samedi 16 mai 2009

En rire ou en pleurer (terminologie).

De Laurent Mucchielli je n'ai lu que quelques articles, ici et là. Il me semble, que l'on soit d'accord ou non avec les conclusions qui sont les siennes - et comme toujours dans ces cas-là il faut faire la part des choses entre ce qui est écrit dans une publication scientifique, ce qui est exprimé dans un « Rebond » pour Libéramerde, ce qui est déclaré à la télévision, monté et mis en contexte par un journapute... -, il me semble que cet homme offre quelques garanties minimales de sérieux qui font que si ses thèses peuvent être discutées il est difficile de les balayer d'un revers de main en lui prêtant on ne sait quelles intentions inavouables.

Or, de par la nature des sujets abordés (l'Islam, l'insécurité...) et de par la fréquence de ses apparitions Laurent Mucchielli est devenu le symbole « des sociologues » - il faut entendre le mépris avec lequel ce mot est prononcé (on peut ajouter, comme le faisait Muray pour les assimiler à des jdanoviens en puissance, « d'Etat », c'est encore pire), mépris qui renvoie les sociologues à leur position d'extériorité vis-à-vis des événements qu'ils analysent et sur lesquels il leur arrive de pontifier.

Une petite remarque d'abord. Je n'ai pas d'intérêt personnel en la matière, je comprends parfaitement que si l'on vient de se faire casser la gueule, ou, pire, de perdre un proche, parce qu'une bande incontrôlable a voulu s'amuser, on trouvera amère la leçon du sociologue fonctionnarisé vous expliquant que la violence est sur le long terme en baisse en France. Néanmoins, d'une part Laurent Mucchielli n'est pas policier et n'est pas payé pour envoyer les gens en prison, d'autre part, il me semble difficile de reprocher aux sociologues la position d'extériorité par rapport aux événements qui les définit justement comme sociologues. Autant reprocher à un historien de ne pas vivre dans le passé... Ceci étant dit, bien sûr, le sociologue de la violence qui se contenterait d'aligner les chiffres dans son bureau sans jamais rencontrer acteurs et victimes de cette violence risquerait fort de passer à côté de son sujet. Le sociologue a ici des possibilités que l'historien lui jalouse et qu'il serait fort condamnable de ne pas exploiter. Il reste que son rôle est d'avoir et de fournir une vision d'ensemble des choses, et que si on ne veut pas de cette vision, la refuser est une chose, reprocher à celui à qui la société a confié une mission, de l'accomplir, en est une autre.

(Au passage, on en dira autant des juges. Un juge qui reçoit une femme violée dans son bureau doit faire montre d'un minimum de délicatesse, c'est bien le moins. Mais il n'est pas là pour s'identifier à cette femme ou pour pleurer de chaudes larmes avec elle, il est là pour essayer, à partir de son récit, de celui du violeur présumé, d'éventuels témoins, de comprendre autant que faire se peut ce qui s'est passé. S'il n'est pas capable de cette capacité d'abstration, qu'il devienne éditorialiste ou Nicolas-Sarkozy, mais qu'il change de métier. (Après, on sait bien qu'il existe des juges (ou des médecins, pour recourir à un exemple que tout un chacun a plus souvent rencontré dans son existence) qui se réfugient avec soulagement derrière cette obligation de neutralité pour se cacher à eux-mêmes qu'ils n'éprouvent strictement rien d'autre que de l'indifférence ou de l'ennui pour la souffrance des victimes (ou des malades).)

Pour en revenir à Laurent Mucchielli, ces remarques me venaient à l'esprit à la lecture de cet article, dans lequel l'auteur, Christian Bouchet, s'appuie sur des conclusions récentes dudit Mucchielli au sujet de la baisse de l'antisémitisme en France. Or, cet article provient d'un site où, si ce n'est M. Bouchet, d'autres collaborateurs réguliers (P. Randa, par exemple) ne se privent pas d'ironiser sur « les sociologues », lorsque ceux-ci critiquent (encore une fois, à tort ou à raison) certains dogmes d'époque, ou certaines prénotions, sur l'insécurité ou la délinquance. Je propose donc de définir et de nommer « syndrome du Mucchielli » cette attitude si fréquente, qui consiste à s'appuyer sans le moindre état d'âme sur les statistiques officielles et les analyses du sociologue (« Tout de même, ces gens-là ne sont pas là pour dire n'importe quoi ») lorsqu'elles confirment ce que l'on pense déjà, et à les rejeter, en utilisant principalement les deux arguments évoqués plus haut, arguments d'ailleurs potentiellement contradictoires, ou du moins superfétatoires (« Ces gens-là ne savent pas de quoi ils parlent, ils restent dans leur bureau » ; « De toutes façons ils sont payés pour faire le silence sur ce qui se passe » - attention, il ne sert pas grand-chose de reprocher aux statistiques d'être extérieures à la compréhension du réel si on les considère comme manipulées à la base), lorsqu'elles viennent contredire la perception que l'on a des faits, l'analyse qu'on en a soi-même dégagée.

Il est vrai que les attitudes logiques sont, pour des raisons diverses, plus compliquées à adopter :

- considérer que les statistiques, étant extérieures au réel, ne sont d'aucune utilité pour le comprendre, ce qui est un point de vue difficile à tenir dans toute sa rigueur (il est délicat d'affirmer que l'insécurité augmente si l'on refuse de discuter sur les chiffres) ;

- considérer que les statistiques sont manipulées. Je ne dis pas que c'est faux à tout coup, loin de là, mais encore faut-il le prouver et l'expliquer à chaque fois, c'est du boulot.

Il est vrai aussi qu'il est naturel de faire plus confiance à des gens que l'on connaît, à des hommes politiques que l'on soutient, à des idées qui corroborent les thèses que l'on a élaborées à part soi - et vice-versa, pour ce qui est de la méfiance envers les ennemis, les adversaires... Mais, dans le cas du sociologue-statisticien, pourtant a priori moins directement touché par ces formes d'esprit partisan, le contraste entre le mépris que parfois on lui dispense et la facilité avec laquelle on l'utilise comme appui lorsqu'il peut servir la cause, ce contraste n'est pas sans susciter quelque sourire, éventuellement teinté d'amertume.


P.S. 1 : comme tous ces gens ne s'embarrassent pas à donner leurs sources (pourquoi fournir des informations ou des repères aux lecteurs, après tout...), les voici :

- le texte de Laurent Mucchielli (que je n'ai pas lu, ce n'était pas le sujet) ;

- la réponse de M. Waintrater pour le CRIF, à laquelle fait allusion C. Bouchet.


P.S. 2 : cela fait beaucoup moins sourire, cette vidéo de violence, découverte via le Stalker. Je la relaie sans arrière-pensée politique d'aucune sorte (les « débats » sur les couleurs de peau respectives des agresseurs et de la victime sont en l'espèce d'intérêt nul), comme une pièce à charge dans le dossier déjà bien lourd de l'accusation contre la nature humaine. (Heureusement, le dossier de la défense n'est pas tout à fait vide...)

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