Rien de nouveau sous le soleil (monothéiste).
En lisant Le mendiant ingrat, premier tome du Journal de Léon Bloy, on tombe sur d'intéressantes et actuelles remarques.
- en 1893, Bloy écrit Le salut par les Juifs (que je n'ai pas lu), dans lequel il semble dans un premier temps reprendre à son compte les arguments antisémites d'un Drumont dans son best-seller La France juive, avant de renverser la perspective pour conclure au rôle capital des Juifs dans l'histoire passée comme dans l'histoire à venir (distinction que Bloy d'ailleurs relativise) et dans la venue du Sauveur. En date du 24 novembre, on lit ces lignes :
"Visite au Grand Rabbin, à qui j'avais fait passer, quelques jours auparavant, Le salut par les Juifs. Vainement, j'essaie de lui faire sentir l'importance de ma conclusion. Plus vainement encore, j'explique la violence de certaines pages par le dessine d'épuiser l'objection, méthode fameuse, recommandée par saint Thomas d'Aquin. Il tient, absolument, à ne voir que la lettre de ces violences et se désintéresse de la conclusion dont il n'a pas même daigné s'enquérir. Enfin, il m'oppose les lieux communs les plus abjects : apaisement, conciliation, etc. Ce successeur d'Aaron m'affirme qu'IL Y A DU BON DANS TOUTES LES RELIGIONS !!
Décidément, on est aussi bête et aussi capon chez les Juifs que les Catholiques."
Les discours auto-proclamés tolérants pris sur le fait ! "Il y a du bon dans toutes les religions", mais tout le monde s'en fout ! Une religion ne se fabrique pas comme un plat cuisiné, avec un peu de ceci, un peu de cela, et surtout une religion est nécessairement convaincue de sa propre supériorité - si un croyant ne croit pas à la vérité de sa foi, à quoi peut-il croire ?
Cela ne doit pas mener nécessairement à des guerres de religion (je reviens là-dessus d'ici quelques jours j'espère à propos de l'Islam), il importe seulement de rappeler qu'une religion a nécessairement une composante agressive et expansionniste, qui lui est plus ou moins essentielle (et j'admets sans peine que jusqu'en 1948 l'histoire universelle amenait bien plus à conclure à l'importance de cette composante dans l'Islam que dans le judaïsme (ce pourquoi de mauvais esprits se demandent s'il y a vraiment un rapport entre Israël et le judaïsme)), mais qui est toujours présente (comme dans la sexualité masculine, serais-je tenté d'ajouter, mais quittons le sujet aussi vite que nous l'avons abordé). Et donc l'intérêt est que ces religions se combattent plus par l'émulation et l'équilibre de leurs puissances (comme on disait au XIXè siècle, avant la grande boucherie de 14-18) que par l'affrontement à mort.
- En janvier 1895 :
"On parlait des Juifs. - Il n'y a que deux peuples aimés de Dieu, ai-je dit, le peuple Juif et le peuple Gaulois, le Lion et le Coq."
- Revenons maintenant en décembre 1892. Bloy écrit sur les attentats anarchistes - le terrorisme de l'époque. Il utilise notamment des extraits de son roman autobiographique Le désespéré. Mais laissons-lui la parole :
"Etre dissipé en une seconde, comme par le tonnerre, en consternant les multitudes, et terminer (...) une existence ordinairement remplie de cochonneries et de troubles ; obtenir même, à l'instar des plus illustres citoyens, des funérailles aux frais de l'Etat et le panégyrique d'un Président du Conseil, déclarant que "vous avez trouvé la mort au moment où vous remplissiez votre devoir, comme le soldat tombe sur le champ de bataille, en défendant le drapeau ; recevoir le "suprême adieu" du Conseil municipal et de la Préfecture de police, et laisser au monde cette impression qu'on fut l'holocauste sacrifié pour quelque chose d'infiniment grand !... Ah la Bonne Mort et l'enviable destin !
