samedi 16 avril 2011

Trifonctionnalité.

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"Écrivain, c'est le seul métier, avec l'art de gouverner, qu'on ose faire sans l'avoir appris", disait Alphonse Karr. Ajoutez-y la prostitution, et vous aurez la sainte Trinité « française » actuelle : BHL - Sarkozy - Bruni. Et on se demande pourquoi la France n'est pas au mieux... d'autant que le métier de journaliste, d'Artagnan de ces trois mousquetaires, réunit à lui seul ces fonctions duméziliennes, la vanité personnelle, le désir de commander, le tapin permanent.

(Il faudrait d'ailleurs se demander si ces deux dernières « fonctions », au moins, ne sont pas, sinon équivalentes, du moins très liées l'une à l'autre. Pour la beauté de notre parallèle mythico-littéraire, restons-en là pour aujourd'hui.)

Est-ce l'essence de la démocratie, est-ce « le Règne de la Quantité », est-ce l'effet de « l'égalité des conditions », je ne sais pas, mais la démocratie actuelle fait de nous des êtres dirigés par des membres de professions qui n'en sont pas vraiment, qui en tout cas n'obéissent pas à de stricts critères de qualité. Oublions (momentanément) la prostitution, qui, telle le Saint-Esprit, se trouve un peu partout et nulle part ("Le tapin souffle où il veut"), et reconnaissons que l'écrivain, en tout cas sous la forme de l' « intellectuel », et l'homme politique partagent cette spécificité de connaître des petites choses dans beaucoup de domaines, mais de n'être vraiment compétents sur rien. Comme dirait Soral, c'est dans leur logiciel. Il n'y a donc pas lieu de s'en étonner, et c'est d'ailleurs ce qui explique la tentation permanente et compensatrice de la technocratie, et du recours aux « experts ». Miracle de notre monde, depuis que les énarques, au lieu de rester dans leur domaine de spécialité, et au service des politiques, sont devenus des politiques, sont devenus comme les politiques, ou même sont devenus les politiques, on peut maintenant aussi, comme dirait Karr, « faire expert sans l'avoir appris » (les éditorialistes), ou désapprendre à être expert, ce qui n'implique, au contraire et bien évidemment, aucune dimension de saine modestie. Le technocrate d'un monde qui fonctionne à peu près, au moins en apparence, croit avoir raison, le technocrate d'un monde qui fonctionne comme le nôtre, écrivons ça sans rire, a besoin d'avoir raison - pour ne pas changer de métier ou se tirer une balle. Une sidérante et pourtant souriante ordure comme Jacques Attali synthétise et symbolise ces itinéraires.

Emmanuel Todd ne cesse de répéter, sinon que « le niveau monte », du moins que nos sociétés n'ont jamais été aussi instruites. C'est un point sur lequel il peine à me convaincre, sans que ma religion soit faite. Mais il est clair que si le niveau d'instruction global est une chose, son utilisation intelligente pour le bien de la collectivité en est une autre. La promotion de l'incompétence à grande gueule n'est probablement pas ce que l'on a trouvé de mieux en la matière. "Défiez-vous des mots sonores : rien n'est plus sonore que ce qui est creux", cet autre mot d'Alphonse Karr s'applique bien à nos bruyantes « élites » - de même d'ailleurs que la vieille sentence de Rivarol : "La plus mauvaise roue fait le plus de bruit", qui m'a toujours fait penser à Sarkohumanbomb.

"En France on ne veut pas arriver à la démocratie mais par la démocratie. C'est comme ces marchands de tisane qui crient leur marchandise mais n'en boivent jamais", écrivait encore A. Karr. Aussi vraie et percutante que soit cette phrase, il n'est pas certain qu'il soit nécessaire d'être un grand démocrate pour bien diriger une démocratie. Cela dépend d'ailleurs de ce qu'on entend par « démocrate » : au sens a minima qui est souvent celui de nos éditorialistes, s'il s'agit de dire que, dans l'hypothèse où il se présente aux prochaines élections et y est battu, Sarkognome ne fera pas un coup d'État pour rester à l'Élysée, je veux bien admettre que, comme de Gaulle et Giscard avant lui, il sera là « démocrate ». Mais on peut tout de même en demander un peu plus à ce mot, et le coup de la trahison du traité de Lisbonne après le référendum sur le TCE en dit me semble-t-il assez long sur le respect de la démocratie montré par notre Président.

