vendredi 30 novembre 2018

Marie-Antoinette et "le plus beau royaume d’Europe".

Quelques remarques et rappels d’Emmanuel de Waresquiel : 

"Sa vie est extraordinaire depuis ses commencements. Après tout, elle est la fille de Marie-Thérèse d’Autriche. Elle est née archiduchesse et qui plus est, on a fait d’elle la reine de l’une des premières puissances du monde. (…)

En arrivant à la cour de France, toutes ses certitudes s’effondrent une première fois. Elle était fière d’avoir été choisie entre toutes ses soeurs pour régner « sur le plus beau royaume d’Europe » et elle tombe de haut. Livrée aux intrigues, aux cabales et aux manoeuvres de Versailles, délaissée par un mari sans tendresse, mutique, négligé, maladroit et froid, sans personne pour la guider, elle ne se sent plus protégée. L’artisan de son mariage français, le duc de Choiseul, qui aurait pu l’aider, tombe en disgrâce et quitte la Cour quelques mois après son arrivée. Son mari n’est jamais là, ne lui dit rien. Elle devait être mère et elle ne le sera qu’en 1778, huit ans après son union. Je ne doute pas un instant qu’elle ait vécu cela douloureusement, comme une humiliation. Elle pensait vivre la vie de famille simple, affectueuse et entourée de son cocon de Schönbrunn et elle découvre un enfer. 

La Cour devient très vite pour elle un monde de contraintes, d’ambitions, de pièges, d’ennui et de mensonge. Un monde de vieux et elle est jeune. Un monde figé et elle déteste tout ce qui est triste, compassé, maussade. L’étiquette, cette machine à éduquer les princesses, surtout quand elles sont étrangères, l’assomme. (…) Elle mettra longtemps à comprendre que sans elle le roi est nu, que, pour faire tenir ensemble un édifice qui repose sur l’arbitraire de la naissance, tout doit être conventions, cérémonies, préséances, mystère et craintes. Elle n’est encore qu’enfance, rires et légèreté. De la Cour elle ne voit que la « mécanique minuscule », l’avidité et les masques. Élisabeth de Bavière, la princesse Palatine, allemande comme elle, marié au duc d’Orléans en 1671, avait déjà vécu la même chose sous le règne de Louis XIV : « Depuis que je suis ici, je suis accoutumée à voir de si vilaines choses que si jamais je me trouvais en un lieu où la fausseté ne régnât pas, où le mensonge ne fût pas favorisé et approuvé comme dans cette Cour, je croirais avoir trouvé un paradis. »

Versailles, c’est la mesure du monde tel qu’il est, ce sont ses rêves d’enfance qui se brisent. (…) L’exil, c’est laisser son corps derrière soi, et l’extraordinaire rite de passage qui lui avait été imposé à Strasbourg en mai 1770, lorsqu’on l’avait mise nue, qu’on l’avait déshabillée de ses vêtements de petite archiduchesse et habillée de ceux de sa nouvelle condition de dauphine, sonne comme un étrange conte allégorique. Goethe avait visité l’endroit peu avant qu’elle n’y passe. Une tente avait dressée pour l’occasion sur une île du Rhin. On l’avait décorée d’une série de tapisseries consacrées au cycle de Jason. La plus grande représentait le mariage de Jason avec Créuse, la fille du roi Créon, et la vengeance terrible de Médée, qu’il avait répudiée : le palais en flammes, les enfants égorgés. « L’exemple du mariage le plus épouvantable qui fut jamais consommé », commente Goethe. Comme si l’on avait voulu envoyer au-devant de la jeune princesse de 14 ans « le plus hideux des spectres »."


Tout cela est frappant et n’appelle guère de commentaires, je me permets une nuance et une remarque. La nuance porte sur le rapport de nos princesses étrangères à la Cour, et notamment relativement à la Palatine, nature (et silhouette) carrée et franche, dont le dégoût envers l’hypocrisie, pour sain qu’il puisse être, était peut-être aussi lié à une certaine naïveté. (A quoi s’ajoute, dans son cas, E. de Waresquiel ne le rappelle pas, et ce n’est pas son sujet, les moeurs de son mari, sur lesquels Proust, citant régulièrement Saint-Simon, revient à satiété dans la Recherche, et qui devait donc la toucher encore moins que Louis XVI son Autrichienne…). Ce que je ferai remarquer, c’est, par-delà les critiques que l’on peut adresser à la Cour au XVIIe comme au XVIIIe, l’origine de ses critiques, à l’époque. Ceux qui dressent le même genre de constats que nos deux princesses étrangères, sous Louis XIV, sont de grands esprits, intégrés au système : Bossuet, Molière, La Fontaine, La Bruyère… Au XVIIIe, les esprits sont moins grands, et les reproches et blâmes viennent de gens qui pensent à mettre à bas le système - parfois pour devenir califes à la place du calife, si vous me passez l’expression. Au Grand Siècle, le système génère ses propres anticorps. Dans les années 1770-80… tout le monde connaît la suite.  Tchac !