mardi 11 août 2009

"Tel qu'en lui-même enfin la Licra l'a changé..." : tombeau de Thierry Jonquet.

Ses lecteurs et admirateurs - sans même évoquer ses proches - doivent trouver que mourir à 55 ans est aussi triste que prématuré. Ayant lu avec plaisir Mygale et Mémoire en cage il y a une bonne dizaine d'années et en découvrant de belles dans les « nécros » consacrées à Thierry Jonquet, je me dis que la faux choisit parfois cruellement son moment, non tant parce qu'elle arrive trop tôt que parce que, selon la formule de Malraux, elle "transforme la vie en destin".

Que serait devenu Jonquet ? De même que pour Muray, lui aussi décédé, comme on dit, « prématurément », je l'ignore et ne voudrais pas être injuste à son égard et le condamner sans appel. Je suis néanmoins resté abasourdi en apprenant que pour son roman Ils sont votre épouvante, vous êtes leur crainte (2006), qui a pour point de départ l'agression d'un juif par des « jeunes de banlieue » - un sujet tout à fait légitime, préciserai-je, ce n'est pas ici que l'on fait la police des romanciers -, Thierry Jonquet a non seulement reçu, ce qui est déjà terrifiant, mais accepté, ce qui est aussi minable que ridicule, la médaille d'honneur de la LICRA (honneur, honneur, que de péchés contre l'esprit on commet en ton nom !). Foutre, venant de quelqu'un d'aussi peu dupe de la réalité de la vie politique, et qui devait bien savoir la fonction éminemment détestable d'une institution comme la Licra, voilà qui ressemble fort à choisir son camp, en l'occurrence à choisir les forts contre les faibles. (On parle souvent, j'y reviendrai sous peu, de l'antisémitisme de gauche. Mais sur ces anciens trotskystes ou anars, qui, sous prétexte de refuser « l'angélisme », donnent une caution à la xénophobie la plus méprisable, n'y aurait-il pas aussi beaucoup à dire ?)

Oui, Jonquet, comme d'autres romanciers, de Balzac à Céline, peut à bon droit rappeler que les faibles ne sont pas aimables, qu'ils sont parfois, « c'est immoral mais c'est comme ça », franchement détestables, voire carrément salauds (« salauds de pauvres ! »). On peut même considérer, on doit même considérer que toute défense des faibles est nulle et non avenue sans un tel rappel. Mais ce qui peut être une preuve de lucidité et de maturité chez un romancier lorsqu'il écrit un roman devient une détestable complicité avec le pouvoir lorsque ce même romancier accepte des honneurs émanant d'une institution dont il ne peut ignorer, d'une part, même et surtout s'il est un ancien d'une aberration comme « Ras l'front », qu'elle a bien plutôt encouragé le racisme que contribué à le faire disparaître, d'autre part qu'elle est un bras armé du sionisme et de tout ce qu'il représente - avant tout, la jouissance de la domination.

Il ne peut l'ignorer, à moins d'être complaisant ou complètement con. J'écarterai au nom de mes souvenirs des romans de Jonquet la deuxième solution. Toujours au nom de ces souvenirs, j'espérerai pour conclure que cette fort regrettable complaisance ne nuira pas à l'approche de livres qui me semblent encore aujourd'hui, à tort ou à raison, réussis. - Ceci dit, si P. Almodovar, dont j'apprends qu'il doit adapter Mygale, Almodovar à propos de qui me revient toujours la formule cinglante de Muray, justement : "Depuis qu'il y a des Almodovar et qu'on les encense...", Almodovar, qui, avec ses indéniables qualités de scénariste et ses éclairs de lucidité (qui d'autre que lui ose peindre des pédés aussi ignobles ?), est d'un sexisme anti-« mâle » en comparaison duquel le macho le plus débile est d'une gentillesse, d'une humilité et d'un féminisme exemplaires, ceci dit, reprenons le fil de cette phrase avant que vous ne le perdiez ou que je ne sois complètement ivre, si Almodovar affadit Mygale dans le sens d'un consensuel métissage sexuel, eh bien il y aura encore plus de boulot pour que les qualités de romancier de Jonquet ne passent pas à la trappe.

Au commencement étaient les textes !


vierge-marie

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