Questions et réponses (III). - "La volonté n'a pas dit son dernier mot."
Questions et réponses I.
Questions et réponses II.
(Fin du texte.)
Et voici la dernière partie de l'entretien entre Julien Freund et Pierre Bérard.
Je dois signaler une coupure plus importante que celles que j'ai pratiquées jusqu'ici : un développement, dans une optique psychanalytique, de P. B. sur l'apprentissage de l'autorité par l'individu dans son enfance. Je l'ai supprimé d'abord en raison de sa longueur, ensuite parce que, ne m'intéressant que fort peu à la psychanalyse, il m'a paru stimulant de montrer par l'exemple que les raisonnements des deux hommes pouvaient se tenir sans avoir recours à ce type de concepts. L'idéal serait une comparaison raisonnée entre l'approche psychanalytique et l'approche d'un Wittgenstein de l'apprentissage de la règle. Avis aux amateurs !
P.B. - Harcelés par des antécédents criminels mais pressés de se faire admettre dans l'humanité post-totalitaire, les Allemands se sont faits récemment les oblats opiniâtres d'une nouvelle coquecigrue ; le patriotisme constitutionnel à la Habermas...
J.F. - Du point de vue sociologique, c'est une absurdité, car il n'y a pas de société qui pourrait être une création ex-nihilo. Il n'y a pas d'être-ensemble sans ancrage identitaire. Les groupes humains ne peuvent pas vivre en apesanteur. La théorie d'Habermas, c'est une nouvelle version du syndrome utopique qui travaille les idéologues depuis le XVIème siècle, mais elle est révélatrice d'une aporie. Elle prétend en effet fonder son patriotisme sur l'abjuration des pères. Il s'agit donc de tout autre chose que de patriotisme...
P.B. - Illustration de la pseudomorphose selon Spengler. Le mot demeure incrusté dans la langue, mais il a changé de signifié.
J.F. - Il ne désigne plus que des nuées... Déguisé en Ayatollah de la vertu, Habermas profère des fatwas. Il se félicite de la débâcle des méchants qui depuis toujours auraient précipité l'Allemagne dans un bellicisme sanglant...
P.B. - Depuis que les Chérusques firent un mauvais sort aux légionnaires romains de Varus ?
J.F. - Pourquoi pas, pendant qu'on y est ! Après avoir déblatéré sans répit, quand tout a été déblayé, épuré, à quel fondement accrocher l'être collectif allemand ? Les fondements nous précèdent nécessairement. Mais quand tout ce qui nous précède est condamné à la débandade, sur quoi fonder la légitimité ? Sans doute sur un futur immaculé puisque imaginé selon les seuls mécanismes de la raison désincarnée... C'est l'essence même de l'utopie progressiste.
P.B. - Si nous résumons nos propos, nous pouvons dire que recru de brimades, le passé est aujourd'hui en déroute. Ajoutons qu'on n'en exhume les fonds de tiroirs que dans le seul but de nous jeter à la face les preuves de notre constante cruauté. Mais il y a autre chose. A propos des Allemands vous venez de parler de génération orpheline. La scélératesse des pères empêche en effet qu'on s'en réclame ingénument. Les mères en revanche paraissent mieux s'en tirer. Le discours contemporain, encore une fois depuis les années soixante-dix, tient de toute évidence à les disculper. Et pour ce faire, il les enrôle sous la bannière du féminisme, dans ces catégories souffrantes que les "mâles, blancs, morts", comme on dit sur les campus américains, auraient depuis toujours tenues sous leur férule.
Féminin, économie, fin de l'histoire.
J.F. - Ma réflexion ne m'a jamais conduit vers ces questions, mais vos remarques sur le féminisme me ramènent à Auguste Comte, un penseur que j'ai beaucoup pratiqué. Comte, vous le savez, est l'inventeur du concept de sociologie. Comme les contre-révolutionnaires de son temps, il est conscient de la béance ouverte par la Révolution de 1789 ; c'est ainsi qu'il parle de l'immense gratitude des positivistes vis à vis de Joseph de Maistre et qu'il révoque les faux dogmes de l'individualisme et de l'égalitarisme. Il se veut tout autant l'héritier que le liquidateur de la Révolution. Comment surmonter l'individualisme dissolvant des modernes ?
Peut-être le mot n'est-il pas choisi au hasard : Maistre justement parle du protestantisme comme "dissolvant universel", expression que j'ai une fois reprise pour l'appliquer au capitalisme.
C'est à cette question qu'il tente de répondre et il le fait de manière mixte. En effet, à la différence des contre-révolutionnaires qui proposent une solution rétrograde assise sur la restauration du trône et de l'autel, Comte partage la certitude des Lumières selon laquelle l'humanité tend irrésistiblement vers l'unité cosmopolite. Cette convergence planétaire qu'il voit s'accomplir, comme les libéraux, par le truchement de l'économie, il entend la parachever et la corriger au moyen d'une nouvelle religion. Pour lui, il ne fait pas de doute qu'une communauté humaine ne peut assurer la fonction intégratrice nécessaire à la durée que par le lien religieux. Cette nouvelle religion fait la part belle aux savants, aux prolétaires et surtout aux femmes qu'il dépeint comme les préceptrices idéales de l'altruisme. Le féminisme de Comte reflète la prépondérance qu'il attribuait au sentiment. Une telle assimilation lui vaudrait sans aucun doute les sarcasmes, voire l'ire des féministes d'aujourd'hui... Bref, c'est la puissance affective impartie au coeur féminin qui permet de recoudre les lambeaux d'une société mise à mal par le bouleversement de 1789. Comme l'a montré Robert Nisbet, c'est toute la problématique de la sociologie naissante.
R. Nisbet : La tradition sociologique, PUF, 1984, édité aux Etats-Unis en 1966. Je m'enorgueillissais dans mon coin de trouver des rapprochements entre Dukheim et Chateaubriand, cela fait quarante ans qu'un livre a été publié qui explique pourquoi. Le peu que j'en ai lu a l'air sobre et intéressant.
Qu'est-ce qui peut relier les hommes quand ils ne sont plus confinés dans les ordres traditionnels et leurs réseaux d'obligations réciproques, quand l'obéissance ne va plus de soi ? Ce n'est pas tant la réponse constructiviste, en fait une religion d'intellectuel, qui fait l'originalité de Comte que le rôle souverain qu'il confère aux femmes, prophétesses d'une humanité régénérée. Cimentée par la religion de l'humanité, sa société positive met un terme aux errements de l'histoire humaine et ce dénouement... c'est ça qui est important, correspond avec la consécration du genre féminin.
P.B. - Culmination sociale de la femme et fin de l'histoire composent donc un système cohérent ?
Et revoilà Muray... Mais nos deux protagonistes ne vont pas oublier nuances et contradictions.
J.F. - Pour Auguste Comte, c'est une évidence ; avec la techno-science et la tyrannie du sentiment. C'est comme cela qu'il se figure l'émancipation définitive. Ce qui est capital, c'est l'amalgame notifié par Comte entre féminisme et accession à un universel réalisé. Il inaugure un épisode dans lequel nous continuons de patauger.
Ceci étant dit, pour interpréter l'irruption conquérante du féminin dans le registre du politique, il faut aller au-delà du discours de Comte même si quelque chose d'inaugural se manifeste chez lui. En effet, comme chacun sait, la société traditionnelle pose la figure du père au centre de son imaginaire collectif. Il n'y a là nulle misogynie mais un partage des rôles qui attribue à la masculinité tout ce qui relève de la verticalité. Dans ces communautés, seuls les pères disposent du pouvoir symbolique d'engendrer, aussi bien le père de famille dans le domaine du privé, que le roi, père de ses peuples, dans la sphère du politique. De même Dieu est-il posé en père de l'humanité. Le modèle est organique et c'est la puissance d'engendrement du père qui justifie son pouvoir symbolique, même si, je le concède volontiers, il en va tout autrement dans l'ordre concret du domestique où les maîtresses-femmes n'étaient pas plus rares qu'aujourd'hui. Mais, ce n'est pas le concret quotidien avec ses multiples compromis qui importe ici, mais la métaphore qui traverse tant l'imaginaire des Anciens.
Au rebours de cette représentation qui inscrit le social dans l'ordre de la nature et de la reproduction, la société démocratique des modernes est supposée s'engendrer elle-même. Elle rejette la loi organique qui régit l'ensemble du cosmos et prétend, insolemment, ne devoir son existence qu'à la libre volonté de ses sociétaires. C'est un nouveau régime mythique qui se met en place. La société y survient ex-nihilo... à partir d'une table rase, d'où sa difficulté à concevoir des antécédents susceptibles de la déterminer. Récusant la naissance, faisant son deuil du fardeau de l'ascendance, elle veut lire dans ses origines séraphiques la promesse de son émancipation infinie.
La nature est ici congédiée au bénéfice de l'artifice et du fantasme de la maîtrise. Les modernes ont substitué l'artifice à la nature et leur société étant conçue idéalement comme une construction purement volontaire est du même coup considérée comme indéfiniment malléable, perfectible à souhait sur le modèle de la technique.
A la vérité, je ne suis pas sûr que Julien Freund n'exagère pas la différence entre ces deux conceptions, au moins quant à l'attitude des individus dans leur vie quotidienne. On retrouve ici le débat Descombes-Castoriadis longuement évoqué dans l'annexe 2 du texte "Pas de liberté pour les amis de la liberté". Pour résumer : que nos sociétés soient délibérément, quoique dans des mesures différentes, artificialistes, ne signifie pas que les sociétés traditionnelles ne sentaient pas un peu, aussi, qu'elles l'étaient, et qu'elles croyaient tant que cela à une nature immuable. Il faut évidemment distinguer selon les cas. Quoi qu'il en soit, il est sûr que l'idée de nature a l'avantage, pour employer justement un terme cher à Castoriadis, de favoriser l'autolimitation des ambitions des hommes.
