vendredi 27 février 2009

"Le fond de la question..." : un tel monde doit périr (la vengeance du holisme masqué).

"Atteindre le fond, cela ne veut rien dire. Ni le fond du désespoir, ni le fond de la haine, de la déchéance éthylique, de la solitude orgueilleuse. L'image trop belle du plongeur qui, d'un vigoureux coup de pied, remonte à la surface est là pour te rappeler, s'il en était besoin, que celui qui est tombé a droit à tous les honneurs : la miséricorde de Dieu s'étend sur lui comme sur les habitants des cieux auxquels Il donne la pâture. Les pécheurs, comme les plongeurs, sont faits pour être absous.

Mais nulle errante Rachel ne t'a recueilli sur l'épave miraculeusement préservée du Péquod pour qu'à ton tour, autre orphelin, tu viennes témoigner.

Ta mère n'a pas recousu tes affaires. Tu ne pars pas, pour la millionième fois, rechercher la réalité de l'expérience ni façonner dans la forge de ton âme la conscience incréée de ta race.
Nul antique ancêtre, ni antique artisan ne t'assistera aujourd'hui ni jamais.

Tu n'as rien appris, sinon que la solitude n'apprend rien, que l'indifférence n'apprend rien : c'était un leurre, une illusion fascinante et piégée. Tu étais seul et voilà tout et tu voulais te protéger ; qu'entre le monde et toi les ponts soient à jamais coupés. Mais tu es si peu de chose et le monde est si un grand mot ; tu n'as jamais fait qu'errer dans une grande ville, que longer sur quelques kilomètres des façades, des devantures, des parcs et des quais.

L'indifférence est inutile. (...)

L'indifférence ne t'as pas rendu différent.
"

(G. Perec, Un homme qui dort, Lettres Nouvelles, 1967, pp. 157-160)



BestLaidPlans



Jaime Semprun, dans la revue critique qui clôt Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, évoque le livre de Jean-François Billeter, Chine trois fois muette : essai sur l'histoire contemporaine et la Chine (Allia, 2000), et à cette occasion se livre à quelques considérations générales sur, pour employer un langage un peu daté, les rapports entre théorie et pratique :

"Le penchant de Billeter à un certain systématisme (...) est corrigé dans Chine trois fois muette par la connaissance fine et concrète qu'il a de l'histoire chinoise, et par sa volonté d'envisager lucidement, sans prophétisme, ce qui serait nécessaire pour « se libérer de la “raison économique” » et « retrouver l'usage de la raison, tout simplement ». On trouve cependant, dans son texte, sur cette question de notre émancipation possible de l'économie marchande, le même point aveugle que dans d'autres textes théoriques à visée révolutionnaire. Comme l'a relevé Jean-Marc Mandosio [in D'or et de sable, Encyclopédie des Nuisances, 2008], la contradiction entre le déterminisme rétroactif et la liberté que rendrait possible une prise de conscience est résolue - rhétoriquement - par le passage d'une métaphore (celle de la « réaction en chaîne ») à une autre (celle d'une « règle du jeu »), dont la signification est bien différente. La première métaphore sert à expliquer le processus qui, entamé à la Renaissance, a abouti à notre situation actuelle, la seconde à évoquer la possibilité de mener à bien la tâche qu'une telle situation nous prescrit :

« Mettre fin à cet enchaînement qui a eu tant d'effets mauvais et qui en aura de pires si nous le laissons suivre son cours ; pour cela, mettre un terme à la forme spécifique d'inconscience dont il se nourrit, et nous libérer par là de la fatalité particulière qui a dominé l'histoire récente. »

Mais l'ordre chronologique implicite de ces deux métaphores - de leurs « périodes de validité » en quelque sorte - est chez Billeter exactement l'inverse de ce qu'il devrait être pour rendre moins imparfaitement compte de l'histoire réelle, c'est-à-dire d'un processus où, une fois un certain seuil qualitatif franchi (une certaine masse critique atteinte, pour rester dans la métaphore nucléaire), les effets dévastateurs de ce qui devient alors une réaction en chaîne échappent à tout contrôle. C'est auparavant (avant Hiroshima, justement) qu'on pouvait parler de la domination de la rationalité économique comme d'une « règle du jeu » possible à changer, une fois connue comme telle.

