lundi 24 juin 2019

Épidémie de sorcellerie...

J’avais déjà prévu, entre mille autres choses à faire, de relire le livre de Muray sur Rubens, les notes que j’y ai prises il y a quelques années justifient amplement ce désir intellectuel : 

"L'Europe entière vacillait depuis à peu près soixante ans. La Chrétienté avait commencé à se déchiqueter lorsqu'un moine, à Wittemberg, avait affiché un placard annonçant la discussion de quatre-vingt-quinze thèses sur les indulgences. 

Immédiatement, tout s'embrasa. L'Allemagne découvrit avec extase qu'elle était l'avenir du monde. Elle célébra son réveil par un festival de vandalisme. Faute de boucs émissaires plus sérieux, elle commença par se faire la main en détruisant des œuvres d’art."

Le protestantisme : 

"Par le plus grand des hasards, ses conquêtes étaient partout accompagnées d'une épidémie de sorcellerie comme on n'en avait jamais vu. Les magiciens se réveillaient au rythme des conjurations de la Raison. Devins, gris-gris, poudres et sabbats ! Marabouts ! Rackets de gourous ! Va-et-vient plus logique qu'on ne pourrait le croire, tourniquet fatal des illusions. Solidarité des utopies. Lévitation des délires. Plus l'ultra-rationnel communautaire est poussé vers ses limites extrêmes (et qu'est-ce que la Réforme, sinon l'injection massive à froid de la raison pure dans la religion, laquelle est extravagante, ou paradoxale au moins, par définition ?), et plus l'ultra-irrationnel, en retour, se retrouve libre de se déchaîner avec une violence sans limites sur le plan intime ou personnel. On ne liquide pas impunément la contradiction qui aide à vivre. On arrache rarement la mauvaise herbe sans détruire la bonne par la même occasion. Malfaisance de la vertu ! Retours de bâton de la Bienfaisance ! La pulsion de mort se nourrit d'idéal ; tout ce qui ressemble à du doute ou de l'ironie, à du paradoxe, à de l'équivoque, lui est tout de suite menace mortelle, et c'est la raison pour laquelle, peut-être, la Réforme va s'engloutir dans le grand Bassin aux Mirages, je veux parler de la Méditerranée. C'est là, à pic, d'un seul coup, qu'elle va aller se naufrager, dans cette région de toutes les merveilles. Oui, c'est là, c'est bien là, pas ailleurs, aux franges de la Mer Intérieure civilisatrice, sur les rives de vignes et de cyprès, que la mise en ordre protestante rencontre sa vraie chimie dissolvante, sa grande confusion, sa seule défaite."

Qui dit protestantisme dit culpabilité. Ce qui est suit est diaboliquement actuel, si j’ose dire : 

"La bête noire de la culpabilité, c'est le langage évidemment, elle préfère de loin la musique, elle en met partout, elle en rêverait dans tous les coins. Que la planète se transforme en une immense Fête, vaseuse et morne, de la Musique égalisante. Musique aujourd'hui, forme suprême de notre gâtisme consensuel ! « Viens, musique, emporte-moi avec toi et sauve-moi de cet effort douloureux pour trouver les mots » : ainsi chantait-on, déjà, au XVIIIe, quand on était poète, et romantique, et allemand.

Effort douloureux pour trouver les mots ! Dans les époques de décadence, le langage devient l'ennemi, sourdement, comme s'il y avait incompatibilité entre la survie en commun et lui. Comme si les sociétés n'étaient jamais fondées que sur un Inexprimable exsangue que menacerait trop la langue. On communie mal avec les mots, ils ont toujours trois sens au moins. Au IIe siècle, raconte un historien de la Rome impériale, les parties dialoguées des pièces de théâtre disparurent petit à petit, laissant la place aux chants d'un chœur de plus en plus envahissant ; les « chefs de troupe » (nous dirions aujourd'hui les metteurs en scène ou les réalisateurs) coupèrent les textes et noyèrent l'action « dans les fantasmagories du décor et l'incantation du lyrisme musical ». Le démoniaque se fraye mieux son chemin dans les histoires sans paroles."


Requiem !