dimanche 6 juillet 2008

11 septembre catholique (I) : "Que tout ce qui peut être détruit, le soit."

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(Ajout le 7.07.)


Cette phrase se trouve dans l'intéressant petit livre de Denis de Rougemont, La part du diable (1944, Gallimard "Idées", 1982, p. 211), à la suite d'une tirade écrite pendant la deuxième guerre mondiale, et ma foi fort actuelle :

"A l'orgueil et à la brutalité proclamées comme vertus par les totalitaires, les nations libres n'osèrent opposer que des vanités courtes et des prudences lâches, et cela s'appelait du réalisme. A l'esprit de vengeance et de ressentiment, elles ne surent opposer que leurs inquiétudes de propriétaires fatigués, et cela s'appelait défense de l'ordre. A la grossièreté spirituelle, que la confusion spirituelle, et cela s'appelait droit de libre critique. (...)

Quand une démocratie rougit de ses vertus, sur quelle force peut-elle compter ? Et quand l'élite d'une société n'attache plus que du ridicule aux disciplines qui l'ont fondée et maintenue, quand elle réserve ses applaudissements aux plus médiocres parce qu'ils amusent le plus grand nombre et rapportent le plus d'argent, quand elle rend un culte à des stars d'une intolérable sottise, quand tout cela paraît naturel, et le contraire anti-social ou ennuyeux, que peut-elle opposer aux barbares ? La barbarie bébête et débile de nos foules, la démission sans élégance de nos élites, est-ce que c'est cela qu'il faut sauver au prix de sa vie ?"


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- la réponse est donc non : Que tout ce qui peut être détruit, le soit. (Au passage : on trouve chez Castoriadis des textes proches (mais non identiques), où il dit en substance que si tout ce que nous avons à opposer à l'islamisme est Madonna, il ne faut pas s'étonner que des gens choisissent l'islamisme.)


Un peu plus tôt (p. 193), Denis de Rougemont citait un passage d'Ezéchiel, qu'il interprète comme une façon de montrer « le rôle ironiquement providentiel des Tyrans » : "A l'épreuve de la guerre et du meurtre, nos illusions, immédiatement châtiées, se dénoncent comme illusions." Rien n'empêche de reprendre cette interprétation et de l'appliquer, plus exactement encore, au 11 septembre, et même, ce qui n'était pas le cas dans la deuxième guerre mondiale, aux motivations de ceux qui attaquèrent la « démocratie » :

"La parole de Iahvé me fut adressée en ces termes :

« Fils d'homme, dis au prince de Tyr : Ainsi a dit Adonaï Iahvé :

Ton coeur s'est exalté
et tu as dit « Je suis un dieu,
j'habite une résidence divine,
au coeur des mers »,
alors que tu es homme et non dieu.
Tu as rendu ton coeur pareil au coeur de Dieu.
Te voilà plus sage que Danel !
Rien de ce qui est tenu secret n'égalait ta sagesse.
Par ta sagesse et ton intelligence
tu as constitué une fortune,
tu as acquis de l'or et de l'argent
dans tes trésors.
Par la grandeur de ta sagesse et par ton trafic
tu as augmenté ta fortune
et ton coeur s'est élevé, à cause de ta fortune.
C'est pourquoi ainsi a dit Adonaï Iahvé :


vision



Parce que tu rends ton coeur pareil au coeur de Dieu,
voici que je vais faire venir contre toi
des étrangers, les plus redoutables des nations ;
ils tireront l'épée contre ta belle sagesse
et profaneront ta splendeur.
Ils te feront descendre dans la fosse et tu mourras
de la mort des victimes, au coeur des mers.
Pourras-tu dire : « Je suis un dieu »,
devant tes meurtriers,
alors que tu es un homme et non un dieu,
dans la main de ceux qui te transperceront ?
Tu mourras de la mort des incirconcis,
par la main d'étrangers,
car moi j'ai parlé, oracle d'Adonaï Iahvé. »" (Ezéchiel, XXVIII, 1-10 ; j'utilise la traduction de la "Pléiade".)


Moi j'aime bien... Notons que dans ces versets ce n'est pas tant la richesse elle-même qui est condamnée, ni la « sagesse » et l'« intelligence » qui ont été utilisées pour devenir riche, que la prétention et l'arrogance qui découlent ou peuvent découler de la richesse : "Parce que tu rends ton coeur pareil au coeur de Dieu..."

(Ajout le 7.07 : juste après la rédaction de ce texte, j'ai découvert un blog catholique, musilien, mélomane (et féminin, ce qui ne gâte rien et nous change un peu), où l'on trouve notamment une analyse de la parabole des talents qui, malgré sa regrettable volonté de séparer salariat et esclavage, rejoint l'esprit de mon commentaire du paragraphe précédent : il y a la richesse, il y a l'esprit qui fait que l'on veut devenir riche, il y a l'esprit que l'on a quand on est riche, et les relations entre ces trois paramètres sont variables selon les personnes.)

On me dira qu'il y a un côté « vieux con » à évoquer cet événement déjà lointain qu'est le 11 septembre, et peut-être ajoutera-t-on que l'on ne sait même pas ce qui s'est effectivement passé ce jour-là. Concernant le second point, on ne peut pour l'heure qu'enregistrer le doute et faire savoir qu'on le partage, sans pouvoir guère aller plus loin. Concernant le premier point, l'argument peut se renverser aisément : c'est précisément parce qu'on n'a pas assez prêté attention à ce qui s'est dit ce jour-là qu'il est utile d'en reparler. Jouons notre Defensa : notre sentiment d'inculpabilité est tel que nous avons réussi à nous boucher les oreilles sur le message - certes aussi muet que bruyant - qui nous fut alors transmis, et dont l'envolée d'Ezéchiel (que l'on peut évidemment appliquer, un peu différemment, à Israël, en 2008 comme lorsqu'elle fut prononcée) me semble fournir une bonne formulation.

A ce sujet d'ailleurs, je suis tombé récemment, en lisant un curieux livre de Jacques Ellul, La trahison de l'occident (Calmann-Lévy, 1975), mélange d'anarchisme écologiste tiers-mondiste, de christianisme féroce et cinglant, de protestantisme proto-sioniste et d'auto-satisfaction occidentale anti-tiers-mondiste pré-Pascal Bruckner (c'est vous dire la crème fouettée),


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sur un passage révélateur (p. 111-115), écrit après le premier choc pétrolier, dans lequel l'auteur explique d'une part que les dirigeants des pays arabes se sont comportés comme des « enfants gâtés » irresponsables, et que d'autre part ils ont creusé leur propre tombe, puisqu'ayant désormais pris conscience de leur dépendance énergétique trop forte les pays occidentaux n'allaient pas tarder à trouver des alternatives (plus écologiques, évidemment), et qu'ainsi les émirs allaient se trouver marron, bien fait pour leur gueule.

"N'ayons aucune inquiétude, étant donnée la capacité d'innovation du monde occidental, avant cinq ans on aura trouvé [des énergies alternatives], et dans de multiples directions - aussi bien pour remplacer la source d'énergie, que pour remplacer les sous-produits industriels du pétrole." (p. 114)

Lu en 2008, avec un baril à je ne sais pas combien (le temps de l'écrire et ça augmentera), cette thèse, pourtant pas idiote en elle-même, fait sourire. Autant vous dire que, choc pétrolier ou 11 septembre (événements pas sans rapports d'ailleurs), et contrairement à ce que pouvait encore croire Ellul, il ne faut jamais sous-estimer la bêtise et l'inculpabilité de l'homme blanc !


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Cari


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