"La détestable humanité..." - Deux remarques.
(Léger ajout le lendemain.)
"L'exigence d'Harmonie est toujours aussi neuve et vive qu'au siècle dernier. Communication de l'homme avec les espaces, vibration commune naturelle... Pour suppléer, bien entendu, à la déception du fait que l'acte sexuel n'a pas, c'est le cas de le dire, de débouché... Sans l'absence de sens attribuable au sexe, il n'y aurait pas de de croyance féroce à l'Harmonie. C'est-à-dire de volonté de communauté. De communautarisme."
(Exorcismes spirituels, t. 2, pp. 269-270)
Voilà donc pour commencer un petit complément à la livraison précédente (je vends la mèche : la photo, que je dois à M. Cinéma, vient de Cris et chuchotements, et ceux qui ont vu le film se souviennent sans doute que ce bout de verre ne contribue pas franchement à l'harmonie du couple ni de l'espèce.) Ceci posé, deux remarques, donc :
- "Le sacré n'est rien d'autre que ce qui tente, au nom des intérêts de l'espèce, d'empêcher l'individu de suivre ses intérêts d'individu" (p. 300-301) : voilà résumée par lui-même ce qui est sans doute la principale erreur de Muray, non pas tellement une dévalorisation par principe du sacré qu'une opposition trop stricte entre le sacré et l'individu. Dès qu'on lit ce dernier terme, il faut reprendre la distinction de Dumont entre l'individu comme agent empirique et l'individu comme valeur. A quoi s'ajoute ici, tout lecteur de Muray y est sensible, l'individu catholique, qui est lui-même sans doute un trait d'union entre "l'agent empirique" et "le sujet normatif des institutions" [Dumont], trait d'union à la fois logique et historique. Il serait un peu long et laborieux de le démontrer, mais je crois que dans la phrase de Muray, les deux occurrences du terme "individu" comportent des parts variables de ces trois concepts d'individu, et ce alors même que l'individu-valeur et l'individu-catholique sont bien évidemment teintés de sacré, et de sacré collectif.
Ce qui signifie que si Muray a de magnifiques pages sur les singularités des différents artistes et sur leur aspect indéniablement - et heureusement - rebelle à l'intégration communautaire d'une part, de cinglants diagnostics d'autre part sur les divers communautarismes et les masques qu'ils savent prendre, il est trop rapide de séparer ainsi individus et collectivités. A la limite, cette distinction n'est valable que pour les grands artistes - ce qui est une autre manière de dire qu'ils sont irreproductibles, à l'encontre du reste de l'espèce humaine, mais le simple fait que ces grands artistes ont disparu de nos jours, à une époque donc de sacré minable et mal assumé, amène à penser qu'il y a tout de même des communications entre les idéaux de la collectivité et les possibilités des individus qui la composent.
De ce point de vue le rejet du sacré est une conséquence de la faute méthodologique consistant à le séparer complètement des individus.
Je précise par ailleurs qu'il y a peut-être de grands artistes aujourd'hui en France, tout plein de merveilleux créateurs, sur lesquels de magnifiques thèses seront soutenues dans trente ans ; mais comme nous ne le savons pas, cela nous fait une belle jambe. (Dans cette optique, et je rejoins ici d'une certaine manière M. Maso, les derniers grands artistes sont des cinéastes - à chacun son étalon en la matière : Kubrick, Lynch, De Palma... A mon sens, Hitchcock. (D'ailleurs, il serait intéressant de le comparer à Rubens, en cherchant du côté de la réunion du monumental et de l'intime, du rôle des femmes, du gros cul d'Ingrid Bergman... A suivre ?))
J'en viens à ma deuxième remarque, liée à ce qui précède comme aux propos tenus dans ce café par Bernanos il y a peu - que peut-on reprocher au petit-bourgeois ? Finalement, pas de ne pas assez être humain, mais de n'être que humain (d'ailleurs, il est gentil, tolérant, ouvert..., ce que les premiers bourgeois n'étaient certes pas) - d'où, paradoxalement, qu'il soit, via son attachement à l'espèce humaine et à ce qui dans l'humain est espèce, assez animal, et fondamentalement grégaire. "Humain, trop humain" : trop est ici quantitatif, il n'y a que de l'humain, il n'y a de place pour rien d'autre, pas de "valeurs surhumaines", comme dit Bernanos. D'où le piège du petit-bourgeois : bien sûr qu'il est un homme comme nous, et que cela gêne quelque peu les tentations de génocide que l'on peut avoir son égard. Mais il n'est que cela, le salaud. Et l'on comprend bien que certains refusent avec violence de s'abaisser à ça.
