Phantom of the Paradise (Bestiaire de la décadence).
P. Boutang ne se fait pas faute de le rappeler aussi souvent qu'il l'estime nécessaire, de Gaulle était maurrassien, sinon d'obédience stricte, du moins, c'est peut-être plus important, de culture comme de sensibilité. Et souvent, à la lecture de L'avenir de l'Intelligence, on est frappé de ce que les processus décrits ou prophétisés par Maurras ont subi une accalmie pendant les premières années de la Ve République. J'en donnerai des exemples précis ultérieurement : ce qu'il faut noter maintenant, c'est que cela ne doit pas pour autant conduire à surestimer ces années-là, précisément parce que la lecture de Boutang et de Maurras nous donne d'importants indices sur la longévité de la sujétion de certains secteurs de la vie politique et intellectuelle française à des forces étrangères.
(Précisons à toutes fins utiles, que tout ce qui étranger n'est pas mauvais, que tout ce qui est français n'est pas bon, et qu'évidemment on ne va pas empêcher les cultures de communiquer, et de se transformer mutuellement en communiquant entre elles. Ce qui est en jeu est le relatif contrôle qu'une nation, en l'occurrence celle où nous vivons, peut encore avoir sur elle-même.)
Ce qui ferait donc des années 60, rétrospectivement, et de ce point de vue, une période de répit dans la longue histoire de la dissolution de la « nation France » : d'où que des intellectuels de sensibilités pour le moins diverses tressent désormais les lauriers au Général... alors même que son action fut trop tardive, au sein de cette longue histoire, pour que ces processus dissolvants ne reprennent pas, et de plus belle, le Général une fois disparu, quand celui-ci ne les a pas, à son corps plus ou moins défendant, encouragés.
(Je ne parle jamais de Pompidou : je le connais mal, et, entre son côté fin lettré français et son côté banquier employé de Rothschild, j'ai un peu de mal à le cerner. J'aurais tendance à dire qu'il est devenu plus gaulliste lorsqu'il a succédé au Général que lorsqu'il a travaillé avec - et parfois contre - lui. Le fait que sa présidence ait été abrégée par la maladie puis la mort ne favorise pas un jugement très motivé. - Ce pourquoi il est plus commode de prendre pour point de départ symbolique de la disparition de de Gaulle l'accession du traître Giscard à la Présidence de la République en 1974. On sait bien qu'à partir de là...)
Mais laissons de côté VGE et son héritier Sarkozy, ce qui m'intéresse aujourd'hui est de montrer l'ambivalence du gaullisme dans le cadre de cette histoire de la progressive - mais non linéaire - perte de contrôle de la nation française sur elle-même. Les livres de François-Xavier Verschave sur la Françafrique, puis sur la Ve République, celui de Dominique Lorentz sur les Affaires atomiques, lus il y a quelques années, m'avaient déjà fait comprendre à quel point il y avait une part de guignol dans les manifestations plus ou moins anti-américaines de la politique étrangères gaullienne. Ce n'est pas, entendons-nous, que ces divers « Québec libre » aient été tout à fait sans effets, sinon en eux-mêmes, du moins par ce qu'ils symbolisaient de la possibilité d'une « troisième voie » (que Dominique de Roux cherchera à théoriser avec sa fameuse « Internationale gaulliste »), ou qu'à titre personnel ils me déplaisent : c'est que, dans l'état du monde et de la France depuis la seconde guerre mondiale, le souverain français ne peut se permettre grand-chose qui déplaise vraiment aux États-Unis. Sortir de l'OTAN avec de grands mouvements de bras est une chose, refiler ensuite la bombe atomique aux pays à qui les États-Unis veulent bien la donner en permettant à ceux-ci de ne pas avoir de participation directe à l'affaire, en est une autre, hélas complémentaire de la première.
(De ce point de vue certains des arguments de N.S. sur la rentrée de la France dans l'OTAN n'étaient pas inconsistants. Mais il est tout de même regrettable de vouloir à ce point, et si ostensiblement, être les valets des Américains au moment où ceux-ci perdent de leur puissance... Je n'irais pas jusqu'à dire que N. S. a plus de liberté que le Général, car les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir misé de l'argent en France (pays pétroliers, Israël... sans parler du rôle de l'UE), mais, avec les reconfigurations géopolitiques en cours, il est dommage se se lier ainsi les mains auprès d'une puissance en déclin. Et je passe sur la portée symbolique de la chose.)
