mercredi 25 juillet 2018

Le mot de la fin. (J’ai à deux reprises, instinctivement, écrit : le mort de la fin.)

Laissons une dernière fois la parole à Raoul Girardet : 

"J’ai toujours eu l’intention de faire un jour une anthologie, un choix de textes que j’intitulerai « la France de » : la France de Maurras et celle de Jaurès, la France de Giraudoux et celle de Bernanos, la France de Michelet et celle de Veuillot, la France de Péguy et celle de cet Anatole qui en fait justement son nom de plume… Tant d’images différentes, en vérité, que l’on en arrive à se demander si la France n’a pas toujours été rêvée, si son image ne relève pas des forces de l’imagination et du coeur, bien plus que d’une réalité concrètement saisissable. 

Constatation intéressante : au-delà de leurs contradictions, presque tous ceux qui dressent ainsi une certaine image admirée, exaltée de la France, établissent une curieuse distinction entre la France (qu’ils célèbrent) et les Français (qu’ils jugent sans aménité). En d’autres termes, il est moins aisé qu’on ne peut le croire de trouver des gens qui aiment à la fois la France et les Français. A la limite, on irait jusqu’à dire que la présence des Français abîme, ternit l’idée de la France. (…) L’image la plus pure de la France serait en somme celle qui se trouverait débarrassée des Français. J’ignore si ce type d’absolutisation de l’idée nationale se trouve exprimée jusqu’à ce point dans d’autres pays. Je n’en suis pas sûr. Il faudrait y voir, si ce n’était pas le cas, l’un des traits spécifiques d’une certaine conception de l’identité nationale - qu’il resterait à définir."

Ce n’est pas "La France aux Français", mais - à gauche comme à droite, là est l’intérêt de ces remarques, "La France contre les Français". On pourrait dire que c’est justement cette image trop rêvée de la France qui fait (se) déprécier les Français, mais cela revient à repousser d’un cran la question. Peut-être est-ce une forme de prix à payer pour une place si exceptionnelle, à tous les niveaux, dans l’histoire du continent qui fut longtemps le seul à avoir une histoire. Il est clair en tout cas que cela ne peut guère aider à agir dans les circonstances actuelles, si même ceux qui aiment le pays ne sont pas fâchés que ceux qui y vivent depuis toujours disparaissent... Peut-être faut-il, tout autant que de parler d’une « réconciliation nationale », travailler à réconcilier la France d’avec les Français. 


Je vous laisse sur ces remarques et pars à l’étranger. Pas définitivement - en principe… -, seulement pour quelques vacances. J’ignore si j’alimenterai mon comptoir pendant cette période, j’ai du mal à m’imaginer le faire à un rythme quotidien. Et à mon retour… je verrai bien. Lorsque l’on en arrive au stade où l’on anticipe avant même d’être parti la tristesse que l’on aura  à constater de nouveau le déplorable état de sa pauvre France à son retour, c’est que l’on a vraiment besoin de couper. - Il semble, quoi qu’il en soit, que la fréquentation de ce café augmente de façon très sensible depuis deux-trois mois, je ne sais pas si mes facéties sur Twitter y sont pour quelque chose, j’imagine que mon rythme régulier d’écriture n’y est pas pour rien, ce serait dommage certes de briser cet élan (relatif, je vous rassure). Qui vivra verra ! Et merci à tous ! 





Une dernière, à la toute fin du livre : 

" - Être Français, pour vous, qu’est-ce que cela peut signifier aujourd’hui ?


 Attendre le prochain film de Rohmer."

mardi 24 juillet 2018

Algérie française, IV et V. "En vain, paradoxalement…"

Je ne retrouve plus le passage dans lequel R. Girardet rappelle que la plupart des militants de l’Algérie française venaient de la Résistance, et qu’ils avaient eu pour certains d’entre eux le sentiment de résister au consensus et au pouvoir de la même façon en 1940-44 et en 1960-62. Il importait je crois de noter cette idée, enchaînons : 

" - L’indépendance de l’Algérie était, si je vous comprends bien, évitable. Mais alors, comment expliquez-vous la défaite de votre cause ? 

Je ne dis pas évitable à très long terme. Je dis évitable à cette date, et dans les formes qu’elle a prises. Mais concernant votre question, plusieurs réponses doivent être présentées. 

