Par amour de la France et de la vérité… (Decombriana, II.)
Allez, une deuxième salve, quelques pages plus loin (tout près de la fin du livre) :
"Je vis depuis des années parmi des nationalistes qui ont multiplié les preuves de leur intelligence. Nous avons le droit de revendiquer très haut notre place à la tête des révolutionnaires. Nous avons les premiers redécouvert l'antisémitisme pour aller jusqu'au bout de ses conséquences. Nous avons été les premiers partisans de l'ordre neuf, et la canaille, qui pour une fois ne s'est point trompé, nous a suffisamment salués du nom de fascistes assassins. Nous avons vu s'écrouler sur nous de gigantesques montagnes d'insanités, nous avons dû traverser sans répit, les uns après les autres, des mascarets de sottises. Nous sommes toujours sur nos pieds, la tête claire, dans la bonne voie. Nos compas étaient bien réglés.
Nous avons fait les preuves de notre courage avant guerre et bien plus encore aujourd'hui. Nous avions tout loisir de rechercher et d'obtenir de paisibles sinécures, de reprendre nos métiers en tournant le dos aux affaires politiques, en arguant la tristesse et la confusion des temps. Par amour de la France et de la vérité [on se croirait chez Bernanos…], nous nous sommes dressés contre l'opinion funeste mais quasi unanime du pays. Les plus ignobles injures, les plus sauvages menaces se sont abattues sur nous. Nous sommes les traîtres à exécuter, inscrits sur les listes noires de dix bandes. Notre combat n'est pas fictif. Il a ses morts. Tandis que les militaires, les gaullistes, les journalistes enjuivés étalent leurs grotesques fanfaronnades, nous attestons que des Français sont encore capables de bravoure civique.
Plus je vois la nécessité pour mon pays d'une révolution fasciste, et plus je suis persuadé qu'elle ne peut s'accomplir sans nous, sans que nous prenions le pouvoir ou que nous y participions largement. Nous devons être le levier du fascisme. Tout nous y destine, et c'est un rôle admirable.
Mais nous avons à confesser nos fautes. Les meilleurs d'entre nous ont péché par dilettantisme. J'ai été, nous avons été des intellectuels fins connaisseurs en politique, comme nous le sommes en peinture, en poésie, en cinéma. La politique, apprise par trop d'entre nous à l'école maurrassienne, a été le déversoir de nos dons littéraires, philosophiques, qui eussent trouvé ailleurs un plus durable emploi. Il est très beau de fignoler la société future. Mais lorsqu'on en voit si bien le plan, pourquoi tant tarder à en dresser les murs ? La spéculation politique est superflue, dans des années où le monde se reconstruit à toute vitesse. On a tout annoncé, tout dessiné, mais pendant ce temps, ce sont d'autres hommes que nous qui refont l'histoire, ils la feront moins bien peut-être parce qu'ils ne nous valent pas, mais elle est, et c'est cela qui compte. La politique n'est pas un idéal de la pensée. C'est avant tout la nécessité de nettoyer et de remettre de l'ordre chez soi. Cet art est assez sommaire. Celui qui cherche la perfection n'a qu'à lui tourner le dos, à s'enfermer dans sa chambre et à écrire des poèmes.
- Mais les libertés de l'esprit dont nous sommes politiquement les défenseurs ?
Ne voit-on pas que la France, que l'Occident ont abusé de ces libertés, jusqu'à éreinter cet esprit, à le réduire en miettes ? Non, ne craignons rien. Pas d'amphigouris. Une cure de discipline et nécessaire. Il nous faut quelques bonnes grosses idées, solides et enfoncées comme des pieux. Le reste appartient à la littérature, où, pour ma part, je prise volontiers l'ésotérisme et la subtilité.
Les nationalistes français ont hérité de leurs maîtres et leurs aînés un goût singulier de la gratuité. Il semble que leur éternelle vocation soit de prodiguer des conseils aux sourds ou aux coquins qui peuvent le moins les entendre. Nous devrions pourtant être las d'exiger que l'on fasse rendre gorge à des voleurs dont le ventre va toujours s'arrondissant, d'imaginer des supplices chinois pour nos ennemis, de dresser des listes de criminels et de traîtres à abattre, et qui portent sur leurs épaules un chef plus arrogant que jamais, d'adresser nos suppliques à des passe-boules, à des bonzes en carton. Pour moi, j'en suis saturé. Je voudrais toucher un peu d'or au fond du bassinet, voir un peu moins d'encre et un peu [plus] de sang sur le couteau de la guillotine.
