mercredi 17 avril 2019

Tout pour moi devient allégorie... de la chute.

Un bel article de J. Starobinski, qu’il est difficile de synthétiser ou de citer, "Mémoire de Troie", me donnait à rêver sur notre destin potentiel de Troyens. Lesquels ont fini en flammes, comme vous vous en souvenez. Une petite minorité de survivants a fondé rien moins que Rome - c’est ce que dit la légende, et il faut ici suivre John Ford et "print the legend" -, mais que pourrions-nous fonder, nous, dans ce monde surpeuplé ? J’ai commencé  lundi midi la lecture de ce texte comme une continuation de mes échappées maritimes, et c’est, de Troie à Notre-Dame, la thématique du feu qui s’est imposée à moi.

Jean Starobinski cite Le Cygne, de Baudelaire, lequel commence par une apostrophe à la troyenne Andromaque. "Dans Le Cygne, ce grand poème de la mémoire, l’occasion traitée par Baudelaire est la surprise qu’a été l’apparition d’un cygne, « évadé de sa cage » sur le champ de ruines du « vieux Paris » que l’on est en train d’abattre". Je relis le début de ce poème, j’avais complètement oublié que s’y trouvait une phrase superbe que les situationnistes répétaient souvent : 

"Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve, 
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit 
L'immense majesté de vos douleurs de veuve, 
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel)…"


Plus loin, cette strophe, sorte de vade mecum du décliniste parisien : 

"Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs."


Penser que c’est à des gens comme Hidalgo et Macron que va incomber la responsabilité de la restitution de quelque chose qui les dépasse, qu’ils sont incapables de comprendre, et que leur fatuité médiocre les encourage à considérer avec condescendance… De quoi dégueuler, vraiment, comme disait Léo Ferré. 


 - A la toute fin du poème réapparaît le thème marin, que de mon côté je n’ai pas perdu de vue - mais où notre éventuel Exodus pourrait-il nous mener ? 

"Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !"