lundi 15 décembre 2008

"Un peu d'antisémitisme éloigne du conformisme, beaucoup d'antisémitisme y ramène..."

Un dernier extrait du livre de Todd, pour le plaisir au moins autant que pour son intérêt propre. Les prochaines livraisons utiliseront plus indirectement Après la démocratie et tenteront d'élargir la perpective.

Il s'agit aujourd'hui d'un costard taillé à notre ami Finkie, notamment à propos de sa description des émeutes de novembre 2005 comme « pogrom anti-républicain » (entretien au Figaro du 15.11.2005). E. Todd décrit avec une certaine acuité les ressorts psychologiques qui ont pu pousser notre aigri préféré à employer une telle tournure, "qui révèle chez son auteur un vrai génie de la synthèse conceptuelle" :

"Avec l'expression « pogrom anti-républicain » Finkielkraut évoque une république française minoritaire, menacée par la violence d'une population étrangère virtuellement majoritaire. Il sait bien que les enfants d'immigrés ne sont pas la majorité de la société française. Tout au plus le sont-ils en Seine-Saint-Denis. La vision est délirante, mais cohérente et efficace. Elle tend à formaliser une mutation ethnique du système social et politique français, un passage régressif au stade de la démocratie ethnique. La démocratie, sous sa forme républicaine, subsiste, mais elle surplombe des ethnies extérieures, dominées et hostiles. Ce modèle sociopolitique représente peut-être une tentative instinctive et inconsciente d'Alain Finkielkraut pour résoudre un conflit de loyauté, expression d'une sincérité désespérée plutôt que d'un machiavélisme sordide.

Il y a quelques années encore, Finkielkraut était considéré comme l'un des chantres de l'universalisme français, un bon républicain, héritier de l'école laïque. Il s'est défini plus tardivement comme représentant d'un peuple juif menacé. La loyauté de l'essayiste envers l'Etat d'Israël se superpose donc à ces obligations d'intellectuel français. Mais l'analyse politique la plus élémentaire nous impose le fait incontournable que les principes qui fondent la République française d'une part, l'Etat d'Israël de l'autre, sont incompatibles : tout le monde peut en théorie, s'il immigre et s'assimile, devenir français. Tout le monde ne peut pas devenir israélien au sens plein, c'est-à-dire israélien et juif. L'appartenance au peuple juif est, pour l'essentiel, définie par un droit du sang qui exclut autant qu'il inclut. La République française est une démocratie universaliste. L'Etat d'Israël est une démocratie ethnique, avec ses exclus et dominés arabes.

On conçoit donc tout le bénéfice psychologique qu'un intellectuel qui se pense français et juif, simultanément et également fidèle à la France et à Israël, pourrait tirer d'une ethnicisation de la société française, de sa redéfinition comme une démocratie ethnique, avec ses vrais citoyens blancs ou d'origine chrétienne. L'ethnicisation de la France ramènerait la République au niveau non universaliste de la démocratie primitive athénienne, américaine ou israélienne : un corps de citoyens égaux, constitué par une opposition à un ou plusieurs groupes opprimés, extérieurs ou inférieurs, ou présentant simultanément ces trois caractéristiques." (Après la démocratie, pp. 134-136)

Comme me le disait en 2005 un ami (antisémite), c'est le bordel en Israël, alors ils aimeraient que ce soit la même merde ici. Le fait est qu'en utilisant le terme de « loyauté » E. Todd sait se situer dans un champ sémantique marqué - en l'occurrence par l'accusation de « double loyauté » qui fut souvent employée contre les Juifs à la grande époque. M. Rodinson regrettait d'ailleurs que la création d'Israël donne ainsi du grain à moudre aux antisémites, en rendant plus concrète cette notion de « double loyauté » (ce à quoi il était évidemment facile de répondre que cette notion n'avait pas attendu la création d'un Etat pour faire des dégâts).