Car il n'y a pas à dire, c'est pour de sacrées et nobles choses que nous sommes tous invités aux expressives contredanses de l'anarchie : la Propriété, l'Argent, le droit de jouir, celui d'être des poltrons ou des imbéciles, et surtout le privilège facultatif de n'avoir aucune pitié des pauvres..."
"Les jouisseurs, à peu près sans nombre, qui ne se croyaient pas des canailles, avaient rêvé de s'accommoder avec l'Absolu divin et d'instituer, pour toute la durée des siècles, une mitoyenne morale. Mais l'Absolu a refusé de souscrire, et l'échéance des blagues étant venue, c'est la Panique tout en sueur qu'on entend cogner à la porte..."
"Ah ! vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser. Eh bien ! nous allons nous amuser, nous autres, les crevant de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et ne songez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent, en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se divertir, à leur tour, et - puisque la Justice est décidément absente, - ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.
Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.
Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées, au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n'y aura plus de revendications, ni de récriminations amères. Nous allons redevenir silencieux...
Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie, et l'inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamons plus rien, nous ne désirons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, depuis tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, des maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge !
Seulement, défiez-vous !... Nous gardons le FEU, en vous suppliant de n'être pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien, quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront ! (...)
Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il nous extermine, à son tour, qu'il nous damne sans remède, et que tout finisse ! L'enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite.
Mais, dans ce cas, il sera forcé de confesser devant tous ses Anges que nous aurons été ses instruments pour vous consumer...
Tel est le cantique des modernes pauvres, à qui les heureux de la terre - non satisfaits de tout posséder - ont imprudemment arraché la croyance en Dieu. C'est le Stabat des désespérés !"
Difficile de ne pas penser que M.-E. Nabe au moins, dans sa Lueur d'espoir écrite juste après le 11 septembre, n'a pas eu ces quelques lignes en tête. On pense aussi bien sûr à Festivus, on note que Ben Laden comme les anarchistes répugne aux revendications précises mais sait utiliser le potentiel technique de son ennemi, etc. La différence se fait sur la pauvreté ou la richesse des terroristes, et sur leur désir ou non de vivre la vie de ceux qu'ils tuent, sachant bien qu'il y a aussi une ironie de Bloy sur les motivations des "crevant de faim".
La classe !
Un peu d'Isaïe pour le plaisir du contrepoint. Je sais bien que l'on peut utiliser les citations bibliques à tort et à travers et ne cherche pas à prouver ici quoi que ce soit, mais tout de même, on ne peut se défendre de certains frissons en lisant quelques versets :
"Qui a projeté cela contre Tyr,
la distributrice de couronnes,
dont les commerçants étaient des princes,
dont les négociants étaient des gens honorés sur terre ?
C'est Iavhé des armées qui l'a projeté
pour porter atteinte à l'orgueil de toute une magnificence
et pour rendre misérables tous ceux qui étaient des gens honorés sur terre. (...)
Plus de chantier maritime désormais !" (XXIII, 8-10)
"Et le Liban s'écroule sous l'action d'un dieu puissant." (X, 34)
"L'esprit de l'Egypte se décomposera en son sein
et j'embrouillerai son conseil.
On s'adressera aux idoles, aux revenants,
aux nécromants et aux devins.
Je livrerai les Egyptiens à la main d'un dur maître
et un roi violent régnera sur eux,
oracle du Seigneur Iavhé des armées." (XIX, 3-4)
Et à venir ?
"Oracle sur Damas.
Voici Damas ôtée du nombre des villes,
elle est devenue une ruine écroulée." (XVII, 1)
Il est vrai aussi qu'Isaïe prophétise :
"Voici que je suscite contre eux les Mèdes [=les Iraniens]
qui ne songent pas à l'argent
et ne veulent pas de l'or.
Les arcs précipiteront à terre les jeunes gens ;
on n'aura pas pitié du fruit du ventre
et on ne s'apitoiera pas sur des fils." (XIII, 17-18)
mais ce n'est pas contre Israël, c'est contre Babel - en Irak donc, ce qui semble a priori un peu dépassé. Arrêtons là donc les parallèles, pour cette fois.
