"Appelons Europe l'illusion..."
A la recherche d’une citation, je rouvre un dossier, et je tombe là-dessus :
"Du temps de Rubens, donc, on ne disait pas « Europe » mais « Chrétienté ». Qui s'en souvient ? Le terme « Europe », comme désignation d'un espace pertinent, est de création récente, il n'a que deux siècles, l'enfance ou presque. C'est entre disons 1650 et 1750 que la terminologie a basculé. Des environs, donc, de la mort de Rubens aux premiers frissons précurseurs de la Révolution. Dans cette époque d'effondrements que quelqu'un a pu appeler excellemment la « crise de la conscience européenne ». « Chrétienté »., au fond, était un terme de guerre, un nom dans lequel résonnait l'effort européen pour repousser l'ennemi absolu d'alors, je veux parler des Turcs, bien sûr, des Ottomans. La « Terreur du monde », comme on disait depuis la prise de Constantinople en 1453. « Europe » est employé progressivement partout où ce danger disparaît (à l'ouest), alors que là où il subsiste (Espagne, Italie du Sud, Autriche, Hongrie, Pologne), « Chrétienté » résiste. Le mot « Europe » signifie donc cessation des hostilités, armistice, ou encore croyance à la fin de la Guerre Sainte (sa consécration dans la langue date de 1751, avec la publication par Voltaire du Siècle de Louis XIV). Appelons « Europe » l'illusion naissante, et maintenant devenue lieu commun, que nous n'ayons pas eu d'autre ennemis à travers le temps que les Turcs ; ou que la menace « ottomane » se soit à jamais évanouie avec ces « chrétiens » qui la combattaient ; et aussi, bien entendu, que nous puissions partager quelque chose, par exemple avec les Allemands, avec l'Allemagne, avec le puissant Massif moral et central germanique."
P. Muray, La Gloire de Rubens, 1991. Livre publié, c’est toujours un peu piquant de le rappeler, par un directeur de collection chez Grasset du nom de Lévy, du prénom de Bernard-Henri.
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