L'idée d'une sociabilité intrinsèque à la nature humaine se trouve supplantée par la fiction d'un contrat fondateur d'essence marchande prescrit par la convergence des intérêts, qui elle-même commande la résolution des individus contractants. Les sociétaires sont libres d'en amender les termes pour autant que l'utilité l'exige. Cette philosophie qui ne veut voir dans la société que le produit de conventions arbitraires, quoiqu'elles soient dictées, en dernière instance, par les déterminants économiques, implique aussi bien la réforme que la révolution, les ajustements empiriques que les bouleversements violents...
P.B. - Bien sûr, le rejet de tout principe transcendant conduit au marivaudage législatif... Issue donc du miracle contractuel, la société se laisse interpréter comme une parfaite épiphanie. Sans père, sans mère, sans généalogie, elle tombe toute faite, non pas de la cuisse de Jupiter, mais du ciel des idées. Mais alors, pourquoi ce retournement des polarités ? Pourquoi passe-t-on d'une symbolique verticale et masculine quand on honorait les racines, le lignage, la continuité à une modernité d'autant plus réfractaire à l'image paternelle qu'elle décline toute obligation à l'égard de la souche générique ? Car il ne fait guère de doute que notre présent se reconnaît dans l'allégorie féminine. La métaphore féminine imbibe la lecture du social et du politique.
J.F. - La femme comme genre, sans doute ; pas la femme comme mère, toujours plus occultée... évacuée du système référentiel.
P.B. L'individu contractant exige la reconnaissance de ses droits mais ne veut admettre aucune dette. La déliaison est la fausse monnaie inéluctable de sa liberté. Donner, recevoir, rendre : c'étaient les trois séquences du système de don qui instituait le lien communautaire.
Mauss, of course.
L'économie était alors sous la coupe du social et du politique. Ce lien se dissout aujourd'hui au rythme de l'extension démesurée de l'ethos libéral et des procédures de marché. De même la conscience historique se décompose-t-elle dans le refus présentiste de l'héritage. De même qu'on se refuse à reconnaître toute obligation dans la dimension horizontale, celle qui implique les contemporains ; on s'y soustrait également dans la dimension verticale, celle des générations successives. Ni les ancêtres, ni les successeurs ne font sens. L'obligation de rendre est devenue une corvée, une servitude que seul l'impôt, paradoxalement de plus en plus lourd
ça dépend pour qui !
, se charge d'assumer dans l'anonymat bureaucratique. La transmission est en jachère... Nous payons très cher la rançon de la liberté moderne. Vous avez raison ; la mère après tout est aussi bien légataire que le père...
J.F. - L'individualisme... l'individualisme de masse est en train de déglinguer l'Europe. Mais je ne suis pas décliniste comme certains le prétendent : nous ne sommes pas surplombés par les exigences mystérieuses du fatum. Et, disant cela, nous nous affirmons aussi comme des modernes. La volonté n'a pas dit son dernier mot... Et puis, il y a l'aléa ; tout ce qui vient gâter le bel ordonnancement des plans, des projections, des programmes toujours dictés par la vue basse et le conformisme. Le désespoir serait une sottise. Il ne faut pas abdiquer.
P.B. - Je reviens à cette Allemagne dont nous parlions. La mue post-totalitaire s'est opérée là-bas sous le signe de la déchéance des pères. Leur débâcle fut d'autant plus facile à solder que tous avaient porté l'uniforme des maudits. La damnation collective qui les frappait leur arrachait également ces titres consacrés par le temps qui les avaient depuis toujours porté à transmettre et à incarner. Avec l'autorité, principale cible de la dénazification, cette vocation leur était définitivement déniée. Ils sont devenus des producteurs et des consommateurs prosaïques, rivés dans leur mutisme, aussi consciencieux dans la voie de la "normalisation" qu'ils l'avaient été dans celle du "Sonderweg".
"Autre chemin" - il s'agit du mouvement de recherche par les Allemands de leur propre spécificité en tant que peuple, particulièrement par rapport à la France et à l'Angleterre.
L'Allemagne, me semble-t-il, a surjoué le parricide, non pour se délester du fardeau de la culpabilité - cela lui est interdit - mais pour en alléger le poids. En se débarrassant de géniteurs encombrants, elle tentait de prouver sa bonne foi démocratique. N'oublions pas que les fascismes ont souvent été interprétés comme des manifestations du syndrome machiste... (...) Si demeure en Allemagne une forme potentielle de despotisme, c'est bien celui de la guimauve. Au Führer Prinzip, caricature du principe masculin, succéderait un Etat d'essence maternelle. Après le big-brother totalitaire, la big-sister maternante.
J.F. - La boutade est amusante, mais ce que vous décrivez n'est pas un épiphénomène allemand. C'est une évolution qui touche l'ensemble de l'Occident. Ses origines ne sont pas réductibles à un terreau national particulier.
P.B. - Je suis d'accord, mais savez-vous, pour l'anecdote, qu'en Allemagne justement, dans les toilettes mixtes, les hommes sont exhortés à uriner assis. Cet exemple saugrenu montre que la parité taille sa route par des détours insolites.
J.F. - Ils sont obsédés par l'hygiène, comme les Américains du nord. Descartes notait déjà ce trait dans la Hollande calviniste du XVIIème siècle. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est toute la modernité qui dévale cette pente. Il y a une revendication démesurée des droits qu'un Etat ramolli et bienveillant s'efforce de satisfaire, car cette demande qui lui est adressée, elle contribue aussi à le légitimer. Le droit à la santé par exemple s'intègre dans cette extension illimitée, d'où le risque d'un despotisme thérapeutique. Car, enfin, la gratuité des soins conduit automatiquement l'Etat, dispensateur et gestionnaire du système de santé, à organiser une prévention collective toujours plus vigilante au nom de la rentabilité. La société du contrôle total est au bout de l'idéal hygiénique. Aboutissement qui n'est pas antinomique d'un Etat faible, d'un Etat apathique en tous cas dans le registre des fonctions régaliennes...
P.B. - L'oxymore de la puissance faible... L'Etat omnipotent et impotent.
J.F. - Oui, c'est ça. La santé ... L'obligation sanitaire pourrait être dans un proche avenir au fondement d'une nouvelle forme de totalitarisme. Le refus pathologique du vieillissement et de la mort, intimement lié à cet effacement de la transcendance dont nous parlions laisse aisément présager l'aptitude de nos contemporains à consentir au cauchemar climatisé dont parlait Bernanos. Le harcèlement que nous subissons à propos de l'alcool et du tabac donne un mince avant-goût de ce que nous pourrions subir. Nous sommes talonnés par des instruments de surveillance toujours plus sophistiqués, sans que cela ne soulève de réelles protestations. C'est la face noire du jeunisme qui nous assaille.
Tout cela est indéniable, malheureusement, mais il faut ajouter un correctif d'importance : dans les pays comme les Etats-Unis, où il n'y a pas de gratuité des soins et où les fonctions régaliennes de l'Etat ne sont pas négligées - en admettant d'ailleurs que ce soit à ce point le cas en France, mais passons -, on observe encore plus l'essor de ce "cauchemar climatisé". C'est un mouvement social plus profond que la question de la Sécurité sociale - hélas !
Et le sportif exemplaire, la star athlétique, le dieu du stade, objet de toutes les sollicitudes publicitaires, c'est le point de mire de toute cette mécanique. C'est l'icône pathétique d'une propagande qui promet la rédemption du corps par un nouveau régime de salubrité imposé.
P.B. - Un sportif bourré d'hormones et d'anabolisants.
J.F. - Oui, c'est le triomphe du modèle artificialiste au nom d'une santé "naturelle" qui n'a rien à voir avec la nature.
P.B. - On pourrait gloser sur l'usage de plus en plus massif des psychotropes et sur cette diététique de facture industrielle qui vient briser les identités alimentaires. Autant de remèdes qui contribuent à détruire l'entre-soi sociétal et à renforcer le conditionnement individualiste. Dans le premier cas le dépressif est fortifié dans sa solitude par la camisole chimique ; ce n'est pas la relation aux proches qui le délivre de son mal. Dans le second cas, c'est la liturgie des repas familiaux et la commensalité amicale qui sont sacrifiés au nom du "régime", de la "forme", cette condition favorable aux performances, dont l'horizon s'éloigne sans cesse, avivant la déprime et le dégoût de soi. Derrière tout cela se profile la boulimie, bien réelle celle-là, des grands groupes pharmaceutiques et des multinationales de l'agroalimentaire. C'est l'obsession hygiéniste qui génère leurs profits ; c'est aussi pourquoi ils sont si prompts à sponsoriser l'élite sportive.
Avec l'ethnologie du quotidien, on peut certes tout magnifier, mais dans le cas présent P.B. a bien raison.
J.F. - Vous savez, dans la perspective de ce que vous disiez tout à l'heure concernant big-sister, il faudrait se pencher sur ces deux évolutions parallèles, l'infestation de tout l'édifice social par l'économique et cette montée en puissance, non tant de la femme mais du féminin.
Précision importante, qu'il faudrait faire ou garder à l'esprit à chaque fois que l'on aborde ces sujets. Ce ne serait pas un coup de baguette magique, mais cela éviterait d'inutiles malentendus.
Il faudrait réfléchir à cela en partant de l'étymologie du mot "économie".