- cette idée se discute, du moins faudrait-il savoir quand J. Semprun situe cet « avant », mais enchaînons.

D'ailleurs c'est à peu près ce que disait Engels parlant d'une loi « fondée sur l'inconscience de ceux qui la subissent ». En revanche, c'est maintenant qu'on peut parler d'une réaction en chaîne, c'est-à-dire d'un processus auquel le fait d'en prendre conscience ne peut rien changer." (pp. 108-109)

On constate une fois encore, dans ces dernières lignes, une parenté d'esprit avec certaines analyses de M. Defensa, certes non « révolutionnaires » (quoique... c'est bien Joseph de Maistre, une des sources de M. Defensa, qui a écrit parmi les pages les plus lucides sur la Révolution française et sur ses apports).

Et il faut bien admettre, d'une part, que l'évolution actuelle de « la situation », et surtout ce qu'on pressent pour un avenir dont on se demande à quel point il est proche, flatte en nous une certaine envie d'Apocalypse, d'autre part que l'impuissance que tout un chacun peut ressentir à cet égard, impuissance que nos gouvernants sont très manifestement les premiers à éprouver, inciterait plutôt à profiter des derniers instants de vie « normale », des derniers petits plaisirs que l'on peut goûter


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avant... avant on ne sait trop quoi, mais ça n'a pas l'air joli joli.

Heureusement ou malheureusement, mes quelques pulsions « apocalyptiques » ne se sont jamais accompagnées de la moindre tentation millénariste. Autrement dit, ce n'est pas parce que les choses risquent d'aller bientôt très mal qu'elles iront mieux ensuite, qu'un « nouveau départ » va se produire, ou que ce « nouveau départ » sera beaucoup plus intéressant que ce qui l'a précédé. « Atteindre le fond, cela ne veut rien dire. »

Quelle que soit donc ma jouissance à l'idée d'en voir certains, d'ores et déjà, et encore plus sous peu, mordre la poussière [1] et quel que soit par ailleurs le faible apport des théories à la compréhension de la réalité et le peu de possibilités d'action qui en résulte, je me vois mal arrêter de réfléchir à ce qui se passe - et de le partager avec vous.




Ce bel élan volontariste exprimé, il reste que le temps est à l'orage, et à l'orage « systémique », comme tout le monde dit maintenant. Jaime Semprun cite, un peu après le passage que je viens de retranscrire, un diagnostic de Horkheimer et Adorno, qui peut clairement l'illustrer (pp. 110-111) :

"Le fond de la question, c'est que la société a réellement atteint un degré d'intégration, d'interdépendance universelle de tous ses moments, [que] la causalité comme arme critique devient inopérante. Il est vain de rechercher ce qui a dû être cause, parce qu'il n'y a plus que cette société elle-même qui soit cause. La causalité s'est, pour ainsi dire, reportée sur la totalité, elle devient indiscernable à l'intérieur d'un système où tant les appareils de production, de distribution et de domination que les relations économiques et sociales, ainsi que les idéologies, sont entrelacés de façon inextricable."

Ces lignes proviennent de la Dialectique négative, publiée pour la première fois en 1966. Outre qu'elles frappent par leur actualité - à condition peut-être de préciser que la société dont il s'agit ici n'est pas la « société civile » des penseurs libéraux, mais la société dans son ensemble, Etat compris -, outre qu'elles amènent naturellement - trop naturellement ? - à se dire que dans ce cas-là, il n'y a guère d'autre « solution » qu'un écroulement général, elles font comprendre une vérité toute simple. Le nez dans le guidon, je n'avais jamais fait le lien entre les valeurs individualistes (au sens courant, reaganien, « post-Dumont » en quelque sorte : l'apologie de l'égoïsme, de la concurrence, de la réussite individuelle...), et ce qu'on appelle communément l'interdépendance telle que le capitalisme mondialisé l'a développée - en gros, cette réjouissante sensation que ma vie et celle de mes enfants peut dépendre d'un coup de mousson en Chine ou de la mauvaise humeur matinale d'un général israélien - et que les garde-fous que l'on essaie d'installer contre une telle généralisation de l'« effet papillon » ne font que renforcer les potentialités d'application de ce principe.

