dimanche 17 janvier 2010

"Je croyais, moi aussi..." - A l'assaut !

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- Ça fait toujours du bien par où ça passe :

"Le XXe siècle s'est achevé après cinquante ans d'existence. On ne sait plus quoi faire des cinquante ans qui nous restent. Nous sommes les passagers lâchés d'une loco supersonique. Comment rivaliser ? Comment être plus modernes que nos arrières-grands-pères ? Le XXe est passé plus vite qu'une balle boche. L'Homme n'est pas à la hauteur, en rien.


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(...)

C'est lorsque je me prends à ressentir une vague impression de considérable désespoir, un déchirement dramatique en entendant une chanson rock aux ridicules romantiques larmoiements yankees, aux psychédéliques sirupeuses fausses démences écoeurantes, ou ces sortes de danses de basses déprimantes (la guitare basse est pour moi l'un des principaux symboles de la vulgarité de ce monde), gonflées de décibels, ces marteaux pilons, tous ces nasillards synthés sur lesquels les trois quarts des êtres humains se donnent l'illusion du rythme, alors qu'ils ne font que la parodie involontaire du pas cadencé, que je me rends compte que je vis ici, dans l'époque abjecte des discothèques à lasers, des tristes figures épanouies, des paumés dangereux, des étudiants aux pattes rasées, des cravates limaces et de cette jeunesse prolongée, déodorisée, en éclosion totale de poncifs et prête à tout pour s'abrutir sans même le savoir.


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Entre autres raisons, si les jeunesses sont irrévocablement foutues, c'est que trois générations maintenant ont grandi dans des berceaux remplis au ras bord de ce Rock Fangeux, cette pacotille sonore, cette caricature aux pauvretés si grotesques que les jazzmen en pissaient de rire et qu'aujourd'hui la vulgarité et le culot des nostalgies ont érigé en Culture dans les préaux de toutes les maternelles.

Je croyais, moi aussi, qu'il serait bon que le monde revienne d'une façon ou d'une autre à la Religion, aux Classiques et à la Propreté. J'ai déchanté dans un glaviot. Révolté toute mon indicible jeunesse contre les hideux hippies de ma génération, ces romantiques dégoulinants et mous, pops et flous - je me suis fait honnir pendant dix ans en affichant (chapeauté et cravaté dès mes quatorze ans) des mythes qui depuis longtemps avaient été ligaturés comme des trompes. Mon allure détonnait.


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Ce ne sont même plus ces détonations que je me propose de rapporter ici, mais l'impossibilité écoeurée et coléreuse de comparer les larves d'hier à celles d'aujourd'hui. Les années quatre-vingt s'ouvrent sur un virage, un fatal virage. Déjà certains « bolides » croient couper la route. C'est faux. La boucle est bouclée. Plus de Lois à défoncer. Plus de révolte possible. Plus d'intérêt pour rien. Plus de sentiments ni de désirs. Plus d'idée. Plus de talent. Plus de moyens pour en avoir. Ni pour le montrer. Plus de disciplines, tous les arts en sont pleins. Juste un tube, très étroit, très restreint pour exprimer cette carence grandiose, cette indigence sur fond de faux luxe libéré. La fin du monde est passée. Voilà ce que nous en avons fait."


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(M.-É. Nabe, Au régal des vermines, 1985, pp. 127-128.)

Le début, outre cette figure du train qui décidément en ce moment nous poursuit, évoque "cette fin des Temps modernes, un été de 1945, à Berlin..." chère à Dominique de Roux ; le passage sur le rock et la jeunesse, bien que fondamentalement vrai, peut inviter à quelques nuances... Une autre fois peut-être, il s'agissait ce dimanche matin de recharger un peu les batteries. (- Avant Dieu seul sait quoi.)

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