour détourner notre civilisation de ce début du XXIe siècle de sa trajectoire de déclin et la mettre sur une trajectoire qui permette la poursuite du progrès économique. » (Le plan B - Pour un pacte écologique mondial, 2007.)

Cet assez parfait prototype de l'écolocrate, expert catastrophiste depuis bientôt quarante ans, n'est certes pas le seul à « avoir un plan » (d'autres parlent par exemple de « plan Marshall du climat »), mais le sien a l'incontestable mérite d'être formulé à l'américaine, avec une brutalité bon enfant et une parfaite bonne conscience, sans les précautions oratoires et les circonlocutions dont s'embarrassent ici les étatistes de gauche et citoyennistes plus ou moins décroissants. Rédigé selon les procédures de l'expertise bureaucratique (données chiffrées, tableaux, statistiques, calculs de financement des objectifs ; on a même droit au coût, « en pertes de revenus potentiels », de « l'abaissement du Q.I. lié à l'intoxication prénatale au mercure » : 8,7 milliards de dollars), il ne se cache pas d'être un programme de concentration du pouvoir : « Ce dont le monde a besoin de nos jours, ce n'est pas de plus de pétrole, mais de plus de gouvernance. » Cette « feuille de route » pour un capitalisme du désastre [référence à Naomi Klein, à qui il est fait la leçon p. 61] écologiquement correct n'a pourtant offusqué personne, tant est déjà bien avancée l'éducation du public qu'elle préconise (« Un besoin de gouvernance médiatique se fait jour en parallèle au besoin de gouvernance politique. ») On peut ainsi, comme Latouche [Serge, du MAUSS, partisan de « la décroissance », et qui a droit, lui, à un mémorable taillage de costard, justifié ou non, pp. 72-79], citer favorablement Lester Brown tout en affichant sa vigilance devant une hypothétique menace d'« écofascisme ».


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Un accord à peu près universel s'est donc instauré en quelques années, parmi les défenseurs de « notre civilisation », sur la nécessité d'une gouvernance renforcée face à la crise écologique totale, et il faut en conclure qu'est en train de se refermer la parenthèse « néolibérale » pendant laquelle le capitalisme avait restauré la rentabilité de ses investissements industriels en diminuant drastiquement non seulement ses coûts salariaux mais aussi ses « faux frais » étatiques. (...)

- la suite évoquera peut-être à certains d'entre vous l'état d'esprit de M. Defensa :

La tentative de réorganisation bureaucratique-écologique qui s'opère maintenant n'a certes rien d'une procédure de « rationalisation » appliquée à froid. C'est en catastrophe, justement, qu'elle a lieu, car c'est à la chaleur de l'incendie du monde que les diverses bureaucraties préposées à la gestion spécialisée de chaque secteur de la société de masse atteignent leur point de fusion. Le processus déjà entamé ne peut qu'être précipité par la crise financière qui met fin à un cycle spéculatif, mais qui est elle-même surtout une manifestation du fait que le rapprochement des échéances écologiques depuis si longtemps annoncées dissuade le capitalisme (bien plus efficacement que les dénonciations déclamatoires de la « finance folle ») de s'accorder à lui-même beaucoup de crédit. (L'effondrement de la spéculation immobilière aux Etats-Unis est d'ailleurs aussi un effet de la fin du pétrole à bon marché.) Le projet de mise en conformité écologique du capitalisme vient à point dans la réorganisation de la production, en particulier celle du vaste secteur du « bâtiment et travaux publics » - qui inclut le « génie civil » -, industrie lourde d'une « nouvelle révolution industrielle » dont le modèle chimérique serait Dubaï « qui produit son eau par dessalement, qui abaisse sa température, qui filtre les rayons du soleil, qui contrôle tous les paramètres de la vie pour réaliser l'oasis idéale, où le temps, le climat et le monde s'arrêtent sur un présent parfait » (Hervé Juvin, Produire le monde - Pour une croissance écologique, 2008). Dans cette utopie post-historique, rêve d'une « sortie de la nature » (« La promesse suprême est à notre portée : que plus rien n'arrive, nulle part, jamais, que nous ne l'ayons décidé », ibid.), la survie organisée et réglementée en bloc par l'administration du désastre, nous serait revendue au détail par la production marchande.

- une petite pause ici, tout en notant que c'est moi qui souligne : la « sortie de la nature » s'est effectuée il y a longtemps, au moment du passage de la tradition à la modernité - Dumont rappelle souvent que cette transition s'est faite en passant d'un monde de relations entre les hommes à un monde de relations des hommes à la nature (symbolisé par la formule et la volonté de Descartes de nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature »). L'exploitation de la nature, au sens le plus large, existait depuis longtemps (l'agriculture), la pollution aussi (le moindre outil en métal oublié dans un pré ou une forêt), mais l'homme se sépare alors lui-même de la nature en se fixant comme idéal la « maîtrise » et la « possession » de celle-ci. De ce point de vue donc, cet assez incroyable utopiste que semble être, au vu de ces quelques lignes, ce M. Juvin, a donc quelques trains de retard.

