mercredi 16 janvier 2008

"Phase ultime" ?

1sarkozyblog


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("Manouche" et "Orlof" sont consternés, il n'en peuvent mais...)



Pourquoi le nier, j'ai un peu calé sur L'homme sans qualités : l'attirance perpétuelle pour de nouveaux horizons d'une part, la difficulté propre au livre, particulièrement en sa deuxième partie ("mystique") d'autre part, ont eu momentanément raison de ma patience. Momentanément, parce qu'étant conscient que par rapport à mon "cadre de travail" Musil occupe une place bien particulière, une possibilité qu'il est à peu près le seul à creuser, ou à creuser aussi bien, il n'était pas question de l'abandonner trop longtemps.

N'ayant jamais eu honte d'avoir recours aux spécialistes, redécouvrant par ailleurs toute l'utilité des divers travaux de Jacques Bouveresse, j'ai donc décidé de me laisser guider par lui pour revenir à Musil. Que, dans ce qui suit, J. Bouveresse fasse tenir à Musil des thèses proches des miennes, que, de plus, ces thèses aient pu être soutenues il y a quatre-vingt ans, ne peut qu'apporter de l'eau à mon moulin :

"On a l'habitude d'évoquer l'attitude « ambivalente » de Musil, partagé entre le refus et la nostalgie de l'unité et de la totalité. [Dieter Hornig évoque] « la contradiction profonde de Musil, à savoir l'évaluation ambivalente que sa critique de la civilisation fait de la “dissolution”, de la désintégration : tantôt elle est la perte de l'unité et des liens, un symptôme de décadence, qui doit être stoppé par un “sens” nouveau, par un ultime signifié, afin de basculer dans un nouvel universalisme ; tantôt elle apparaît comme une chance, comme un gain de liberté et de nouvelles possibilités de donner forme à l'Histoire » [1]. Il y a bien, en effet, chez Musil ce genre d'ambivalence et même, si l'on veut, de contradiction. Mais ce qui est important dans la contradiction est justement qu'elle puisse être vivante et le soit même, dans certaines situations, beaucoup plus que l'unité vivante que l'on cherche à faire revivre. Et si, comme le pense Musil, nous sommes engagés dans une période de transition qui exige de la vigilance, du sang-froid et de la patience, parce que nous ne savons tout simplement pas encore à quoi elle peut aboutir, il n'est pas surprenant qu'il faille à la fois réaffirmer la présence persistante du besoin de « sens », d'unité et de totalité et de se défendre à chaque instant contre la séduction qu'exercent toujours, en pareil cas, les synthèses fallacieuses qui arrivent trop tôt et trop vite.

S'il revenait aujourd'hui, l'auteur de L'Homme sans qualités considérerait sans doute la vogue du discours philosophique post-moderne comme le dernier avatar d'un conflit qui existe depuis quelque temps, dans la mentalité de l'homme contemporain, entre l'obligation d'être moderne et le désir plus ou moins nostalgique et aussi plus ou moins mythique de cesser une bonne fois de l'être, autrement dit, comme une des innombrables contradictions que la culture d'aujourd'hui trouve le moyen d'héberger en son sein :

- sans nous y attarder, mentionnons tout de même que les sociétés modernes n'ont pas le privilège de la contradiction : je feuillette en ce moment le beau livre de C. Geertz sur Bali. Interprétation d'une culture, on y voit les Balinais se plier à des usages extrêmement codés et exigeants au jour le jour, sans parfois se priver de les critiquer, ou en y mettant une conviction pour le moins intermittente. Il est vrai qu'ils ne proposent, ou qu'ils ne proposaient alors, aucune idéologie alternative. J'y reviendrai...

« A l'époque actuelle ont été données un bon nombre de grandes idées et pour toute idée, par une bonté particulière du destin, immédiatement aussi son idée contraire, de sorte que l'individualisme et le collectivisme, la nationalisme et l'internationalisme, le socialisme et le capitalisme, l'impérialisme et le pacifisme, le rationalisme et la superstition s'y sentent aussi bien chez eux, à quoi s'ajoutent encore les résidus inutilisés d'innombrables autres oppositions qui ont une valeur égale ou plus réduite pour le présent. Cela semble être déjà aussi naturel que le fait qu'il y ait le jour et la nuit, le chaud et le froid, l'amour et la haine et pour tout muscle fléchisseur dans le corps humain le muscle extenseur dont les dispositions sont orientées en sens contraire ». Il y a par conséquent déjà longtemps que nous devrions trouver naturel le fait que l'aspiration à la modernité soit accompagnée, elle aussi, constamment d'une tendance antagoniste qui est toujours prête à s'exercer en sens inverse.

