mercredi 20 janvier 2010

"Il n'y a pas de presse !"

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Voici une longue et belle citation extraite du Maurras de P. Boutang - écrit en 1984. Presque pas de photos aujourd'hui (ce seraient toujours les mêmes enculés... on s'en lasse ! - pas de femme nue non plus, ne courez pas en fin de texte vous rincer l'oeil), mais quelques clarifications préliminaires :

- les citations entre guillemets sont de Maurras dans son livre
L'avenir de l'Intelligence (1905) ;

- l'« Intelligence » dont il est ici question désigne le monde dit intellectuel : artistes, écrivains, journalistes...

- le « Sang » que Maurras va opposer à l'Argent ne doit pas selon Boutang être pris dans un sens biologique, racialiste : il s'agit des forces de pouvoir traditionnelles, transmises au fil du temps. J'y reviens en commentaire ;

- au cas où vous ne le sauriez pas, Boutang était royaliste ;

- il était aussi, peut-être en parlerai-je plus précisément un jour, sioniste. Cela ne donne que plus de poids à mes yeux au passage sur les rapports entre Israël et Mai 68 (il se fait le relais d'une thèse que j'avais évoquée ici) ;

- j'ai quelque peu modifié la ponctuation par endroits à fins de clarté et effectué une insignifiante petite coupure, non signalée.

Bonne lecture !



"Ceux qui ont reproché à Maurras, et par suite à l'Action française, leur méconnaissance des réalités économiques, feraient bien de prendre garde à ceci : l'économie, à son point d'arrivée, le panier de la ménagère, coordonne ou répercute des faits et des lois assez simples que l'extrême richesse, « anonyme et vagabonde », a toujours eu le plus grand intérêt à cacher et à fausser. L'instrument le plus puissant de cette falsification et de ce secret, dans le monde moderne, s'est tout de suite installée en un statut étrange : la presse est méprisée par ceux mêmes en qui elle détermine l'opinion ; elle n'est tenue pour libre par aucun de ceux qui la laissent pénétrer et dissoudre leurs foyers, et aidée aujourd'hui des autres « moyens de masse », pourrir et abrutir leurs enfants. Le premier fait économique était donc l'asservissement du « gros animal », comme dit Platon, et de son organe de jugement l'Opinion publique - la partie basse de l'Intelligence - à la force de l'Argent. Force secrète, dans ses moyens, les courroies de sa transmission, mais secret public comme l'opinion est publique ; la modalité la plus efficace de la servitude s'appelle même « publicité ». Libérer l'Intelligence, même la plus vulgaire, c'est, du même coup, libérer les intérêts économiques de la prétention à régner, non selon leur poids réel (il a, après tout, le droit de la force) mais à partir de leur instrument de mesure qui ne devient pas sans aliénation et crime moyen de puissance, ou plutôt de souveraineté.

A côté de la domination directe de l'argent, celle de l'Étranger au moyen de l'argent : Maurras n'est pas revenu sur le mécanisme que Barrès décrit dans Leurs figures et qui met surtout en cause la profession parlementaire. Il écarte « l'argent du roi de Perse » ou « la cavalerie de saint Georges » comme ultime raison historique, mais donne deux exemples : les distributions d'or anglais en France, pour les campagnes de presse, de 1852 à 1859, en faveur de l'Unité italienne. Le fait n'est plus contesté, l'explication en est difficile : l'esprit public, le choix de Napoléon III, suffiraient semble-t-il. L'autre cas, non moins certain, est plus frappant (et Maurras aura l'occasion, entre 1905 et 1914, comme entre les deux guerres mondiales, d'en dénoncer bien d'autres de même sorte), c'est celui des arrosages de la presse française par Bismarck après Sadowa : « la Prusse eut la paix tant qu'elle paya, et, quand elle voulut la guerre, elle supprima les subsides ». Ce qui paraissait scandaleux et inavouable en 1905, Maurras a vécu assez longtemps pour le voir devenir l'objet d'une tolérance générale : les libéralités des États étrangers n'ont pas cessé, se sont même accrues, et la guerre civile planétaire leur a donné de nobles excuses ; les syndicats et les partis à dimensions internationales ont amélioré encore le niveau de vie des journalistes bien de chez nous ; recevoir, directement ou non, de l'argent étranger est devenu aussi anodin que la consommation du whisky ou de la vodka. Cela pouvait se prévoir. Notre auteur ne s'indignait pas : « c'est à la Patrie de se faire une presse, nullement à la presse, simple entreprise industrielle, de se vouer au service de la Patrie. Ou plutôt, Patrie, Presse, tout cela est de la pure mythologie. Il n'y a pas de Presse, mais des hommes qui ont de l'influence sur la presse (...) menés en général par des intérêts privés et immédiats. » Le patriotisme est une vertu, ce n'est ni une conduite spontanée, ni une opinion qui oblige ; il est absurde de spéculer, pour le salut d'un pays, sur sa présence dans l'ensemble ou la majorité des citoyens ; de sorte qu'« une patrie destinée à vivre est organisée de manière à ce que ses obscures nécessités de fait soient senties promptement dans un organe approprié, cet organe étant en mesure d'exécuter les actes qu'elles appellent... » Un État démocratique, parlementaire ou plébiscitaire dépend de sa presse, plus ou moins. Nous l'avons vérifié, même avec de Gaulle, malgré l'intention monarchique du régime qu'il avait fondé, et malgré sa légende. Qu'on le regrette ou non : sa chute en 1969 fut une conséquence - comme, pour l'essentiel, la révolution des transistors, en mai 1968 - de la position qu'il avait prise devant la guerre des Six jours, face à Israël. Je crois que cette position était erronée, je l'écrivis sur le moment ; mais comment admettre l'entreprise de revanche qui suivit, le consentement au « parricide » dans les organes de presse jusque là respectueux ou zélés ? Le « tournant » fut une tournée, une grande distribution d'argent, comme il allait y en avoir bien d'autres, diversement orientées, à l'occasion du conflit du Proche-Orient : que d'organismes de presse et d'édition pourraient faire faillite, aujourd'hui même, si les Émirats cessaient de payer ! La prévision était donc presque trop modeste : la Presse est devenue, peut-être depuis Badinguet, et toujours plus, une « machine à gagner de l'argent et à en dévorer », un « mécanisme sans moralité, sans patrie et sans coeur ». Les hommes qui tiennent en état cette machine « sont des salariés, c'est-à-dire des serfs, ou des financiers, c'est-à-dire des cosmopolites. » La conclusion du chapitre pouvait donc être empruntée à Anatole France et à son Mannequin d'osier : « la Finance est aujourd'hui une puissance et l'on peut dire d'elle ce qu'on disait autrefois de l'Église, qu'elle est parmi les nations une illustre étrangère ». Est-ce toujours vrai en 1984 ? Oui, mais en pire, car la tyrannie tient la moitié du monde, et le dollar tient l'autre : illustres étrangers, apparents ennemis, mais que l'on ne peut plus dire « entre les nations ».

