"Si la crainte ne fermait les bouches devant un arbitraire puissant..."
"L’ignorance est l'ignorance. Nul droit à croire quelque chose n'en saurait dériver." (S. Freud).
L'esprit encore secoué par les absurdités que je peux lire ici et là, les projets déments de nos gouvernants concernant la rénovation d’un édifice dont ils ne peuvent bien sûr comprendre à quel point il les dépasse et les juge,
L'esprit encore secoué par les absurdités que je peux lire ici et là, les projets déments de nos gouvernants concernant la rénovation d’un édifice dont ils ne peuvent bien sûr comprendre à quel point il les dépasse et les juge,
- nous croyons toujours spontanément que le bon sens va à un moment ou un autre l’emporter ; mais quand on a un logiciel précis dans le cerveau, c’est avec ce logiciel que l’on filtre, examine, étudie tous les événements, même les plus inattendus : il n’est donc hélas guère surprenant que ce soit avec leurs lunettes de post-modernes maçonnisés que ces crapules voient la situation. La sagesse populaire, plus lapidaire et moins politique, le formule ainsi : "Quand on est con, c’est pour la vie."
L’esprit encore secoué, disais-je, je tombe sur ces lignes de Maurras sur Antigone et Créon. Le parallèle entre ce tyran et Macron n’a pas besoin d’être souligné plus d’une fois, et encore : vous en jugerez. - Attendons Antigone comme d’autres attendaient Godot, ou comme Simone Weil attendait Dieu, ou comme certains attendaient le Messie… ; ou produisons-la nous même, antigonons-nous !
"Créon a contre lui les dieux de la Religion, les lois fondamentales de la Cité, les sentiments de la Cité vivante. C’est l’esprit même de la pièce. (…) Ce que [Sophocle] veut nous montrer, c’est le châtiment du tyran qui a voulu s’affranchir des lois divines et humaines.
Antigone en a bien le sentiment. Dès le début, parlant de son dessein à sa soeur, en se prévalant de la beauté de l’acte, elle déclare refuser de manquer à la Loi souveraine que respectent les dieux. Lorsque le tyran lui reproche de préférer ce qu’elle aime à la patrie, c’est lui qui parle, c’est lui qui nous est montré prenant sa folie pour de la sagesse, et qui veut identifier son jugement particulier aux nécessités du salut public : toute la suite du drame va démontrer le contraire par la conséquence même de la mauvaise action de Créon qui détruira la Cité au lieu de la maintenir, ruinera l’Autorité et la Royauté au lieu de les sauver. (…)
Ce n’est pas un Chef que fait parler Sophocle, ce n’est pas un homme d’État, c’est le tyran au sens moderne, le despote, égaré par le vertige du pouvoir. Sur quoi le Choeur se plaint que l’homme soit sujet à toujours confondre les lois issues de frêles mains humaines avec les lois des dieux qui sont inébranlables. Il va jusqu’à conclure que le gouvernement d’un homme ainsi fait n’est pas bienfaisant pour la Ville, pour la Patrie. (…)
Que répond Antigone au premier interrogatoire ? Que l’arrêt de Créon n’était pas légal. Il n’avait pas été promulgué par Zeus, ni enregistré par Dikè. Un simple édit, même royal, n’est pas assez fort pour infirmer les principes inécrits, ces données synthétiques de l’Ordre, ces hautes traditions des Autels, des Foyers, des Tombeaux, dont nul ne connaît l’origine et auxquels la simple décision « d’un homme » ne peut se comparer. S’il la prend pour une folle, il se trompe : c’est lui qui est fou. Elle le lui dit. Ce qui l’enrage encore. Le Choeur a peur, Antigone affirme cependant devant lui que tous, ici, l’approuveraient si la crainte ne fermait les bouches devant un arbitraire puissant. Créon veut invoquer l’opinion publique des Thébains : « Ils voient comme comme moi, répond-elle, ils ne parlent que pour te plaire… » (…)
Le caractère tyrannique du rôle de Créon s’accuse et s’accentue encore. Le poète lui fait dire des paroles impies : d’un chef, il faut exécuter tous les ordres, petits ou grands, justes ou non ! Après s’être déchaîné contre l’indiscipline et l’anarchie, ce possédé se retourne et s’insurge, en fait, contre la justice, qui est l’un des principes et des fins de son autorité. (…) Hémon [fils de Créon et amoureux d’Antigone] demande à son père de ne pas s’en tenir à sa propre pensée, sa pensée isolée, ni à son sentiment unique.
« Telle est la voix du peuple entier de Thèbes, insiste Hémon.
- Alors, reprend le père, c’est le peuple qui va commander ?…»
Sur quoi, le jeune homme ose se tourner vers le Choeur et le prend à témoin que son père parle comme un enfant ! Le tyran argue de son droit sur la Cité. Le jeune homme répond qu’on ne peut pas régner sur un pays désert.
« Tu discutes ton père !
- Tu manques à la piété.
- Je maintiens mon pouvoir.
- Tu bafoues les dieux.
- Tu es asservi par une femme.
- Je ne suis pas, du moins, asservi par le Mal… » (…)
Antigone marche à la mort : Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ses dernières paroles ont été pour protester qu’elle n’a violé aucune loi : « On l’accuse d’impiété, elle, la Piété même ! »
C’est alors que surgit un personnage qui, s’il restait le moindre doute sur la question, en trancherait les derniers noeuds. Figurons-nous, un quart d’heure après le supplice de Jeanne d’Arc, quelqu’un comme le Pape de Rome venant dire aux Anglais : « Oui, c’est bien cela, vous avez brûlé une Sainte ! »
Le devin Tirésias remplit ici ce rôle théologique : il vient affirmer à Créon, conformément au cri de la Ville, que le Ciel est contre lui, qu’il court à de nouveaux désastres, que les augures et les présages le condamnent, lui ! (…)
Ce qui ne manque pas de déchaîner, pour la dernière fois, les cris de fureur de Créon. Tirésias, qui fut son bon conseiller et son pontife dévoué, est traité de vendu, bravé, défié, bafoué, ce qui amène une sorte d’excommunication solennelle, dans laquelle le Pouvoir religieux fait connaître au Pouvoir civil, sorti de son cadre, tiré de son échelon, que l’expiation directe va commencer : un homme de la propre chair de Créon va périr parce qu’il a privé le mort des funérailles dues, parce que son impiété a violé les « dieux d’en bas » sur lesquels n’ont de pouvoir ni les hommes, ni même les dieux d’en haut : les Érinyes déchaînées feront entendre des cris d’horreur et de fureur jusque dans le foyer de Créon.
Menaces effrayantes ! Elles ébranlent Créon, elles le retournent, il est trop tard. Antigone s’est tuée dans son tombeau, Hémon manque de tuer son père, et se tue lui-même. Le messager qui fait le récit conclut que pareil manque de sagesse est pour les hommes le pire des maux. Rien de plus exact. Contre la religion, contre les dieux, contre les lois fondamentales de la Cité et de la race et, je répète, contre son propre pouvoir, contre la mesure de la raison ou le bien de l’État, Créon est le type accompli de l’insurrection. (…)"
("Antigone vierge-mère de l’ordre", 1944, je n’ai pas signalé toutes mes coupures.)
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