- on peut reformuler cela de deux manières :

- à la manière de Dumont, c'est la thèse de l'individualisme « hanté par son contraire » ;

- et peut-être aussi, c'est un exercice que je me permets de vous suggérer, en termes wittgensteiniens de « jeu de langage » : le jeu de langage de la modernité impliquerait l'instabilité, peut-être parce qu'il est tourné vers l'avenir. A creuser !


Dans L'Homme sans qualités, toutes les formes d'opposition à la modernité, des plus archaïques et les plus régressives aux plus « modernes », s'expriment à des moments divers par la bouche de personnages qui les représentent. Bien qu'il soit lui-même le contraire d'un adepte inconditionnel de la modernité, la réaction normale d'Ulrich est, en pareil cas, de se sentir obligé de la défendre. Mais on ne peut défendre la modernité réelle sans s'attaquer en premier lieu à une façon de la vouloir et en même temps de la récuser qui est, justement, on ne peut plus « moderne ». En dépit de la tendance que l'on a, notamment dans les discussions sur le passage qui est supposé s'être effectué de l'époque moderne révolue à notre actualité postmoderne, à utiliser un concept beaucoup trop univoque de ce qu'a été la modernité, est-ce que la situation de conflit, de contradiction et de confusion qu'évoque Musil et qui domine aujourd'hui tous les aspects de la vie individuelle et collective ne pourrait pas être considéré, justement, comme constituant la caractéristique de la modernité elle-même, au moins dans sa phase ultime ?

[Musil écrit dans ses carnets de travail :] « L'homme moderne représente, du point de vue biologique, une contradiction des valeurs, il est assis entre deux chaises, il dit dans un seul souffle oui et non... »

- suit une digression sur Nietzsche, puis :

Musil est le premier à souligner qu'une des caractéristiques de l'époque actuelle est l'incapacité de reconnaître les contradictions dont elle est faite et la tendance à dire en même temps oui et non et, plus encore, ni oui ni non à une multitude de choses en particulier de valeurs incompatibles. Mais [à l'opposé de Nietzsche] il refuse de considérer cela comme devant nécessairement constituer un symptôme de déclin. La contradiction que porte en lui l'homme d'aujourd'hui et qu'il est même en un certain sens peut aussi être vivante et ne signifie pas forcément un affaiblissement et un appauvrissement de la vie elle-même, mais simplement qu'il lui faut à la fois un ordre nouveau et une autre conception de l'ordre pour maîtriser des contenus qui prolifèrent de façon anarchique et débordent de toutes parts les synthèses anciennes.

- à ce niveau, où nous sommes, mutatis mutandis, assez proches de R. Girard, on peut marquer la différence avec des gens comme R. Guénon et P. Muray, qui expliqueraient que justement les « synthèses anciennes » avaient compris l'absolue nécessité de museler certains « contenus » : la modernité aurait consisté à ouvrir une boîte de Pandore, rien ne peut plus être désormais « maîtrisé ».

Mais si, pour continuer à formuler le problème en termes nietzschéens, sortir de la modernité veut dire essentiellement sortir de la contradiction que représente, du point de vue physiologique, psychologique, intellectuel et moral, l'homme moderne, que peut-on attendre, de ce point de vue, du successeur que la philosophie d'aujourd'hui propose de lui trouver, à savoir l'homme postmoderne ? Le passage souhaité et, pour certains, déjà réalisé à la postmodernité signifie-t-il que l'homme d'aujourd'hui s'est enfin décidé à essayer de clarifier, autant que faire se peut, sa situation et à sortir de la confusion et du désordre dans lesquels il pense, agit et vit ? Ou, au contraire, qu'il a choisi de s'y enfoncer, si possible, encore davantage ?


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(...) Vu sous cet angle, le postmodernisme a de fortes chances de ressembler beaucoup moins à un changement d'orientation important qu'à une accentuation caractéristique de tout ce que la modernité comportait déjà de plus problématique et de plus inquiétant. S'il en est ainsi, il ne constitue probablement pas la bonne façon de sortir, comme on prétend être en train de le faire, de l'époque moderne. Du point de vue de Musil, en tout cas, ce qui caractérise l'attitude de l'homme d'aujourd'hui à l'égard de la modernité est bien moins le sentiment d'en avoir peut-être terminé avec elle que l'ambiguïté et l'ambivalence fondamentales, le mélange de désir et de répulsion qu'on éprouve à l'égard d'un état de choses dont on pressent qu'il est sans doute encore loin d'être réalisé et en même temps l'est peut-être déjà beaucoup plus qu'il n'aurait fallu, une façon de vouloir et de ne pas une même chose qui, comme on l'a vu, était déjà, de bien des façons, très moderne."

