mardi 5 août 2008

Un bon socialiste est un socialiste mort (autopsié).

254755322_71b6a6dcaf


"On n'a jamais le droit de trahir, personne. Les traîtres, il faut les combattre, et non pas les trahir."


Admirable portrait de Jaurès, admirable portrait de l'« éléphant » socialiste dans Notre jeunesse (Péguy, 1910) : les ressemblances avec Mitterrand, F. Hollande, J. Lang, etc. sont telles qu'il n'est pas besoin de les souligner. On a un peu plus de mal à voir qui joue de nos jours le rôle de Hervé et de Guesde, ces espèces de chiens fous déraisonnables dont la raison d'être est d'insulter Jaurès, sans que celui-ci, pour des raisons qui sont l'objet de ce texte, ne leur ferme la gueule. Le PS étant dans l'état que l'on connaît, il vaut mieux chercher ailleurs, hors du parti lui-même, du côté de Laguiller et Besancenot. La psychologie est de toute façon ce qu'il y a ici de plus important, il n'est pas nécessaire de chercher des symétries parfaites entre 1910 et 2008. (Il y a d'ailleurs aussi du Chirac dans ce Jaurès, les socialistes ne sont pas seuls concernés par tout ce qui est dénoncé dans ce qui suit.)

J'ai respecté la ponctuation (particulière, à mon goût fort bandante) de Péguy, et bien sûr ses répétitions, ne supprimant que deux brefs passages que j'aurais dû accompagner de notes explicatives un peu lourdes. Le jeu des sous-entendus « au-dessous de la ceinture » est assez drôle per se pour que je ne l'alourdisse pas de photographies, donc pour une fois pas de petite pépée. L'amour de l'art, point final !

"Jaurès ici intervient, au débat, et se défend. Si je reste avec Hervé, dit-il, dans le même parti, si j'y suis resté constamment, toujours, si longtemps, malgré les innombrables couleuvres que Hervé m'a fait avaler, c'est pour deux raisons également valables. Premièrement, c'est précisément, c'est à cause de ces innombrables couleuvres mêmes. Il faut bien songer que ce Hervé est l'homme du monde qui m'a administré le plus de coup de pieds dans le derrière. En public et en particulier. Dans les congrès et dans les meetings. Dans son journal. Publiquement et privément, comme dit Péguy. Il faut l'en louer. Et comme il me connaît bien. Il faut l'en récompenser. Il faut que tant de zèle soit récompensé. Comme il sait que je ne marche jamais qu'avec ceux qui me maltraitent. Qui me poussent. Qui me tirent. Qui me bourrent. Et que je ne marche jamais avec les imbéciles qui m'aimaient. Comme il connaît bien le fond, si je puis dire, de mon caractère. Il faut aussi, il faut bien que tant de perspicacité soit récompensée. Il me connaît si bien. Il me connaît comme moi-même. Il sait que quand quelqu'un m'aime et me sert, le sot, me prodigue les preuves les plus incontestables de l'amitié la plus dévouée, du dévouement le plus absolu, aussitôt je sens s'élever dans ce qui me sert de coeur d'abord un commencement, un mépris invincible pour cet imbécile. Faut-il qu'il soit bête en effet, d'aimer un ingrat comme moi, de s'attacher à un ingrat comme moi. Comme je le méprise, ce garçon. En outre, en deuxième, ensemble, en même temps un sentiment de jalousie, de la haine envieuse la plus basse contre un homme qui est capable de concevoir les sentiments de l'amitié. Enfin un tas d'autres beaux sentiments, fleurs de boue, plantes de vase, qui poussent dans la boue politique comme une bénédiction de défense républicaine. Hervé sait si bien tout cela que je l'en admire moi-même. Comme il connaît bien ma psychologie, si vous permettez. Et qu'au contraire quand je reçois un bon coup de pied dans le derrière, je me retourne instantanément avec un sentiment de respect profond, avec un respect inné pour ce pied, pour ce coup, pour la jambe qui est au bout du pied, pour l'homme qui est au bout de la jambe ; et même pour mon derrière, qui me vaut cet honneur. (...) Et quand je pense qu'il y a des gens qui disent que je n'ai pas de fond. Je hais mes amis. J'aime mes ennemis. On ferait une belle comédie avec mon caractère. Je hais mes amis parce qu'ils m'aiment. Je méprise mes amis parce qu'ils m'aiment. Parce qu'ils m'aiment j'ai en moi pour eux, je sens monter en moi contre eux une jalousie bassement envieuse, l'invincible sentiment d'une incurable haine. Je trahis mes amis parce qu'ils m'aiment. J'aime, je sers, je suis, j'admire mes ennemis parce qu'ils me méprisent, (ils ne me haïssent même pas), parce qu'ils me maltraitent, parce qu'ils me violentent, parce qu'ils me connaissent enfin, parce qu'ils me connaissent donc. Et ils savent si bien comment on me fait marcher. Quand un me trahit, je l'aime double, je l'admire, j'admire sa compétence. Il me ressemble tant. J'ai un goût secret pour la lâcheté, pour la trahison, pour tous les sentiments de la trahison. Je suis double. Je m'y connais. J'y suis chez moi. On ferait une grande tragédie, une triste comédie avec mon caractère. Hervé ne la ferait peut-être pas mal. Il me connaît si bien. Il y a des exemples innombrables que j'aie trahi mes amis. Depuis trente ans que je fonctionne, il n'y a pas un exemple que j'aie trahi mes ennemis. C'est vous dire que j'excelle dans tous les sentiments politiques. On ferait un beau roman de l'histoire des soumissions que j'ai faites à notre camarade, au citoyen Hervé.