De la défaite de la cause de l’Algérie française - le terme pouvant revêtir des nuances diverses -, la responsabilité majeure me semble revenir à l’État français d’abord. Cet État s’est brusquement résolu à l’abandon. Il fallait se débarrasser de l’Algérie au plus vite, comme un fardeau de plus en plus encombrant. On a donc fini par trouver la solution apparemment la plus simple : la livrer au F.L.N. Toutes les forces de l’État français se sont trouvées mises au service de cette solution. L’Algérie n’a pas été abandonnée à elle-même, elle a été cédée, et sans consulter la volonté des intéressés (il faut insister sur ce point), au « repreneur » le plus patient, le plus tenace, celui aussi avec lequel la transaction se montrait la plus aisée. Le plus étonnant, c’est que l’opération a été menée avec une stupéfiante légèreté, sans même s’assurer des garanties les plus élémentaires. 

Mais il faut reconnaître que les partisans du maintien, de la sauvegarde de « l’Algérie dans la France », ont eu leur part de responsabilité. (…) La littérature « Algérie française », qui est immense, est une littérature de fidélité ou de protestation. Elle ne dit rien ou à peu près rien sur la construction de l’Algérie de demain. 

Il y a à ce silence une raison qu’il faut bien reconnaître aujourd’hui. C’est que, sur le fond du problème, deux convictions, ou plutôt deux conceptions s’opposaient. Mais ces deux conceptions n’ont, au fond, jamais été réellement formulées, pour la seule raison que les formuler aurait introduit dans notre camp une division nouvelle. 

La première solution, je l’appellerai pour faire court la solution Bidault. J’ai beaucoup de respect pour la mémoire de Georges Bidault. Il était le contraire de Michel Debré : il incarnait l’intransigeance, la volonté de ne pas subir. Mais sa solution pour l’Algérie était simple : l’intégration, au sens plein et précis du terme : des département français comme les autres départements français. Parler de spécificité algérienne, d’une nécessaire adaptation des institutions aux conditions locales ne servait à rien. C’était, selon lui, le premier pas vers l’abandon. Le professeur d’histoire, plus bainvillien que l’on aurait pu croire, reparaissait : « Comment s’est faite la France ? Par l’action d’un État pacificateur qui a imposé à tous les mêmes lois, les mêmes institutions, une même langue. Reconnaître une autonomie algérienne, c’est déjà admettre la séparation… »

A l’opposé se situaient la position, ou plutôt les positions régionalistes, décentralisatrices, voire autonomistes. Elles étaient défendues par certains pieds-noirs, par les ethnologues, par certains vieux algérianistes. Il s’agissait non plus d’intégrer mais d’associer. Pourquoi ne pas reconnaître à l’Algérie un statut particulier ? Mettre sur pied des institutions locales et régionales puissantes, tout en conservant avec la métropole les organismes essentiels communs ? L’Algérie apparaîtrait ainsi non plus comme la France mais comme complémentaire de la France… Des deux côtés d’ailleurs, la démarche n’allait pas très loin dans la précision. (…) Ainsi, dans la défense de l’Algérie française, c’est en vain, paradoxalement, que l’on chercherait un véritable programme algérien. (…)

Même gêne d’ailleurs en ce qui concerne l’histoire du mouvement nationaliste algérien. Sauf pour quelques-uns, le drame de l’Algérie semblait avoir commencé en 1954. La « rébellion » était mal connue dans sa genèse, sa complexité, ses divisions. En ce qui me concerne, j’avoue que si je ne regrette rien de ce que j’ai écrit sur l’Algérie dans ces années de passion, une phrase cependant me gêne. Celle qui termine mon reportage sur « l’Algérie des capitaines », et qui parle d’un « nationalisme d’une nation qui n’existe pas ». Il aurait fallu écrire au moins « d’une nation qui se cherche ». Car sans doute ce nationalisme était-il encore singulièrement balbutiant, plein de virtualités contradictoires. On ne saurait cependant dissimuler qu’une nation était en quête d’elle-même. Le phénomène aurait quand même dû intéresser davantage des gens qui, comme nous, se réclamaient d’abord de la nation.

