Straubien.
"...c'était la douceur savoureuse d'octobre, il l'emmenait quelquefois à la campagne un jour entier, toujours vers les forêts. Il n'avait jamais osé auparavant emmener une femme parmi les grands arbres. Il voulait la retirer des salons, des golfs, des restaurants. La France est un pays de forêts. Il y a encore autour de Paris, en tirant vers le nord ou vers l'ouest, de ces grands refuges. Là il aurait voulu la préparer au ton secrètement hautain des cathédrales, des châteaux et des palais qui sont les derniers points d'appui de la grâce, car les pierres ont mieux résisté que les âmes."
(P. Drieu la Rochelle, Gilles, 1939, deuxième partie, ch. V.)
"Un pays imaginaire - entre 1848 et 1917, entre la Chine et Cuba - avait surgi, au mois de mai, des pavés du Quartier Latin. Le Messie, répétait Maurice Clavel chaque matin dans Combat, était ressuscité sur les barricades. Mais en juin, on s'apercevait que le pays réel était aussi le pays légal. Finalement, au-delà des options politiques, une masse immense de Français restait attachée - comme aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne - à l'ordre et à la loi. Telle était la surprise et, pour les enragés, le scandale. Ils avaient cru à une France idéale (celle des révolutions) et ils retrouvaient la « vraie » France, « petite, bourgeoise, xénophobe, raciste, nationaliste, réactionnaire, fasciste, religieuse, catholique, protestante ou juive ». La France des petites villes, vieillotte et sage, d'abord dépassée par l'éruption, lentement s'était ressaisie : elle s'était reconnue sur les Champs-Élysées, et elle allait confirmer dans son vote qu'elle était encore (pour combien de temps ?) la majorité."
(P. de Boisdeffre, Lettre ouverte aux hommes de gauche, Albin Michel, 1969, p. 111)
La citation sur la « vraie » France provient du livre de M. Daniel Cohn-Bendit, Le gauchisme, remède à la maladie sénile du communisme, Seuil, 1968 (évoquerait-il encore le judaïsme ainsi ?...). Il n'est pas certain que l'auteur y qualifie cette France qu'il décrit avec amour comme la « vraie », je n'ai pu le vérifier.
Quoi qu'il en soit de ce dernier point d'importance symbolique, il suffit de mettre en rapport cette brève analyse de P. de Boisdeffre et les résultats des élections européennes pour voir ce qui a changé depuis et en partie à cause de Mai 68 : entre de Gaulle et D. Cohn-Bendit il y avait de vraies différences, la « France des petites villes, vieillotte et sage » avait de bonnes raisons de suivre le premier et de ne pas aimer le deuxième qui, comme on peut le constater, le lui rendait bien. Alors qu'entre ceux que l'on a appelés, en faisant mine d'oublier la colossale abstention à ce scrutin, les deux vainqueurs des élections européennes, N. Sarkozy et D. Cohn-Bendit, il n'y a quasiment pas de différence. Je vous renvoie à cette récente interview d'Alain Soral, dans laquelle il compare D. Cohn-Bendit et J. Attali, vous constaterez par vous-même que Nicolas Sarkozy se fond avec allégresse dans ce même moule - qu'il faut bien qualifier d'anti-français, puisque ces gens-là proclament eux-mêmes fièrement, au mieux leur indifférence, au pire leur haine pour la France ! Résultat, la « France des petites villes... » soutient Nicolas Sarkozy en grande partie pour de mauvaises raisons, et ce n'est évidemment pas une situation saine.
Avec Drieu alors on peut se réfugier dans ce qui reste de la « grâce »... - mais c'était l'époque d'avant Festivus, on foutait alors la paix aux vieilles pierres, on ne se croyait pas alors obligé de les « valoriser » avec l'appui d'acteurs ratés, intermittents du spectacle en déshérence, qui nous empêchent de profiter, dans notre intimité, de l'oeuvre du passé.
Certes la grâce par définition ne se décrète pas, et se retrouvera ailleurs... Mais en attendant force est de constater que tout semble fait, c'est kafkaïen, peut-être pas pour que nous ne puissions plus rien éprouver, ce qui est sans doute impossible, mais pour que, de ce que nous éprouvons, nous ne puissions plus rien dire d'audible.
Libellés : Boisdeffre, Clavel, Cohn-Bendit, Drieu la Rochelle, Festivus, Kafka, Mai 68, Sarkozy, Soral, Straub
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