mercredi 13 septembre 2006

Godwin forever.

(Ajout le lendemain.)


Puisque je suis en veine de comparaisons, poursuivons, avec l'aide de Pierre Vidal-Naquet (Les assassins de la mémoire), quelques parallèles entrepris ces derniers temps :

- propagande sioniste effrénée / négationnisme :

"S'agissant d'Israël, peut-on s'en tenir à l'histoire ? La Shoah déborde celle-ci, d'abord par le rôle dramatique qu'elle a joué aux origines mêmes de l'Etat, ensuite par ce qu'il faut bien appeler l'instrumentalisation quotidienne du grand massacre par la classe politique israélienne. Du coup, le génocide des Juifs cesse d'être une réalité historique vécue de façon essentielle, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir telle ou telle adhésion politique à l'intérieur du pays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sorte qu'elle suive inconditionnellement les inflexions de la politique israélienne. Paradoxe d'une utilisation qui fait du génocide à la fois un moment sacré de l'histoire, un argument très profane, voire une occasion de tourisme et de commerce.

Est-il besoin d'ajouter que, parmi les effets pervers de cette instrumentalisation du génocide, il y a la confusion constante et savamment entretenue entre la haine des nazis et celle des Arabes ?

Personne ne peut s'attendre à ce que les années 1939-1945 s'inscrivent immédiatement dans le royaume serein (pas toujours) des chartes médiévales et des inscriptions grecques, mais leur manipulation permanente les prive de leur épaisseur historique, les déréalise et par conséquent apporte à la folie et au mensonge révisionnistes la plus redoutable et la plus efficace des collaborations." (p. 130 ; 1985)

(Il s'agit sous cet aspect moins d'un parallèle que d'une relation de cause à effet.)

- pratiques de la démocratie contemporaine, notamment anglo-saxonne, et pratiques des régimes totalitaires :

P. Vidal-Naquet cite (p. 142) ces lignes de Franz Neumann (Béhémoth, 1944) :

"Le national-socialisme, qui prétend avoir aboli la lutte des classes, a besoin d'un adversaire dont l'existence même puisse intégrer les groupes antagonistes au sein de cette société. Cet ennemi ne doit pas être trop faible. S'il était trop faible, il serait impossible de le présenter au peuple comme l'ennemi suprême. Il ne doit pas non plus être trop fort, car sinon les nazis s'engageraient dans une lutte difficile contre un ennemi puissant. C'est pour cette raison que l'Eglise catholique n'a pas été promue au rang d'ennemi suprême. Mais les Juifs remplissent admirablement ce rôle. Par conséquent, cette idéologie et ces pratiques antisémites entraînent l'extermination des Juifs, seul moyen d'atteindre un objectif ultime, c'est-à-dire la destruction des institutions, des croyances et des groupes encore libres."

Cette tirade d'esprit fonctionnaliste est moins une explication en tant que telle de l'extermination des Juifs qu'une explicitation de certaines de ses conditions de possibilité, mais ce n'est pas notre problème aujourd'hui : la dernière phrase suscite immanquablement me semble-t-il le parallèle avec les effets concrets, encore limités certes en France pour les citoyens "de souche", de la "guerre contre le terrorisme". Le parallèle vaut aussi pour le moyen choisi pour atteindre "l'objectif ultime" de contrôle des libertés : l'ennemi n'est pas trop faible, certes, mais il n'est pas non plus trop fort, puisqu'il ne s'agit pas, en principe, d'affronter le monde arabe ou le monde musulman en leur ensemble. Le parallèle s'arrête là, puisque en l'occurrence, si l'on veut que le terrorisme musulman ne soit pas "trop faible", il faut heurter le monde musulman, au risque que celui-ci bascule globalement dans l'adversité armée. Dosage difficile, quadrature du cercle vicieux.

Quoi qu'il en soit, tout ceci suggère une nouvelle définition du totalitarisme, cette fois-ci dans les termes d'un René Girard. Celui-ci met à la base des sociétés (à la base de tout, même) le système du bouc émissaire : les hommes se réconcilient - momentanément, mais parfois avec solidité - par un meurtre fondateur (bien réel) dont tous les membres de la communauté se rendent coupables. La victime tuée, expulsée de la société, la vie en commun démarre ou reprend, jusqu'à la prochaine crise. Le totalitarisme - et quoi qu'il en soit de ce concept, ici le communisme, le nazisme et la "guerre contre le terrorisme" se rejoignent pleinement - vivrait d'une certaine surchauffe permanente de ce système, par antithèse avec l'explosion violente et unique du meurtre (re-)fondateur. L'ennemi de classe, le Juif, le terroriste qui empêche de capitaliser en rond sont toujours présents, il faut se battre contre eux en permanence. Et ici comme ailleurs le nazisme se distinguerait par un aspect plus archaïque - sa définition de la victime émissaire, malgré la célèbre réponse de Goebbels à Fritz Lang : "C'est nous qui décidons qui est juif et qui ne l'est pas", étant moins flexible que celle du "bourgeois" ou du "terroriste" (cf. Guantanamo) -, plus franc et massif, dira-t-on sans certes prétendre que cela console les victimes émissaires en question : il reste que Staline était plus doué pour trouver en permanence de nouveaux ennemis-à-éliminer-avant-toute-chose-pour-que-le-communisme-survive.

Définition, ou élément de définition, ou formulation qui n'est pas exclusive de la piste jusqu'ici suivie dans l'esprit d'un Dumont.

Les parallèles se rejoignent à l'infini de la saloperie.


(Le lendemain matin.)
"Pour-que-le-communisme-survive" - c'est encore un trait typique du communisme et du nazisme que l'on retrouve dans la "guerre contre le terrorisme" : la formulation des problèmes en terme de survie, de tout ou rien, de "c'est eux ou nous". La puissance effective de l'ennemi - qui peut être réelle, comme dans le cas de l'Allemagne hitlérienne en 1941 (d'ailleurs la force de la réaction des Russes peut s'expliquer, en petite partie, dans ce cadre : enfin un ennemi réel contre qui combattre, pas une classe bourgeoise complètement décimée, fantasme au service de discours et pratiques répressifs) ou de la guerre du Kippour - ne joue à peu près aucun rôle dans cette rhétorique : l'important est que cet ennemi ne veut qu'une chose, depuis toujours et pour toujours : notre mort.

Dans le cas d'Israël, l'utilisation permanente de cette stratégie est pour le moins évidente. Le distingué biomètre Tony Blair ne tient pas un autre discours. Qui y croit ne peut, c'est humain, que choisir "nous" contre "eux", nous sommes en pleine logique de la victime émissaire - et donner quitus à l'aggravation de son propre esclavage.



Ceci n'a vraiment quasiment rien à voir, mais autant le caser ici qu'ailleurs :

"Ecrire, et plus encore écrire en français, semble être la projection de l'échec absolu de soi-même." (Dominique de Roux, 1966)

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