(La voix de l'âme et les chemins de l'esprit. Dix études sur Robert Musil, Seuil, 2001, pp. 30-34.)


Deux précisions :

- Jacques Bouveresse, dans une note de la page 49, cite Richard von Mises, qui fut un temps une relation de Musil : "Les formes dans lesquelles se manifestent la posture anti-intellectualiste sont très diverses. A côté du mot d'ordre « synthèse et non pas analyse », on peut mentionner comme formules de prédilection : « l'âme contre l'esprit » ou « l'esprit contre l'intellect », également « l'intuition vivante au lieu du formalisme mort » ; à cela s'ajoutent des expressions comme « totalité » (Ganzheit), « respect pour la totalité » (Totalität), « appréhension intuitive du monde »." (1939). Il ajoute lui-même (p. 84), faisant référence à certains personnages de L'homme sans qualités : "La philosophie a, bien entendu, elle aussi, ses Leinsdorfs, ses Arnheims [que je vous présente un de ces jours, c'est délectable] et ses Diotimes du moment, qui manifestent en particulier la même préoccupation directe et souvent exclusive pour la totalité, avec laquelle ils sont convaincus d'entretenir une relation directe et privilégiée, et le même mépris pour la connaissance et la maîtrise des éléments dont elle est faite."

Ayant déjà à deux reprises (ici, et, sous les auspices justement de Musil, ) marqué ma différence avec les « Leinsdorfs, Arnheims, Diotimes », je ne me sens pas visé par ces remarques, j'en profite juste pour répéter que l'intéressant est de voir en quoi la totalité est ou n'est pas une totalité (totalité concrète, totalité pensée... cf. par exemple ici), et, pour revenir à la formule de J. Bouveresse, de toujours garder en tête la relation entre la « totalité » et les « éléments dont elle est faite ».

- quant à M. Sarkozy... « une accentuation caractéristique de tout ce que la modernité comportait déjà de plus problématique et de plus inquiétant », certes oui, mais à la manière moderne, justement, voire postmoderne, c'est-à-dire n'importe comment, c'est-à-dire dans un rapport pour le moins contradictoire à Mai 68, héritage dont il veut « tourner la page » alors qu'à certains égards il en est un fier représentant.

Souvenons-nous, ça avait commencé comme ça...


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...pour en arriver là


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et puis là


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et encore là


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Pour devenir Miss France, il ne faut pas avoir fait de photo douteuse, mais pour devenir la "première dame de France", en revanche... Le président introduit son présidentiel appendice dans un cul public, un sarkozyste revendiqué, deleuzien et célibataire se fait gloire de se faire sucer par une professionnelle pour 150 euros (je ne veux pas passer pour radin, mais j'en connais qui font ça très bien, avec délicieux accent slave de surcroît, pour 20 euros... Enfin, c'est toujours moins cher que Carla - simple constat, s'ils sont mariés je n'ai pas le droit de la traiter de putain, je n'ai donc pas l'intention de le faire) parce que les pères de famille battent leur femme, une arriviste rebeu de droite rend plus fous magistrats et avocats (soit le pouvoir judiciaire, rien que ça) que les "rouges" de 1981 ne l'avaient jamais fait, un opposant à Sarkozy et ses ennemis jouent à qui sera le plus philosémite

c'est le virtualisme généralisé, le situationnisme décomplexé (hommage au maître pour cette trouvaille de N. Sarkozy comme « vrai » situationniste : "Il vit sans temps morts et jouit sans entraves" - mais jouit-il ?),

et pourtant, devant toute cette misère, on n'aura bientôt même plus le droit, comme l'admirable flic du Deuxième souffle (mais quel personnage de ce film n'est pas admirable ?), de se poser et d'en cloper une.


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- pas de conclusion aujourd'hui. On ne guérit pas un masochiste - peuple ou individu. Qu'il crève, après tout.



[1]
"Roman et totalité : Musil, Broch et quelques autres", in Continuités et ruptures dans la littérature autrichiennes, coll., éd. Jacqueline Chambon, 1996, pp. 70-71

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