Paganisme mon cul, athéisme mon cul - paradoxes du ressentiment - simplicité de mon cul.
Pierre Vidal-Naquet (Les assassins de la mémoire, pp. 163-64) :
"Entre Allemands et Juifs, de 1933 à 1945, le rapport n'avait pas été simplement de persécuteurs et de persécutés, voire de destructeurs et de détruits, comme ce fut le cas pour les Tsiganes. Ce que voulaient les nazis, et cela s'exprime parfaitement dans l'idéologie SS, c'était remplacer les Juifs dans leur fonction mythologique de peuple élu, qui depuis le temps des Lumières n'avait cessé de fasciner les nations montantes. En ce sens, on peut dire que le nazisme est une perversa imitatio [A. Besançon], une imitation perverse de l'image du peuple juif. Il fallait rompre avec Abraham, donc aussi avec Jésus, et se chercher avec les Aryens un nouveau lignage. Intellectuellement, la Nouvelle Droite d'aujourd'hui ne raisonne pas autrement." (1987)
Dans une note (p. 223), l'auteur ajoute :
"Et pas uniquement la Nouvelle Droite : tous ceux qui tirent de l'oeuvre de G. Dumézil l'idée, ou plutôt l'utopie rétrospective, que, en somme, l'humanité européenne s'est embarquée sur le mauvais bateau en devenant chrétienne, c'est-à-dire juive."
Ce qui confirme ce que j'avais cru, dans la lignée de Paul-Marie de la Gorce, pouvoir affirmer quant aux rapports d'estime, si j'ose dire, qui liaient les nazis aux juifs, par opposition au mépris pur et simple que ceux-là portaient aux nazis (cf. notamment ce texte, qu'il faudra ceci dit que je complète sous peu.) Ce qui est d'ailleurs par certains aspects une constatation de bon sens : pour être aussi tourmenté par quelqu'un ou par une communauté, il faut bien les prendre un peu au sérieux.
Ce dernier raisonnement semble avoir traversé l'esprit de René Girard, dans une remarque (Le bouc émissaire, Grasset, 1982, éd. "Poche", p. 298) à propos du Moyen Age et des Lumières. Si l'on admet - c'est une question discutée - que le Moyen Age fut au moins aussi païen que chrétien (le culte des saints "adaptant" le catholicisme aux différents paganismes polythéistes de l'époque), si l'on interprète comme une forme d'hommage l'obsession des Lumières à l'égard du catholicisme, on peut soutenir, comme le fait Girard, que le XVIIIè siècle français fut en un certain sens plus chrétien que le Moyen Age occidental. Ce qui permettrait de mieux comprendre le lien entre les Droits de l'Homme et les Evangiles. Une ruse de la raison chrétienne en quelque sorte, si peu hégélien que se proclame par ailleurs Girard.
On répondra que le juif Vidal-Naquet et le catholique Girard font de la réclame pour leur crèmerie. Ce n'est peut-être pas faux, mais, que l'on accepte ou non les diagnostics que je viens de citer (et qui seront étudiés pour eux-mêmes ultérieurement... peut-être !), on a tout intérêt à garder à l'esprit ces liens entre l'hostilité et la fascination, entre l'hostilité et l'envie, entre l'hostilité et la rivalité, entre l'hostilité et le ressentiment (ce dernier, on le sait depuis Nietzsche, étant fort lié à la démocratie ; Girard (La voix méconnue du réel, Grasset, 2002, p. 164) le qualifie de son côté, non sans nuances, d'"enfant du christianisme").
Encore un pas et l'on va tomber dans des impasses théoriques du genre "psychologie du racisme", "ce qui se passe dans la tête d'un raciste", etc. Mais ce ne sont des impasses que si l'on en part : il importe au contraire, d'un point de vue global, de s'assurer que les brillantes synthèses historiques et conceptuelles ont des répondants concrets dans les sentiments des acteurs historiques. Sinon l'on finit par tomber un jour dans ce que j'appellerai, en référence à ma note d'hier, et justement dans une optique de psychologie, le "paradoxe de Redeker" : jouer avec irresponsabilité et veulerie les chevaliers blancs de la responsabilité et du courage.
Sinon, chose promise, chose due - et en toute simplicité :
C'est la fin de mon anonymat !
