samedi 17 novembre 2007

"La détestable humanité..." - "Un tel monde doit périr !"

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Je n'avais qu'à ne pas acheter L'Equipe, direz-vous, mais - outre qu'à partir d'un certain âge, on se refait de plus en plus difficilement - lorsque l'on découvre cela en couverture d'un encart publicitaire, on ne peut que souhaiter l'apocalypse proche, via Ben Laden, l'obésité, le réchauffement de la planète, sa surpopulation (ce qui, par rapport à ce qui suit, n'est pas sans ironie), qu'importe, mais vite !


Cela tombe bien en tout cas, puisque la perpétuation de l'espèce est notre sujet du jour.

Notre bien-aimé Muray évoque ici, dans un entretien consacré à son roman Postérité (que je n'ai pas lu), quelques idées sur la reproduction, la sexualité, la pornographie, la différence des sexes, le catholicisme, etc., qu'il est de mon devoir de vous transmettre. Comme indiqué précédemment, dans ce genre de sujets, les généralités peuvent rapidement voisiner avec les banalités ou les exagérations. Ce n'est pas une raison pour s'arrêter d'y réfléchir, et encore moins pour croire que tout y est "naturel". Citons ici Thomas Browne, cité par Borges, cité par Muray (p. 183 du deuxième tome des Exorcismes) : "Toutes les choses sont artificielles, car la nature est un art de Dieu." (nous y reviendrons), et allons-y. La première citation est une présentation par Muray lui-même, en 1997, de cet entretien avec Jacques Henric, réalisé en 1988. Je fonds ensuite, sans signaler coupures et inversions, divers passages.


"J'essayais, dans ce roman, d'évoquer un certain nombre de trouvailles biologiques récentes, les « procréations médicalement assistées » notamment (l'enfant moins le coït), qui, après la pilule (le coït moins l'enfant), me paraissaient pouvoir être étudiées dans leurs conséquences sur les individus (les personnages). Il a généralement semblé à la critique qu'une telle entreprise relevait de la pure obscénité, et qu'il était urgent de la maintenir sous le boisseau. La séparation de la sexualité et l'espèce est ce qui fait le plus peur à l'espèce. D'une certaine façon, on peut dire que toute la haute-tension humaine et sociale se rassemble concrètement là, et qu'il est interdit de toucher à la grande révolution technologique qui a fait passer la reproduction de l'état de nature à celui de culture. S'il est vrai que tombe en ruines tout ce qui, d'inconscient, monte à la conscience, alors le flou utile sur lequel, depuis des millénaires, reposait la perpétuation de l'espèce s'est retrouvé menacé de faillite totale à partir du moment où l'enfant a cessé d'être une chose poussant naturellement entre un homme et une femme, dès que ceux-ci se rapprochent. Comme l'espèce ne voulait pas, ne pouvait pas mourir, il a fallu qu'elle trouve une riposte. On sait qu'elle n'est jamais en peine de ruses pour se perpétuer. L'amour est le gag dont elle se sert depuis des siècles et qui marche encore. Les médias n'ont fait que pousser un peu plus fort que jamais la chansonnette. Ils sont devenus, pour reprendre une expression de Céline, « placiers de la Reproduction ! trouvères de l'Espèce ! ». Et au service de l'intérêt féminin, sur lequel les mâles, impressionnés, sont venus très vite s'aligner dans l'espoir d'avoir encore une place sur la scène. Voici résumées quinze ou vingt années d'actualité."


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"Mon livre est né sous le choc des discours qui se sont mis à proliférer avec l'apparition de toutes les techniques de procréation « assistée » ou « artificielle ». Qu'est-ce qui se passe dans l'humanité concrète, entre telle et telle personne, quand brusquement le choix, la liberté d'avoir ou pas de la postérité (de chair) sont donnés ? Quelles sont les conséquences sur chacun ou chacune de cette liberté ? Comment se fait-il que soudain une chose vieille comme le monde, silencieuse pendant des millénaires, cesse d'être « naturelle », et se retrouve secouée par une multitude d'événements ? Pourquoi la procréation en tant que telle peut aujourd'hui entrer dans le roman, alors que celui-ci l'ignorait, ou presque, depuis des siècles ?