La bureaucratie des experts, née avec le développement de la planification, élabore pour l'ensemble des gestionnaires de la domination le langage commun et les représentations grâce auxquels ceux-ci comprennent et justifient leur propre activité. Par ses diagnostics et ses prospectives, formulés dans la novlangue du calcul rationnel, elle entretient l'illusion d'une maîtrise techno-scientifique des « problèmes ». Sa vocation est de défendre le programme d'une survie intégralement administrée. C'est elle qui lance régulièrement alertes et mises en garde, comptant sur l'urgence qu'elle fait valoir pour être plus directement associée à la gestion de la domination. Dans sa campagne pour l'instauration de l'état d'urgence, elle n'a jamais manqué d'être soutenue par tous les étatistes de gauche et autres citoyennistes, mais désormais elle n'est presque plus combattue par les décideurs de l'économie, la plupart d'entre eux voyant dans un désastre sans fin la perspective d'une relance permanente de la production par la poursuite de l'« écocompatibilité ». Une chose lui est d'ores et déjà acquise, c'est qu'au moment d'appliquer la vieille recette keynésienne des programmes de travaux publics, résumée par la formule « creuser des trous et les reboucher », elle trouvera bien assez de « trous » déjà creusés, de dégâts à réparer, de déchets à recycler, de pollutions à nettoyer, etc. (« Nous allons devoir réparer ce qui ne l'a jamais été, gérer ce que personne n'a jamais géré », ibid.)


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L'encadrement de cette nouvelle « armée du travail » est déjà sur le pied de guerre. Comme le New Deal avait rallié à peu près tout ce que les Etats-Unis comptaient d'intellectuels et de militants de gauche, le nouveau cours écologique du capitalisme bureaucratique mobilise à travers le monde tous les « gentils apparatchiks » des justes causes environnementales et humanitaires. Ce sont de jeunes spécialistes enthousiastes, compétents et ambitieux : formés sur le terrain, dans les ONG et les associations, à diriger et à organiser, ils se sentent capables de « faire avancer les choses ». Convaincus d'incarner l'intérêt supérieur de l'humanité, d'aller dans le sens de l'histoire, ils sont armés d'une parfaite bonne conscience et, ce qui ne gâte rien, de la certitude d'avoir les lois pour eux : celles déjà en vigueur et toutes celles qu'ils rêvent de faire édicter. Car ils veulent toujours plus de lois et de règlements, et c'est là qu'ils se rencontrent avec les autres progressistes, « anti-libéraux » et militants du parti de l'Etat, pour lesquels la « critique sociale » consiste, à la Bourdieu, à inviter les « dominés » à « défendre l'Etat » contre son « dépérissement néo-libéral ».

- ach, malgré la tonalité agréablement murayenne de ce passage, comme de ce qui suit, on peut trouver un peu facile la pique finale contre Bourdieu. Non que je veuille défendre celui-ci, mais ainsi que je le rappelais récemment, on ne se débarrasse pas si aisément de l'Etat, notamment « Providence ». Ce serait trop simple !

Rien n'indique mieux en quoi le catastrophisme des experts est bien autre chose qu'une « prise de conscience » du désastre réel de la vie aliénée que la façon dont il milite pour que chaque aspect de la vie, chaque détail de comportement, soit transformé en objet de contrôle étatique, encadré par des normes, des règles, des prescriptions. Tout expert devenu catastrophiste se sait dépositaire d'un fragment de la vraie foi, de la rationalité impersonnelle qui est l'essence idéale de l'Etat. Quand il adresse ses remontrances et ses recommandations aux dirigeants politiques, l'expert est conscient de représenter les intérêts supérieurs de la gestion collective, les impératifs de survie de la société de masse. (On parlera de « volonté politique » qui manque, pour évoquer cet aspect des choses.) L'expertise n'est pas seulement étatiste par destination, parce qu'il n'y a qu'un Etat renforcé qui puisse appliquer ses solutions : elle est structurellement étatiste, par tous ses moyens, ses catégories intellectuelles, ses « critères de pertinence ». Ces « jésuites de l'Etat » ont leur idéalisme (leur « spiritualisme », disait Marx), la conviction d'oeuvrer pour sauver la planète ; mais cet idéalisme se renverse très normalement, dans la pratique prosaïque, en matérialisme grossier, pour lequel il n'est pas une manifestation spontanée de la vie qui ne soit ravalée au rang d'objet passif à organiser : pour imposer le programme de la gestion bureaucratique (« produire la nature »), il faut combattre et supprimer tout ce qui existe de façon autonome, sans les secours de la technologie, et qui ne saurait donc être qu'irrationnel (comme l'étaient hier encore toutes les critiques de la société industrielle qui annonçaient son prévisible désastre).