P.B. - L'oikos, évidemment. Chez les Grecs, c'est à la fois la gestion du domestique et le territoire imparti au règne de l'épouse. Si l'on suit les analyses de Louis Dumont, cet ensemble constitue un espace hiérarchiquement subordonné à l'espace politique qui est par définition celui des hommes, des citoyens. Si l'on en croit les éthologistes, cette répartition des rôles doit venir de très loin. Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour la sacraliser. Cette répartition a été très consciemment réfléchie par les penseurs grecs dans le souci de distinguer le privé du public. Elle implique une inégalité des sexes qui n'est pas tant une inégalité des personnes qu'une sévère hiérarchie des fonctions que la tradition leur attribue. S'ajoute à cela dans le récit mythologique, décrypté par Vernant, l'idée d'une dangerosité spécifique au sexe féminin. C'est ce qu'exprime clairement le mythe de Pandore. Une propension à l'hybris que le politique a pour mission de contenir. Le christianisme s'est greffé sur cet héritage mythique avec la morale du péché. Chez les Grecs, la femme est seconde du fait de ses activités ; dans la théologie chrétienne, elle est ontologiquement dépréciée du fait de son rapport privilégié avec le péché. Ce qui préoccupe les Grecs, ce n'est point la morale ; c'est le destin politique de la cité. Bien sûr, il est tentant de déchiffrer notre époque en nous adossant à ces origines. Il est évident que l'assomption de l'économie, le déclin du politique y préludent à la primauté du principe féminin. Mais je sais que vous vous défiez des analogies...
J.F. - Celle-là peut paraître lumineuse, mais il faut se garder des simplifications.
Ici démarrait le développement de P.B. que j'ai supprimé. Observons en passant la parenté de sa démarche avec celle d'un Castoriadis : réflexion historique et politique d'un côté, psychanalytique de l'autre.
P.B. - On constatera que les slogans mis en orbite par les barricadiers ont légitimé la consommation sans entrave en lui conférant une signification "progressiste" et émancipatrice que le capitalisme disciplinaire d'autrefois axé sur le travail et l'épargne était bien incapable de lui attribuer.L'hybridation libérale-libertaire ne tient pas du hasard. Elle est l'expression idéologique de ce nouveau régime psychique. La cristallisation libérale-libertaire en nouvel horizon indépassable suppose des individus conformés pour n'avoir d'yeux, effectivement, que pour cet horizon, là. Dans cette perspective, le père symbolique, cette allégorie du négatif, cette autorité qui réfrène et oblige la pulsion au sursis pour la traduire en aménité sociale... ce père devient un obstacle au fonctionnement du système. A la limite, il est un frein à la croissance. Comme le sont aussi l'instituteur et le professeur qui ne se résignent pas à devenir les auxiliaires "cool et sympa" de l'industrie des loisirs. D'où cette image répulsive du père forgé depuis vingt ans : père-la-pudeur, père fouettard et autre croquemitaine et aussi cette caricature colportée par ces légions de "psy", salariés de l'actuel, sur la forteresse familiale, ultime bastion du totalitarisme. Bref... le père c'est le fascisme ! Un quotidien comme Libération est emblématique de cette convergence. Féministe, libertaire, libéral ; le tout étant articulé au bénéfice du capital.
J.F. - Vos propos sont trop tranchés... Ils détonnent avec ce que l'on peut lire dans Eléments qui se positionne toujours, à ma connaissance, pour la réhabilitation de la femme, en réaction à l'héritage chrétien qui, d'une manière évidente, véhicule une conception péjorante du féminin quoi que puisse dire les théologiens sur le culte marial. Ma génération, vous le savez, a été très marquée par la première guerre mondiale et ce que j'ai pu constater, c'est qu'en l'absence des hommes massivement mobilisés, les femmes surent alors élever leurs enfants selon des principes qui sont ceux que vous assignez, de façon trop systématique, au pôle masculin. L'évolution contemporaine dont vous soulignez à raison les carences éducatives... cette évolution disais-je, touche l'ensemble des individus par-delà leur genre. Et puis, fondamentalement, dans l'élevage de l'enfant, la mère incarne, au moins autant que le père, cette instance du négatif qui raffine l'instinct afin de le transmuer en un désir compatible avec les nécessités de la vie sociale. Quant à la famille... bien sûr, elle est vilipendée. Mais ce n'est pas nouveau. Souvenez-vous de Gide. Pour certains, elle apparaît comme la butte-témoin d'un ordre obsolète contrevenant à l'individualisme radical. Mais elle résiste tant bien que mal, s'adaptant avec souplesse à toutes les inflexions du monde moderne. Cette résistance organique et l'adhésion que lui témoignent les gens imposent un démenti cinglant aux extravagances du nihilisme idéologique. Ceci étant dit, l'idée d'un hybris moderne couplé à cette arrogance dont nous parlions me paraît assez juste...
P.B. - L'hybris des Grecs était étroitement normée par le religieux. Comme le carnaval médiéval annonçant quarante jours de carême. L'hybris individuel de masse défait la société pour bénir le marché. Mais qu'est-ce qu'un marché sans substruction sociale ? Le marché sans les entraves du lien, c'est le chaos.
Nouvelle Droite, libéralisme.
J.F. - Avec les années, votre critique du libéralisme s'est sans cesse accentuée. A ses débuts, la nouvelle droite était bien moins radicale. J'ai conservé d'ailleurs certains textes de cette époque ; vous ne pourriez plus vous y reconnaître. Je songe à ces odes à l'homme faustien dont vous étiez coutumiers ; toute cette quincaillerie qui fonde la supériorité de la culture européenne sur ses seules aptitudes scientifiques et techniques. L'arraisonnement du monde dont nous sommes évidemment les champions est un mécanisme équivoque qui révèle aujourd'hui toute son ambivalence. La logique économique s'empare de la planète, comme l'avait annoncé Spengler, mais ses effets sont pour l'Europe probablement mortifères. Vous ne croyez plus à cette supériorité en trompe-l'oeil... Vous ne communiez plus dans le dithyrambe faustien.
Intéressant pour un profane de la Nouvelle Droite comme moi. Cela expliquerait en partie pourquoi c'est maintenant que je la croise et la trouve lisible. Encore Castoriadis (qui va d'ailleurs être bientôt cité) : peut-être la Nouvelle Droite a-t-elle appris l'autolimitation. Ceci posé, il y aurait beaucoup à dire - mais on n'a qu'une vie - sur un texte de critique de l'économie comme celui-ci, dont l'auteur est Alain de Benoist.
P.B. - Je ne récuserai pas le risque d'un pacte avec le malin, mais je suis mécréant et je ne crois ni à dieu ni à diable... Cependant, vous avez raison : nos paradigmes ont évolué au fur et à mesure que - j'espère le dire sans forfanterie - que notre réflexion s'approfondissait. Par exemple, je ne pourrais plus parler de supériorité intrinsèque de l'Europe. Un tel jugement n'est concevable que dans une perspective universaliste. Pour que les hiérarchies fassent sens, il faut bien que les valeurs qui permettent de les établir soient unanimement partagées. Or, les valeurs étant l'expression de cultures différentes, toute tentative de classement trahit un ethnocentrisme effronté. Ce que l'on baptise pompeusement l'universel, qu'est-ce donc d'autre, sinon la culture et les préjugés des conquérants ?
J.F. - Vous êtes relativiste !
P.B. - J'incline à penser que l'écart entre les cultures ne relève pas d'une différence de degré, mais d'une distinction de nature, même si, bien entendu, il n'y a qu'une seule espèce humaine. D'où ma réserve, pour ne pas dire plus, vis à vis de cette arrogance occidentale qui pulvérise le pluriversum planétaire avec, il faut bien le dire, la complicité extasiée de la plupart de ses victimes. Ultimes sectateurs de cette occidentalisation, les croisés des droits-de-l'homme ne sont pas ses thuriféraires les plus naïfs. Le moralisme chevillé au corps, ils couronnent un processus qui n'a fait que s'accentuer pour le plus grand malheur de l'humanité. Car, enfin, concrètement, ce qu'on appelle prétentieusement le développement, qu'est-ce d'autre que la métamorphose de la pauvreté en misère. Qu'est-ce donc que la misère ? C'est la pauvreté sans le secours apaisant du groupe, sans les racines partagées, sans l'assurance d'un entre-soi solidaire.
On le devine, je suis d'accord et pas d'accord. Disons qu'ici comme dans les passages précédents il faut voir dans l'universalisme un éventuel point d'arrivée, un guide même peut-être, qu'un illusoire point de départ. Quant à la "métamorphose de la pauvreté en misère" (c'est presque le titre d'un livre récent (que je n'ai pas lu) : Quand la misère chasse la pauvreté, M. Rahnema, Fayard - Actes Sud, 2003), il importe de ne jamais oublier qu'elle est un drame spirituel aussi bien que matériel, puisqu'obligeant les êtres humains à ne se concentrer que sur leurs besoins animaux.
Au nom de la concurrence et de la rentabilité du capital, on exige une flexibilité toujours plus grande des acteurs économiques. La mobilité, le nomadisme sont devenus des facteurs déterminants de la réussite et du même coup des signes de la distinction dans les élites. Si je reprends l'exemple de la famille devenue cette institution fragile et mouvante dont nous parlions tout à l'heure, il est évident que sa forme classique marquée par la stabilité est aujourd'hui perçue comme une rigidité incompatible avec les nouvelles contraintes du salariat.
Ce n'est pas tout à fait vrai aux Etats-Unis, où la famille - mais la plus basique et la plus conservatrice possible - reste une grande valeur. Il est vrai néanmoins que cette famille est brisée, du fait de la mobilité professionnelle et géographique des salariés américains, lors du départ des enfants à l'université (pour ceux qui peuvent y aller).