"Entre Allemands et Juifs, de 1933 à 1945, le rapport n'avait pas été simplement de persécuteurs et de persécutés, voire de destructeurs et de détruits, comme ce fut le cas pour les Tsiganes. Ce que voulaient les nazis, et cela s'exprime parfaitement dans l'idéologie SS, c'était remplacer les Juifs dans leur fonction mythologique de peuple élu, qui depuis le temps des Lumières n'avait cessé de fasciner les nations montantes. En ce sens, on peut dire que le nazisme est une perversa imitatio [A. Besançon], une imitation perverse de l'image du peuple juif. Il fallait rompre avec Abraham, donc aussi avec Jésus, et se chercher avec les Aryens un nouveau lignage. Intellectuellement, la Nouvelle Droite d'aujourd'hui ne raisonne pas autrement." (1987)
Dans une note (p. 223), l'auteur ajoute :
"Et pas uniquement la Nouvelle Droite : tous ceux qui tirent de l'oeuvre de G. Dumézil l'idée, ou plutôt l'utopie rétrospective, que, en somme, l'humanité européenne s'est embarquée sur le mauvais bateau en devenant chrétienne, c'est-à-dire juive."
Ce qui confirme ce que j'avais cru, dans la lignée de Paul-Marie de la Gorce, pouvoir affirmer quant aux rapports d'estime, si j'ose dire, qui liaient les nazis aux juifs, par opposition au mépris pur et simple que ceux-là portaient aux nazis (cf. notamment ce texte, qu'il faudra ceci dit que je complète sous peu.) Ce qui est d'ailleurs par certains aspects une constatation de bon sens : pour être aussi tourmenté par quelqu'un ou par une communauté, il faut bien les prendre un peu au sérieux.
Ce dernier raisonnement semble avoir traversé l'esprit de René Girard, dans une remarque (Le bouc émissaire, Grasset, 1982, éd. "Poche", p. 298) à propos du Moyen Age et des Lumières. Si l'on admet - c'est une question discutée - que le Moyen Age fut au moins aussi païen que chrétien (le culte des saints "adaptant" le catholicisme aux différents paganismes polythéistes de l'époque), si l'on interprète comme une forme d'hommage l'obsession des Lumières à l'égard du catholicisme, on peut soutenir, comme le fait Girard, que le XVIIIè siècle français fut en un certain sens plus chrétien que le Moyen Age occidental. Ce qui permettrait de mieux comprendre le lien entre les Droits de l'Homme et les Evangiles. Une ruse de la raison chrétienne en quelque sorte, si peu hégélien que se proclame par ailleurs Girard.
On répondra que le juif Vidal-Naquet et le catholique Girard font de la réclame pour leur crèmerie. Ce n'est peut-être pas faux, mais, que l'on accepte ou non les diagnostics que je viens de citer (et qui seront étudiés pour eux-mêmes ultérieurement... peut-être !), on a tout intérêt à garder à l'esprit ces liens entre l'hostilité et la fascination, entre l'hostilité et l'envie, entre l'hostilité et la rivalité, entre l'hostilité et le ressentiment (ce dernier, on le sait depuis Nietzsche, étant fort lié à la démocratie ; Girard (La voix méconnue du réel, Grasset, 2002, p. 164) le qualifie de son côté, non sans nuances, d'"enfant du christianisme").
Encore un pas et l'on va tomber dans des impasses théoriques du genre "psychologie du racisme", "ce qui se passe dans la tête d'un raciste", etc. Mais ce ne sont des impasses que si l'on en part : il importe au contraire, d'un point de vue global, de s'assurer que les brillantes synthèses historiques et conceptuelles ont des répondants concrets dans les sentiments des acteurs historiques. Sinon l'on finit par tomber un jour dans ce que j'appellerai, en référence à ma note d'hier, et justement dans une optique de psychologie, le "paradoxe de Redeker" : jouer avec irresponsabilité et veulerie les chevaliers blancs de la responsabilité et du courage.
Sinon, chose promise, chose due - et en toute simplicité :
C'est la fin de mon anonymat !
Libellés : Besançon, Dumézil, Girard, Gorce, judaïsme, nazisme, Nietzsche, psychologie, Redeker, Vidal-Naquet
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