Ce vice, secret, ce goût secret que j'ai pour l'avanie. J'encaisse, j'encaisse. Ce goût infâme que j'ai pour l'avanie. Pour le déshonneur, de l'avanie. Je suis l'homme du monde qui reçoit, qui encaisse le plus d'avanies. A mon banc. Dans mon journal même. A mon banc Guesde n'en rate pas une. Il ne manque point, il ne manque jamais de s'adresser à la Chambre au long de mes oreilles. Aussi, comme je respecte, comme j'admire, comme j'estime, comme je vénère ce grand Guesde, ce dur Guesde. De cette vénération qui est pour moi le même sentiment que l'effroi. Comme je me sens petit garçon à côté de ces hommes, à côté d'un Guesde, à côté d'un Hervé. (...)


Ainsi parle Jaurès. Deuxièmement, dit-il, si je suis resté avec Hervé, c'est précisément pour l'affaiblir, pour l'énerver, pour lui oblitérer sa virulence. C'est ma méthode. Quand je vois une doctrine, un parti devenir pernicieux, dangereux, autant que possible je m'en mets. Mais généralement comme j'en suis j'y reste. Mais alors j'y reste complaisamment. J'y adhère. Je m'y colle. Je parle. Je parle. Je suis éloquent. Je suis orateur. Je suis oratoire. Je redonde. J'inonde. Je reçois précisément ces coups de pied au quelque part que fort ingratement vous me reprochez. (Pourquoi me les reprochez-vous, vous à moi, puisque moi je ne les reproche pas à ceux qui me les donnent). Mais ces coups de pied, ça n'empêche pas de parler, au contraire. Ça lance pour parler. Enfin bref, ou plutôt long, après un certain temps de cet exercice, (et je ne parle pas seulement, j'agis en outre, j'agis en dessous), (j'excelle dans le travail des commissions, dans les (petits) complots, dans les combinaisons, dans le jeu des ordres du jour, dans les petites manigances, dans les commissions et compromissions et ententes, dans tout le travail souterrain, sous la main, sous le manteau. Dans le jeu, dans l'invention des majorités, factices ; faites, obtenues par un savant compartimentage des scrutins. Dans tout ce qui est le petit et le grand mécanisme politique et parlementaire) enfin, au bout d'un certain temps de cet exercice il n'y a plus de programme, il n'y a plus de principe, il n'y a plus de parti, il n'y a plus rien, il n'y a plus aucune de ces virulences. Quand je me suis bien collé à eux pendant un certain temps, supportant pour cela les avanies qu'il faut, quand je suis resté dans un parti pendant un certain temps, pendant le temps voulu, au bout de ce temps on voit, on s'aperçoit, tout le monde comprend que je les ai trahis. Comprenez-vous enfin, grosse bête, me dit-il me poussant du coude.

Quand je suis, quand je me mets dans un parti, ça se connaît tout de suite, presque tout de suite, à ce que c'est un parti qui devient malade. Quand je me mets quelque part, ça se voit, ça se reconnaît à ce que ça va mal. Ça ne marche plus. Quand je me mets dans une idée, elle devient véreuse.

Je l'ai fait au dreyfusisme ; je l'avais fait et je l'ai fait au socialisme ; je l'ai fait et le fais à l'hervéisme ; je l'ai fait et je le fais au syndicalisme. C'est encore le radicalisme que j'ai trahi le moins. Il n'y a que le combisme que je n'ai jamais pas trahi du tout." (Notre jeunesse, "La pléiade", Oeuvres en prose complètes t. III, 1992, pp. 114-117).




Les liens du jour pour finir :

- M. Defensa est en forme : en général, comme en particulier ;

- un rien pontifiante, une intervention non dénuée de sens sur l'industrie pharmaceutique et certains de ses arguments ;

- un peu parce que j'étais en vacances, beaucoup parce que je n'en ai pas grand-chose à foutre, je n'ai pas évoqué les histoires de P. Val et Siné. Je note néanmoins au passage que nous vivons dans un monde où un Alexandre Adler peut évoquer la « bassesse » d'un Georges Bernanos, ce qui laisse pour le moins rêveur, et vous recommande, parce qu'il vaut mieux d'ordinaire rire que pleurer, la pétition du Plan B sur le sujet.

(Sur le lien vers A. Adler, il serait dommage que vous ne remarquiez pas les annonces publicitaires racistes, ou celle consacrée au « réversible Adler », en bas de page : je serais l'intéressé (beurk !) je crierais au complot...)

Libellés : , , , , , , , , , , , , , , , , ,