samedi 28 octobre 2017

Ivresse des intellectuels, Jean Cau, suite.

"Les masses populaires, depuis l’aube des temps, quand elles ont vraiment adoré, ce furent des monstres et ce qui fut vrai hier le sera demain. Désolant est pourtant ce fait que les intellectuels succombent aussi à ce travers. Aux quatre coins du monde et aux six de l’Hexagone, ils plièrent l’échine devant les monstres rouges et, s’ils ne célébrèrent pas la gloire de Hitler, ce fut pour mieux chanter celle de Staline et de Mao. Il y a là une fatalité. Je me souviens de mon ahurissement, de mon incompréhension totale lorsque, dès 1945, les mêmes qui, pendant quatre ans, n’avaient pas eu assez de ricanements à l’égard de ceux qui pratiquaient le culte du maréchal Pétain, les mêmes se vautrèrent dans le culte du divin maréchal moscovite et de son représentant en France, Maurice Thorez,  « notre Maurice » et sa Jeannette. Oui, il y a là comme une fatalité.  Les intellectuels s’inclinent devant la puissance. Comédiens de l’idée, ils rêvent d’obéir à un metteur en scène et, l’histoire du théâtre et du cinéma nous l’apprend, plus ce dernier est autoritaire, brutal même, et plus, sur le plateau, la troupe le respecte et tremble quand se déchaînent ses colères. Staline Productions Inc, sur scénario de Lénine et d’après l’oeuvre de Marx, avait mis en scène le communisme mondial. Les intellectuels se précipitèrent en foule pour y tenir des rôles."

"Vous voulez un maître, vous l’aurez", aurait dit Lacan aux étudiants révoltés de Mai 68, lesquels étaient, Monnerot nous le rappelle de son côté, des intellectuels novices, des apprentis intellectuels, avides de reproduire le modèle - avec ses qualités et ses défauts - de leur aînés, ce qui au passage peut expliquer qu’un type aussi brillant qu’Alain Badiou soit resté en même temps une telle caricature de « l’intellectuel français ». (Ou, contre-exemple, qu’un Jacques Bouveresse, lui aussi à Normale Sup en ces années, dégoûté par cette atmosphère inconsciemment grégaire et autoritaire, se soit expatrié pour y échapper.)

Cela rappellerait par ailleurs, j’irai y pêcher des citations à l’occasion, l’Éloge de l’ignorance de Bonnard, sur les dangers qu’il y a à croire que l’on peut avoir, voire que l’on doit avoir une opinion sur de nombreux sujets, et s'accorder à soi-même une importance du fait de cette opinion dérisoire.  


Une dernière remarque, j’en profite pour la placer ici, quitte à l’émettre aussi sous forme de tweet : dans la série, « les mêmes », ce sont des gens de même obédience qui nous expliquent depuis des années qu’il faut simplifier la langue française, qui s’attaquent à un accent circonflexe qui ne leur a rien fait, ou à un nénuphar bien innocent - et qui cherchent à imposer une effroyable complication de la langue française. Ces gens veulent mourir et nous tuer avec eux.