Je ne connais pas assez de Gaulle pour savoir ce qu'il avait en tête en gérant ces tendances contradictoires de la politique étrangère française : il ne s'agit pas du reste de juger un homme, ni de méconnaître la difficulté des situations qu'il eut à affronter. J'essaie de saisir l'esprit paradoxal d'une époque, son ambivalence, ce qui fait qu'à certains points de vue nous avons un peu tort de la regretter.
Deux autres exemples.
L'affairisme : l'expression « État-UDR » n'était pas une vue de l'esprit, l'histoire de certaines fortunes françaises, bâties alors en complicité avec les politiques, est bien (?) connue - ou disons est assez connue, ce que l'on pourrait apprendre de mieux - de pire - ne risquant pas de modifier le tableau d'ensemble dans le sens de l'honnêteté et de la transparence. Sur certains points la vie politique française a évolué, certaines choses ne sont plus permises. Dans le même temps, il suffit de comparer le Général à Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, du point de vue de la probité et du rapport à l'argent, pour voir que, à la tête de l'État, l'évolution a été contraire. Là encore, il faut tenir ensemble les deux arguments : du point de vue de la moralité publique, de l'exemplarité, il est difficile de nier qu'il vaut mieux un chef d'État qui donne une image vraisemblable d'honnêteté, que Jacques « Je me sers dans la caisse », ou Nicolas « Bling-Bling-Bolloré-Rolex-Ray-Ban-Bouygues-etc. » ; mais il serait tout aussi vain de se cacher que la réputation d'honnêteté de de Gaulle a indirectement permis aux barons de l'UDR de s'en mettre plein les poches, que cette honnêteté les a en quelque sorte couverts.
(Il n'est par ailleurs que de penser à l'urbanisme de la Ve République, et notamment à l'héritage de cités pourries qu'elle nous a laissées, et dont nous n'avons certes pas fini de payer les arriérés, pour constater que ces grosses fortunes ne se sont pas développées sans nous en laisser supporter quelques conséquences...)
D'un point de vue plus conceptuel, si de Gaulle fut vraiment maurrassien d'esprit, si donc il chercha à mettre au point une Constitution qui donne assez de continuité à la tête de l'État pour qu'elle se sente une relative indépendance vis-à-vis de l'opinion comme des puissances financières, si tel était, et je ne demande qu'à le croire, le but ; si de plus le Général lui-même, bon an mal an, avec les ambiguïtés que nous sommes en train d'évoquer, incarna une continuité de l'État et de la Nation, cela n'empêche pas, au contraire, que, dans l'hypothèse où le chef de l'État, soit se montre lui-même d'une trop grande faiblesse vis-à-vis de l'Argent (Mitterrand, Chirac), soit aime tellement l'Argent que tout ce qui est national, et donc d'ordre spirituel, ne peut que, consciemment ou non, le gêner (VGE, NS), alors, dans cette hypothèse vérifiée depuis maintenant 35 ans, la Constitution de la Ve République devient elle-même un facteur dissolvant de première importance.
(Oui, sur Mitterrand : comme P. Yonnet dans son François Mitterrand, le Phénix (Fallois, 2003), je pense que sa personnalité supposée si florentine, secrète, retorse, etc., n'a rien en elle-même de bien mystérieux. En revanche, la configuration historique dans laquelle il s'est trouvé (premier président socialiste, contemporain de Thatcher et Reagan, opposant historique au Général), en plus de son orgueil personnel, font qu'il n'est pas facile, par rapport aux sujets qui nous préoccupent, et malgré ses évidentes compromissions et démissions, de se contenter de jugements sommaires et brefs, surtout quand on voit ce qui a suivi. Je me contente donc ici, comme souvent, d'une simple allusion.)
"Le poisson pourrit par la tête" : si c'est la tête qui dirige tout, cette pourriture n'en est que plus dommageable au corps social en son ensemble. Les monarques constitutionnels, les « présidents-chrysanthèmes », lorsqu'ils ne sont pas à la hauteur de la tache, font moins de dégâts réels ou potentiels qu'un mauvais Président de la Ve (ou des États-Unis).
- Ceci posé, si un régime partiellement issu de certains principes anti-libéraux et anti-capitalistes de Maurras est devenu au fil du temps un parfait cheval de Troie - et même un bélier - du libéralisme capitaliste, qui ne génère plus aucun contre-pouvoir (ce qui n'était pas le cas au début, c'est précisément ce qu'on ressent à la lecture de L'avenir de l'Intelligence, et dont je vous entretiendrai une autre fois), cela ne signifie pas qu'il faille, ou que l'on puisse, revenir à ce qui existait avant, en l'occurrence cette IVe République qui a justement laissé à de Gaulle certaines situations (la décolonisation, le nucléaire français dirigé par Américains et Israéliens, l'affairisme ambiant...) dont il ne parvint jamais à se défaire. Mais nous abordons là le domaine des solutions, et comme tout le monde, j'y suis nettement moins disert que lorsqu'il s'agit de critiquer. Bonne semaine !
