mercredi 1 décembre 2010

Ma réacosphère dans ton cul.

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- Ce serait le titre d'une mise au point où je dissiperais quelques ambiguïtés dont je dois être en partie responsable, tant il m'arrive de me retrouver cité par des blogs que j'ai peine à ne pas trouver caricaturalement de droite, où l'on ne s'éloigne de Sarkozy que pour tomber dans du mauvais Maurras. J'avais commencé à prendre quelques notes à ce sujet, n'ai pour l'heure pas réussi à tourner ça de manière à ce que ce soit intéressant pour quelqu'un d'autre que moi, et encore,

venons-en donc au thème du jour, cas particulier de ce qui précède. J'ai repensé à cela en lisant à deux jours d'intervalle une déclaration de Renaud Camus et un lamento de Jean Raspail chez Kling-Kling, où l'on nous explique que le remplacement de la population française par des immigrés-venus-de-partout-et-qui-font-plein-d'enfants est en cours, voire déjà effectué - et planifié depuis longtemps par grand-méchant-Boumediene.

Le sujet ne peut être évacué d'un haussement d'épaules. Je me souviens avoir été frappé de constater l'évolution à cet égard d'un Paul Yonnet, qui dans son Voyage au centre du malaise français, en 1993, ne semble pas prendre très au sérieux des prédictions assez catastrophistes de ce genre d'Alfred Sauvy, avant de les considérer plus attentivement, dans Le recul de la mort (sauf erreur de ma part), en 2006. Il est de plus parfaitement légitime de faire la part entre ce que l'on peut penser de l'immigration et ce que l'on peut penser des immigrés - sans compter qu'il est indéniable que l'on, c'est-à-dire les merveilleux démocrates qui nous gouvernent, n'a pas beaucoup demandé leur avis aux Français là-dessus, et que l'on ne fait semblant de le faire qu'en cas d'affaire Woerth ou autre.

Ceci posé, ce qui est frappant dans les deux textes de MM. Camus et Raspail, c'est à quel point ces défenseurs de la France voient finalement celle-ci comme une vieille femme un peu impotente en train de se faire violer, sans réaction. Enlevons d'elle la queue de l'Arabe déchaîné, et tout ira bien… Outre que ce tableau qui « victimise » la France est bien dans l'air du temps, ce qui ne manque pas de sel venant d'esprits soi-disant anti « politiquement correct », soi-disant « virils », etc., il ne correspond pas à la réalité.

Sans tomber dans le jeu du « qui c'est qu'a commencé » (nous avons colonisé, disent les uns, nous avons colonisé à cause du Turc, répondent les autres…), un peu de recul historique importe. Je vous le signalais, certaines mutations essentielles de la société française, notamment l'articulation entre Paris et la province, n'ont rien à voir avec l'immigration. Je suis pleinement d'accord avec Debord lorsqu'il estime que l'essentiel du processus de dislocation de la société française se serait passé de la même manière si nous étions restés bien au chaud entre « nous ». Ce « nous », nous - c'est-à-dire, notamment mais pas seulement, la génération 68 et la génération précédente - avons cherché plus ou moins consciemment à le détruire - et d'ailleurs, pour le détruire, nous avons eu besoin de main-d'oeuvre immigrée, bien utile pour construire les infrastructures nécessaires à la croissance si désirée par tous. Que nous payions les pots cassés de la politique d'alors, à travers notamment la question emblématique des cités, n'est d'une certaine manière que justice.

Plus généralement, et puisque certains aiment bien parler de civilisation ces derniers temps, disons que les trente Glorieuses (de mon cul !) ont été le lieu de la confirmation d'un choix de civilisation qui était le choix de la modernité, et que ce choix a de facto impliqué la soumission de la nation à autre chose qu'elle-même. C'est toute l'ambiguïté du gaullisme, je vous en rebats les oreilles en ce moment : avoir fait croire que cette évolution pouvait se faire dans le cadre national, ou plutôt, car ce n'était pas impossible d'un point de vue logique, avoir fait croire que cette évolution se faisait dans un cadre national, alors même, immigration de main-d'oeuvre (puis de peuplement dans la décennie suivante) d'un côté, clefs donnés au patronat (qui est par définition cosmopolite, ce qui est son droit mais doit être sans cesse rappelé) de l'autre, alors même qu'elle se faisait d'une manière et à un rythme qui conduisaient à l'affaiblissement du cadre national.


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Fort bien, me répondra-t-on, mais MM. Camus et Raspail ne prétendent pas nécessairement laver la France de ses propres responsabilités ; du reste, votre analyse implique que l'immigration actuelle (au double sens de : la présence d'immigrés, l'arrivée de nouveaux immigrés) n'arrange pas franchement les choses.

