"Il y aurait pire : ce serait l'illusion que la société par nous héritée, puis empirée, est compatible avec une légitimité quelconque, qu'un État légitime peut être greffé ou plaqué sur cette désolante pourriture. Mais, si corrompue qu'elle soit par
le mal universel de l'usure, chaque enfant d'une race et d'une langue, chaque nouveau-né recommence l'énorme aventure, retrouve la chance de tous les saluts ; le tissu premier de la politique, la source et l'objet du pouvoir sauveur, c'est la naissance. Chaque naissance dans une famille est le modèle idéal et réel des renaissances nationales ; l'apparition effective d'une telle renaissance exige la conjonction d'un
état de la corruption ploutocratique avec une
décision de rétablissement de la nature politique et du droit naturel. Que cette conjonction doive être héroïque, cela résulte de l'extrême contrainte exercée, à l'âge moderne, par l'extrême artifice, et par les techniques d'avilissement. Le noyau naturel de notre présence terrestre est attaqué de telle sorte que la nature même ne peut plus être que l'objet d'une reconquête. Que cette reconquête puisse demeurer pacifique est probablement une illusion dont les écologistes sérieux ne soutiennent pas la vraisemblance.
Une théorie du pouvoir associée à une foi politique doit prévoir quelle
entropie elle peut supporter et risquer, et quelle « néguentropie » elle apporte avec elle, comme toute décision vivante. Il doit - on est tenté de dire
il va - y avoir un moment où survivre dans cet état de pourriture apparaîtra, dans un éclair, comme indigne et impossible. Cette prévision ne diffère de celle des marxistes que par les
sujets de l'impossibilité vécue : là où les marxistes les délimitaient comme prolétariat victime du salariat, nous reconnaissons en eux les Français (et les diverses nations d'Europe selon une modalité particulière), en tant qu'hommes empêchés de vivre naturellement, soumis à
des objectifs étatiques tantôt fous, tantôt criminels. Quelques-uns parmi eux, sont capables de guetter la conjonction libératrice, mais, à l'instant élu la communauté tout entière, par l'effet de l'universelle agression qu'elle a subie, peut être capable de consentir à la
décision, d'initier un nouvel âge héroïque [
allusion à Vico, AMG]. Les philosophes, s'ils se délivrent de leur préjugé que l'Esprit doit être sans puissance et que tout pouvoir est mauvais y pourront jouer un rôle moins absurde, finalement, que celui de Platon à Syracuse. Une manière de rendre vaine l'opposition de l'individualisme et du collectivisme, telle qu'en usent, pour leurs courtes ambitions, les barbares et les freluquets. Notre société n'a que des banques pour cathédrales ; elle n'a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs » ; il n'y a, d'elle proprement dite, rien à conserver."
P. Boutang,
Reprendre le pouvoir, Sagittaire, 1977, pp. 241-243. J'ai pratiqué un certain nombre de coupures, sans les signaler, dans ce texte qui conclut le livre, à des fins de clarté d'une part, pour lui donner une cohérence hors de ses aspects proprement chrétiens d'autre part. Ce n'est pas que les aspects en question me dérangent, mais c'est qu'ils appellent une discussion propre. Alors que ce qui m'intéresse dans ce passage est le décalage évident, quarante ans ou presque après sa publication, entre la justesse de ses diagnostics et ses talons d'Achille : outre que, contexte chrétien ou pas, la notion de décision,
a fortiori si le terme est souligné par l'auteur, comme pour lui donner une force qu'il ne contient pas suffisamment, m'a toujours paru relever de la prophétie se voulant auto-réalisatrice, on voit bien que, depuis 1977, ce qui nous sert d'État s'est chargé et se charge encore de faire en sorte que l'on ne puisse plus parler, en France, d'un « enfant d'une race et d'une langue », et par voie de conséquence d'une « renaissance nationale » (sur la notion de race française, vous pouvez lire ou relire
ce texte). Un autre passage du livre de Boutang est révélateur à cet égard, mais je m'arrête là, il ne s'agissait, comme promis, que de vous donner un signe de vie, ou de vous passer le bonjour. - Et de souhaiter que François Hollande crève dans d'atroces souffrances, aussitôt que possible, mais cela va sans dire.