 - En dehors de cette phrase, vous ne regrettez vraiment rien d’autre ? 

Vraiment rien [Raoul Girardet n’a jamais participé à ni approuvé les attentats de l’OAS, note de AMG]. Nous avons élevé une protestation, énoncé un refus. Beaucoup d’entre nous ont su assez vite, et j’étais de ceux-là, que cette protestation resterait vaine, le refus inutile. Dès que les accords d’Évian ont été signés, il était aisé de comprendre que les jeux étaient faits. Il fallait cependant que la protestation, que le refus se fassent entendre, et le plus hautement possible. Car les conditions mêmes de cet abandon ont été abominables. Et il faut en conserver la mémoire. Rappeler la centaine de milliers de soldats musulmans qui avaient cru un jour à la parole d’un officier français, abandonnés au supplice et à la mort, parfois même (je peux citer des exemples) désarmés par ceux en qui ils avaient confiance ; évoquer l’exode d’un million d’hommes chassé de la terre où ils étaient nés ; ne pas oublier qu’un peuple tout entier a été livré à quelques poignées d’assez pauvres énergumènes, et ce que ceux-ci ont fait en vingt ans du pays qui leur a été abandonné…

Si je devais encore m’étonner de quelque chose, ce serait de l’absence de remords, à tout le moins de réflexion rétrospective, chez ceux qui, devant l’Algérie d’aujourd’hui, ses drames et sa misère [Nous sommes en 1990, le FIS est déjà bien actif, le GIA ne va pas tarder à se faire connaitre, etc., note de AMG], oublient la part qu’ils ont prise dans son avènement. Il y avait sans doute plusieurs solutions, toutes difficiles, au drame algérien. Celle qui a été choisie a pu apparaître comme la plus facile, elle fut aussi la plus lourde de conséquences tragiques. Si l’on avait assisté sans mot dire au massacre des harkis, à l’exode des pieds-noirs, aux serments reniés, aux régiments qui s’enfuient dans la nuit, je pense qu’il manquerait peut-être un peu de dignité à ce pays. 

Je retrouve là, en fin de compte, l’ancien débat de Fontenay-le-Comte sur le sens des combats inutiles [Cf. la citation du 19 juillet dernier, liée à 1940, note de AMG]. Je retrouve là aussi le vieux mot d’honneur. Le cercle finalement est bien étroit dans lequel a été enfermé le destin d’un Français de mon âge."


Fin de la première partie, sur l’Algérie, voici maintenant, en contrepoint, quelques analyses de R. Girardet sur la Ve République et son évolution : 

"La bonne définition est celle d’un « principat plébiscitaire », qui, très généralement accepté, a sans doute l’immense avantage d’avoir mis fin dans notre pays à deux siècles de lutte autour de la légitimité institutionnelle, mais principat plébiscitaire dont les conséquences ne peuvent manquer de marquer, au plus profond, la vie de la communauté nationale dans ses rapports avec le pouvoir. 

Première conséquence : l’institutionnalisation, liée aux mécanismes mêmes de l’élection présidentielle, de la coupure de la France politique en deux blocs opposés. Deuxième conséquence : le rôle décisif accordé à la personne même du plébiscitable, c’est-à-dire, en fin de compte, à ses qualités d’homme de théâtre ou de spectacle. Troisième conséquence : le déséquilibre grandissant entre les pouvoirs, le pouvoir législatif se trouvant peu à peu accaparé par le pouvoir exécutif, la représentation parlementaire tendant à ne plus jouer qu’un rôle secondaire de contrôle et d’enregistrement. Quatrième conséquence : l’élargissement constant d’un pouvoir présidentiel qui, du fait de la notion de « domaine réservé », ne rencontre plus guère devant lui d’obstacles réels. 

Ces constatations sont banales. Ce sur quoi, en revanche, l’on passe cependant de façon générale assez gaillardement, c’est d’abord sur le phénomène, pourtant bien évident, de ce que j’appellerais la servilisation de la vie citoyenne. La comtesse de Boigne affirmait dans ses Mémoires, que je lisais l’autre jour, et à propos du Premier Empire, que ce qui l’avait toujours frappée dans l’attitude des Français à l’égard du pouvoir était le goût de la servilité. Celui-ci atteint aujourd’hui un niveau rarement égalé. (…)

Ces habitudes d’aplatissement, d’agenouillement, tant d’échines courbées, voilà, tout au moins pour moi, l’une des premières raisons - et je ne la crois pas négligeable -, de ne pas aimer l’État gaulliste. 