Certes, mais :

- à voir la fréquence à laquelle ce genre de positions est évoqué par des sites nettement plus pressés de dire du mal des musulmans et des gauchistes que de retracer les responsabilités proprement françaises dans la question qui nous intéresse, un tel rappel ne semble pas inutile ;

- "Nous nous sommes faits américains. (…) Quelle prétention, envisageant la proliférante présence des immigrés de toutes couleurs, retrouvons-nous tout à coup en France, comme si l’on nous volait quelque chose qui serait encore à nous ?" Il ne s'agit pas seulement d'admettre que Debord avait raison d'écrire cela en 1985, mais de comprendre que c'est encore vrai, et c'est dans cette mesure que le modèle de la France violée me semble erroné. Nous continuons à nous faire américains (= enculistes), et les immigrés depuis des années l'ont bien compris : les déclamations d'un Régis Debray , d'un Max Gallo ou d'un Henri Guaino n'en peuvent mais, les Français sont plus séduits par les États-Unis que par la France. Il est donc logique, et en partie de notre responsabilité, que les immigrés s'américanisent eux aussi. D'autant - c'est en ce sens que nous ne sommes qu'en partie responsables de cette situation - qu'ils peuvent être déjà plus ou moins américanisés avant d'arriver.

Avant de préciser les causes et les conséquences globales de ce dernier point, attardons-nous sur ses conséquences particulières, c'est-à-dire limitées à notre beau pays : si l'on en reste aux immigrés musulmans, qui focalisent tant l'attention, il ne faut jamais oublier, lorsqu'on évalue les bienfaits et méfaits de leur venue, qu'ils sont au moins autant américanisés qu'islamisés, et que leur venue en France les américanise bien plus qu'elle ne les « islamise » et/ou « musulmanise ». Il faut être crétin et/ou manipulateur comme Ivan Rioufol pour ne se concentrer que, à travers quelques cas spectaculaires, sur la dimension religieuse et oublier la dimension enculiste. Et si l'on répond que c'est encore plus grave pour la France, on aura peut-être raison, mais on retombera sur la démonstration précédente : les musulmans ne font ici que suivre le même chemin que l'ex-fille aînée de l'Église, en cherchant à concilier foi et confort capitaliste.

- enfin, et là encore nous suivons Debord, tout en l'accompagnant de Cioran, il est bien évident que ces évolutions dépassent largement le cadre français : "Après tout, ce continent n'a peut-être pas joué sa dernière carte. S'il se mettait à démoraliser le reste du monde, à y répandre ses relents ? - Ce serait pour lui une manière de conserver encore son prestige et d'exercer son rayonnement." Cioran n'a pas ici dit le dernier mot sur tout, la question de la mondialisation appelle celle des échanges entre cultures, que Lévi-Strauss ou Sahlins doivent nous permettre d'aborder avec circonspection, mais il a bien compris, et nous en resterons là pour aujourd'hui, que l'Occident en ce qu'il a de plus sinistre risquait bien de se survivre à lui-même, hélas…

"La France est assurément regrettable. Mais les regrets sont vains.", écrivait Debord. J'avais noté dans un coin de ma tête il y a quelques mois une formule à la signification très proche : La France est un pays de merde, qui malheureusement n'existe plus. Ma formulation est encore plus excessive que celle de Debord, car outre qu'il n'est pas si sûr que la France ait disparu, elle n'était, avec tous ses défauts, pas si nulle que ça. Bref : pour conclure, je rejoins une nouvelle fois Debord lorsqu'il estime que la question centrale est « profondément qualitative », loin donc des fausses évidences des statistiques démographiques,

dont l'utilisation par R. Camus, j'allais oublier de le signaler, est d'ailleurs contestable : à lire P. Yonnet on a au contraire l'impression, et cela amène de l'eau à mon moulin, que les immigrés s'alignent rapidement, et même de plus en plus rapidement, sur le modèle français (et même le modèle made in France, legs de la France au monde entier), et font vite de moins en moins d'enfants. Ici encore la France n'est pas inactive et soumise…

, fausses évidences quantitatives qui mettaient par exemple un Pierre Boutang en fureur lorsqu'il entendait Giscard d'Estaing faire une croix sur le destin de la France sous le simple prétexte qu'elle était moins peuplée que les États-Unis, l'URSS ou la Chine. "Il vivra des gens sur la surface de la terre, et ici même, quand la France aura disparu. Le mélange ethnique qui dominera est imprévisible, comme leurs cultures, leurs langues mêmes." C'est ce qui sortira de ce mélange, de l'enculisme au carré ou au contraire un compromis à peu près satisfaisant entre les valeurs traditionnelles et ce qu'il en reste en Occident - l'humanisme -, qui compte. Le reste...


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(Pour mémoire : me relisant avant mise en ligne, je trouve ce texte proche dans son esprit de L'homme qui s'arrêta d'écrire. A vous de juger.)

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