vendredi 18 juin 2010

"On n'arrive pas autrement." - Quelques réflexions sur le syndicalisme et l'association, I.

Je reviendrai à Lucien pour une probable dernière salve des Décombres, mais dans le genre jeu de massacre, sous une forme plus modérée dans l'expression, voici de bonnes mises au point.

Un coup pour la droite, d'abord, et ses piailleries sur ces-salauds-d'ouvriers-matérialistes-qui-ne-pensent-qu'à-augmenter-leurs-salaires-et-à-nous-ruiner :

"C'est un fait que l'ouvrier ne peut guère ou ne sait guère économiser. Mais, puisqu'on lui prêche de s'arranger, c'est un autre fait, qu'il s'arrange en s'associant, en se coalisant avec les camarades. Son système d'arrangement est de demander par la coalition et la grève, les plus gros salaires possibles, soit en vue de l'épargne, soit pour d'autres objets. On n'a pas à lui demander lesquels : c'est son affaire, c'est sa guerre. Oui. Le cas de la guerre de classes naîtra ou renaîtra quand une classe parlera du devoir des autres au lieu d'examiner si elle fait le sien.

Au lieu de se figurer tout ouvrier paresseux, agité, dissipateur, ivrogne, qu'on se représente un ouvrier normal, ni trop laborieux, ni trop mou, levant le coude à l'occasion, mais non alcoolique, la main large, non pas percée ; qu'on l'imagine ayant à faire vivre une femme et des enfants : je demande si ce prolétaire ainsi fait peut admettre facilement que son avenir ne dépende que de la bonté d'un bon monsieur, même très bon, ou des largesses d'une compagnie qui peut du jour au lendemain le rayer de ses effectifs ? Si l'on ne laisse à cet ouvrier normal d'autres ressources que d'épargner sur de gros salaires instables, ne l'oblige-t-on pas dès lors, en conscience, au nom même de ses devoirs de père et d'époux, à se montrer, devant l'employeur, exigeant jusqu'à l'absurdité, jusqu'à la folie, jusqu'à la destruction de son industrie nourricière ? En ce cas, seule, l'exigence lui assure son lendemain.

Situation sans analogie dans l'histoire. Le serf avait sa glèbe et l'esclave son maître. Le prolétaire ne possède pas sa personne, n'étant pas assuré du moyen de l'alimenter. Il est sans « titre », sans « état ». Il est sauvage et vagabond. On peut souffrir de ce qu'il souffre. Mais plus que lui en souffre, la société elle-même. On comprend la question ouvrière quand on a bien vu qu'elle est là.


L'ouvrier, qui n'a que son travail et son salaire, doit naturellement appliquer son effort à gagner beaucoup en travaillant peu, sans scrupule d'épuiser l'industrie qui l'emploie. Pourquoi se soucierait-il de l'avenir des choses dans un monde qui ne se soucie pas de l'avenir des gens ?

Tout, dans sa destinée, le ramène au présent : il en tire ce que le présent peut donner. Qu'il le pressure, c'est possible. Il est le premier pressuré.

- Mais il n'en tue pas moins la poule aux oeufs d'or, ce qui n'en est pas moins d'un pur idiot.

- Admettons qu'il soit idiot, mon cher Monsieur. Et vous ? Vous le blâmez de compromettre son avenir : donc vous le priez d'y songer ; or, voulez-vous me dire sous quelle forme un prolétaire salarié peut concevoir son lendemain : si ce n'est pas sous forme de gros salaire toujours enflé, il faudra bien qu'il se le figure comme la conquête de ce que vous nommez votre bien, et de ce qu'il appelle « instrument de sa production ». Ces prétentions, peut-être folles, sont celles qui devraient naître du désespoir d'un être humain réduit à la triste fortune du simple salarié. Tout lui interdisait la prévoyance raisonnable : sa prévoyance est devenue déraisonnable.

Elle n'en a pas moins produit de magnifiques vertus de dévouement mutuel.

L'honneur syndical, l'union des classes sont des forces morales qu'il ne faut pas sous-estimer, bien qu'affreusement exploitées, maximées et envenimées par les politiciens démocrates."

Vous aurez deviné sans doute que ce n'est pas ici Karl M. qui s'exprime, mais Charles M., et aurez actualisé ces propos.

Un coup pour la gauche, maintenant (ou pour plusieurs gauches), à partir de la suppression des Corporations :

"C'était sur cette vieille base très réformable que subsistait le travail national, et quand déjà, sous la royauté, la bande des économistes et des roussiens [rousseauistes] l'ébranla, cette base, et voulut la rompre, le sentiment public, cabré, opposa des résistances telles qu'il fallut composer et céder du terrain. Les plaintes contre le corps de métier, ne venant pas de membres « opprimés » mais du dehors, surtout de politiciens théoriques et de brasseurs d'affaires, les vieilles entraves gênèrent surtout les ambitieux et les travailleurs, il fallut reculer. Le roi Louis XVI eut le bon sens de reculer : pas assez, mais un peu. La Révolution, elle ne recula pas. Elle fit le décret Le Chapelier.