Il convient d’autre part de remarquer que cet État « restauré », personnalité, glorifié, omniprésent, se montre paradoxalement de moins en moins apte à régler les vrais problèmes de la France de notre temps. Il gère sans doute, et convenablement, grâce à une foule de commis honnêtement dressés. Son incapacité à réformer s’avère cependant manifeste : l’exemple (mais il y en a bien d’autres) d’un système scolaire et universitaire usé, sclérosé, se délitant davantage d’année en année est, à cet égard, particulièrement significatif…

Si bien que je finis, à la limite, par être frappé par la similitude de situations existant aujourd’hui entre l’État plébiscitaire gaulliste et l’État monarchique de l’Ancien Régime à son déclin. Même concentration théorique du pouvoir souverain au sommet, mais même impuissance à conduire l’évolution d’une société, ou à influer sur elle. Même phénomène de cour dans la distribution des grandes charges publiques, le bon plaisir souverain, incertain, capricieux, jouant un rôle de nouveau décisif : la direction des grandes entreprises nationalisées, par exemple, se trouve aujourd’hui très exactement octroyée comme l’était, sous Louis XV ou Louis XVI, la distribution des évêchés, des abbayes et des prébendes diverses. Même extension de la notion de privilèges, c’est-à-dire de droits particuliers attribués à certaines catégories sociales et professionnelles [puis ethnico-confessionnelles et « genrées », je me permets cette actualisation et vous laisse les autres, note de AMG] : la société tend ainsi à apparaître comme un conglomérat de droits, les uns importants, les autres secondaires, mais dont la seule défense a pour résultat de rendre impossible toute tentative de réforme ou de rénovation. Même présence enfin de puissantes féodalités régionales ou locales, aujourd’hui en voie de reconstitution, et qui, pour le bien ou pour le mal, ne peuvent manquer d’aboutir bientôt à un transfert et à un morcellement de la réalité du pouvoir…"

Je vais revenir sur cette idée de servilité, je cite d’abord une dernière fois Raoul Girardet : 

"Ce qui me gêne dans l’État gaulliste, parfaitement continué en cela par l’État socialiste, c’est qu’il tend à délivrer chacun d’entre nous de tout sentiment personnel de responsabilité - honneur ou conscience, appelez cela comme vous voudrez. Cela ne signifie nullement, d’évidence, que l’application, le sens du devoir, le dévouement aux autres aient disparu de ce pays. Cela signifie qu’il s’agit-là d’un domaine dont l’État se désintéresse. Si l’État parle de solidarité, c’est celle qu’il organise, qu’il sanctionne, qu’il réglemente. Les comportements moraux des individus lui sont indifférents. L’allégeance militante elle-même tend à ne plus être envisagée que sous la forme du clientélisme.

L’État gaulliste est un État machiavélien. Il a résolument séparé la politique de l’éthique. L’historien ne pourra manquer de remarquer qu’il est, à l’exception peut-être du très bref épisode napoléonien, le premier de ce type dans la longue nomenclature de nos régimes successifs. Il appartient peut-être à quelques marginaux de s’en inquiéter."


Trente ans après, les marginaux le sont de moins en moins… Quoi qu’il en soit, je reviens, pour finir ce cycle (avec une petite coda demain), sur cet encouragement à la servilité, typique à la fois du Premier Empire, de la Cinquième République, et d’une certaine tendance de notre vie politique sur la longue durée. On connaît le rôle cardinal de l’État dans la formation de la nation française, cette particularité historique n’étant pas sans effets pervers - notamment la perte de courage et de sens de la responsabilité que les étrangers n’ont pas de mal à diagnostiquer chez nous, quitte à s’y tromper d’ailleurs et à donner à cette inclination réelle un poids trop important - ainsi que l’a montré par exemple la Grande Guerre. 