J.F. - La logique du capitalisme est en effet destructrice et créatrice. Comme Marx le souligne toujours, il bouscule les structures sociales et les mentalités qui font obstacle à son déploiement. Marx se réjouissait de ce maelström continuel, car il y voyait les prémisses de la révolution à venir, mais il ne soupçonnait pas l'aptitude du système à triompher de ses contradictions en se renouvelant au gré des oppositions rencontrées. Cette aptitude à la régénération plaide d'ailleurs pour lui ; mieux que les systèmes rivaux, il a su capter certaines constantes de la nature humaine afin de s'en fortifier. Ceci étant dit, on voit bien que l'économie, aujourd'hui, excède sa vocation et tend à annexer ou à dissoudre des activités dont l'existence et l'autonomie sont nécessaires à l'équilibre de la cité. De toute évidence, les soubassements de la vie collective, à commencer par l'identité culturelle, sont mis en péril par les tourbillons que provoque son déchaînement contemporain. Il y a là une violence économique qui infirme le préjugé de Montesquieu et de sa descendance libérale sur les vertus pacifiantes du doux commerce.
Cette fois-ci, c'est J.F. qui rappelle Castoriadis, et la façon dont il a montré que le capitalisme s'est nourri à partir d'un certain stade des exigences du mouvement ouvrier, les a intégrées et en partie satisfaites pour survivre. Et depuis quelques années, il pense pouvoir se passer de ces concessions. De même que d'autres facilités fournies par le monde pré-capitaliste, tel le fonctionnaire wébérien. Arrivera ce qui arrivera.
P.B. - Les libéraux répondent à cela que l'abondance et la paix surviendront effectivement lorsque le marché aura triomphé des pesanteurs - traduire : les vestiges encore agissant de l'ancien monde - et des trop tenaces préjugés de ses adversaires. En clair, lorsqu'il sera venu à bout de la nature humaine. Ce plaidoyer est une théodicée. Comment en effet se persuader de l'excellence du système compte tenu des maux qui semblent la démentir ? En interprétant ces maux comme autant d'épreuves à surmonter avant la rédemption promise. C'est un discours comparable à celui des marxistes pur sucre selon lesquels le socialisme réellement existant n'est qu'une caricature de leur mirifique utopie. Jamais la vérité du dogme n'est mise en cause. En revanche, on invoque la figure perturbatrice du mal - par exemple, les structures agraires de la Russie de 1917, l'empreinte orthodoxe dans les mentalités, la paranoïa de Staline... Autant d'accidents historiques passibles d'une remédiation. Ces modes de raisonnement sont caractéristiques d'une dérive magique de l'entendement.
J.F. - La France et l'Europe ne semblent pas devoir subir ce monopole impérieux. Les régimes mixtes qui combinent aspirations libérales et aspirations social-démocrates y sont solidement enracinés et le libéralisme, dont l'influence s'accroît effectivement, y paraît très édulcoré.
Ach... flagrant délit d'optimisme ?
P.B. - Deux aspirations qui ont ceci en commun d'être issues de la matrice des Lumières et de surestimer le rôle de l'économie au point de toujours privilégier la croissance comme un sésame en dépit des ravages qu'elle exerce aussi bien sur la biosphère que dans la sociosphère. Il s'agit de deux inflexions d'un même système, comme vous l'avez d'ailleurs écrit à plusieurs reprises. A tour de rôle, chacun de ces deux sous-systèmes est mis en avant pour corriger les excès de l'autre, mais on ne met jamais en question la matrice commune et ses paradigmes. C'est pourquoi les frères ennemis jouissent d'un bail emphytéotique sur ce qui nous reste de vie politique.
J.F. - C'est ce qui conduit Alain de Benoist à relativiser la pertinence du clivage gauche-droite.
P.B. - Oui, c'est un clivage obsolescent quant au fond, un simple label pour identifier des commissions de gestionnaires rivaux ; mais les élites dépensent des trésors de communication pour le maintenir sous perfusion. Il y va de leur intérêt. Cette hégémonie n'est même pas sérieusement contestée par les chapelles d'extrême-gauche dont la présence très active dans ce qu'un de vos collègues appelle les nouveaux mouvements sociaux, prend pour cible privilégiée la famille, l'armée, la religion, l'école autoritaire, etc...
Les cons ! Alliés objectifs du capitalisme !
Génération 68.
Autant de proies chétives, d'objectifs cacochymes, de leurres, que l'évaluation libérale-libertaire du capitalisme s'est depuis longtemps employée à déconsidérer et dont les vestiges, objets de railleries consensuelles, ne peuvent plus être considérés comme des forces agissantes et, à fortiori, comme des instruments d'oppression. En blasphémant des idoles déchues, ils participent de cette "insignifiance" dont parle Castoriadis pour qualifier ce présent où nous avons à vivre. C'est un fait, la clameur "contestataire" enfle au rythme où s'épuise son imaginaire révolutionnaire. On notera par ailleurs que cette clameur trouve un écho complice dans ce qu'il faut bien appeler la presse "patronale", ce qui est tout dire de la capacité subversive que lui reconnaissent les classes dirigeantes. En vociférant contre les vestiges de l'ancienne société, la dissidence de confort apporte sa modeste contribution à l'entreprise de bazardement qui doit faire place nette aux stratégies de recomposition d'un capitalisme mondialisé. Leurs diatribes contre la France frileuse, le repli identitaire, le tribalisme xénophobe...
c'est cela : la version jeuniste, lyrique et bigarrée d'une raison libérale qui a fait le choix de la globalisation et considère, en conséquence, les frontières comme des obstacles à effacer. Favoriser la porosité des territoires pour que demeure seulement un espace homogène de consommation. Le monde sans frontière dont rêvent les gauchistes ressemble furieusement à un terrain de jeu pour multinationales en goguette. Pour en conclure avec les gauchistes, je voudrais dire un mot sur ce que des détracteurs trop frivoles appellent leur opportunisme. Assurément, nombre d'entre eux se sont "ralliés" au système qu'ils croyaient combattre. Beaucoup font " carrière " dans la publicité, le journalisme et les appareils. On les découvre au sommet des "partis de gouvernement", des syndicats et même du C.N.P.F. Il y a comme un gauchisme d'Etat et beaucoup se gaussent de ces itinéraires. Pourtant, je ne parlerai pas d'apostasie, mais plutôt d'une vocation aboutie. L'hypothèse de la palinodie n'est en effet recevable qu'à deux conditions. D'abord, considérer que la polarité gauche-droite permet de rendre compte de toutes les opinions. Ensuite, rattacher le libéralisme à la droite historique.
Le cas Constant va effectivement dans le sens de P.B. - et d'ailleurs ceux qui se réclament aujourd'hui plus ou moins de lui se disent souvent de gauche.
Or, aucune de ces deux conditions n'est réalisée. A partir du moment où l'on veut bien s'extraire de ce double carcan, les soi-disants revirements prennent une autre coloration. Mon interprétation, c'est que les gauchistes recyclés dans les principaux organes de propagande du système n'ont pas trahi leurs idéaux de jeunesse mais manifestent, enfin, avec éclat, l'impensé que charrie depuis toujours leur conception du monde.
Leur succès métapolitique, leur capacité à fournir le système dominant en cadres efficaces, la propension des classes dirigeantes à les accueillir en leur sein, sont autant d'épreuves de vérité quant à la nature réelle du libéralisme contemporain et quant aux concepts que le gauchisme véhicule.
J.F. - Toujours la vérification ironique.
P.B. - En effet, il n'y a pas de convergence innocente.
A ce sujet, cela fait quelque temps que je pensais vous recommander la lecture du livre de François Ricard, La génération lyrique, Climats, 2001, qui bien qu'un peu trop dans la lignée Tocqueville-Péguy-Arendt-Kundera-Finkielkraut à mon goût (un peu coincé, quoi), restitue brillamment l'itinéraire de cette génération et montre effectivement la cohérence de son itinéraire, des barricades au pouvoir. On le nuancera tout de même immédiatement sur certains points d'importance - la compréhension de Mai 68 - par la lecture de la belle lettre A un pédé mondain (G. Hocquenghem) de Jean-Pierre Voyer, Hécatombe, pp. 291-310, texte scandaleusement inexistant sur le Net. Ach, vous n'avez qu'à l'acheter !
Libre circulation des capitaux et des marchandises, libre circulation de la force de travail renvoient au même imaginaire. La mondialisation capitaliste est conviée à recycler indéfiniment, à son profit, les déchets d'un internationalisme décrépit. C'est dans la grammaire libérale que doivent désormais s'interpréter les anciennes revendications internationalistes du prolétariat. Quant aux prolétaires réellement existants, dont les experts de connivence se plaisent à souligner la disparition, ils devront s'arranger avec un monde qui reprend d'autant plus volontiers leurs anciens mots d'ordre qu'il les sacrifie à l'avenir radieux de la marchandise. Les crypto-repentis ont fait don à l'oligarchie d'un inestimable présent, le verrou qui scelle toutes les volontés transgressives... Cet antifascisme concocté jadis dans le chaudron stalinien, ragaillardi par son alliage tout neuf avec la religion des droits de l'homme. Commence l'âge du virtuel et nous voici surplombé par le surmoi antifasciste qui impose à tous effroi et tremblements. Pour les authentiques opposants, le choix, c'est le silence des proscrits ou la médiatisation fatale réservés aux épouvantails.
R.I.P. ?
Questions et réponses II.
(Fin du texte.)