Une pétition fut adressée à l'Assemblée Nationale par des milliers d'ouvriers de toutes les corporations. Le Chapelier la fit rejeter, et il fit décréter que les réunions d'ouvriers étaient inconstitutionnelles. Enfin, à la tribune, il proclama qu'il n'y avait plus que l'intérêt particulier de chaque individu et l'intérêt général du gouvernement.

C'est contre l'intérêt et la liberté des personnes, des personnes ouvrières et des personnes patronales, que le fameux décret a été pris : les résistances violentes qu'il rencontra le prouvent surabondamment.

L'histoire ouvrière du XIXe siècle n'est qu'une longue aspiration et une réaction ardente des personnes ouvrières, des volontés ouvrières, contre le régime d'isolement « individuel » imposé par la Révolution, maintenu par le bonapartisme et le libéralisme bourgeois successeur du jacobinisme non moins despote, qui était parvenu à imposer ses folles doctrines à la royauté de Juillet, mais qui fut vaincu (à moitié et de la mauvaise manière), sous le Second Empire, quand le droit de coalition enfin reconnu fut déchaîné au lieu d'être organisé.

La concentration syndicale répond à la concentration capitaliste, avec des armes similaires et la lutte en cesse d'être absolument inégale ; il va falloir ou bien compter avec la masse ouvrière organisée ou bien se résigner à tout interrompre, à paralyser l'industrie, la nation, la civilisation.

La dernière hypothèse est inacceptable. Il faut que l'oeuvre soit. Il faut que le monde moderne poursuive sa besogne propre, qui est d'aménager notre Terre.

- c'est un point sur lequel Maurras est résolument moderne - rappelez-vous Dumont : à partir de la modernité le rapport de l'homme au monde supplée les rapports des hommes entre eux. C'est dit très clairement ici, et c'est dit de manière laudative.

Il faut donc qu'un traité intervienne entre les principes en guerre et au profit de tous. Les rapports du travail et du capital doivent être réglés par des engagements réciproques qui leur permettent de se concéder des garanties équivalentes [des figures de la réciprocité, écrirait-on du côté du MAUSS] établissant de part et d'autre la vie, la force et la prospérité.

La guerre sociale a des partisans. Quels qu'ils soient, quoi qu'ils veuillent, ils ne peuvent vouloir que cette guerre soit éternelle.

- c'est un point sur lequel les maos notamment, et parmi eux A. Badiou (qui aime à citer cette phrase du Grand Timonier : "Les troubles sont une excellente chose"), ne s'embarrassent pas à ma connaissance d'un grand souci de clarté : quand la guerre sociale doit-elle finir ?

Et l'immensité des dommages dont les deux camps sont également menacés, le camp ouvrier plus que le camp patronal, à vrai dire, montrera clairement que les avantages de la guerre, de ses labeurs, de ses exercices et de ses épreuves, ne peuvent être conçus qu'à titre transitoire. C'est à la paix qu'il faut en venir de toute façon et, si l'on reconnaît que la paix sociale par le socialisme (ou mise en commun de tous les moyens de production) est une solution chimérique, d'une part, rudimentaire et barbare, de l'autre, on est ramené à la réalité syndicale, premier germe de l'organisation corporative, qui, d'elle-même, définit ou suggère un accord. Accord à la fois industriel et moral, fondé sur le genre du travail, inhérent à la personne du travailleur, et qui reconnaît à ceux qui n'ont point de propriété matérielle proprement dite une propriété morale : celle de leur profession, un droit : celui de leur groupe professionnel. C'est la seule idée qui puisse pacifier le travail en lui donnant une loi acceptable pour tous les intéressés. Mais la pacification et la législation du travail supposent un ordre politique. TANT QUE LES AMBITIEUX ET LES INTRIGANTS TROUVERONT DANS LES PERTURBATIONS SOCIALES LE MOYEN LÉGAL ET FACILE DE PÉNÉTRER DANS LES ASSEMBLÉES ET LES MINISTÈRES, LES LOIS MÊMES SERONT FORGÉES EN VUE DE PROVOQUER ET FACILITER CES PERTURBATIONS.

Ce régime-ci, c'est la prime aux agitateurs. Il organise, il règle très exactement leur carrière.

- un exemple ici, pour le fun. Saligauds !

Quiconque prêcha la grève et la désertion en est toujours récompensé par l'élection du peuple.

On n'arrive pas autrement. Il faut passer sur les bas grades de la perturbation et de l'anarchie pour devenir gardien de l'ordre.

- un autre exemple ici, ne faisons pas de jaloux. Enculés !

Le personnel du Gouvernement Républicain se recrute par la Révolution." (Mes idées politiques, pp. 265-271. J'ai respecté l'intégrité du premier extrait, et un peu arrangé le deuxième, ce qui en l'espèce est d'autant plus légitime qu'il s'agit déjà, de la part de Maurras, d'une juxtaposition de textes anciens.)

Les corporations, c'est le même remède que Durkheim... J'essaierai de tirer les conséquences de cette identité la prochaine fois.









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