Le problème étant - voilà un Grand Remplacement, et sans celui-ci l’autre aurait été enclenché bien plus difficilement… - quand l’État en vient à se substituer à la nation. J’ai beaucoup répété ces dernières années la formule, inspirée par la lecture de Bernanos, "l’État est l’ennemi de la nation", Charles Gave en a proposé récemment une formulation plus subtile : la France est "un pays colonisé par un État". D’aucuns y verraient un reflet du déclin de l’Église, qui elle aussi a joué un rôle primordial dans la constitution de la nation française, et qui, bon an mal an, servait de contrepoids à l’État royal puis absolutiste. Il est difficile en tout cas de nier que depuis la Révolution française, puis l’avènement de la troisième république et de la séparation de l’Église et de l’État, celui-ci (qui est bien sûr religieux à sa manière…) a pris de plus en plus d’importance, au point, oui, de « coloniser » le pays. - Ce qui peut-être, pour des gens myopes comme moi, qui ont de plus en plus le sentiment d’avoir toujours quelques coups de retard, ne se voit que lorsque la colonisation par l’État se manifeste par une colonisation de peuplement…

lundi 23 juillet 2018

Algérie française, III. "Et puis, il y avait le défi."

"Et puis, il y avait le défi. J’étais de ceux qu’a toujours poursuivis l’idée, la nostalgie, l’ambition d’un grand rêve collectif (et cela a constamment compté beaucoup plus que les constructions doctrinales auxquelles j’ai pu, à un moment ou à un autre, adhérer). Un rêve qui inscrirait de nouveau la France dans l’histoire de notre temps, et dans lequel, bien sûr, je me trouverais moi-même entraîné. L’Algérie pouvait en être l’occasion. Le terrain proposé à toutes les disponibilités, toutes les initiatives, toutes les énergies. La chance que nous offrait le XXe siècle : un exemple de victoire sur le sous-développement, une société à reconstruire, les espérances retrouvées de la grandeur. Et la France métropolitaine obligée de sortir de sa torpeur, contrainte de remettre en cause ses vieilles habitudes, ses vieilles institutions, de retrouver le goût de l’action et de l’aventure… Que de Gaulle n’ait pas au moins connu cette tentation, il fallait décidément que sa vision du politique ait été, tout compte fait, bien petitement, bien étroitement archaïque."

 - Et du coup, la « France métropolitaine », soixante ans après, va bien être obligée de retrouver « le goût de l’action », va devoir « remettre en cause ses vieilles habitudes », toujours à cause de l’Algérie et des Algériens (entre autres, je sais), mais chez elle, et de façon au moins au début plus négative et défensive que positive et constructrice. Merci Général ! (Entre autres, je sais - et j’y reviendrai). Ce qui sera d’autant plus difficile aux Français de la Ve République, fondée par ledit Général, que celle-ci, et l’on sait que ça ne s’est pas arrangé depuis, a très vite fonctionné sur un mode peu enthousiasmant : 

"J’ai vu, à deux reprises, appelé comme témoin, fonctionner la Cour de sûreté de l’État. Les juges, si on peut les appeler par ce terme, portant sur leurs visages la peur panique de déplaire, l’étonnante dureté des condamnations (…), l’intervention constante du pouvoir politique dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire : telle cette lettre étonnante d’Edmond Michelet (ancien adhérent du Comité de Vincennes, c’est-à-dire ancien militant de l’Algérie française), au procureur général, dans le procès Denoix de Saint-Marc, lui transmettant une sommation du ministre des Armées pour une demande de peine plus sévère. 

Il faut aussi faire la chronique de la mesquinerie dans la persécution, de l’acharnement dans la petitesse. (… Suit une litanie de petits faits (peu) édifiants, j’enchaîne sur la conclusion de R. Girardet.) 

Au-delà de toutes ces mesquineries secondaires, il y a le fait d’avoir introduit dans l’exercice du pouvoir ces habitudes de servitude, cet abaissement des caractères, cette surenchère dans la soumission : c’est tout cela que je reproche au gaullisme triomphant de l’après-Algérie, et qui a contribué à modeler le climat moral de tout un régime. (…) La vertu de non-résistance au maître tend à apparaître (…) comme le critère considéré comme définitif de toute allégeance civique."


