jeudi 10 juillet 2008

11 septembre catholique (II) : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts ?"

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"Oui, Joseph de Maistre, Barrès, Péguy et les autres étaient des réacs sublimes en leur temps, qui auraient donné leur peau et qui ont donné leurs livres pour l'Occident en péril, mais uniquement parce qu'il était à l'époque encore défendable, qu'il était la civilisation même, qu'il regorgeait d'enthousiasme, de religiosité, d'inventivité, contre les « barbares » qui fonçaient tête baissée. Quand on pense qu'en 1914, pour Suarès, les barbares, les fanatiques, les terroristes, n'étaient pas des métèques incultes du fin fond de l'Arabie, mais tout simplement les Allemands du Kaiser qui osaient s'en prendre à la France éternelle ! Oui, les ennemis de la civilisation étaient des enfants de Goethe aux portes de Strasbourg !

Ce que les Occidentalistes ne comprennent pas aujourd'hui, c'est que tout ce qu'ils fantasment sur l'Occident qui n'est plus se trouve justement dans l'Orient qu'ils combattent idéologiquement par goût du paradoxe.

C'est l'Orient aujourd'hui qui détient la dignité du monde, sa capacité de résistance, sa grandeur d'âme, son sens de la parole donnée, son courage guerrier, son hospitalité sacrée, sa foi absolue et son esprit de croisade, pourquoi pas ? Autant de valeurs qui étaient l'apanage de l'Occident et qui sont toujours vivantes à l'Est. Il faut donc être logique et s'adapter, se déplacer, dévier son son espoir là où ça se passe. Je continue à maintenir qu'aujourd'hui un Bernanos ne défendrait pas l'Occident de George W. Bush et d'Ariel Sharon ; que Massignon évidemment serait à Bagdad ; que Dominique de Roux trouverait des accents gaulliens à Saddam Hussein et que Léon Bloy s'interrogerait avec passion sur l'âme d'Oussama comme il [le fit] sur celle de Napoléon. Bref, le meilleur moyen d'être occidental aujourd'hui, c'est soutenir l'Orient dans sa résistance contre ce qu'est devenu l'Occident." (M.-E. Nabe, Crève, Occident!, 2003, repris dans J'enfonce le clou, Rocher, 2004, pp. 30-31)

La série en cours intitulée "11 septembre catholique" est un ensemble de variations et de réflexions sur ce texte de Marc-Edouard Nabe, autant clarifier mes buts et incertitudes dès maintenant. Notons donc qu'il y a ici trois questions différentes :

- la véracité du diagnostic sur les écrivains : je donnerai la prochaine fois quelques éléments de réponse concernant Bernanos (j'en ai déjà donné un peu). Sur de Roux, M.-E. Nabe a certainement raison. Sur Bloy... je donnerais cher pour le savoir ! - Mais évidemment, il ne s'agit ici que de cas particuliers ;

- la véracité du diagnostic sur l'Orient (sur l'Occident, la question ne se pose hélas plus guère - j'ai d'abord écrit : "ne se pose déjà plus", j'ai rajouté le "guère" parce qu'on ne peut tout à fait s'y résigner. Non ? ). N'y ayant jamais mis les pieds, vilain casanier, je ferais peut-être mieux de la fermer... Il me semble néanmoins, relativement aux informations que l'on peut glaner et aux intuitions que l'on a le sentiment de pouvoir suivre avec quelque raison, que sur ce point, c'est-à-dire l'Orient non pas en tant que tel mais par rapport à l'Occident, le meilleur texte que l'on puisse lire est celui de Jean-Pierre Voyer : "Murawiec penseur de réservoir" - non seulement le meilleur par son propos, mais par l'importance de ses hésitations sur ce qui dans les pays musulmans actuels s'élève contre l'Occident : une antique civilisation, ou ce ce qui est qualifié dans la Diatribe d'un fanatique de « religion de synthèse » - hésitation non seulement sur ce diagnostic, mais sur l'éventuelle joie que l'on peut en retirer. Ainsi : certains mouvements politiques musulmans - les Frères Musulmans, le salafisme... - sont-ils une forme inévitablement quelque peu bâtarde de religion musulmane, que les musulmans dans leur ensemble soutiendraient non sans répugnance, mais avec la reconnaissance due à ceux qui paient de leur personne, ou sont-ils - malgré les apparences, je veux bien - une façon de cheval de Troie de l'esprit impérialiste occidental, via un certain rapport au politique finalement placé, dans les faits, au-dessus de la religion, à la modernité, notamment technologique (condamnée peut-être, mais très utilisée) ?

