Mort de la reine et de quelques autres, 2/2.
"Il n’y a pas de hasards. Il n’y a pas plus de coïncidences. A la basilique Saint-Denis, le même jour, presque à la même heure, sur ordre de la Convention, à la lumière des torches et dans la pénombre des caveaux, on déterre les rois dont c’était la sépulture. Depuis Dagobert, depuis plus de mille ans. On disperse leurs cadavres comme si, en profanant leurs restes, on les tuait une deuxième fois. On les outrage aussi dans des scènes quasi cannibales. Un certain Germain Poirier, membre de la commission chargée des exhumations, note, laconique, dans son Journal : « A onze heures du matin, dans le moment où la reine Marie-Antoinette d’Autriche, femme de Louis XVI, eut la tête tranchée, on enleva le cercueil de Louis XV. » Il fallait réunir le grand-père et sa petite fille dans un même sacrilège pour que la vengeance soit complète. L’un et l’autre finiront au fond d’une fosse commune, mélangés aux morts d’un chantier anonyme."
46 rois et 36 reines sont exhumés, leurs restes jetés dans une fosse commune.
"A Paris [pour en revenir à l'exécution de Marie-Antoinette], les journaux affichent un enthousiasme politique. Il y est question de « grande leçon », d’un « grand exemple de justice qui tôt ou tard aura des imitateurs chez les nations voisines ». « Le ciel a souri à cet acte de justice. » Antoinette est morte pour ses trahisons, pour avoir dépensé l’argent du peuple et vendu les secrets du gouvernement, mais aussi, insistent certains rédacteurs, parce qu’elle était « sans moeurs » et « sans entrailles », pour ses « débauches », pour avoir été tout à la fois une mauvaise épouse et une mauvaise mère. De nouveau, la misogynie révolutionnaire ambiante n’a aucun mal à se faire jour. « Le Tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple. »"
"Après tout, Marie-Antoinette a été aussi jugée pour crimes sexuels. Son procès est le premier de ce genre dans l’Histoire."
On l’accusa en effet, d’inceste sur la personne de son jeune fils. Je relierai ça au comportement de David, un artiste qui se comporte comme policier, comme inquisiteur, et qui participa à des interrogatoires, que l’on imagine peu courtois, du jeune Dauphin. Il y a dans ces tristes périodes, et nous voyons cela tous les jours, partout, maintenant, un mélange des jours et une extension du domaine de la police, que l’on voit prendre, comme on le dit d’une sauce, au moment de la Révolution : tout est prétexte à condamnation, le public, le privé, le privé fantasmé, et tous les liens supposés de cause à effet entre ces différentes sphères. - On se moque des artistes de l’Ancien régime qui flattaient leurs protecteurs, mais ils savaient aussi parfois leur faire des reproches, et aucun d’eux à ma connaissance ne fit le boulot de la police à sa place. Mais laissons la conclusion à Emmanuel de Waresquiel :
"Du 14 au 16 octobre 1793 [dates du procès de Marie-Antoinette], en réduction et en raccourci, deux sociétés, deux systèmes de représentations, deux mondes s’affrontent en une sorte de combat singulier. Plus encore qu’au procès du roi, car les adversaires y sont mieux dessinés, plus tranchés. Celui de la Révolution et celui de la Contre-Révolution. Celui des hommes et celui des femmes. Deux souverainetés, deux légitimités aussi, et des mots qui changent sans cesse de sens selon qu’on les applique à l’un ou à l’autre : patrie, trahison, vertu, conspiration. Deux mondes absolument antagoniques, irréductibles l’un à l’autre, deux mondes qui en apparence coexistent, se parlent, se touchent, mais ne s’entendent pas.
Cet autisme-là conduit tout droit à la mort. La mort de Marie-Antoinette et de ses amis, la mort de ses accusateurs et de ses juges. Cette communauté tragique de destin m’a fasciné. On est bien obligé d’en convenir : nous avons bâti notre République puis la démocratie sur des tas de cadavres."
Et même, pour revenir aux déplorables dégradations commises à la basilique de Saint-Denis, celle-là même aujourd’hui assiégée de musulmans, sur la consommation de certains de ses cadavres. Il y a quelque chose que nous n’avons jamais digéré, le jeu de mots s’impose, bonne dinde aux marrons, dans toute cette histoire.
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