Tout cela est connu, de même qu'est connu, depuis Marx au moins, le lien entre capitalisme et mondialisation ; ce que je ne m'étais jamais clairement formulé, aveuglé par le mépris que je peux légitimement porter à l'égoïsme triomphant tel qu'il nous fut prôné à longueur de temps pendant des années, c'est à quel point l'exaltation de l'individualisme, qui est une négation aussi bien du holisme en tant que valeur que du holisme en tant que vérité de la nature des sociétés, aboutit dans les faits à un monde nettement plus holiste (holistique ? foutus anglicismes...), « interdépendant » si l'on veut, qu'il ne l'était à l'époque des sociétés holistes, hiérarchisées, mais beaucoup moins dépendantes les unes des autres qu'aujourd'hui (mes avantages comparatifs dans vos culs !).

Et comme il s'agit là d'un retour de holisme refoulé, d'un holisme pas du tout assumé, il n'y a pas de raison d'être surpris que la situation d'ensemble soit quelque peu désordonnée.

On répondra que des théoriciens libéraux ont vite vu la nécessité d'une « gouvernance mondiale », et qu'il y a donc une part de « holisme assumé » chez les zélateurs de la « mondialisation heureuse ». Ouais... Le problème - je parle comme s'il n'y en avait qu'un... -, un des problèmes théoriques principaux que cela pose est celui-ci : l'Etat moderne s'est construit, je vous le rappelle périodiquement en ce moment, livres de Jean-Claude Michéa à l'appui, sur un souci de « neutralité axiologique ». L'Etat n'a pas à dicter de valeurs aux gens, il doit assurer libertés fondamentales et sécurité, et pour le reste s'effacer. Cela, c'est le principe de base. Dans la réalité, il est de fait, pour prendre l'exemple français, que les périodes de relative stabilité du monde moderne se sont construites sur des modes divers d'alliances individualisme/holisme (1870-1914 : le parti radical et une bonne partie de la paysannerie française se mettent d'accord sur quelques points fondamentaux et assurent ensemble la durabilité du régime ; les « Trente Glorieuses » : l'Etat apporte le confort individualiste, par son soutien à la croissance économique, en même temps qu'il comble les voeux égalitaires de la common decency française, par sa Providence redistributive). On peut considérer que ce qui à l'échelle d'un seul pays s'est difficilement mis en place, et s'est mis en place d'une certaine façon contre les principes individualistes officiels, ou en faisant vite rentrer par la fenêtre le holisme que l'individualisme venait de faire sortir par la porte, va être d'autant plus délicat à installer au niveau mondial.

On répondra (bis) que les droits de l'homme ne sont pas faits pour les chiens... C'est ici que j'entre dans une phase délicate, en ce sens qu'il me faut vous demander de prendre au sérieux des hypothèses qui chacune méritent un texte bien à part : les difficultés que je peux rencontrer dans leur mise au point font que je livre aujourd'hui ce petit bilan théorique et psychologique sur la crise, mais sans avoir pu démontrer tout ce que j'avance.

Allons-y :

- si, les droits de l'homme sont, comme leur nom ne l'indique pas, faits pour les chiens.


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Ou, pour parler comme Marcel Gauchet, « les droits de l'homme ne sont pas une politique » : y sont énoncés des principes que l'on peut discuter et éventuellement approuver, mais qui ne sont pas auto-suffisants - Marx et les contre-révolutionnaires se sont rejoints depuis longtemps à critiquer leur « abstraction ». Ce qui est important ceci dit, est de prendre en compte leur relative adéquation à l'idéologie individualiste moderne (au sens de Dumont cette fois), leur relative adéquation aux types anthropologiques modernes : on ne peut donc balayer ces « droits » d'un revers de la main ;

- les droits de l'homme peuvent même nous envoyer à l'abattoir, ils l'ont déjà fait en 14-18, justement parce qu'ils ne sont pas auto-suffisants et qu'ils requièrent un engagement personnel source certes de belles émotions (Valmy), mais qui peut trop aisément glisser dans la surenchère sacrificielle, ce qui n'est pas nécessairement bon signe si l'on se place au niveau du monde en son ensemble. (Vous aurez reconnu mes interrogations actuelles sur la conception sacrificielle de la patrie, en France, pays des droits de l'homme, notamment. Voilà un thème à traiter plus précisément...)