(Précisons à toutes fins utiles, que tout ce qui étranger n'est pas mauvais, que tout ce qui est français n'est pas bon, et qu'évidemment on ne va pas empêcher les cultures de communiquer, et de se transformer mutuellement en communiquant entre elles. Ce qui est en jeu est le relatif contrôle qu'une nation, en l'occurrence celle où nous vivons, peut encore avoir sur elle-même.)
Ce qui ferait donc des années 60, rétrospectivement, et de ce point de vue, une période de répit dans la longue histoire de la dissolution de la « nation France » : d'où que des intellectuels de sensibilités pour le moins diverses tressent désormais les lauriers au Général... alors même que son action fut trop tardive, au sein de cette longue histoire, pour que ces processus dissolvants ne reprennent pas, et de plus belle, le Général une fois disparu, quand celui-ci ne les a pas, à son corps plus ou moins défendant, encouragés.
(Je ne parle jamais de Pompidou : je le connais mal, et, entre son côté fin lettré français et son côté banquier employé de Rothschild, j'ai un peu de mal à le cerner. J'aurais tendance à dire qu'il est devenu plus gaulliste lorsqu'il a succédé au Général que lorsqu'il a travaillé avec - et parfois contre - lui. Le fait que sa présidence ait été abrégée par la maladie puis la mort ne favorise pas un jugement très motivé. - Ce pourquoi il est plus commode de prendre pour point de départ symbolique de la disparition de de Gaulle l'accession du traître Giscard à la Présidence de la République en 1974. On sait bien qu'à partir de là...)
Mais laissons de côté VGE et son héritier Sarkozy, ce qui m'intéresse aujourd'hui est de montrer l'ambivalence du gaullisme dans le cadre de cette histoire de la progressive - mais non linéaire - perte de contrôle de la nation française sur elle-même. Les livres de François-Xavier Verschave sur la Françafrique, puis sur la Ve République, celui de Dominique Lorentz sur les Affaires atomiques, lus il y a quelques années, m'avaient déjà fait comprendre à quel point il y avait une part de guignol dans les manifestations plus ou moins anti-américaines de la politique étrangères gaullienne. Ce n'est pas, entendons-nous, que ces divers « Québec libre » aient été tout à fait sans effets, sinon en eux-mêmes, du moins par ce qu'ils symbolisaient de la possibilité d'une « troisième voie » (que Dominique de Roux cherchera à théoriser avec sa fameuse « Internationale gaulliste »), ou qu'à titre personnel ils me déplaisent : c'est que, dans l'état du monde et de la France depuis la seconde guerre mondiale, le souverain français ne peut se permettre grand-chose qui déplaise vraiment aux États-Unis. Sortir de l'OTAN avec de grands mouvements de bras est une chose, refiler ensuite la bombe atomique aux pays à qui les États-Unis veulent bien la donner en permettant à ceux-ci de ne pas avoir de participation directe à l'affaire, en est une autre, hélas complémentaire de la première.
(De ce point de vue certains des arguments de N.S. sur la rentrée de la France dans l'OTAN n'étaient pas inconsistants. Mais il est tout de même regrettable de vouloir à ce point, et si ostensiblement, être les valets des Américains au moment où ceux-ci perdent de leur puissance... Je n'irais pas jusqu'à dire que N. S. a plus de liberté que le Général, car les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir misé de l'argent en France (pays pétroliers, Israël... sans parler du rôle de l'UE), mais, avec les reconfigurations géopolitiques en cours, il est dommage se se lier ainsi les mains auprès d'une puissance en déclin. Et je passe sur la portée symbolique de la chose.)
Je ne connais pas assez de Gaulle pour savoir ce qu'il avait en tête en gérant ces tendances contradictoires de la politique étrangère française : il ne s'agit pas du reste de juger un homme, ni de méconnaître la difficulté des situations qu'il eut à affronter. J'essaie de saisir l'esprit paradoxal d'une époque, son ambivalence, ce qui fait qu'à certains points de vue nous avons un peu tort de la regretter.
Deux autres exemples.