Et voici la dernière partie de l'entretien entre Julien Freund et Pierre Bérard.
Je dois signaler une coupure plus importante que celles que j'ai pratiquées jusqu'ici : un développement, dans une optique psychanalytique, de P. B. sur l'apprentissage de l'autorité par l'individu dans son enfance. Je l'ai supprimé d'abord en raison de sa longueur, ensuite parce que, ne m'intéressant que fort peu à la psychanalyse, il m'a paru stimulant de montrer par l'exemple que les raisonnements des deux hommes pouvaient se tenir sans avoir recours à ce type de concepts. L'idéal serait une comparaison raisonnée entre l'approche psychanalytique et l'approche d'un Wittgenstein de l'apprentissage de la règle. Avis aux amateurs !
P.B. - Harcelés par des antécédents criminels mais pressés de se faire admettre dans l'humanité post-totalitaire, les Allemands se sont faits récemment les oblats opiniâtres d'une nouvelle coquecigrue ; le patriotisme constitutionnel à la Habermas...
J.F. - Du point de vue sociologique, c'est une absurdité, car il n'y a pas de société qui pourrait être une création ex-nihilo. Il n'y a pas d'être-ensemble sans ancrage identitaire. Les groupes humains ne peuvent pas vivre en apesanteur. La théorie d'Habermas, c'est une nouvelle version du syndrome utopique qui travaille les idéologues depuis le XVIème siècle, mais elle est révélatrice d'une aporie. Elle prétend en effet fonder son patriotisme sur l'abjuration des pères. Il s'agit donc de tout autre chose que de patriotisme...
P.B. - Illustration de la pseudomorphose selon Spengler. Le mot demeure incrusté dans la langue, mais il a changé de signifié.
J.F. - Il ne désigne plus que des nuées... Déguisé en Ayatollah de la vertu, Habermas profère des fatwas. Il se félicite de la débâcle des méchants qui depuis toujours auraient précipité l'Allemagne dans un bellicisme sanglant...
P.B. - Depuis que les Chérusques firent un mauvais sort aux légionnaires romains de Varus ?
J.F. - Pourquoi pas, pendant qu'on y est ! Après avoir déblatéré sans répit, quand tout a été déblayé, épuré, à quel fondement accrocher l'être collectif allemand ? Les fondements nous précèdent nécessairement. Mais quand tout ce qui nous précède est condamné à la débandade, sur quoi fonder la légitimité ? Sans doute sur un futur immaculé puisque imaginé selon les seuls mécanismes de la raison désincarnée... C'est l'essence même de l'utopie progressiste.
P.B. - Si nous résumons nos propos, nous pouvons dire que recru de brimades, le passé est aujourd'hui en déroute. Ajoutons qu'on n'en exhume les fonds de tiroirs que dans le seul but de nous jeter à la face les preuves de notre constante cruauté. Mais il y a autre chose. A propos des Allemands vous venez de parler de génération orpheline. La scélératesse des pères empêche en effet qu'on s'en réclame ingénument. Les mères en revanche paraissent mieux s'en tirer. Le discours contemporain, encore une fois depuis les années soixante-dix, tient de toute évidence à les disculper. Et pour ce faire, il les enrôle sous la bannière du féminisme, dans ces catégories souffrantes que les "mâles, blancs, morts", comme on dit sur les campus américains, auraient depuis toujours tenues sous leur férule.
Féminin, économie, fin de l'histoire.
J.F. - Ma réflexion ne m'a jamais conduit vers ces questions, mais vos remarques sur le féminisme me ramènent à Auguste Comte, un penseur que j'ai beaucoup pratiqué. Comte, vous le savez, est l'inventeur du concept de sociologie. Comme les contre-révolutionnaires de son temps, il est conscient de la béance ouverte par la Révolution de 1789 ; c'est ainsi qu'il parle de l'immense gratitude des positivistes vis à vis de Joseph de Maistre et qu'il révoque les faux dogmes de l'individualisme et de l'égalitarisme. Il se veut tout autant l'héritier que le liquidateur de la Révolution. Comment surmonter l'individualisme dissolvant des modernes ?
Peut-être le mot n'est-il pas choisi au hasard : Maistre justement parle du protestantisme comme "dissolvant universel", expression que j'ai une fois reprise pour l'appliquer au capitalisme.
C'est à cette question qu'il tente de répondre et il le fait de manière mixte. En effet, à la différence des contre-révolutionnaires qui proposent une solution rétrograde assise sur la restauration du trône et de l'autel, Comte partage la certitude des Lumières selon laquelle l'humanité tend irrésistiblement vers l'unité cosmopolite. Cette convergence planétaire qu'il voit s'accomplir, comme les libéraux, par le truchement de l'économie, il entend la parachever et la corriger au moyen d'une nouvelle religion. Pour lui, il ne fait pas de doute qu'une communauté humaine ne peut assurer la fonction intégratrice nécessaire à la durée que par le lien religieux. Cette nouvelle religion fait la part belle aux savants, aux prolétaires et surtout aux femmes qu'il dépeint comme les préceptrices idéales de l'altruisme. Le féminisme de Comte reflète la prépondérance qu'il attribuait au sentiment. Une telle assimilation lui vaudrait sans aucun doute les sarcasmes, voire l'ire des féministes d'aujourd'hui... Bref, c'est la puissance affective impartie au coeur féminin qui permet de recoudre les lambeaux d'une société mise à mal par le bouleversement de 1789. Comme l'a montré Robert Nisbet, c'est toute la problématique de la sociologie naissante.
R. Nisbet : La tradition sociologique, PUF, 1984, édité aux Etats-Unis en 1966. Je m'enorgueillissais dans mon coin de trouver des rapprochements entre Dukheim et Chateaubriand, cela fait quarante ans qu'un livre a été publié qui explique pourquoi. Le peu que j'en ai lu a l'air sobre et intéressant.
Qu'est-ce qui peut relier les hommes quand ils ne sont plus confinés dans les ordres traditionnels et leurs réseaux d'obligations réciproques, quand l'obéissance ne va plus de soi ? Ce n'est pas tant la réponse constructiviste, en fait une religion d'intellectuel, qui fait l'originalité de Comte que le rôle souverain qu'il confère aux femmes, prophétesses d'une humanité régénérée. Cimentée par la religion de l'humanité, sa société positive met un terme aux errements de l'histoire humaine et ce dénouement... c'est ça qui est important, correspond avec la consécration du genre féminin.
P.B. - Culmination sociale de la femme et fin de l'histoire composent donc un système cohérent ?
Et revoilà Muray... Mais nos deux protagonistes ne vont pas oublier nuances et contradictions.
J.F. - Pour Auguste Comte, c'est une évidence ; avec la techno-science et la tyrannie du sentiment. C'est comme cela qu'il se figure l'émancipation définitive. Ce qui est capital, c'est l'amalgame notifié par Comte entre féminisme et accession à un universel réalisé. Il inaugure un épisode dans lequel nous continuons de patauger.
Ceci étant dit, pour interpréter l'irruption conquérante du féminin dans le registre du politique, il faut aller au-delà du discours de Comte même si quelque chose d'inaugural se manifeste chez lui. En effet, comme chacun sait, la société traditionnelle pose la figure du père au centre de son imaginaire collectif. Il n'y a là nulle misogynie mais un partage des rôles qui attribue à la masculinité tout ce qui relève de la verticalité. Dans ces communautés, seuls les pères disposent du pouvoir symbolique d'engendrer, aussi bien le père de famille dans le domaine du privé, que le roi, père de ses peuples, dans la sphère du politique. De même Dieu est-il posé en père de l'humanité. Le modèle est organique et c'est la puissance d'engendrement du père qui justifie son pouvoir symbolique, même si, je le concède volontiers, il en va tout autrement dans l'ordre concret du domestique où les maîtresses-femmes n'étaient pas plus rares qu'aujourd'hui. Mais, ce n'est pas le concret quotidien avec ses multiples compromis qui importe ici, mais la métaphore qui traverse tant l'imaginaire des Anciens.
Au rebours de cette représentation qui inscrit le social dans l'ordre de la nature et de la reproduction, la société démocratique des modernes est supposée s'engendrer elle-même. Elle rejette la loi organique qui régit l'ensemble du cosmos et prétend, insolemment, ne devoir son existence qu'à la libre volonté de ses sociétaires. C'est un nouveau régime mythique qui se met en place. La société y survient ex-nihilo... à partir d'une table rase, d'où sa difficulté à concevoir des antécédents susceptibles de la déterminer. Récusant la naissance, faisant son deuil du fardeau de l'ascendance, elle veut lire dans ses origines séraphiques la promesse de son émancipation infinie.
La nature est ici congédiée au bénéfice de l'artifice et du fantasme de la maîtrise. Les modernes ont substitué l'artifice à la nature et leur société étant conçue idéalement comme une construction purement volontaire est du même coup considérée comme indéfiniment malléable, perfectible à souhait sur le modèle de la technique.
A la vérité, je ne suis pas sûr que Julien Freund n'exagère pas la différence entre ces deux conceptions, au moins quant à l'attitude des individus dans leur vie quotidienne. On retrouve ici le débat Descombes-Castoriadis longuement évoqué dans l'annexe 2 du texte "Pas de liberté pour les amis de la liberté". Pour résumer : que nos sociétés soient délibérément, quoique dans des mesures différentes, artificialistes, ne signifie pas que les sociétés traditionnelles ne sentaient pas un peu, aussi, qu'elles l'étaient, et qu'elles croyaient tant que cela à une nature immuable. Il faut évidemment distinguer selon les cas. Quoi qu'il en soit, il est sûr que l'idée de nature a l'avantage, pour employer justement un terme cher à Castoriadis, de favoriser l'autolimitation des ambitions des hommes.