- il n'est cependant pas nécessairement illusoire de chercher à mettre au clair quelques conditions a minima : après tout, si les paysans français et les notables du radicalisme ont réussi à s'entendre à peu près, pourquoi ne pas imaginer d'autres étonnantes conciliations, ou d'autres malentendus productifs ?

De ce point de vue, les tentatives comme celles impulsées par le MAUSS, appuyées sur les leçons de l'anthropologie, d'une « éthique mondiale », peuvent ne pas être totalement inutiles (je n'ai pas l'air très enthousiaste, mais qui peut l'être en ce moment ?), à condition toutefois de laisser les autres, c'est-à-dire tout ce qui n'est pas occidental, avec ou sans guillemets, s'en mêler.

Il semble en effet que l'Occident - avec ou sans guillemets, donc - est suffisamment responsable de la crise actuelle pour qu'il la ferme un peu et qu'il laisse les autres, ceux qui ne sont pas encore trop contaminés par l'enculisme (mais ils apprennent vite, les bougres...) et dont le personnel politique semble quelque peu plus lucide et intelligent que le nôtre (les Mollahs, par exemple, c'est quand même autre chose que Xavier Bertrand ou Pascal Lamy !), pour qu'il les laisse apporter leurs propres solutions, elles ne risquent pas d'être pires que ce que nous avons jusqu'ici été capables de proposer ;

- revenons à l'Etat. J'avais été frappé il y a quelques mois, lors d'un débat entre Paul Jorion et Loïc Abadie de constater que ces deux brillants experts en économie se trouvaient en désaccord sur la place actuelle de l'Etat dans ladite « économie » : non pas sur la place qu'il doit occuper, mais sur celle qu'il occupe effectivement - L. Abadie estimant que l'Etat n'a jamais été aussi présent, P. Jorion qu'il est trop absent. Comment peut-on ne pas être sûr d'un point aussi fondamental, me suis-je demandé avant, François Fourquet aidant, de penser à élargir la perspective. Citons donc de nouveau une des thèses majeures de F. Fourquet :

"Le capitalisme n’est pas pensable sans l’État ; un capitalisme sans État, c’est comme un sourire sans chat ; on ne peut même pas parler de « symbiose » comme s’il s’agissait de deux entités distinctes, l’une économique et l’autre politique, qui se seraient formées séparément et auraient passé une alliance ou décidé de vivre ensemble ; il y a inhérence réciproque : dès leur naissance au Moyen Âge, l’État est dans le capitalisme et le capitalisme dans l’État ; ensemble ils forment une seule et même entité sociale."

Adjoignons-lui cet aperçu historico-anthropologique dû à Marcel Gauchet :

"Ce n'est, du reste, que grâce au développement de l'Etat, et en fonction de l'accroissement de ses prérogatives, qu'a pu se constituer quelque chose comme l'individu. C'est parce qu'est advenu en Europe un type d'Etat profondément nouveau, donnant de fait corps à la puissance dernière de la société sur elle-même, qu'a pu s'effectuer la translation révolutionnaire du fondement de la souveraineté du sommet vers la base, du Prince matérialisant l'unité primordiale à la somme des citoyens assemblés en société à partir de leur séparation d'origine, et donc de leur identité native de droits. Ce n'est que dans la mesure où s'est insensiblement imposée, avec la figure d'un pouvoir n'ayant rien au-dessus de lui, la dimension d'une ultime possession de leur monde par les hommes qu'est née en retour la notion d'une autorité relevant par principe de la participation de tous et procédant au départ de la décision de chacun.