L'année prochaine à Jérusalem !
- en 1893, Bloy écrit Le salut par les Juifs (que je n'ai pas lu), dans lequel il semble dans un premier temps reprendre à son compte les arguments antisémites d'un Drumont dans son best-seller La France juive, avant de renverser la perspective pour conclure au rôle capital des Juifs dans l'histoire passée comme dans l'histoire à venir (distinction que Bloy d'ailleurs relativise) et dans la venue du Sauveur. En date du 24 novembre, on lit ces lignes :
"Visite au Grand Rabbin, à qui j'avais fait passer, quelques jours auparavant, Le salut par les Juifs. Vainement, j'essaie de lui faire sentir l'importance de ma conclusion. Plus vainement encore, j'explique la violence de certaines pages par le dessine d'épuiser l'objection, méthode fameuse, recommandée par saint Thomas d'Aquin. Il tient, absolument, à ne voir que la lettre de ces violences et se désintéresse de la conclusion dont il n'a pas même daigné s'enquérir. Enfin, il m'oppose les lieux communs les plus abjects : apaisement, conciliation, etc. Ce successeur d'Aaron m'affirme qu'IL Y A DU BON DANS TOUTES LES RELIGIONS !!
Décidément, on est aussi bête et aussi capon chez les Juifs que les Catholiques."
Les discours auto-proclamés tolérants pris sur le fait ! "Il y a du bon dans toutes les religions", mais tout le monde s'en fout ! Une religion ne se fabrique pas comme un plat cuisiné, avec un peu de ceci, un peu de cela, et surtout une religion est nécessairement convaincue de sa propre supériorité - si un croyant ne croit pas à la vérité de sa foi, à quoi peut-il croire ?
Cela ne doit pas mener nécessairement à des guerres de religion (je reviens là-dessus d'ici quelques jours j'espère à propos de l'Islam), il importe seulement de rappeler qu'une religion a nécessairement une composante agressive et expansionniste, qui lui est plus ou moins essentielle (et j'admets sans peine que jusqu'en 1948 l'histoire universelle amenait bien plus à conclure à l'importance de cette composante dans l'Islam que dans le judaïsme (ce pourquoi de mauvais esprits se demandent s'il y a vraiment un rapport entre Israël et le judaïsme)), mais qui est toujours présente (comme dans la sexualité masculine, serais-je tenté d'ajouter, mais quittons le sujet aussi vite que nous l'avons abordé). Et donc l'intérêt est que ces religions se combattent plus par l'émulation et l'équilibre de leurs puissances (comme on disait au XIXè siècle, avant la grande boucherie de 14-18) que par l'affrontement à mort.
- En janvier 1895 :
"On parlait des Juifs. - Il n'y a que deux peuples aimés de Dieu, ai-je dit, le peuple Juif et le peuple Gaulois, le Lion et le Coq."
- Revenons maintenant en décembre 1892. Bloy écrit sur les attentats anarchistes - le terrorisme de l'époque. Il utilise notamment des extraits de son roman autobiographique Le désespéré. Mais laissons-lui la parole :
"Etre dissipé en une seconde, comme par le tonnerre, en consternant les multitudes, et terminer (...) une existence ordinairement remplie de cochonneries et de troubles ; obtenir même, à l'instar des plus illustres citoyens, des funérailles aux frais de l'Etat et le panégyrique d'un Président du Conseil, déclarant que "vous avez trouvé la mort au moment où vous remplissiez votre devoir, comme le soldat tombe sur le champ de bataille, en défendant le drapeau ; recevoir le "suprême adieu" du Conseil municipal et de la Préfecture de police, et laisser au monde cette impression qu'on fut l'holocauste sacrifié pour quelque chose d'infiniment grand !... Ah la Bonne Mort et l'enviable destin !
Car il n'y a pas à dire, c'est pour de sacrées et nobles choses que nous sommes tous invités aux expressives contredanses de l'anarchie : la Propriété, l'Argent, le droit de jouir, celui d'être des poltrons ou des imbéciles, et surtout le privilège facultatif de n'avoir aucune pitié des pauvres..."