Tout cela sera répété et approfondi dans les livraisons suivantes… Et explique au passage pourquoi, l’évolution du régime et du pays aidant, la seule bonne place, la seule visée par les vrais arrivistes (N. Sarkozy, E. Macron), est la première. Celle à partir de laquelle on croit pouvoir tout écraser, la seule en tout cas qui semble ne pas faire de vous le valet du prince. - Que le prince soit lui aussi valet d'autres puissances étant en l'occurrence secondaire. 

dimanche 22 juillet 2018

Algérie française, II. Une leçon de contraception.

En 1960, Raoul Girardet est envoyé en mission d’enquête en Oranie. 

"Je ne connaissais pas l’Algérie. Je n’en avais qu’une image scolaire, conventionnelle. Et cette image s’était trouvée encore renforcée par la surabondante littérature « Algérie française » dont j’étais nourri et dont les clichés sentimentaux ou épiques continuaient à occuper mon esprit et mon coeur. Or, je découvrais, dans cette Oranie très largement pacifiée, où la rébellion n’occupait plus que de rares taches sur la carte, que les vrais problèmes n’étaient pas ceux de la guerre, du combat. C’était ceux que posaient précisément ce que l’on pouvait considérer comme une victoire : la lutte contre la pauvreté, la reconstruction d’une identité collective, le passage d’un certain type de société à un autre. Je dois rendre grâce à ces quelques officiers auprès de qui j’ai un peu vécu et qui ont tenté de me l’expliquer, les uns avec une foi encore apparemment intacte, les autres, non sans doutes, non sans hésitations. Je me souviens de mon étonnement lorsque, dans l’une des premières discussions au fond d’une popote auxquelles j’ai assisté, un débat - et il était vif - s’est élevé sur le type de maisons qu’il convenait de construire dans le proche village de regroupement que l’on édifiait. Les uns souhaitaient des fenêtres ouvrant sur l’extérieur, les autres voulaient des murs clos, une simple porte, une cour intérieure. J’ai compris que c’était en fait deux conceptions de l’Algérie future qui s’affrontaient : pour les uns, une Algérie modernisée brisant les clôtures et les interdits de la vieille famille musulmane, pour les autres, le respect des moeurs, des coutumes traditionnelles, la volonté de préservation d’une société ancienne. Le choix prenait ainsi une valeur symbolique. Mais était-ce à ces hommes, venus d’un autre monde, de décider ? Ce à quoi ils rétorquaient que, dans l’état présent des choses, ils étaient les seuls à pouvoir réellement décider, et que, d’ailleurs, on leur demandait de décider. 

Je me souviens encore d’avoir accompagné un commandant, excellent homme, héritier de toutes les traditions de la « vieille coloniale », dans ses tournées dans le sous-secteur qu’il commandait et où le F.L.N., qui n’avait là jamais beaucoup mordu, semblait avoir été totalement éradiqué. Visite à un village où régnait dans la paix un très paternel adjudant. « Tout va bien, rien à signaler mon commandant… Il y a juste les bonnes femmes. Depuis que tout est peinard ici, j’en reçois bien une chaque semaine qui vient me demander comment on s’y prend pour ne pas faire d’enfants. Comment voulez-vous que je leur réponde ? Alors elles repartent furieuses. Si vous avez une idée sur ce ce que je dois faire ? » Le commandant n’en avait pas. Il se contenta du « Démerdez-vous » traditionnel… Mais là encore l’impasse était présente et singulièrement importante. L’adjudant aurait-il eu la velléité de répondre, il était sûr d’attiser la colère des grands-mères, nos véritables ennemies, peut-être les plus irréductibles, et très probablement aussi celle des maris. La pacification ici était réelle, mais précaire. Aurait-elle résisté à une leçon de contraception ?"



(Évidemment, de mauvais esprits pourraient dire qu’avec tous les enfants que les descendants de ces dames, aux désirs desquelles l’armée française n’a pas voulu satisfaire en 1960, qu’avec tous les enfants que leurs descendants sont venus pondre chez nous depuis, il est bien regrettable que les gens à qui on avait « demandé de décider » n’aient pas été plus dynamiques… Mais vous savez que je ne suis pas un mauvais esprit.)

samedi 21 juillet 2018

L'Algérie française. Drôle d'expression...

