dimanche 23 décembre 2018

Mort de la reine et de quelques autres, 1/2.

Sur le chemin qui la mena de la Conciergerie à l’échafaud sur la place dite aujourd’hui de la Concorde, Marie-Antoinette ne fut insultée, et elle le fut alors copieusement, que sur la dernière partie du parcours, comme si, à un moment, après un trajet plutôt digne, il fallait que ça sorte. 

Les conventionnels auraient "aimé voir d’un côté le peuple pleinement maître de lui, de l’autre sa victime agonisante et tourmentée. Or c’est le contraire qui s’est produit. Tous les témoignages concordent à ce sujet. A aucun moment, sur sa charrette, Marie-Antoinette n’a donné de signe de faiblesse. Même les Jacobins sont obligés d’en convenir. « Elle fit parade de fermeté. » Pour un autre, « elle a conservé une fierté, une tenue, un air altier qui la peint. » « La garce, au surplus, a été audacieuse et insolente jusqu’au bout », écrit encore Hébert furieux."

Plus tôt sur le chemin : 

"Elle est tirée de sa distraction en passant devant le Palais-Royal. Elle sait sans doute que son propriétaire, son cousin d’Orléans et son pire ennemi, rebaptisé Philippe Égalité pour avoir voté la mort du roi, a été arrêté en avril et emprisonné avec toute sa famille au fort Saint-Jean à Marseille. Son tour viendra bientôt. (…) Sait-elle que bientôt elle passera devant la maison [de Robespierre] ? Mais l’Incorruptible n’y est pas. Il est à la Convention qui siège ce jour-là comme si de rien n’était. Car la vie continue à Paris malgré l’immensité de l’événement. (…)




Un peu plus loin, du premier étage d’une autre maison de la rue Saint-Honoré, le peintre David la guette. Il a 45 ans. Il est déjà célèbre. Député montagnard à la Convention, il a voté la mort du roi et siège au redoutable Comité de sûreté générale. Il y a quelques jours à peine, il a participé à l’un des interrogatoires du petit dauphin au Temple. Il hait les rois. Il ne sait pas encore que dans quelques années il deviendra le valet de Napoléon dont il peindra le couronnement. (…) Il n’était certainement pas là par hasard. La passion du dessinateur a dû l’emporter, celle de voir, de fixer pour la dernière fois les traits de la femme détestée comme il le fera plus tard de Danton marchand à l’échafaud. Il lui a suffi de quelques traits de plume attrapés au passage. Il était sur sa gauche. Il la représente de profil, en pied, assise dans sa charrette, amaigrie, vieillie, raide, les coins de sa bouche pendants, les paupières closes. Un masque dur et triste.




Son portrait est une vengeance, comme s’il signait sa mort à sa façon de peintre, sans aucune compassion, en voyeur. C’est la dernière image que l’on conserve d’elle et elle nous hante, loin des splendeurs et du charme des portraits de Versailles. David a tué la femme et le mundus muliebris d’autrefois. Une morte vivante passe sous nos yeux pour ne plus jamais revenir."

(E. de Waresquiel. Cette morte vivante qui nous hante mais ne revient pas, c'est un peu notre pays, aussi. La suite demain.)