Un quai de métro ou de RER en période de grève n'a rien de bien différent de l'ordinaire, les troupeaux d'esclaves salariés sont juste un peu plus nombreux et un peu plus anxieux de se rendre sur le lieu de leur esclavage. Punis par où vous péchez - bien fait pour votre gueule !
(Ajout le 21.11.)
Oui, Dieu sait que je n'ai pas envie de démarrer une discussion sur les grèves, mais je profite de l'occasion : je suis parfois accusé, pour reprendre des termes historiquement connotés, de "dérive droitière". Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, comme disait M. Chirac, mais, sans assimiler M. Souchet à une entité fantasmatique et monolithique qui serait "la droite", je dois avouer, à lire son récent billet d'humeur, que ma dérive, si elle existe, ne me rapproche guère de telles positions. Voir un critique des fonctionnaires (pourquoi pas ?) nous proposer comme modèle d'héroïsme les jeunes Américains et la révolution néo-conservatrice, soit un des plus beaux modèles de soumission, de masochisme et de servitude volontaire que l'espèce humaine ait mis au point, et Dieu sait (bis ; il est vrai qu'Il est là pour ça) qu'elle a parfois su se montrer inventive à ce niveau, lire un tel encouragement à l'enculage sous couvert d'exaltation de la liberté, cela laisse à la fois pantois et amusé. L'arnaque est vieille comme le "libéralisme économique", son niveau théorique digne d'une tirade de M. Besancenot. Nous sommes bien, nous sommes heureux !
"L'exigence d'Harmonie est toujours aussi neuve et vive qu'au siècle dernier. Communication de l'homme avec les espaces, vibration commune naturelle... Pour suppléer, bien entendu, à la déception du fait que l'acte sexuel n'a pas, c'est le cas de le dire, de débouché... Sans l'absence de sens attribuable au sexe, il n'y aurait pas de de croyance féroce à l'Harmonie. C'est-à-dire de volonté de communauté. De communautarisme."
(Exorcismes spirituels, t. 2, pp. 269-270)
Voilà donc pour commencer un petit complément à la livraison précédente (je vends la mèche : la photo, que je dois à M. Cinéma, vient de Cris et chuchotements, et ceux qui ont vu le film se souviennent sans doute que ce bout de verre ne contribue pas franchement à l'harmonie du couple ni de l'espèce.) Ceci posé, deux remarques, donc :
- "Le sacré n'est rien d'autre que ce qui tente, au nom des intérêts de l'espèce, d'empêcher l'individu de suivre ses intérêts d'individu" (p. 300-301) : voilà résumée par lui-même ce qui est sans doute la principale erreur de Muray, non pas tellement une dévalorisation par principe du sacré qu'une opposition trop stricte entre le sacré et l'individu. Dès qu'on lit ce dernier terme, il faut reprendre la distinction de Dumont entre l'individu comme agent empirique et l'individu comme valeur. A quoi s'ajoute ici, tout lecteur de Muray y est sensible, l'individu catholique, qui est lui-même sans doute un trait d'union entre "l'agent empirique" et "le sujet normatif des institutions" [Dumont], trait d'union à la fois logique et historique. Il serait un peu long et laborieux de le démontrer, mais je crois que dans la phrase de Muray, les deux occurrences du terme "individu" comportent des parts variables de ces trois concepts d'individu, et ce alors même que l'individu-valeur et l'individu-catholique sont bien évidemment teintés de sacré, et de sacré collectif.