Quoi qu'il en soit de ces derniers points, quoi qu'il en soit, pour parler de choses plus intéressantes, des rapports d'un de Gaulle à la démocratie, ou de la notion d'un pouvoir démocrate : le pouvoir n'est pas démocrate, mais la démocratie peut organiser les pouvoirs d'une certaine façon (équilibre à la Montesquieu, conseillisme à la Mauss, tirage au sort à la Chouard…) ;

quoi qu'il en soit donc !, et sans minimiser la part d'illusion et d'« hypocrisie » nécessaire à une marche relativement bonne d'institutions quelles qu'elles soient, on reste parfois stupéfait par la forme de paradoxale cohérence qu'il arrive à notre monde de prendre. J'avais en son temps, suivant en cela P. Muray, lorsque les moeurs de Frédéric Mitterrand avaient fait débat, rappelé que le tourisme sexuel ne faisait scandale que parce qu'il permettait de faire diversion, d'oublier le scandale du tourisme en tant que tel. D'une manière quelque peu analogue, il est difficile de ne pas noter que la prostitution officielle, de nouveau remise en cause ces derniers temps, semble gêner d'autant plus que le monde est d'autant plus régi par la règle du tapin. Tout se vend de plus en plus dans notre monde, il faut donc que celles qui se vendent carrément et franchement disparaissent pour que les autres croient ne pas savoir qu'ils font exactement pareil. L'esclave salarié des années 50-60 était assez content de son sort pour parvenir à se donner l'illusion qu'il ne travaillait pas sur le même modèle que la putain du coin : avec la « crise », les CDD, les stages, etc., il ne peut plus se le cacher (il peut en revanche se faire croire que ses parents ne tapinaient pas). Pour ceux dont l'esprit n'est pas assez sensible, et ils sont malheureusement légion, c'est le mal au cul qui dit la vérité : le suppositoire que l'on prenait dans la rondelle durant les « trente glorieuses » pouvait endormir l'esclave salarié sur sa condition : à présent que ce tranquillisant a fait place à une batte de base-ball, le salarié-précaire-chômeur ne peut plus ignorer de quel côté du manche il se situe.


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- L'évolution des hommes politiques, qui ont si souvent été vendus en démocratie, est moins linéaire, mais elle aboutit avec Sarkotraînée à la même prostitution officielle.

Ce sont donc les putes qui vont payer ou risquent de payer les pots cassés de la mauvaise conscience des autres. Deux autres phénomènes participent à la campagne actuelle. D'une part la répugnance typiquement moderne (au sens de L. Dumont) à l'égard de la différence, la vraie, celle des curés, des clodos, des catins, des fous, de ceux qui prennent en charge, par un particularisme profond (chasteté, misère, incohérence mentale…) quelque chose que la collectivité aurait du mal à assumer sans eux et/ou dont elle voudrait ignorer l'existence ou la possibilité. D'autre part la volonté castratrice de certains et certaines. Michel Schneider le notait avec a-propos, les projets d'abolition de la prostitution ou de durcissement de la législation la concernant viennent le plus souvent de femmes non prostituées et de pédés, c'est-à-dire de gens qui ne sont pas directement concernés mais qui peuvent avoir des comptes à régler avec le mâle normal.


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Passons (sic…). Et finissons en notant que si Nicolas Sarkozy est, selon une formule d'Emmanuel Todd que j'ai déjà citée, une manière de « triomphe bouffon de l'égalitarisme français », cela est ici, de nouveau, le cas, avec sa demi-mondaine à temps plein, sa « putain de la République », comme disait l'autre… Les (de plus en plus) vieilles pontonières de la rue Blondel offriront par conséquent leur corps usé et méritant pour que Carla joue à se croire pure, love is in the air...


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