mercredi 13 janvier 2010

Place de l'Étoile.

ericrohmerreperagesfalguiere1997


"Y a-t-il cinéaste au monde plus libre que lui ?", écrivait (je cite de mémoire), dans le livre qu'il lui a consacré, Pascal Bonitzer au sujet de Rohmer. C'est me semble-t-il ce qui nous manquera finalement le plus après le décès de celui-ci. On s'afflige d'ordinaire des destins tragiques : ici, nous serions plutôt attristés du fait de l'incroyable réussite de cet itinéraire d'abord quelque peu laborieux - bien que grand critique, ou parce que grand critique, c'est lui qui reste à garder la maison Cahiers du cinéma à la fin des années 50, pendant que les autres s'éclatent à Cannes et enchaînent films et gonzesses -, voire presque incertain (Le signe du Lion), puis de plus en plus maîtrisé, sans jamais que cette maîtrise soit au service de la complaisance de l'auteur. C'est doublement vertigineux :


perceval3


diemarquisevono


non seulement à partir d'un certain moment (vers la fin des années 70 je pense, avec le génial La femme de l'aviateur), Rohmer a pu tourner à peu près ce qu'il a voulu, non seulement il n'a tourné - à chacun ses préférences - à peu près que de bons ou d'excellents films, mais il s'est renouvelé en permanence, il a toujours surpris.


18396008


D'où d'ailleurs que l'on ne puisse dissocier chez lui les deux versants de son oeuvre, le versant proprement « rohmérien » (les Contes moraux, les Comédies et proverbes), et les oeuvres que l'on considère d'ordinaire à part (de La marquise d'O, qui me le fit comprendre et aimer, à Triple agent en passant par L'arbre, le maire et la médiathèque et L'anglaise et le duc - mises bout à bout, elles finissent par former un imposant corpus) : Rohmer est justement parvenu à surprendre aussi bien dans la variation mineure d'un film à l'autre qu'en s'attaquant à des projets où personne ne l'attendait (un peu comme Hawks, finalement : toujours le même film, avec de subtiles modifications, et puis de temps en temps un film complètement différent - et parfois plus même que les autres).

Évidemment, pour cela il y avait un prix à payer, et en l'occurrence, selon Godard, ce sont les acteurs qui le payaient, puisque Rohmer semble-t-il ne les défrayait que très modérément. Le fait que beaucoup d'entre eux ont tourné plusieurs fois pour lui semble prouver qu'ils y trouvaient tout de même leur compte.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas un hasard si celui que l'on peut donc considérer comme un des cinéastes les plus libres de l'histoire du cinéma, aussi bien d'un point de vue artistique que d'un point de vue financier, nous propose une oeuvre dont les apories et paradoxes de la liberté sont parmi les thèmes les plus importants.


mynightatmauds2


le-rayon-vert


Comme Bunuel, dont il est si proche, bien qu'à ma connaissance il ne lui vouât pas de goût particulier, comme le meilleur Renoir, qui fut au contraire un de ses maîtres, Rohmer en sut assez long sur les imprévisibles chemins de la liberté pour y retrouver toujours sa voie. Et nous y emmener avec lui ! N'oublions pas que tout ce que j'écris ici ne vaut que parce que notre homme rencontra le succès, que parce que ses films sont d'accès aisé, faciles à voir et à revoir : je n'ai rien contre un cinéaste comme Luc Moullet, il s'en faut, mais la reconnaissance publique à laquelle accéda Rohmer, non seulement lui permit de continuer à travailler, mais fait partie de la grandeur de son oeuvre.


PDVD_058


Et c'est donc, au bout du compte, ce qui nous manquera le plus du fait de sa disparition : plus personne dans le cinéma n'incarne une possibilité d'un tel accomplissement personnel et artistique. Un vieux catholique un peu réac prouvait qu'on peut le faire, qu'il n'y avait pas de fatalité à l'invasion de l'anticonformisme banal, version artiste maudit ou version pro-américaine, d'ailleurs non antithétiques (je vous laisse mettre les noms). Voilà : jusqu'à nouvel ordre, de cette possibilité de réussite au sein du marasme, il n'y a plus de preuve vivante.


h_4_ill_949286_astree-celadon-bis

Libellés : , , , , , ,