Ce n'est aucunement du dedans des êtres que s'est formée l'intime conviction qu'ils existaient d'abord chacun pour eux-mêmes, au titre d'entités primitivement indépendantes, autosuffisantes, égales entre elles. C'est de l'extérieur, au contraire, en fonction de la réappropriation globale du pouvoir de l'homme sur l'homme contre les décrets des dieux qui s'est opérée par l'intermédiaire de l'affirmation de l'Etat. Comme c'est, au demeurant, par référence à ce foyer suréminent de détermination des fins du corps social, s'imposant au-dessus de la société comme le point de réfraction de son "absolu", qu'a pu s'effectuer le travail d'abstraction des liens sociaux concrets nécessaire à l'accouchement de la catégorie proprement dite d'individu. Pour qu'advienne de manière opératoire la faculté de se concevoir indépendamment de son inscription dans un réseau de parenté, dans une unité de résidence, dans une communauté d'Etat ou de métier, encore fallait-il que se dégage, au-dessus de tous les pouvoirs intermédiaires, familiaux, locaux, religieux, corporatifs, un pouvoir d'une nature tout à fait autre, un pur centre d'autorité politique, avec lequel établir un rapport direct, sans médiation, spécifiquement placé sous le signe de la généralité collective. Contradiction constitutive des démocraties modernes : pas de citoyen libre et participant sans un pouvoir séparé concentrant en lui l'universel social. L'appel à la volonté de tous, mais la sécession radicale du foyer d'exécution où elle s'applique. Le mécanisme qui fonde en raison, légitime et appelle l'expression des individus est le même, rigoureusement, depuis le départ, qui pousse au renforcement et au détachement de l'instance politique." (1980)

Et concluons à la solidarité d'origine et de fait entre l'Etat moderne, l'individu moderne, le capitalisme.

Le problème qui se pose à nous alors est celui-ci : si l'on parle de « crise systémique », de quel système s'agit-il ? Du néo-libéralisme en tant qu'il serait une dérive (ou une expression trop directe) du capitalisme ? Ou du capitalisme lui-même ?

Dans le premier cas, on retrouve encore une fois François Fourquet : "Il n’y a pas deux civilisations, d’une part la civilisation libérale ou néolibérale, et d’autre part une civilisation interventionniste, dirigiste ou « fordiste », comme la nommeraient nos amis régulationnistes (s’ils adoptaient la notion de civilisation), qui a fonctionné de la première guerre mondiale aux années 1970. Il n’y a qu’une seule civilisation, la nôtre, tantôt libérale et tantôt dirigiste ; libéralisme et dirigisme sont deux formes d’organisation que la civilisation occidentale contient en puissance depuis le Moyen Age ; tantôt l’une s’actualise plus que l’autre, tantôt l’inverse : elles ne s’opposent pas comme deux entités fermées et séparées, mais sont deux formes sociales complices qui ont besoin l’une de l’autre pour exister." La crise va être douloureuse, l'Etat va reprendre les choses en main, et on repartira sur un cycle dirigiste - jusqu'à une prochaine crise.

Dans le second cas, il est bien évident que l'individu moderne comme l'Etat seront aussi touchés que le capitalisme, puisqu'ils lui sont essentiellement liés. Laissons le premier [2] et concentrons-nous sur le second : en tant qu'émanation de la société, ce qu'il est aussi, l'Etat a un rôle à jouer, notamment dans les questions de redistributions des richesses. Mais en tant que partie intégrante de la société marchande capitaliste, il est aussi à la racine de la crise actuelle (toujours dans l'hypothèse d'une « crise systémique » du capitalisme lui-même), et est donc à la fois partie du problème et éventuel facteur de solution : toute question de compétence mise à part, on comprend que nos gouvernants soient quelque peu désorientés.

Ne sachant pas - et qui le sait ? - dans quel cas de figure nous nous trouvons aujourd'hui (car la phrase d'Adorno et Horkheimer a tout de même de fortes chances d'être tragiquement vérifiée un jour), la crise du néo-libéralisme ou la crise du capitalisme, nous ne pousserons pas plus loin la prospective. Elle implique qui plus est que j'avance un peu plus de preuves que les citations de MM. Fourquet et Gauchet quant à cette consubstantialité de l'Etat et de l'économie capitaliste marchande, et que j'explore plus avant ses conséquences théoriques et pratiques.