C'est une défaite de la littérature que je décris, pour autant que la littérature (on peut le dire aussi de l'art) ait été, comme je le crois, la seule défaite grave qui ait été infligée à l'espèce dans son ambition de mettre ses intérêts au-dessus de tous les autres. Les écrivains ont été, par le passé, les maillons manquants de la chaîne d'esclavage des générations. Leur travail d'élucidation ne peut en aucun cas, et pour ainsi dire par définition, apporter de l'eau au moulin du Malentendu qui permet à l'humanité de se renouveler. Dans les bibliothèques, ce ne sont pas des romans ou des essais qui sont alignés, mais autant de blessures méthodiques dans le tissu reproductif, autant d'interruptions dans la « fête » universelle de l'engendrement. Par ailleurs, le parti que j'ai choisi me permet de mettre en scène et en pleine lumière les nouveaux acteurs significatifs de notre temps, ceux et celles que j'appellerai les empêchés de procréation (ou de création) dont la stérilité en cours de « guérison » acharnée place sous son propre éclairage la création ou la procréation « normales », comme si celles-ci - sous l'effet d'un renversement complet et récent - ne constituaient plus que l'exception, ou la « marge », dans un paysage social lui-même complètement bouleversé. C'est pour ça que mes héroïnes ont toutes des « problèmes » organiques qui les entravent dans la réalisation de leur plus cher désir. C'est pour ça également qu'elles tombent souvent sur des partenaires mâles plutôt réticents à l'idée de se prolonger en chair et en os. Il se trouve que ces partenaires mâles sont en rapport direct avec des affaires d'écriture et d'édition, ce qui me permet de faire s'affronter de façon violente mes personnages masculins et féminins autour de ces deux pôles : les livres, les enfants. Aut liber, aut puer [soit les livres, soit les enfants] : un vieux proverbe latin qui prouve bien qu'on n'a pas attendu la fin de notre siècle pour se douter que la cohabitation était peu désirable (sauf que les livres ont changé de nature, et du même pas que les enfants).

Ce que nous permet notre époque, c'est de connaître les raisons pour lesquelles cette cohabitation devient indésirable (quoique tout le monde dise le contraire). La liberté dans laquelle sont aujourd'hui placés les partenaires en face de cette question fait aussi s'envoler le flou artistique qui l'a toujours entourée. Les motivations de chacun sont mises à nu.


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On peut préférer continuer à ne pas les voir, mais elle sont là désormais comme des pièces à conviction. Il y a la volonté masculine et la volonté féminine, et elles sont contradictoires, on n'y peut rien, il faut que l'une des deux dévore l'autre, qu'un des deux projets avorte, c'est tout simplement une question de vie ou de mort. Mes héroïnes tentent par conséquent la conversion de leurs partenaires mâles, c'est une entreprise laborieuse et religieuse, il faut parvenir à leur faire croire qu'ils veulent le contraire de ce qu'ils disent vouloir, qu'ils sont malheureux dans leur état, quoiqu'ils refusent de l'admettre, qu'il leur manque quelque chose, qu'ils ont besoin de se prolonger, à l'inverse de ce qu'ils imaginent, etc. L'ensemble est décrit comme une interminable scène de cannibalisme, les bonshommes essaient de se rendre le plus incomestible possible, ce n'est pas facile, et d'ailleurs seuls peut-être, en fin de compte, les grands artistes, les créateurs sont réellement immangeables. D'où les raisons profondes pour lesquelles les idées d'oeuvre ou de création sont si antipathiques au genre humain dans sa majorité (du moins tant qu'on ne les a pas décontaminées en les englobant dans la sphère de la Culture).

- Le diable c'est quoi pour toi, actuellement ? Le dieu de la Reproduction et du Bien ?...

Je crois que c'est très clair, inutile de tourner autour du pot, il y a l'épisode biblique qui est là pour nous renseigner de toute éternité. Le Serpent propose un marché de dupes à Eve, il lui fait croire qu'elle et Adam ne mourront plus, qu'ils seront « comme des dieux ». Et en effet, c'est à partir de cette séquence du « péché originel » qu'Adam et Eve ont de la progéniture. C'est-à-dire qu'ils acquièrent une sorte d'immortalité, oui, mais en tant qu'espèce, pas en tant qu'individus. Parallèlement, lorsque Dieu s'aperçoit qu'Adam et Eve lui ont désobéi, les châtiments qu'il leur annonce sont extrêmement différents : à l'homme il promet la mort, tandis qu'à la femme il assigne des « enfantements dans la douleur ». Après la Faute, en somme, leurs destins divergent. Et l'équivalent des grossesses pour la femme est la mort pour l'homme. Et, dans les attendus du Jugement divin, la mort n'est nullement programmée pour les femmes, de même que la procréation n'est pas mentionnée dans le cahier des charges des hommes.