Ce qui signifie que si Muray a de magnifiques pages sur les singularités des différents artistes et sur leur aspect indéniablement - et heureusement - rebelle à l'intégration communautaire d'une part, de cinglants diagnostics d'autre part sur les divers communautarismes et les masques qu'ils savent prendre, il est trop rapide de séparer ainsi individus et collectivités. A la limite, cette distinction n'est valable que pour les grands artistes - ce qui est une autre manière de dire qu'ils sont irreproductibles, à l'encontre du reste de l'espèce humaine, mais le simple fait que ces grands artistes ont disparu de nos jours, à une époque donc de sacré minable et mal assumé, amène à penser qu'il y a tout de même des communications entre les idéaux de la collectivité et les possibilités des individus qui la composent.
De ce point de vue le rejet du sacré est une conséquence de la faute méthodologique consistant à le séparer complètement des individus.
Je précise par ailleurs qu'il y a peut-être de grands artistes aujourd'hui en France, tout plein de merveilleux créateurs, sur lesquels de magnifiques thèses seront soutenues dans trente ans ; mais comme nous ne le savons pas, cela nous fait une belle jambe. (Dans cette optique, et je rejoins ici d'une certaine manière M. Maso, les derniers grands artistes sont des cinéastes - à chacun son étalon en la matière : Kubrick, Lynch, De Palma... A mon sens, Hitchcock. (D'ailleurs, il serait intéressant de le comparer à Rubens, en cherchant du côté de la réunion du monumental et de l'intime, du rôle des femmes, du gros cul d'Ingrid Bergman... A suivre ?))
J'en viens à ma deuxième remarque, liée à ce qui précède comme aux propos tenus dans ce café par Bernanos il y a peu - que peut-on reprocher au petit-bourgeois ? Finalement, pas de ne pas assez être humain, mais de n'être que humain (d'ailleurs, il est gentil, tolérant, ouvert..., ce que les premiers bourgeois n'étaient certes pas) - d'où, paradoxalement, qu'il soit, via son attachement à l'espèce humaine et à ce qui dans l'humain est espèce, assez animal, et fondamentalement grégaire. "Humain, trop humain" : trop est ici quantitatif, il n'y a que de l'humain, il n'y a de place pour rien d'autre, pas de "valeurs surhumaines", comme dit Bernanos. D'où le piège du petit-bourgeois : bien sûr qu'il est un homme comme nous, et que cela gêne quelque peu les tentations de génocide que l'on peut avoir son égard. Mais il n'est que cela, le salaud. Et l'on comprend bien que certains refusent avec violence de s'abaisser à ça.
Un quai de métro ou de RER en période de grève n'a rien de bien différent de l'ordinaire, les troupeaux d'esclaves salariés sont juste un peu plus nombreux et un peu plus anxieux de se rendre sur le lieu de leur esclavage. Punis par où vous péchez - bien fait pour votre gueule !
(Ajout le 21.11.)
Oui, Dieu sait que je n'ai pas envie de démarrer une discussion sur les grèves, mais je profite de l'occasion : je suis parfois accusé, pour reprendre des termes historiquement connotés, de "dérive droitière". Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, comme disait M. Chirac, mais, sans assimiler M. Souchet à une entité fantasmatique et monolithique qui serait "la droite", je dois avouer, à lire son récent billet d'humeur, que ma dérive, si elle existe, ne me rapproche guère de telles positions. Voir un critique des fonctionnaires (pourquoi pas ?) nous proposer comme modèle d'héroïsme les jeunes Américains et la révolution néo-conservatrice, soit un des plus beaux modèles de soumission, de masochisme et de servitude volontaire que l'espèce humaine ait mis au point, et Dieu sait (bis ; il est vrai qu'Il est là pour ça) qu'elle a parfois su se montrer inventive à ce niveau, lire un tel encouragement à l'enculage sous couvert d'exaltation de la liberté, cela laisse à la fois pantois et amusé. L'arnaque est vieille comme le "libéralisme économique", son niveau théorique digne d'une tirade de M. Besancenot. Nous sommes bien, nous sommes heureux !
Libellés : Bergman, Besancenot, Chirac, clitoris, Cormary, De Palma, Dumont, Hitchcock, I. Bergman, Kubrick, Lynch, Maubreuil, Muray, Nietzsche, R. Camus, Rubens, Souchet, Voyer
<< Home