Ceci dit, et pour conclure, il faut rappeler, dans un cas comme dans l'autre, que si doit se mettre en place une « gouvernance mondiale » - c'est-à-dire un Etat mondial, mais « gouvernance » est censé faire moins peur, être plus cool, ce problème de la nature de l'Etat moderne se reposera vite. Peut-être faut-il ici rappeler ces propos déjà cités de Claude Lévi-Strauss, Allah le bénisse :

"Il y a déjà treize siècles, l'Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de la vie humaine : technique, économique, sociale, spirituelle, que l'Occident ne devait retrouver que tout récemment, avec certains aspects de la pensée marxiste et la naissance de l'ethnologie moderne. On sait quelle place prééminente cette vision prophétique a permis aux Arabes d'occuper dans la vie intellectuelle du Moyen Age."

Si l'intensification des échanges, de toutes sortes, entre cultures, doit un jour déboucher sur quelque chose comme un Etat mondial, il est souhaitable - et c'est une raison de plus pour que ce ne soient pas des occidentaux qui s'en occupent... - que ceux qui le mettront au point gardent en tête cette « solidarité de toutes les formes de la vie humaine » - qu'ils soient en somme, pour revenir à notre point de départ, des holistes assumés. Mais cela signifierait la fin de l'Etat moderne en tant que séparé de la société (même s'il n'en est pas séparé complètement dans les faits, même s'il en est aussi l'émanation), cela signifierait une rupture anthropologique... C'est en ce sens que j'ai pu récemment prôner « une conversion à l'Islam massive, mondiale, universelle ! » pour nous sauver de la crise : l'Islam est conscient de la non-séparation de l'Etat du reste de la société, et il est en expansion continue : il ne s'agirait que de hâter un peu le mouvement, pour le bien de tous... Nous n'aurons qu'à picoler en cachette !


Evidemment, tout ceci, et pas seulement ces dernières lignes, peut sembler bien loin. On rappellera néanmoins, sans chercher à plagier M. Defensa, que les choses vont parfois si vite actuellement, que ces problématiques très générales pourraient bien se révéler plus tôt au centre du débat qu'on ne le pourrait croire. Je vous laisse là-dessus, et retourne bosser sur les rapports droits de l'homme / sacrifice, et sur la nature de l'Etat moderne. Bises à tous !




Alors, notre « plus belle » du jour... Un mois après la grande classe, Angie Dickinson, Reese Witherspoon a l'air, il faut l'avouer, un rien pétasse. Elle est mon talon d'Achille, mon péché mignon... et j'ai pu le comprendre en cherchant presque en vain de jolies photographies d'elle. Reese Witherspoon, c'est une certaine forme de vulgarité légère et piquante, artificielle et excitante, qui pour que son charme, limité peut-être mais en son domaine bien réel, fonctionne, a besoin d'être en mouvement - ce qui évidemment ne la rend pas très photogénique. (Et d'ailleurs, les photos de paparazzis où on peut la voir enceinte la défigurent presque : Reese Witherspoon en tant qu'actrice est trop légère, trop artificielle, pour se reproduire, elle ne peut se soumettre ainsi à la nature.) Elle est la preuve, très américaine, que même et hélas, la vulgarité est humaine, parfois touchante.

Il est donc difficile de se faire le prosélyte de sa beauté, ou de la ramener à une oeuvre précise : égale à elle-même d'un film à l'autre, elle ne dépend pas vraiment du regard d'un cinéaste. Son personnage évanescent et subtil semble autosuffisant, traversant telle ou telle scène avec son petit mouvement des lèvres dévastateur pour ma libido, sans paraître reliée à rien...

J'exagère, bien sûr : la belle peut parfois aussi être touchante dans sa simplicité. Dieu la bénisse !


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[1]
Quel que soit de même le plaisir que je pourrais éventuellement trouver à voir mes analyses sur la « révolution sarkozyenne » balayées aussi vite que Nicolas Sarkozy lui-même par la crise...



[2]
Qui n'est certes pas rien : comme l'écrit ailleurs (Minima Moralia, I, 6 (1944)) Adorno : "Avec la liquidation du libéralisme [classique, bourgeois], le principe proprement bourgeois de la concurrence n'est pas dépassé : de l'objectivité du processus social, il est passé en quelque sorte à l'anthropologie, c'est-à-dire à une dynamique d'atomes individuels qui s'attirent et qui se repoussent." Et pour mettre fin à une telle dynamique anthropologique...

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