L'idée d'une sociabilité intrinsèque à la nature humaine se trouve supplantée par la fiction d'un contrat fondateur d'essence marchande prescrit par la convergence des intérêts, qui elle-même commande la résolution des individus contractants. Les sociétaires sont libres d'en amender les termes pour autant que l'utilité l'exige. Cette philosophie qui ne veut voir dans la société que le produit de conventions arbitraires, quoiqu'elles soient dictées, en dernière instance, par les déterminants économiques, implique aussi bien la réforme que la révolution, les ajustements empiriques que les bouleversements violents...
P.B. - Bien sûr, le rejet de tout principe transcendant conduit au marivaudage législatif... Issue donc du miracle contractuel, la société se laisse interpréter comme une parfaite épiphanie. Sans père, sans mère, sans généalogie, elle tombe toute faite, non pas de la cuisse de Jupiter, mais du ciel des idées. Mais alors, pourquoi ce retournement des polarités ? Pourquoi passe-t-on d'une symbolique verticale et masculine quand on honorait les racines, le lignage, la continuité à une modernité d'autant plus réfractaire à l'image paternelle qu'elle décline toute obligation à l'égard de la souche générique ? Car il ne fait guère de doute que notre présent se reconnaît dans l'allégorie féminine. La métaphore féminine imbibe la lecture du social et du politique.
J.F. - La femme comme genre, sans doute ; pas la femme comme mère, toujours plus occultée... évacuée du système référentiel.
P.B. L'individu contractant exige la reconnaissance de ses droits mais ne veut admettre aucune dette. La déliaison est la fausse monnaie inéluctable de sa liberté. Donner, recevoir, rendre : c'étaient les trois séquences du système de don qui instituait le lien communautaire.
Mauss, of course.
L'économie était alors sous la coupe du social et du politique. Ce lien se dissout aujourd'hui au rythme de l'extension démesurée de l'ethos libéral et des procédures de marché. De même la conscience historique se décompose-t-elle dans le refus présentiste de l'héritage. De même qu'on se refuse à reconnaître toute obligation dans la dimension horizontale, celle qui implique les contemporains ; on s'y soustrait également dans la dimension verticale, celle des générations successives. Ni les ancêtres, ni les successeurs ne font sens. L'obligation de rendre est devenue une corvée, une servitude que seul l'impôt, paradoxalement de plus en plus lourd
ça dépend pour qui !
, se charge d'assumer dans l'anonymat bureaucratique. La transmission est en jachère... Nous payons très cher la rançon de la liberté moderne. Vous avez raison ; la mère après tout est aussi bien légataire que le père...
J.F. - L'individualisme... l'individualisme de masse est en train de déglinguer l'Europe. Mais je ne suis pas décliniste comme certains le prétendent : nous ne sommes pas surplombés par les exigences mystérieuses du fatum. Et, disant cela, nous nous affirmons aussi comme des modernes. La volonté n'a pas dit son dernier mot... Et puis, il y a l'aléa ; tout ce qui vient gâter le bel ordonnancement des plans, des projections, des programmes toujours dictés par la vue basse et le conformisme. Le désespoir serait une sottise. Il ne faut pas abdiquer.
P.B. - Je reviens à cette Allemagne dont nous parlions. La mue post-totalitaire s'est opérée là-bas sous le signe de la déchéance des pères. Leur débâcle fut d'autant plus facile à solder que tous avaient porté l'uniforme des maudits. La damnation collective qui les frappait leur arrachait également ces titres consacrés par le temps qui les avaient depuis toujours porté à transmettre et à incarner. Avec l'autorité, principale cible de la dénazification, cette vocation leur était définitivement déniée. Ils sont devenus des producteurs et des consommateurs prosaïques, rivés dans leur mutisme, aussi consciencieux dans la voie de la "normalisation" qu'ils l'avaient été dans celle du "Sonderweg".
"Autre chemin" - il s'agit du mouvement de recherche par les Allemands de leur propre spécificité en tant que peuple, particulièrement par rapport à la France et à l'Angleterre.
L'Allemagne, me semble-t-il, a surjoué le parricide, non pour se délester du fardeau de la culpabilité - cela lui est interdit - mais pour en alléger le poids. En se débarrassant de géniteurs encombrants, elle tentait de prouver sa bonne foi démocratique. N'oublions pas que les fascismes ont souvent été interprétés comme des manifestations du syndrome machiste... (...) Si demeure en Allemagne une forme potentielle de despotisme, c'est bien celui de la guimauve. Au Führer Prinzip, caricature du principe masculin, succéderait un Etat d'essence maternelle. Après le big-brother totalitaire, la big-sister maternante.
J.F. - La boutade est amusante, mais ce que vous décrivez n'est pas un épiphénomène allemand. C'est une évolution qui touche l'ensemble de l'Occident. Ses origines ne sont pas réductibles à un terreau national particulier.
P.B. - Je suis d'accord, mais savez-vous, pour l'anecdote, qu'en Allemagne justement, dans les toilettes mixtes, les hommes sont exhortés à uriner assis. Cet exemple saugrenu montre que la parité taille sa route par des détours insolites.
J.F. - Ils sont obsédés par l'hygiène, comme les Américains du nord. Descartes notait déjà ce trait dans la Hollande calviniste du XVIIème siècle. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est toute la modernité qui dévale cette pente. Il y a une revendication démesurée des droits qu'un Etat ramolli et bienveillant s'efforce de satisfaire, car cette demande qui lui est adressée, elle contribue aussi à le légitimer. Le droit à la santé par exemple s'intègre dans cette extension illimitée, d'où le risque d'un despotisme thérapeutique. Car, enfin, la gratuité des soins conduit automatiquement l'Etat, dispensateur et gestionnaire du système de santé, à organiser une prévention collective toujours plus vigilante au nom de la rentabilité. La société du contrôle total est au bout de l'idéal hygiénique. Aboutissement qui n'est pas antinomique d'un Etat faible, d'un Etat apathique en tous cas dans le registre des fonctions régaliennes...
P.B. - L'oxymore de la puissance faible... L'Etat omnipotent et impotent.
J.F. - Oui, c'est ça. La santé ... L'obligation sanitaire pourrait être dans un proche avenir au fondement d'une nouvelle forme de totalitarisme. Le refus pathologique du vieillissement et de la mort, intimement lié à cet effacement de la transcendance dont nous parlions laisse aisément présager l'aptitude de nos contemporains à consentir au cauchemar climatisé dont parlait Bernanos. Le harcèlement que nous subissons à propos de l'alcool et du tabac donne un mince avant-goût de ce que nous pourrions subir. Nous sommes talonnés par des instruments de surveillance toujours plus sophistiqués, sans que cela ne soulève de réelles protestations. C'est la face noire du jeunisme qui nous assaille.
Tout cela est indéniable, malheureusement, mais il faut ajouter un correctif d'importance : dans les pays comme les Etats-Unis, où il n'y a pas de gratuité des soins et où les fonctions régaliennes de l'Etat ne sont pas négligées - en admettant d'ailleurs que ce soit à ce point le cas en France, mais passons -, on observe encore plus l'essor de ce "cauchemar climatisé". C'est un mouvement social plus profond que la question de la Sécurité sociale - hélas !
Et le sportif exemplaire, la star athlétique, le dieu du stade, objet de toutes les sollicitudes publicitaires, c'est le point de mire de toute cette mécanique. C'est l'icône pathétique d'une propagande qui promet la rédemption du corps par un nouveau régime de salubrité imposé.
P.B. - Un sportif bourré d'hormones et d'anabolisants.
J.F. - Oui, c'est le triomphe du modèle artificialiste au nom d'une santé "naturelle" qui n'a rien à voir avec la nature.
P.B. - On pourrait gloser sur l'usage de plus en plus massif des psychotropes et sur cette diététique de facture industrielle qui vient briser les identités alimentaires. Autant de remèdes qui contribuent à détruire l'entre-soi sociétal et à renforcer le conditionnement individualiste. Dans le premier cas le dépressif est fortifié dans sa solitude par la camisole chimique ; ce n'est pas la relation aux proches qui le délivre de son mal. Dans le second cas, c'est la liturgie des repas familiaux et la commensalité amicale qui sont sacrifiés au nom du "régime", de la "forme", cette condition favorable aux performances, dont l'horizon s'éloigne sans cesse, avivant la déprime et le dégoût de soi. Derrière tout cela se profile la boulimie, bien réelle celle-là, des grands groupes pharmaceutiques et des multinationales de l'agroalimentaire. C'est l'obsession hygiéniste qui génère leurs profits ; c'est aussi pourquoi ils sont si prompts à sponsoriser l'élite sportive.
Avec l'ethnologie du quotidien, on peut certes tout magnifier, mais dans le cas présent P.B. a bien raison.
J.F. - Vous savez, dans la perspective de ce que vous disiez tout à l'heure concernant big-sister, il faudrait se pencher sur ces deux évolutions parallèles, l'infestation de tout l'édifice social par l'économique et cette montée en puissance, non tant de la femme mais du féminin.
Précision importante, qu'il faudrait faire ou garder à l'esprit à chaque fois que l'on aborde ces sujets. Ce ne serait pas un coup de baguette magique, mais cela éviterait d'inutiles malentendus.
Il faudrait réfléchir à cela en partant de l'étymologie du mot "économie".