(Ces derniers points sans même mentionner les questions d'équilibre ou de déséquilibre politique : les calculs d'apprentis sorciers d'Américains ou de Sionistes misant sur, voire finançant en sous-main, les mouvements les plus extrémistes - qui seraient donc, avec d'évidentes variations selon les cas, leur alliés « objectifs », comme on disait dans le temps - pour légitimer leurs interventions et ne pas laisser se mettre en place, ou pour détruire, des mouvements qui auraient plus l'assentiment de la majorité des populations concernées. Marie-Antoinette, à qui l'on voue aujourd'hui un culte que je ne parviens pas, je suis désolé, à admettre ne serait-ce qu'un peu, Marie-Antoinette s'était essayée à ce genre de jeu pour légitimer une intervention étrangère en France, en faisant donner de l'argent aux révolutionnaires les plus excités. Cette salope l'a payé de sa tête, il n'y a tout de même pas de quoi pleurer.)

- le rôle du catholicisme et de l'Islam là-dedans. Je connais trop peu l'Islam pour m'aventurer vraiment dans cette question, mais cela n'empêche pas de tenter d'en démêler les fils. Notamment :

Quelle que fût, au Moyen Age occidental ou à la grande époque du Califat, l'emprise réelle du catholicisme et de l'islam sur les âmes et les comportements du vulgum pecus (de Popu), il reste un fait incontestable pour les périodes qui ont suivi : le catholicisme s'identifie moins à la civilisation occidentale que l'islam (la religion) à l'Islam (la civilisation). Dans le monde entier les sociétés régies par, ou vivant dans une Tradition (heil Guénon !) ont évolué sous la pression de l'Occident, qui, lui, a évolué de son propre chef. Si l'on veut une différence entre l'Occident et le reste du monde, et sans entrer dans les débats sur l'« occidentalo-centrisme » et ses formes avouées ou sournoises, en voilà une, indéniable.

La question ici reste ouverte, et j'en n'en connais pas pour l'heure de réponse satisfaisante (mais je suis loin d'avoir tout examiné...) : si l'Occident a abandonné de lui-même la religion qui l'informait, alors que les autres civilisations n'abandonnent ou n'ont abandonné les leurs que sous l'effet dudit Occident, est-ce dû à ce que l'on pourrait appeler, avec d'importants guillemets, un "accident historique", ou est-ce dû à une spécificité du christianisme/catholicisme ?

Mon petit doigt, aidé de Bolzano, aurait tendance à répondre que certaines tendances et spécificités du christianisme - l'Incarnation au premier chef (et l'on connaît l'importance du Christ dans l'un des plus importants facteurs de cette évolution, le protestantisme) - pouvaient pousser l'Occident dans la direction qu'il a suivie, mais qu'il n'y avait rien de fatal à cette évolution. Restons-en là pour l'instant, contentons-nous de marquer l'importance de cette question : si l'évolution était fatale, alors, toutes questions de possibilité réelles mises à part, ce qui n'est déjà pas rien, un retour de l'Occident à sa Tradition chrétienne/catholique serait inutile : les mêmes causes produisant les mêmes effets, à terme nous repartirions pour un tour. Si au contraire le chemin qui a mené de l'Evangile et de saint Augustin à Luther et Guizot - dit comme cela, la réponse a l'air évidente, mais justement... - s'est perdu sur une voie de traverse, alors peut-être - avec des majuscules ! - un retour à la Tradition occidentale est-il envisageable.


Voilà me semble-t-il les données du problème - et les raisons pour lesquelles je ne peux le résoudre, en admettant que quelqu'un puisse. Un peu de Bernanos et de jeunisme la prochaine fois !


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