mercredi 6 juin 2018

Les Français de 2018 peints par Montherlant en 1938. Avec un codicille d'Adolf Hitler.

"Quiconque a vécu en Espagne, en Italie, en Afrique du Nord, sait qu’il peut se permettre, chez nous dans l’ordre du dommage et de l’offense, ce qu’il se garde bien de se permettre là-bas, s’il tient à sa vie. Il lui arrive d’avoir la curiosité d’éprouver jusqu’à quel point il peut sévir contre un Français, sans riposte ; il voit alors qu’il peut pousser très loin ; sans cesse il a envie de crier à quelqu’un : « Mais enfin, vous ne voyez pas qu’on vous insulte ? » (…)

Si on ne s’insurge pas contre l’insulte, à plus forte raison ne s’insurgera-t-on pas contre celui qui, par incapacité ou laisser-aller, ne vous donne pas ce qui vous est dû. Le professeur d’université qui vous débite un cours qui pourrait être signé par un bachelier, le théâtre d’État qui vous présente des acteurs médiocres, le grand musée national dont les objets sont entassés sans étiquettes, dans la poussière et dans une obscurité absolue, l’administration publique où l’on vous met à la porte à trois heures, au-dessous d’une pancarte où il est marqué : « ouvert jusqu’à cinq heures », le palace où le service est mal fait, l’invité qui arrive en retard de trois quarts d’heure, peuvent manquer à leurs obligations en toute impunité. Quiconque prétend exiger que les choses soient comme elles devraient être s’attire la réponse immanquable : « Personne que vous ne réclame. » Et il passe pour un personnage insupportable non seulement chez celui qui le lèse, mais chez ceux qui sont lésés avec lui. 

(…) Toute la France est aujourd’hui un pays d’ombres, ou peu s’en faut. Un homme qui a une vitalité normale se sent, parmi les Français, d’une autre espèce ; il pense constamment au rebours d’eux, réagit autrement qu’eux, parce qu’il brûle plus et plus vite qu’eux. Les choquant toujours, sans le chercher, sans y penser, quelque soin qu’il mette à avoir le geste bien étriqué. Cela serait pénible, n’étaient les compensations. Se trouver entouré d’êtres qui ne résistent pas, il est à peine besoin de marquer ce qu’aussi on y gagne. Qui veut abuser sans risque a de bonnes raisons, hélas, pour que la France lui reste aimable, et nos étrangers le savent bien. Toute chair paraît douce à qui lui fait violence. (…)


La France fait cocorico, automatiquement dirait-on, chaque fois qu’elle reçoit un coup de pied quelque part, à la façon de ces cibles en forme de coq, dans les tirs forains, qui coqueriquent quand le tireur les a atteintes. Le climat étant un climat de dégonflage perpétuel - dégonflage du particulier devant le particulier, dégonflage des gouvernants devant le groupe et devant l’extérieur, - la nation accepte quoi que ce soit, tant des gouvernants que de l’extérieur. Dans une haute vitalité, tout devient facile ; il y a un mot admirable et profond de Casanova : « Je n’ai d’extraordinaire que de trouver facile ce qui l’est réellement. » Dans la sous-vitalité, tout est difficile, et jusqu’aux réflexes de conservation collective. On larmoie sur la « sécurité », on l’implore de ses alliés, voire de ses anciens adversaires, mais on n’exige pas de ses gouvernants que la défense nationale soit au point, ni qu’ils vous protègent, vous, vos femmes, vos enfants, contre les gaz, ni qu’ils mettent un terme au désordre social ou à l’envahissement des étrangers. J’écrivais en 1933 : « La tendance suicidaire du peuple français est certainement un curieux phénomène. » Je ne connaissais pas alors la phrase de Mein Kampf : « Quand un peuple n’a plus de réaction de défense, il est mûr pour faire un peuple d’esclaves. »"