L'affairisme : l'expression « État-UDR » n'était pas une vue de l'esprit, l'histoire de certaines fortunes françaises, bâties alors en complicité avec les politiques, est bien (?) connue - ou disons est assez connue, ce que l'on pourrait apprendre de mieux - de pire - ne risquant pas de modifier le tableau d'ensemble dans le sens de l'honnêteté et de la transparence. Sur certains points la vie politique française a évolué, certaines choses ne sont plus permises. Dans le même temps, il suffit de comparer le Général à Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, du point de vue de la probité et du rapport à l'argent, pour voir que, à la tête de l'État, l'évolution a été contraire. Là encore, il faut tenir ensemble les deux arguments : du point de vue de la moralité publique, de l'exemplarité, il est difficile de nier qu'il vaut mieux un chef d'État qui donne une image vraisemblable d'honnêteté, que Jacques « Je me sers dans la caisse », ou Nicolas « Bling-Bling-Bolloré-Rolex-Ray-Ban-Bouygues-etc. » ; mais il serait tout aussi vain de se cacher que la réputation d'honnêteté de de Gaulle a indirectement permis aux barons de l'UDR de s'en mettre plein les poches, que cette honnêteté les a en quelque sorte couverts.
(Il n'est par ailleurs que de penser à l'urbanisme de la Ve République, et notamment à l'héritage de cités pourries qu'elle nous a laissées, et dont nous n'avons certes pas fini de payer les arriérés, pour constater que ces grosses fortunes ne se sont pas développées sans nous en laisser supporter quelques conséquences...)
D'un point de vue plus conceptuel, si de Gaulle fut vraiment maurrassien d'esprit, si donc il chercha à mettre au point une Constitution qui donne assez de continuité à la tête de l'État pour qu'elle se sente une relative indépendance vis-à-vis de l'opinion comme des puissances financières, si tel était, et je ne demande qu'à le croire, le but ; si de plus le Général lui-même, bon an mal an, avec les ambiguïtés que nous sommes en train d'évoquer, incarna une continuité de l'État et de la Nation, cela n'empêche pas, au contraire, que, dans l'hypothèse où le chef de l'État, soit se montre lui-même d'une trop grande faiblesse vis-à-vis de l'Argent (Mitterrand, Chirac), soit aime tellement l'Argent que tout ce qui est national, et donc d'ordre spirituel, ne peut que, consciemment ou non, le gêner (VGE, NS), alors, dans cette hypothèse vérifiée depuis maintenant 35 ans, la Constitution de la Ve République devient elle-même un facteur dissolvant de première importance.
(Oui, sur Mitterrand : comme P. Yonnet dans son François Mitterrand, le Phénix (Fallois, 2003), je pense que sa personnalité supposée si florentine, secrète, retorse, etc., n'a rien en elle-même de bien mystérieux. En revanche, la configuration historique dans laquelle il s'est trouvé (premier président socialiste, contemporain de Thatcher et Reagan, opposant historique au Général), en plus de son orgueil personnel, font qu'il n'est pas facile, par rapport aux sujets qui nous préoccupent, et malgré ses évidentes compromissions et démissions, de se contenter de jugements sommaires et brefs, surtout quand on voit ce qui a suivi. Je me contente donc ici, comme souvent, d'une simple allusion.)
"Le poisson pourrit par la tête" : si c'est la tête qui dirige tout, cette pourriture n'en est que plus dommageable au corps social en son ensemble. Les monarques constitutionnels, les « présidents-chrysanthèmes », lorsqu'ils ne sont pas à la hauteur de la tache, font moins de dégâts réels ou potentiels qu'un mauvais Président de la Ve (ou des États-Unis).
- Ceci posé, si un régime partiellement issu de certains principes anti-libéraux et anti-capitalistes de Maurras est devenu au fil du temps un parfait cheval de Troie - et même un bélier - du libéralisme capitaliste, qui ne génère plus aucun contre-pouvoir (ce qui n'était pas le cas au début, c'est précisément ce qu'on ressent à la lecture de L'avenir de l'Intelligence, et dont je vous entretiendrai une autre fois), cela ne signifie pas qu'il faille, ou que l'on puisse, revenir à ce qui existait avant, en l'occurrence cette IVe République qui a justement laissé à de Gaulle certaines situations (la décolonisation, le nucléaire français dirigé par Américains et Israéliens, l'affairisme ambiant...) dont il ne parvint jamais à se défaire. Mais nous abordons là le domaine des solutions, et comme tout le monde, j'y suis nettement moins disert que lorsqu'il s'agit de critiquer. Bonne semaine !
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