Un premier indice de l'issue, où la question particulière du sort de la littérature s'estompe devant celle du salut de la nation qui lui est si affreusement lié : alors qu'en France « l'Intelligence nationale pouvait être tournée contre l'Intérêt national quand l'or étranger le voulait », il n'est était pas de même partout en Europe : en Allemagne ni en Angleterre, l'Argent ne pouvait constituer le Chef de l'État ; « quelles que soient les influences financières, voilà un cercle étroit et fort qu'elles ne pénétreront pas. Ce cercle a sa loi propre, irréductible aux forces de l'Argent, inaccessible aux mouvements de l'opinion : la loi naturelle du Sang. » Au contraire, nos gouvernements modernes - issus d'un suffrage universel qui est bien, selon le mot de Péguy, mais sans qu'il soit possible de s'en faire une raison à cause des sacrifices prodigués pour l'obtenir, une formalité truquée - continuent d'exercer tous les anciens pouvoirs légitimés par le sang, mais leurs administrations agissent dans l'intérêt de l'Argent, maître invisible de l'État : « L'État-argent régente ou surveille nos différents corps et compagnies littéraires et artistiques (...) Il tient de la même manière plusieurs mécanismes par lesquels se publie, se distribue et se propage toute pensée. » (Sur ce point Maurras venait à la suite de Drumont, dont il faut lire, dans La fin d'un monde, les pages vengeresses sur le « trust » Hachette.) « L'État-argent administre, dore et décore l'Intelligence, mais il la musèle et l'endort. Il peut, s'il le veut, l'empêcher de connaître une vérité politique, et, si elle voit cette vérité, de la dire, et, si elle la dit, d'être écoutée et entendue. » Mais l'Action française n'a-t-elle pas surmonté ces obstacles ? Partiellement ; et si un moment elle fut écoutée et entendue, une victoire sanglante et gâchée [1918], puis une défaite méritée par l'imprévoyance criminelle de cet État-argent [1940], lui ont interdit, non pas de s'inscrire dans la réalité de ce second demi-siècle, mais de produire ses conséquences salutaires plus vite que ne s'épuisaient les réserves de la nation." (pp. 295-298)


Un seul commentaire : je ne sais pas ce qu'il en était pour l'Allemagne de 1905, mais Maurras me semble surestimer l'importance du « Sang » chez les Anglais - en réalité, à cette époque, cela fait déjà un certain temps qu'outre-Manche « Sang » et « Argent » marchent main dans la main - ce qui, il est vrai, peut diminuer les ingérences extérieures telles qu'il les décrit pour la France, mais c'est parce que le sale boulot est fait de l'intérieur. Et ne parlons pas des États-Unis, à qui l'Angleterre (c'est une histoire que je dois vous raconter depuis longtemps... J'essaie de le faire un de ces jours !) a confié le relais, et où, dès leur création, et plus encore depuis la guerre de Sécession, l'« Argent » prend toute la place, où l'« Argent » est le « Sang »...


BAND-ANGELS--2-

De l'esclavage à l'esclavage salarié...


Quant à la situation de l'Allemagne et de l'Angleterre actuelles, point n'est besoin d'épiloguer sur la place qu'y tient l'« Argent ». Ni sur le fait que, « dissolvant universel », il ne détruise tout sur son passage...


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Tout ça pour ça !


obama071908

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