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Il faudrait reprendre et commenter en détail les théologiens, étudier de près leur extrême réserve vis-à-vis du devoir de perpétuation que l'espèce humaine s'assigne à elle-même. De nos jours, on a réussi à accréditer l'idée que l'Eglise était frénétiquement nataliste. C'est une énorme connerie. La plupart des Pères de l'Eglise, au contraire, ont laissé entendre qu'il valait mieux s'abstenir dans ce domaine, et qu'ainsi la fin des temps (donc le Royaume de Dieu) arriverait plus vite. Mais ils ont énoncé ça avec prudence, ils savaient qu'ils touchaient au culte le plus profond, le plus farouche, le seul sans doute indestructible de l'humanité, bien plus fort que toute divinité, bien plus résistant que Dieu.

L'antagonisme entre récréation et procréation, qui scande au fond les rapports entre les sexes, n'est jamais effacé, il n'est d'ailleurs pas effaçable. La « mauvaise littérature », dans le domaine pornographique, commence lorsque l'on sent que cet antagonisme cesse d'être conscient - et d'abord pour celui qui écrit. En fait, la pornographie voisine très bien avec le sentiment ramollissant, avec le romantisme fusionniste.


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La mauvaise littérature érotique repose en général sur la croyance que l'acte sexuel serait un instant privilégié d'harmonie entre deux personnes. Comme c'est une illusion extrêmement répandue, très peu de gens ont les moyens de distinguer la bonne de la mauvaise littérature érotique. De même que très peu de gens ont la possibilité de penser l'acte sexuel comme fondamentalement ennemi de la procréation, et vice versa. D'où le brouillard lyrique dans lequel les actes les plus crus se retrouvent finalement enveloppés, même quand il s'agit de récits qui se veulent corsés. D'où viennent les enfants ? D'un moment d'inattention alangui de celui à qui on les faits." (pp. 283-94)

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Deux remarques tout de même :

- je me suis laissé dire que faire l'amour pour faire un enfant pouvait être aphrodisiaque aussi pour le "partenaire mâle", qu'il peut être délicieusement pervers de lier "récréation" et "procréation". Reste la question du prix à payer...

- Bree est toujours sublime, mais la saison 3 de Desperate housewives, notamment du fait de son absence pour grossesse... Bon, on a vu mieux.


En guise d'illustration (perverse), je vous joins les paroles d'une "chanson polygame et repopulatrice", Les mormons et les papous, Georgius (vous pouvez en écouter un extrait, et plus si affinités, ici).

On ne voit qu' des filles sans maris,
Que des belles au cœur incompris,
Que des veuves à l'œil attendri,
Un tas d' belles mômes qui se dessèchent,
Des beautés qui deviennent blèches.
Tout ça, c'est la faute à nos lois,
A des parlementaires en bois
Qui ont le cœur et les pieds froids.
L'homme peut aimer dix femmes par jour,
Et des pauvres femmes meurent d'amour.


Vivent les mormons, vivent les papous,
Qui prennent la vie par le bon bout.
Tous ces gars-là sont polygames,
Bigames, trigames et hectogames.
Ils ont des femmes plein leur salon,
Plus que d' fauteuils ou d' guéridons,
Ils comprennent la vie bien mieux qu' nous.
Vivent les mormons, vivent les papous !


Le sang nous pète sous la peau,
Remonte, nous étouffe le cerveau,
Nous comprime les pectoraux.
Bref, on jugule et on torture
Toutes ces forces de la nature.
Si l'on n' veut pas nous " eunuquer "
Ou nous " chapelle-sixtiner ",
Qu'on nous laisse " prolifiquer " !
Ne soyons pas trop exigeants,
Qu'on nous donne trois cents femmes par an !


Vivent les mormons, vivent les papous !
Ça c'est des durs, c'est pas des mous !
Chaque jour, ils en ont une nouvelle,
Alors, ils font des étincelles.
Ils ne mangent pas comme nous, messieurs,
A chaque repas du pot au feu.
Je comprends qu'il en mettent un coup.
Vivent les mormons, vivent les papous !


L'animal est moins bête que nous
Regardez les chiens, les minous,
Les éléphants, les sapajous.
Des compagnes, ils en ont des bandes.
Ils ne suffisent pas à la d'mande.
Combien de poules pour un coquin ?
Et de pingouines pour un pingouin ?
Et de lapines pour un lapin ?
Nous seuls n'avons, pour flirtouiller,
Qu'une seule poupoule au poulailler.


Vivent les mormons, vivent les papous,
Qui ne marchent jamais sur les genoux.
Pas étonnant s'ils se r'produisent !
Qu'on nous donne autant d' marchandise,
Et nous allons faire des enfants
Tout plein les vingt arrondissements.
N'est-ce pas, messieurs, je n'suis pas fou !
Vivent les mormons, vivent les papous !



Bonne bourre !

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