"L’érotisme est contre-révolutionnaire."
"« Nous sommes au pays de la femme », note non sans étonnement le Gouverneur Morris, à peine débarqué de ses États-Unis en 1789. Alors qu’il cherchait dans ses Mémoires à décrire la société française des dernières années de la « douceur de vivre », Talleyrand, qui s’y connaissait en la matière, insiste tout autant sur cette omniprésence des femmes peu avant la Révolution. Ce sont elles qui donnent le ton. Elles règnent sur les usages, le langage, le goût et même sur la politique. (…)
La Révolution, ce n’est pas seulement la victoire de l’égalité sur le privilège, c’est aussi la revanche des hommes sur le monde des femmes. Élisabeth Vigée Lebrun le dit très bien dans ses Souvenirs : « Les femmes régnaient alors, la Révolution les a détrônées. » « Malheur à toute société dont les femmes se font hommes ! » écrit en note l’éditeur républicain du Journal de Cléry. On est là sous l’influence de Rousseau, de sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles, de la peur que lui inspirait, au tournant des années 1750, le pouvoir des femmes. Les Jacobins vont mettre tout cela en pratique, sans beaucoup de ménagements. On l’aura compris, Marie-Antoinette, face à ses juges, est au coeur de ce débat. Pour en finir avec la société mixte de la cour de Versailles où l’arbitraire monarchique est sans cesse associé à l’influence néfaste des femmes, des maîtresses de Louis XV à la reine, la Révolution impose un nouveau modèle politique placé sous le signe de la vertu et dominé par la présence mâle et virile des hommes au sein des assemblées révolutionnaires. (…)
En 1789, dans leurs cahiers parisiens, les membres du tiers état sont les premiers à demander une politique de règlementation de la prostitution. La débauche, c’est le privilège. L’érotisme est contre-révolutionnaire. L’apologie des moeurs saines de « l’honnête et bonne bourgeoisie » est un argument qui n’a pas été assez noté dans le combat du Tiers contre la noblesse. Il faut voir la façon dont le conventionnel en mission Joseph Fouché organisait à Nevers, en octobre 1793, ses mariages républicains, comment il invitait les jeunes époux, dans un vol de tourterelles immaculées, à se jurer un amour éternel sur l’autel de la Patrie, puis envoyait l’un se battre aux frontières tandis que l’autre était priée d’aller vaquer aux soins de son ménage et à l’éducation de ses enfants. Très vite, on réduit les droits de pétition et de réunion accordées aux femmes."
Etc. Il ne faut pas oublier ceci dit que dans le camp révolutionnaire - et pas seulement au début, je pense notamment aux « tricoteuses » qui surveillaient la Conciergerie au moment où Marie-Antoinette y était enfermée - les femmes étaient nombreuses et vindicatives. Je retranscris ce passage pour son intérêt propre, et avec quelques arrière-pensées par rapport à la situation actuelle et à certains discours. Pour le dire de façon volontairement sommaire, ce qui évitera d’assommantes distinctions, précisions et banalités : que l’on soit révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, et ce que veulent dire ces mots en 2018 ne recouvre pas ce qu’ils voulaient dire en 1789 et/ou en 1793, si l’on est un homme, il n’est pas inutile de se livrer à un examen de conscience qui pourrait aussi bien éviter des violences que des simplifications sommaires : à quel point ai-je peur des femmes ? Les jacobins, manifestement, de ce point de vue, faisaient dans leur froc. Mais qui n’a jamais péché…
"L’érotisme est contre-révolutionnaire." Si la révolution est collective, et comment pourrait-il en être autrement, l’érotisme, individuel par définition, sera contre-révolutionnaire, oui. En gardant toujours à l’esprit l’avertissement aussi prémonitoire qu’actuel de Joseph de Maistre, la contre-révolution ne doit pas être une révolution contraire, mais le contraire d’une révolution.
Après, s’il y a des problèmes samedi prochain en France, ne venez pas me les reprocher…
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