Dans ce contexte miné, reste l'analyse percutante d'Emmanuel Todd, qui me semble, sur le cas de Finkie, très bien vue : Israël a des problèmes avec les Arabes, la France a des problèmes avec les Arabes, j'aime Israël, j'aime - ou j'aimais - la France, je n'aime pas les Arabes, donc Israël et la France, c'est pareil - quitte, pour les besoins de cette dernière équation, à faire revenir la France en question à « une forme primitive de démocratie », ou à une « démocratie régressive », pour reprendre les expressions de E. Todd citées dans ma précédente livraison. J'avais par ailleurs incidemment noté il y a deux ans que le retour en force, chez les intellectuels juifs, et plus seulement chez les gauchistes-athées-anti-patriarcat-bla-bla, du thème de la « civilisation judéo-chrétienne », ne manquait pas de sel, si l'on se souvenait que cette construction idéologique fut historiquement bien plus chrétienne que juive, maintenant les juifs au stade de première étape du christianisme, ce qui dans le passé ne plaisait pas, on le comprend, aux intéressés ainsi subsumés à une religion qui n'est pas la leur et qui ne leur a pas toujours voulu que du bien.

A la vôtre !



P.S. : puisqu'on parle de ça, je signale que M. Ehud Olmert pense comme moi : Israël est le plus fort des Etats de sa région, il est même plus fort que tous ces Etats réunis, s'il y a une nouvelle guerre (entre Etats) il leur mettra, une nouvelle fois, une belle branlée, mais il ne sera pas plus avancé pour cela. Il est dommage que cet homme ne s'en soit pas rendu compte à l'époque de sa guerre au Liban - s'il m'avait lu à l'époque, cela aurait épargné quelques vies (et une humiliation à son pays). Mais bon, qu'un premier ministre israélien m'approuve, c'est assez rare et valait bien la peine d'être noté.



P.S.2, ou plutôt deuxième tour. Au café du commerce, on n'est pas raciste, ce n'est donc pas parce qu'on vient de se faire un juif qu'on va hésiter à se farcir un nègre : dans son dernier livre, La double pensée (Flammarion, 2008), Jean-Claude Michéa nous offre ce savoureux passage, qui me semble un bon complément au texte d'Emmanuel Todd :

"La décomposition des solidarités locales traditionnelles ne menace pas seulement les bases anthropologiques de la résistance morale et culturelle au capitalisme. En sapant également les fondements relationnels de la confiance (tels qu'ils prennent habituellement leur source dans la triple obligation immémoriale de donner, recevoir et rendre) la logique libérale contribue tout autant à détruire ses propres murs porteurs, c'est-à-dire l'échange marchand et le contrat juridique. Dès qu'on se place sur le plan du simple calcul (et l'égoïste - ou l'économiste - n'en connaît pas d'autre) rien ne m'oblige plus, en effet, à tenir ma parole ou respecter mes engagements (par exemple sur la qualité de la marchandise promise ou sur le fait que je ne me doperai pas), si j'ai acquis la certitude que nul ne s'en apercevra. A partir d'un certain seuil de désarticulation historique de l'« esprit du don » (matrice anthropologique de toute confiance réelle) c'est donc la défiance et le soupçon qui doivent logiquement prendre le relais. Dans ce nouveau cadre psychologique et culturel, le cynisme tend alors à devenir la stratégie humaine la plus rationnelle ; et « pas vu, pas pris » la maxime la plus sûre du libéralisme triomphant (comme le sport en administre la preuve quotidienne à mesure qu'il se professionnalise et qu'il est médiatisé). Comme souvent, c'est le sympathique Yannick Noah qui a su formuler, avec sa rigueur philosophique habituelle, les nouveaux aspects de cette question morale. Son fils, Joakim [une sacrée gueule de trou du cul, note de AMG], ayant récemment commis, selon les mots de Yannick lui-même, « une petite boulette » (alcool et drogue au volant d'un véhicule sans permis, avec, en prime, excès de vitesse) notre héros national a aussitôt tenu à lui rappeler publiquement que l'essentiel, en l'occurrence, aurait été « de ne pas se faire pécho » ; ajoutant, au passage, que « ça fait vingt ans que je fais le con et je suis encore populaire parce que les gens pensent que je suis un mec bien. Alors Joakim peut faire la même chose. » En hommage à cette belle leçon de pédagogie paternelle, je propose donc d'appeler principe de Noah la loi qui tend à gouverner une partie croissante des échanges économiques contemporains (on sait, par exemple, que la contrefaçon est effectivement devenue l'une des industries les plus florissantes du capitalisme moderne)." (pp. 233-234)

Admettons, je mets ce principe dans ma terminologie un de ces jours.


Pour finir, un peu de raffinement "judéo-négro-maçonnique", comme disait Céline, dans ce monde de brutes :





Peace and love !

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