P.B. - L'oikos, évidemment. Chez les Grecs, c'est à la fois la gestion du domestique et le territoire imparti au règne de l'épouse. Si l'on suit les analyses de Louis Dumont, cet ensemble constitue un espace hiérarchiquement subordonné à l'espace politique qui est par définition celui des hommes, des citoyens. Si l'on en croit les éthologistes, cette répartition des rôles doit venir de très loin. Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour la sacraliser. Cette répartition a été très consciemment réfléchie par les penseurs grecs dans le souci de distinguer le privé du public. Elle implique une inégalité des sexes qui n'est pas tant une inégalité des personnes qu'une sévère hiérarchie des fonctions que la tradition leur attribue. S'ajoute à cela dans le récit mythologique, décrypté par Vernant, l'idée d'une dangerosité spécifique au sexe féminin. C'est ce qu'exprime clairement le mythe de Pandore. Une propension à l'hybris que le politique a pour mission de contenir. Le christianisme s'est greffé sur cet héritage mythique avec la morale du péché. Chez les Grecs, la femme est seconde du fait de ses activités ; dans la théologie chrétienne, elle est ontologiquement dépréciée du fait de son rapport privilégié avec le péché. Ce qui préoccupe les Grecs, ce n'est point la morale ; c'est le destin politique de la cité. Bien sûr, il est tentant de déchiffrer notre époque en nous adossant à ces origines. Il est évident que l'assomption de l'économie, le déclin du politique y préludent à la primauté du principe féminin. Mais je sais que vous vous défiez des analogies...
J.F. - Celle-là peut paraître lumineuse, mais il faut se garder des simplifications.
Ici démarrait le développement de P.B. que j'ai supprimé. Observons en passant la parenté de sa démarche avec celle d'un Castoriadis : réflexion historique et politique d'un côté, psychanalytique de l'autre.
P.B. - On constatera que les slogans mis en orbite par les barricadiers ont légitimé la consommation sans entrave en lui conférant une signification "progressiste" et émancipatrice que le capitalisme disciplinaire d'autrefois axé sur le travail et l'épargne était bien incapable de lui attribuer.L'hybridation libérale-libertaire ne tient pas du hasard. Elle est l'expression idéologique de ce nouveau régime psychique. La cristallisation libérale-libertaire en nouvel horizon indépassable suppose des individus conformés pour n'avoir d'yeux, effectivement, que pour cet horizon, là. Dans cette perspective, le père symbolique, cette allégorie du négatif, cette autorité qui réfrène et oblige la pulsion au sursis pour la traduire en aménité sociale... ce père devient un obstacle au fonctionnement du système. A la limite, il est un frein à la croissance. Comme le sont aussi l'instituteur et le professeur qui ne se résignent pas à devenir les auxiliaires "cool et sympa" de l'industrie des loisirs. D'où cette image répulsive du père forgé depuis vingt ans : père-la-pudeur, père fouettard et autre croquemitaine et aussi cette caricature colportée par ces légions de "psy", salariés de l'actuel, sur la forteresse familiale, ultime bastion du totalitarisme. Bref... le père c'est le fascisme ! Un quotidien comme Libération est emblématique de cette convergence. Féministe, libertaire, libéral ; le tout étant articulé au bénéfice du capital.
J.F. - Vos propos sont trop tranchés... Ils détonnent avec ce que l'on peut lire dans Eléments qui se positionne toujours, à ma connaissance, pour la réhabilitation de la femme, en réaction à l'héritage chrétien qui, d'une manière évidente, véhicule une conception péjorante du féminin quoi que puisse dire les théologiens sur le culte marial. Ma génération, vous le savez, a été très marquée par la première guerre mondiale et ce que j'ai pu constater, c'est qu'en l'absence des hommes massivement mobilisés, les femmes surent alors élever leurs enfants selon des principes qui sont ceux que vous assignez, de façon trop systématique, au pôle masculin. L'évolution contemporaine dont vous soulignez à raison les carences éducatives... cette évolution disais-je, touche l'ensemble des individus par-delà leur genre. Et puis, fondamentalement, dans l'élevage de l'enfant, la mère incarne, au moins autant que le père, cette instance du négatif qui raffine l'instinct afin de le transmuer en un désir compatible avec les nécessités de la vie sociale. Quant à la famille... bien sûr, elle est vilipendée. Mais ce n'est pas nouveau. Souvenez-vous de Gide. Pour certains, elle apparaît comme la butte-témoin d'un ordre obsolète contrevenant à l'individualisme radical. Mais elle résiste tant bien que mal, s'adaptant avec souplesse à toutes les inflexions du monde moderne. Cette résistance organique et l'adhésion que lui témoignent les gens imposent un démenti cinglant aux extravagances du nihilisme idéologique. Ceci étant dit, l'idée d'un hybris moderne couplé à cette arrogance dont nous parlions me paraît assez juste...
P.B. - L'hybris des Grecs était étroitement normée par le religieux. Comme le carnaval médiéval annonçant quarante jours de carême. L'hybris individuel de masse défait la société pour bénir le marché. Mais qu'est-ce qu'un marché sans substruction sociale ? Le marché sans les entraves du lien, c'est le chaos.
Nouvelle Droite, libéralisme.
J.F. - Avec les années, votre critique du libéralisme s'est sans cesse accentuée. A ses débuts, la nouvelle droite était bien moins radicale. J'ai conservé d'ailleurs certains textes de cette époque ; vous ne pourriez plus vous y reconnaître. Je songe à ces odes à l'homme faustien dont vous étiez coutumiers ; toute cette quincaillerie qui fonde la supériorité de la culture européenne sur ses seules aptitudes scientifiques et techniques. L'arraisonnement du monde dont nous sommes évidemment les champions est un mécanisme équivoque qui révèle aujourd'hui toute son ambivalence. La logique économique s'empare de la planète, comme l'avait annoncé Spengler, mais ses effets sont pour l'Europe probablement mortifères. Vous ne croyez plus à cette supériorité en trompe-l'oeil... Vous ne communiez plus dans le dithyrambe faustien.
Intéressant pour un profane de la Nouvelle Droite comme moi. Cela expliquerait en partie pourquoi c'est maintenant que je la croise et la trouve lisible. Encore Castoriadis (qui va d'ailleurs être bientôt cité) : peut-être la Nouvelle Droite a-t-elle appris l'autolimitation. Ceci posé, il y aurait beaucoup à dire - mais on n'a qu'une vie - sur un texte de critique de l'économie comme celui-ci, dont l'auteur est Alain de Benoist.
P.B. - Je ne récuserai pas le risque d'un pacte avec le malin, mais je suis mécréant et je ne crois ni à dieu ni à diable... Cependant, vous avez raison : nos paradigmes ont évolué au fur et à mesure que - j'espère le dire sans forfanterie - que notre réflexion s'approfondissait. Par exemple, je ne pourrais plus parler de supériorité intrinsèque de l'Europe. Un tel jugement n'est concevable que dans une perspective universaliste. Pour que les hiérarchies fassent sens, il faut bien que les valeurs qui permettent de les établir soient unanimement partagées. Or, les valeurs étant l'expression de cultures différentes, toute tentative de classement trahit un ethnocentrisme effronté. Ce que l'on baptise pompeusement l'universel, qu'est-ce donc d'autre, sinon la culture et les préjugés des conquérants ?
J.F. - Vous êtes relativiste !
P.B. - J'incline à penser que l'écart entre les cultures ne relève pas d'une différence de degré, mais d'une distinction de nature, même si, bien entendu, il n'y a qu'une seule espèce humaine. D'où ma réserve, pour ne pas dire plus, vis à vis de cette arrogance occidentale qui pulvérise le pluriversum planétaire avec, il faut bien le dire, la complicité extasiée de la plupart de ses victimes. Ultimes sectateurs de cette occidentalisation, les croisés des droits-de-l'homme ne sont pas ses thuriféraires les plus naïfs. Le moralisme chevillé au corps, ils couronnent un processus qui n'a fait que s'accentuer pour le plus grand malheur de l'humanité. Car, enfin, concrètement, ce qu'on appelle prétentieusement le développement, qu'est-ce d'autre que la métamorphose de la pauvreté en misère. Qu'est-ce donc que la misère ? C'est la pauvreté sans le secours apaisant du groupe, sans les racines partagées, sans l'assurance d'un entre-soi solidaire.
On le devine, je suis d'accord et pas d'accord. Disons qu'ici comme dans les passages précédents il faut voir dans l'universalisme un éventuel point d'arrivée, un guide même peut-être, qu'un illusoire point de départ. Quant à la "métamorphose de la pauvreté en misère" (c'est presque le titre d'un livre récent (que je n'ai pas lu) : Quand la misère chasse la pauvreté, M. Rahnema, Fayard - Actes Sud, 2003), il importe de ne jamais oublier qu'elle est un drame spirituel aussi bien que matériel, puisqu'obligeant les êtres humains à ne se concentrer que sur leurs besoins animaux.
Au nom de la concurrence et de la rentabilité du capital, on exige une flexibilité toujours plus grande des acteurs économiques. La mobilité, le nomadisme sont devenus des facteurs déterminants de la réussite et du même coup des signes de la distinction dans les élites. Si je reprends l'exemple de la famille devenue cette institution fragile et mouvante dont nous parlions tout à l'heure, il est évident que sa forme classique marquée par la stabilité est aujourd'hui perçue comme une rigidité incompatible avec les nouvelles contraintes du salariat.
Ce n'est pas tout à fait vrai aux Etats-Unis, où la famille - mais la plus basique et la plus conservatrice possible - reste une grande valeur. Il est vrai néanmoins que cette famille est brisée, du fait de la mobilité professionnelle et géographique des salariés américains, lors du départ des enfants à l'université (pour ceux qui peuvent y aller).
