"La charité, qui était le coeur ardent du monde..."
Allez, de bonnes envolées de Chesterton ! Je laisse le lecteur juger lui-même si tout ce que notre auteur dit de l’Église en 1929 (j’ai daté par erreur Pourquoi je suis catholique de 1920 l’autre jour, veuillez m’en excuser) est toujours aussi vrai en 2019… En route :
"Lorsque nous [catholiques] sommes harcelés et raillés à propos de notre obstination à dire la messe dans une langue morte, nous sommes tentés de répondre à nos interlocuteurs qu’apparemment on ne peut leur faire confiance en leur laissant le soin d’une langue vivante. Lorsque nous voyons ce qu’ils ont fait de la noble langue anglaise, en comparaison de l’anglais du Prayer book anglican (a fortiori du latin de la messe !), nous avons l’impression que c’est leur progrès que l’on pourrait qualifier de dégénérescence.
Une langue dite morte ne peut jamais dégénérer. Même eux, à coup sûr, pourraient comprendre que l’on s’y cantonne à une époque où, dans le vernaculaire, le mot immaculé est dit seulement du plastron des snobs ; où le mot onction signifie non pas l’Extrême-Onction, mais uniquement une rectitude onctueuse. Il est inutile de noter une fois de plus comment les qualités morales ont perdu leur aspect spirituel et avec celui-ci toute leur dignité, leur délicatesse et leur attirance spontanée vers le surnaturel. La charité, qui était le coeur ardent du monde, est devenue une appellation pour des organismes mesquins et pompeux, qui de nos jours reviennent généralement à l’asservissement du pauvre.
Mais il y a d’autres exemples subtils de cette dégénérescence des mots désignant les idéaux. Par exemple, l’aliénation du mot courage par la presse contemporaine, encore pire que la dépréciation de l’idée de la charité.
N’importe qui vivant dans la sécurité et le luxe complets, ayant décidé d’écrire une pièce ou un roman provoquant de l’émoi et des échanges de compliments à Chelsea et Chiswick, et un léger frisson dans Streathm et Surbiton, est qualifié d’audacieux, quoique personne sur terre ne sache quel est le danger qu’il a défié. Je parle bien sûr des dangers terrestres, ou des seuls dangers auxquels il croit. S’entendre flatter de façon extravagante par tous ceux qu’il considère comme éclairés, et recevoir de faibles réprimandes de ceux qu’il considère comme démodés et vieux, ne semble pas un péril si épouvantable qu’il faille regarder comme un guerrier héroïque et un martyr militant celui qui a la force de l’endurer…
Il y a peu de temps, le critique théâtral d’un journal du dimanche s’est lui-même pris d’une frénésie d’admiration pour le « courage » d’une pièce lamentable, parce qu’elle représentait un soldat délirant comme une femme hystérique contre la cruauté de ceux qui s’attendaient à ce qu’il défende son pays. C’est peut-être amusant que son idée du courage consiste à défendre la couardise. Mais c’est le genre de défense de la couardise que nous avons entendu dix mille fois pendant la réaction qui a suivi la Grande Guerre, et le courage qu’il faut pour le prôner est tout aussi grand que le courage nécessaire pour proférer n’importe qu’elle autre citation rebattue des clichés et des conventions du moment, comme les bagatelles sur l’absurdité du mariage ou sur la personnalité sympathique de Judas Iscariote. Ces choses sont devenues tout à fait banales, mais elles prétendent encore être courageuses. C’est ainsi qu’on a connu de faux soldats paradant en uniforme après que la guerre eut été finie.
L’Église catholique, en tant que gardienne de toutes les valeurs, garde aussi la valeur des mots. Ses enfants ne tomberont pas, j’espère, dans cette folie confortable des conventions. Nous n’avons pas besoin de faire comme si les catholiques d’aujourd’hui étaient appelés à montrer du courage suivant les critères des catholiques d’autrefois. Cela nécessitait un certain courage d’être catholique quand cela faisait ressortir la réticence catégorique ressentie par la plupart d’entre nous à être torturé ou déchiré avec un couteau. Cela nécessitait un certain courage quand il y avait même seulement une possibilité intermittente d’être déchiré par la foule, ce que notre subtile psychologie humaine regarde avec un certain dégoût.
Mais j’espère que nous ne ressentons aucune répugnance à être en opposition avec [Michel Onfray] ou à être regardé avec inquiétude et suspicion par [C. Castaner]. Ce sont presque des plaisirs intellectuels. En effet, ils impliquent une certaine tentation d’orgueil intellectuel. Prions pour en être délivrés, et espérons que nous ne serons pas tout à fait privés d'occasions de montrer du courage…"
("L’Église catholique, en tant que gardienne de toutes les valeurs, garde aussi la valeur des mots." : Jean Madiran n’a pas dû prendre connaissance de ces lignes, elle l’auraient probablement, à tout le moins, ému…)
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