"La foi n’a pas de proportion avec la justice..." Saint Paul, la foi et les oeuvres, I.
Au sujet de l’Épitre aux Galates :
"Les preuves de la justification par la foi indépendamment des oeuvres sont au nombre de trois : preuve de fait ou d’expérience, preuve théologique et preuve scripturaire.
La preuve de fait est peu compliquée. Les Galates, convertis de la gentilité, n’avaient jamais observé la Loi de Moïse. Il est donc impossible que l’observation de cette Loi ait influé d’une manière quelconque sur leur justification, soit comme cause, soit comme condition essentielle, soit comme disposition préalable. Cependant il n’est point douteux qu’ils n’aient été réellement justifiés au baptême : ils en ont pour gage le don du Saint-Esprit dont la présence alors se manifesta par des signes extraordinaires, tels que les charismes, et continue à s’affirmer par des prodiges sensibles. Qu’on n’objecte pas, comme le faisaient probablement les judaïsants de Galatie, que la justice acquise par la foi se perfectionne et se consomme par la Loi ; car l’auteur de la justification est capable de la conserver et de la parfaire sans aucun secours étranger ; et c’est folie, quand on a commencé par l’Esprit, de vouloir finir par la chair. Pour ne pas saisir une conséquence si claire, il faut que les Galates aient perdu de vue la valeur rédemptrice de la mort du Christ. Paul ne peut attribuer leur égarement qu’à une fascination. Il avait dépeint à leurs yeux, en traits de flamme, l’image du Crucifié. Un regard sur Jésus-Christ, mort pour nous procurer la justice que la Loi n’avait pu donner, devrait rompre le charme. Soutenir la nécessité de la Loi en face du Calvaire, c’est nier le prix du sang divin et la suffisance de la rédemption.
Cette dernière considération, simplement indiquée ici, nous conduit à la preuve théologique. Pour en saisir la force, il faut se souvenir que l’Apôtre s’appuie sur deux postulats, de toute évidence pour lui, et dont l’énoncé revient dans ses lettres sous diverses formes : La justification est un don gratuit que l’homme ne mérite pas et ne saurait mériter. - L’homme n’a jamais le droit de se glorifier devant Dieu ou, s’il se glorifie, ce ne peut être que des bienfaits divins.
Cela posé, l’Apôtre raisonne ainsi : La justification par la foi est gratuite et ne permet pas à l’homme de se glorifier ; elle remplit donc les deux conditions exigées. La justification par les oeuvres ne serait pas gratuite et elle permettrait à l’homme de se glorifier ; elle est donc chimérique.
La justification par la foi est gratuite parce que, la foi étant un don de Dieu, tout l’édifice qu’elle soutient est l’oeuvre de Dieu. L’acte de foi suppose essentiellement l’appel divin fait au moment propice. Or ces deux choses (l’appel divin et la congruité de l’appel) dépendant exclusivement du bon plaisir de Dieu, la priorité de la grâce, au point de vue ontologique, est indéniable, et Dieu commence toujours avant l’homme l’oeuvre du salut de l’homme. Au contraire, la justification que produiraient les oeuvres de la Loi ou, d’une manière plus générale, les oeuvres faites avant la foi - en admettant que ce fût possible - serait le fruit du labeur de l’homme ; elle lui serait due comme le salaire est dû à l’ouvrier ; il pourrait s’en glorifier comme de son bien. Si les faux justes, les pharisiens, regardent la justice comme placée dans la sphère de leur activité naturelle et se flattent de l’obtenir ex opere operato, pour ainsi dire, par l’observation matérielle de la Loi, les vrais justes, Abraham et David, pensent bien différemment : « Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice. » Non pas que la foi soit la justice, ni l’équivalent de la justice, mais c’est une disposition que Dieu veut trouver au coeur de l’homme pour lui conférer un bien plus excellent, la justice. De son côté, David s’écrie : « Bienheureux ceux à qui leurs iniquités sont remises… Bienheureux l’homme à qui Dieu n’impute pas de péché ! » D’oeuvres et de mérites, pas un mot. David rapporte tout à la miséricorde. Et voilà ce qui différencie les deux tendances. Le pharisien qui aspire à conquérir la justice de haute lutte, la réclame comme une dette. Le croyant, au contraire, ne prétend à rien ; il se rend à discrétion ; il confesse, par son acte même, et son indignité et son impuissance ; il se tient devant Dieu comme le mendiant devant son bienfaiteur ; il donne à Dieu la gloire qu’il se refuse à lui-même.
En résumé : Celui qui obtiendrait la justice par ses propres oeuvres ne serait pas justifié par grâce mais par droit ; il n’aurait donc pas la vraie justice, la justice de Dieu, dont l’élément le plus essentiel est la gratuité.
Celui qui est justifié par la foi indépendamment des oeuvres est justifié gratuitement, parce que la foi n’a pas de proportion avec la justice et que l’acte de foi, n’étant que le oui de la raison et de la volonté à l’appel divin fait au moment opportun, est par là même une grâce.
La nécessité de la foi et des autres dispositions requises ne nuit pas plus à la gratuité de la justice que le geste suppliant du pauvre ne supprimerait la libéralité de l’aumône, même s’il en était la condition nécessaire. Et il y a cette différence que le geste du mendiant est de lui tandis que l’acte de foi est un don de Dieu.
Enfin le croyant, par l’aveu de son impuissance et la reconnaissance de la miséricorde divine, s’ôte tout droit à la vaine gloire et glorifie d’autant plus l’auteur de tout bien : Dans gloriam Deo."
Cela vient aussi du livre du jésuite F. Prat, La théologie de Saint Paul, que je feuillette un peu au hasard. Demain - si Dieu me prête, gratuitement ou non, vie… -, la troisième preuve, la scripturaire.
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