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Le culte de l'objectivité scientifique impersonnelle, de la connaissance sans sujet, est la religion de la bureaucratie. Et parmi ses pratiques de dévotion favorites figure bien évidemment la statistique, par excellence science de l'Etat, effectivement devenue telle dans la Prusse militariste et absolutiste du XVIIIe siècle, qui fut aussi la première, comme l'a remarqué Mumford, à appliquer à grande échelle à l'éducation l'uniformité et l'impersonnalité du système moderne d'école publique. De même qu'à Los Alamos le laboratoire était devenu caserne, ce qu'annonce le monde-laboratoire, tel que se le représentent les experts, c'est un écologisme de caserne. Le fétichisme des mesures, le respect enfantin de tout ce qui se présente comme un calcul, tout cela n'a rien à voir avec la crainte de l'erreur mais plutôt avec celle de la vérité, telle que pourrait se risquer à la formuler le non-expert, sans avoir besoin de chiffres. C'est pourquoi il faut l'éduquer, l'informer, pour qu'il se soumette par avance à l'autorité scientifique-écologique qui édictera les nouvelles normes, nécessaires au bon fonctionnement de la machine sociale. Dans la voix de ceux qui répètent avec zèle les statistiques diffusées par la propagande catastrophiste, ce n'est pas la révolte qu'on entend, mais la soumission anticipée aux états d'exception, l'acceptation des disciplines à venir, l'adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective." (ch. XXII et XXIII, pp. 64-71)

Sur la statistique, qu'un Mauss par exemple respectait beaucoup, ce n'est peut-être pas le dernier mot, mais passons. Je pourrais vous rajouter une autre séquence assez démoralisante, et plus générale, sur les rapports actuels entre théorie et réalité, mais ce sera pour une prochaine fois.


Consolons-nous donc avec notre belle du jour... Pour qui, comme moi, n'a vu ni Le point de non-retour, ni A bout portant, et qui avoue avoir été, dans La poursuite impitoyable, surtout marqué par Jane Fonda, Angie Dickinson est l'actrice de deux films, Pulsions (Dressed to kill), dont vous venez de voir quelques images - film où B. De Palma et M. Caine lui font tout subir, le pire, le meilleur, et peut-être les deux ensemble,


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et bien sûr Rio Bravo.


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On n'en sortira pas, c'est le film, et Angie Dickinson y est la femme - c'est encore l'époque, c'est la fin de l'époque où Hollywood a une telle puissance narrative qu'il peut créer ou retrouver des mythes sinon éternels du moins fort anciens et profonds. J'ai évoqué en ce sens l'admirable Cyd Charisse dans Tous en scène, il faut en dire autant d'Angie Dickinson dans Rio Bravo, et si l'une d'ailleurs rendait Fred Astaire viril, l'autre donne de la finesse et le sens de la dérision à John Wayne - avec toute l'admiration que je peux vouer à cet immense acteur, il faut avouer que ce n'était pas gagné.

- Ce qui manque peut-être aux différents classements des « vingt plus belles actrices » que j'ai pu lire, et certes ce n'était pas l'esprit du jeu, c'est le regard de l'homme, en l'occurrence, le réalisateur (ou son acteur-truchement) : ces femmes sont si belles parce qu'un cinéaste les a regardées et a montré au monde la beauté qu'il avait su voir (C. Deneuve est belle différemment chez Bunuel, Demy, Melville, Truffaut...). Si donc, répétons-le, la femme peut rendre l'homme viril, il faut ajouter que le regard de l'homme est partie intégrante de la beauté de la femme (dans le cas de Sissy Spacek, ce regard était problématique, et celui qu'elle vous renvoyait l'était encore plus)

- ce pourquoi je finis ce texte désenchanté sur cette série de photos enchanteresses du trio homme acteur - femme actrice - homme cinéaste, John Wayne, Angie Dickinson, Howard Hawks, série qui rappelle une énième fois que l'intelligence de la femme est érogène au plus haut point.


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Finissons avec cet étonnant cliché, que chacun décryptera selon ses fantasmes personnels :


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Et, tout de même, par cette photographie, plus connue que les précédentes - mais une telle photo de tournage vaut à elle seule plus que tant de films :


Annex - Dickinson, Angie (Rio Bravo)_06



God bless America ! (Non, je déconne...)

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