Les nationalistes sont une race curieusement suiveuse. Nous avons continuellement besoin devant nous d'un gouvernement pour lui faire supporter des espérances qu'il est par nature incapable de satisfaire, ou notre mauvaise humeur quand nous avons constaté, bien tard, que lui aussi ne valait rien.
On trouve trop souvent, parmi les nationalistes, un personnage regrettablement français de grincheux, qui trouve que tout va mal du fond de son fauteuil, dans une attitude prudhommesque.
On peut en entendre aussi, ce qui est un comble, s'exclamer : « Mais enfin ! que font les Allemands ? » Il faudrait que les Allemands, après nous avoir laissé la liberté politique, nous torchassent, mouchassent, pendissent nos trafiquants, bref se missent sur le dos tous nos soucis, besognes, querelles, nettoyages, comme s'ils étaient eux-mêmes parfaitement oisifs.
Rien de cela n'est sérieux, et c'est souvent coupable. Il est permis d'être critique littéraire sans faire de livre, parce que cette critique se meut dans les idées. Mais la politique n'est point seulement une activité de l'esprit. Le critique politique est tenu de faire triompher son système, puisqu'il le juge meilleur, puisqu'il parle d'administrer, de commander, de négocier, de produire, toutes choses des plus concrètes. C'est bien ainsi que l'entendent ses admirateurs, ses partisans. Il conviendrait que le politique de plume eût un peu le souci de se modeler sur l'image que se font de lui ces braves gens. Sinon, il s'ajoute à l'armée innombrable des marchands d'orviétans. Il dupe et paralyse ceux qui l'écoutent et attendent son signal comme il a été dupé lui-même naguère par les vieillards de son bord, les faux chefs qui n'ont jamais senti se lever le vent favorable à l'action.
Il s'est détaché de nos rangs un certain nombre d'arrivistes qui ont immédiatement composé avec l'ennemi, qui sont pour la plupart perdus sans retour. Mais les meilleurs des nationaux n'ont pas su être ambitieux. C'est une étrange contradiction. Rien ne marche à leur gré, ils possèdent, à les entendre, toutes les bonnes recettes, pour la politique intérieure, l'extérieure, les colonies, la juiverie, la police, le sport, la finance. Mais quand on leur demande : « Qui voyez-vous donc pour rétablir l'ordre ? », ils restent cois, nomment une ganache ou un trembleur. Ils ne savent pas dire « Nous », comme l'ont dit, depuis cent cinquante ans que la monarchie est abolie, tous les hommes qui ont les uns après les autres occupé le pouvoir, qui étaient le plus souvent de triste sires, mais qui du moins faisaient leur métier.
Les nationalistes se plaignent d'être trop peu nombreux, il est vrai, sans doute. Mais la politique s'est toujours faite avec des alliances. Mussolini sut s'allier aux socialistes, Hitler s'est appuyé sur les partis les plus divers avant de les absorber tous. Le Paris politique d'aujourd'hui s'accorde sur quelques réalités dont chacun reconnaît suffisamment l'importance vitale pour qu'elles servent de première base. Ne pourrait-on pas dire qu'il en va de cette entente comme de celle de l'Allemagne et de la France, dont on vous déclare qu'elle est extravagante, impossible, alors que personne n'a voulu en faire l'essai ? Je ne dissimule pas les torts, les mesquineries des « républicains ». Mais les « fascistes », lorsqu'on avance devant eux des noms, redoutent d'être joués encore par tel ou tel. C'est avoir en soi-même, en ses idées et sa valeur une bien médiocre confiance, s'avouer d'emblée qu'on n'entraînera, qu'on ne convaincra personne. Les nationalistes ont conservé la vieille manie bourgeoise de l'exclusive, une mine renchérie, une comique pudeur. Certes, on veut bien servir la France, mais on veut avant tout ne point la servir avec l'aide de celui-ci ou de celui-là. La France est remplie de sauveurs qui ne travaillent qu'à leur propre compte."
Pourtant, dans une bonne négociation, les deux partenaires doivent être satisfaits…
Libellés : antisémitisme, Bernanos, chaussette, Maurras, Rebatet
<< Home