J.F. - La logique du capitalisme est en effet destructrice et créatrice. Comme Marx le souligne toujours, il bouscule les structures sociales et les mentalités qui font obstacle à son déploiement. Marx se réjouissait de ce maelström continuel, car il y voyait les prémisses de la révolution à venir, mais il ne soupçonnait pas l'aptitude du système à triompher de ses contradictions en se renouvelant au gré des oppositions rencontrées. Cette aptitude à la régénération plaide d'ailleurs pour lui ; mieux que les systèmes rivaux, il a su capter certaines constantes de la nature humaine afin de s'en fortifier. Ceci étant dit, on voit bien que l'économie, aujourd'hui, excède sa vocation et tend à annexer ou à dissoudre des activités dont l'existence et l'autonomie sont nécessaires à l'équilibre de la cité. De toute évidence, les soubassements de la vie collective, à commencer par l'identité culturelle, sont mis en péril par les tourbillons que provoque son déchaînement contemporain. Il y a là une violence économique qui infirme le préjugé de Montesquieu et de sa descendance libérale sur les vertus pacifiantes du doux commerce.
Cette fois-ci, c'est J.F. qui rappelle Castoriadis, et la façon dont il a montré que le capitalisme s'est nourri à partir d'un certain stade des exigences du mouvement ouvrier, les a intégrées et en partie satisfaites pour survivre. Et depuis quelques années, il pense pouvoir se passer de ces concessions. De même que d'autres facilités fournies par le monde pré-capitaliste, tel le fonctionnaire wébérien. Arrivera ce qui arrivera.
P.B. - Les libéraux répondent à cela que l'abondance et la paix surviendront effectivement lorsque le marché aura triomphé des pesanteurs - traduire : les vestiges encore agissant de l'ancien monde - et des trop tenaces préjugés de ses adversaires. En clair, lorsqu'il sera venu à bout de la nature humaine. Ce plaidoyer est une théodicée. Comment en effet se persuader de l'excellence du système compte tenu des maux qui semblent la démentir ? En interprétant ces maux comme autant d'épreuves à surmonter avant la rédemption promise. C'est un discours comparable à celui des marxistes pur sucre selon lesquels le socialisme réellement existant n'est qu'une caricature de leur mirifique utopie. Jamais la vérité du dogme n'est mise en cause. En revanche, on invoque la figure perturbatrice du mal - par exemple, les structures agraires de la Russie de 1917, l'empreinte orthodoxe dans les mentalités, la paranoïa de Staline... Autant d'accidents historiques passibles d'une remédiation. Ces modes de raisonnement sont caractéristiques d'une dérive magique de l'entendement.
J.F. - La France et l'Europe ne semblent pas devoir subir ce monopole impérieux. Les régimes mixtes qui combinent aspirations libérales et aspirations social-démocrates y sont solidement enracinés et le libéralisme, dont l'influence s'accroît effectivement, y paraît très édulcoré.
Ach... flagrant délit d'optimisme ?
P.B. - Deux aspirations qui ont ceci en commun d'être issues de la matrice des Lumières et de surestimer le rôle de l'économie au point de toujours privilégier la croissance comme un sésame en dépit des ravages qu'elle exerce aussi bien sur la biosphère que dans la sociosphère. Il s'agit de deux inflexions d'un même système, comme vous l'avez d'ailleurs écrit à plusieurs reprises. A tour de rôle, chacun de ces deux sous-systèmes est mis en avant pour corriger les excès de l'autre, mais on ne met jamais en question la matrice commune et ses paradigmes. C'est pourquoi les frères ennemis jouissent d'un bail emphytéotique sur ce qui nous reste de vie politique.
J.F. - C'est ce qui conduit Alain de Benoist à relativiser la pertinence du clivage gauche-droite.
P.B. - Oui, c'est un clivage obsolescent quant au fond, un simple label pour identifier des commissions de gestionnaires rivaux ; mais les élites dépensent des trésors de communication pour le maintenir sous perfusion. Il y va de leur intérêt. Cette hégémonie n'est même pas sérieusement contestée par les chapelles d'extrême-gauche dont la présence très active dans ce qu'un de vos collègues appelle les nouveaux mouvements sociaux, prend pour cible privilégiée la famille, l'armée, la religion, l'école autoritaire, etc...
Les cons ! Alliés objectifs du capitalisme !
Génération 68.
Autant de proies chétives, d'objectifs cacochymes, de leurres, que l'évaluation libérale-libertaire du capitalisme s'est depuis longtemps employée à déconsidérer et dont les vestiges, objets de railleries consensuelles, ne peuvent plus être considérés comme des forces agissantes et, à fortiori, comme des instruments d'oppression. En blasphémant des idoles déchues, ils participent de cette "insignifiance" dont parle Castoriadis pour qualifier ce présent où nous avons à vivre. C'est un fait, la clameur "contestataire" enfle au rythme où s'épuise son imaginaire révolutionnaire. On notera par ailleurs que cette clameur trouve un écho complice dans ce qu'il faut bien appeler la presse "patronale", ce qui est tout dire de la capacité subversive que lui reconnaissent les classes dirigeantes. En vociférant contre les vestiges de l'ancienne société, la dissidence de confort apporte sa modeste contribution à l'entreprise de bazardement qui doit faire place nette aux stratégies de recomposition d'un capitalisme mondialisé. Leurs diatribes contre la France frileuse, le repli identitaire, le tribalisme xénophobe...
c'est cela : la version jeuniste, lyrique et bigarrée d'une raison libérale qui a fait le choix de la globalisation et considère, en conséquence, les frontières comme des obstacles à effacer. Favoriser la porosité des territoires pour que demeure seulement un espace homogène de consommation. Le monde sans frontière dont rêvent les gauchistes ressemble furieusement à un terrain de jeu pour multinationales en goguette. Pour en conclure avec les gauchistes, je voudrais dire un mot sur ce que des détracteurs trop frivoles appellent leur opportunisme. Assurément, nombre d'entre eux se sont "ralliés" au système qu'ils croyaient combattre. Beaucoup font " carrière " dans la publicité, le journalisme et les appareils. On les découvre au sommet des "partis de gouvernement", des syndicats et même du C.N.P.F. Il y a comme un gauchisme d'Etat et beaucoup se gaussent de ces itinéraires. Pourtant, je ne parlerai pas d'apostasie, mais plutôt d'une vocation aboutie. L'hypothèse de la palinodie n'est en effet recevable qu'à deux conditions. D'abord, considérer que la polarité gauche-droite permet de rendre compte de toutes les opinions. Ensuite, rattacher le libéralisme à la droite historique.
Le cas Constant va effectivement dans le sens de P.B. - et d'ailleurs ceux qui se réclament aujourd'hui plus ou moins de lui se disent souvent de gauche.
Or, aucune de ces deux conditions n'est réalisée. A partir du moment où l'on veut bien s'extraire de ce double carcan, les soi-disants revirements prennent une autre coloration. Mon interprétation, c'est que les gauchistes recyclés dans les principaux organes de propagande du système n'ont pas trahi leurs idéaux de jeunesse mais manifestent, enfin, avec éclat, l'impensé que charrie depuis toujours leur conception du monde.
Leur succès métapolitique, leur capacité à fournir le système dominant en cadres efficaces, la propension des classes dirigeantes à les accueillir en leur sein, sont autant d'épreuves de vérité quant à la nature réelle du libéralisme contemporain et quant aux concepts que le gauchisme véhicule.
J.F. - Toujours la vérification ironique.
P.B. - En effet, il n'y a pas de convergence innocente.
A ce sujet, cela fait quelque temps que je pensais vous recommander la lecture du livre de François Ricard, La génération lyrique, Climats, 2001, qui bien qu'un peu trop dans la lignée Tocqueville-Péguy-Arendt-Kundera-Finkielkraut à mon goût (un peu coincé, quoi), restitue brillamment l'itinéraire de cette génération et montre effectivement la cohérence de son itinéraire, des barricades au pouvoir. On le nuancera tout de même immédiatement sur certains points d'importance - la compréhension de Mai 68 - par la lecture de la belle lettre A un pédé mondain (G. Hocquenghem) de Jean-Pierre Voyer, Hécatombe, pp. 291-310, texte scandaleusement inexistant sur le Net. Ach, vous n'avez qu'à l'acheter !
Libre circulation des capitaux et des marchandises, libre circulation de la force de travail renvoient au même imaginaire. La mondialisation capitaliste est conviée à recycler indéfiniment, à son profit, les déchets d'un internationalisme décrépit. C'est dans la grammaire libérale que doivent désormais s'interpréter les anciennes revendications internationalistes du prolétariat. Quant aux prolétaires réellement existants, dont les experts de connivence se plaisent à souligner la disparition, ils devront s'arranger avec un monde qui reprend d'autant plus volontiers leurs anciens mots d'ordre qu'il les sacrifie à l'avenir radieux de la marchandise. Les crypto-repentis ont fait don à l'oligarchie d'un inestimable présent, le verrou qui scelle toutes les volontés transgressives... Cet antifascisme concocté jadis dans le chaudron stalinien, ragaillardi par son alliage tout neuf avec la religion des droits de l'homme. Commence l'âge du virtuel et nous voici surplombé par le surmoi antifasciste qui impose à tous effroi et tremblements. Pour les authentiques opposants, le choix, c'est le silence des proscrits ou la médiatisation fatale réservés aux épouvantails.
R.I.P. ?
Libellés : A. Comte, Benoist, Bérard, Castoriadis, Constant, Descombes, Dumont, Durkheim, Freund, Habermas, Maistre, marx, Mauss, Montesquieu, Muray, Nisbet, Ricard, Spengler, Voyer, Wittgenstein
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