jeudi 1 septembre 2011

S.W. par M.-É. N.

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Avec de chaleureux remerciements à D. et J.-P...



Voici quelques extraits d'un texte, ou d'un ensemble de remarques, consacré par Marc-Édouard Nabe à Simone Weil en 1994. Je ne suis pas d'accord avec toutes ses thèses et ne retranscris ici que celles qui m'ont le plus frappé :

"Binoclarde, un peu bossue, caraquesque, en as de pique, intronchable à souhait, Simone Weil, cosmique laideron, était la juive errante dans toute sa splendeur."

"Elle se sacrifie, mais par frustration de n'être ni une héroïne, ni une sainte, ni une martyre. Elle se venge sur son propre corps de ne pas pouvoir l'offrir en sacrifice. L'agneau se fait loup pour soi-même s'il ne peut pas s'immoler."

"Le corps, c'est le juif. Elle hait son corps juif, elle n'aime que son corps grec.

Le Christ est partout sauf dans la Bible ! C'est un peu gros. "

- un peu gros, mais est-ce vrai ? SW tire les religions traditionnelles, ainsi que la philosophie grecque, vers le Christ, probablement de façon excessive, mais ne l'enlève pas de la Bible. Elle regrette de plus qu'il ne soit pas plus présent dans l'Ancien Testament.

"Elle vit avec les Grecs, sa cohorte de Grecs en armes, ses anges gardiens grecs qui la suivent partout, à l'école, à l'usine, aux vendanges…"

"Politique. De la khâgneuse bolchévique à l'antipatriote résistante.

Toutes les contradictions et la plus grande cohérence. [C'est vrai, et assumé par SW.] Avec le recul, le trajet de Simone Weil apparaît comme étant le maître étalon de la perfection. Elle a traversé l'histoire du siècle exactement comme il fallait la traverser : en zigzags droits.

En voulant être moins qu'une femme, elle est devenue plus qu'une sainte."

"Elle se disait « garçon manqué », mais elle était tout autant une « fille manquée », une bourgeoise manquée, une prolétaire manquée, une chrétienne manquée, d'où son immense « réussite » en tout."

"Sa jouissance était dans le refus de s'abandonner."

"Une des multiples raisons qui n'en ont pas fait une sainte : le Christ n'est pas son amant, c'est son frère."

- Oui et non. Outre qu'il faudrait déjà discuter la thèse générale (la sainteté féminine comme relation amoureuse avec le Christ), SW parle tout de même, et à plusieurs reprises, du moment où le Christ l'a « prise ». Il est vrai néanmoins qu'elle n'a pas avec lui une relation très charnelle, mais ce n'est pas non plus une relation de frère et soeur. SW cherchait avec le Christ une relation de soumission et d'obéissance, mais aussi de relative égalité. Et derrière le Fils elle voit toujours le Père. Disons qu'elle ne dissimule pas l'aspect érotique de la rencontre première avec le Christ, mais qu'elle n'en exploite guère les potentialités charnelles. Je manque par ailleurs de points de comparaison avec des mystiques comme Catherine Emmerich, à laquelle fait allusion Nabe dans ce texte.

"Son orgueil à détruire l'orgueil dans toute chose. Elle trouve plus noble de prier Dieu en pensant qu'Il n'existe pas."

- Il y a du vrai mais la formule me semble excessive. Permettons-nous donc une reformulation : Elle trouverait aussi noble, voire plus noble, de prier Dieu même s'Il n'existait pas.

"Comme Nietzsche, elle sait que le christianisme est la religion des esclaves, seulement, elle, elle veut être une esclave. Au surhomme, elle oppose la sous-femme. On connaît l'issue de ce combat.

L'ascèse est son plaisir. Elle ne se prive de rien. Les privations la comblent.

Quel péché avait-elle dû commettre pour ne même pas avoir accès à la Faute ?…"

(Miss « Non », Question de n°97, septembre 1994, repris dans Oui, Éditions du Rocher, 1998, pp 238-243)

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