"Les jouisseurs, à peu près sans nombre, qui ne se croyaient pas des canailles, avaient rêvé de s'accommoder avec l'Absolu divin et d'instituer, pour toute la durée des siècles, une mitoyenne morale. Mais l'Absolu a refusé de souscrire, et l'échéance des blagues étant venue, c'est la Panique tout en sueur qu'on entend cogner à la porte..."
"Ah ! vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser. Eh bien ! nous allons nous amuser, nous autres, les crevant de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et ne songez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent, en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se divertir, à leur tour, et - puisque la Justice est décidément absente, - ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.
Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.
Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées, au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n'y aura plus de revendications, ni de récriminations amères. Nous allons redevenir silencieux...
Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie, et l'inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamons plus rien, nous ne désirons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, depuis tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, des maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge !
Seulement, défiez-vous !... Nous gardons le FEU, en vous suppliant de n'être pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien, quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront ! (...)
Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il nous extermine, à son tour, qu'il nous damne sans remède, et que tout finisse ! L'enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite.
Mais, dans ce cas, il sera forcé de confesser devant tous ses Anges que nous aurons été ses instruments pour vous consumer...
Tel est le cantique des modernes pauvres, à qui les heureux de la terre - non satisfaits de tout posséder - ont imprudemment arraché la croyance en Dieu. C'est le Stabat des désespérés !"
Difficile de ne pas penser que M.-E. Nabe au moins, dans sa Lueur d'espoir écrite juste après le 11 septembre, n'a pas eu ces quelques lignes en tête. On pense aussi bien sûr à Festivus, on note que Ben Laden comme les anarchistes répugne aux revendications précises mais sait utiliser le potentiel technique de son ennemi, etc. La différence se fait sur la pauvreté ou la richesse des terroristes, et sur leur désir ou non de vivre la vie de ceux qu'ils tuent, sachant bien qu'il y a aussi une ironie de Bloy sur les motivations des "crevant de faim".
La classe !
Un peu d'Isaïe pour le plaisir du contrepoint. Je sais bien que l'on peut utiliser les citations bibliques à tort et à travers et ne cherche pas à prouver ici quoi que ce soit, mais tout de même, on ne peut se défendre de certains frissons en lisant quelques versets :
"Qui a projeté cela contre Tyr,
la distributrice de couronnes,
dont les commerçants étaient des princes,
dont les négociants étaient des gens honorés sur terre ?
C'est Iavhé des armées qui l'a projeté
pour porter atteinte à l'orgueil de toute une magnificence
et pour rendre misérables tous ceux qui étaient des gens honorés sur terre. (...)
Plus de chantier maritime désormais !" (XXIII, 8-10)
"Et le Liban s'écroule sous l'action d'un dieu puissant." (X, 34)
"L'esprit de l'Egypte se décomposera en son sein
et j'embrouillerai son conseil.
On s'adressera aux idoles, aux revenants,
aux nécromants et aux devins.
Je livrerai les Egyptiens à la main d'un dur maître
et un roi violent régnera sur eux,
oracle du Seigneur Iavhé des armées." (XIX, 3-4)
Et à venir ?
"Oracle sur Damas.
Voici Damas ôtée du nombre des villes,
elle est devenue une ruine écroulée." (XVII, 1)
Il est vrai aussi qu'Isaïe prophétise :
"Voici que je suscite contre eux les Mèdes [=les Iraniens]
qui ne songent pas à l'argent
et ne veulent pas de l'or.
Les arcs précipiteront à terre les jeunes gens ;
on n'aura pas pitié du fruit du ventre
et on ne s'apitoiera pas sur des fils." (XIII, 17-18)
mais ce n'est pas contre Israël, c'est contre Babel - en Irak donc, ce qui semble a priori un peu dépassé. Arrêtons là donc les parallèles, pour cette fois.
L'année prochaine à Jérusalem !
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