Nous en arrivons donc, en suivant Raoul Girardet, à l’Algérie. Première citation. 

" - Comment expliquez-vous… l’attitude du général de Gaulle ?

Je pense que les historiens d’aujourd’hui sont bien imprudents lorsqu’ils dépassent les limites de l’hypothèse. Pour ma part, je crois, et j’essaie en l’occurrence de ne pas être partisan, que de Gaulle n’avait, en arrivant au pouvoir, aucune politique algérienne strictement définie. Il était persuadé, selon toute vraisemblance, que la seule fin du « régime des partis », la seule « restauration de l’autorité de l’État », confondu bien sûr avec sa personne, devait permettre le règlement relativement aisé du problème. D’où toute une série d’initiatives diverses, et toutes promises à l’échec. Le fardeau lui apparaissant de plus en plus lourd, une seule possibilité lui est finalement restée : celle de traiter avec le F.L.N., c’est-à-dire de lui livrer l’Algérie…

Je ne voudrais pas passer pour un anti-gaulliste inconditionnel et obsessionnel. Comme tout le monde, j’ai connu mon moment de gaullisme. Paradoxalement, ce ne fut pas dans la Résistance, période au cours de laquelle, comme beaucoup d’autres de mes camarades d’ailleurs, le personnage me déroutait, m’inquiétait même, bien plus qu’il ne me subjuguait. Ce fut dans les années suivantes lorsqu’il m’apparut, progressivement, comme le seul recours possible devant ce qui me semblait être la faillite inéluctable d’un régime… Et il n’est certes pas question de nier l’extraordinaire dimension historique du Général. L’appel du 18 Juin continue à m’apparaître comme quelque chose d’assez étonnant. Non pas, comme on le dit généralement, par la vision historique qu’il exprimait : que la guerre ne soit pas finie, que les Allemands n’aient pas remporté une victoire définitive, que la France puisse un jour rentrer dans la lutte, c’était là le thème constant que j’ai entendu développer dans l’été 40, au sein de l’armée d’armistice. Mais l’admirable est le geste du refus, de la désobéissance, le courage de se dresser seul, contre ce qui était alors considéré à la fois comme la légitimité et la nécessité par l’immense majorité des Français.

Le de Gaulle de 1962 continue à me paraître l’inverse du de Gaulle de 1940 : il est devenu l’homme du compromis, du pseudo-réalisme politique, de la négociation à tout prix, de la soumission à ce qui semble être la fatalité de l’Histoire. Il faut ajouter qu’il a toujours porté cette tare caractéristique de ce « parti national » dont  idéologiquement il relève : celle de prétendre représenter seul les grands intérêts de la patrie, d’en avoir le monopole, d’exclure et d’excommunier ceux qui pouvaient avoir, de ces intérêts et de cette patrie, une autre conception ou une autre vision."


De Gaulle, du courage au cynisme, du courage à la répression du courage… A suivre ! 

vendredi 20 juillet 2018

"Je n’ai jamais eu une particulière estime pour l’institution judiciaire..."

Continuons notre cheminement dans le livre de R. Girardet et P. Assouline, Singulièrement libre (dont j’ai appris l’existence par Patrick Buisson, dans le chapitre de La cause du peuple où se trouve évoquée la guerre d’Algérie) : 

" - Qu’est-ce qui était « anormal » dans l’épuration, selon vous ? 

Les représailles locales étaient sans doute inévitables. Il était normal, d’autre part, que les responsables de la collaboration aient à assumer la responsabilité de leurs actes. Mais ces juges qui avaient juré vingt fois fidélité au Maréchal, ces jurés insultant les témoins et les accusés, ce public hurlant à la mort…

Que l’on fusille Pierre Laval à l’époque ne me gênait pas : il est pour moi, très sommairement, trop rapidement peut-être, l’incarnation de la trahison. Mais le déroulement de ce procès, cet agonisant que l’on retire de la mort qu’il avait voulu se donner, ce lavage d’estomac devant un procureur affolé pour le conduire vivant au poteau… Il s’agit de l’un des épisodes les plus réellement ignobles de l’histoire de ce temps. 

 - Vous en vouliez à la justice ? 

Comme tous les Français, car c’est une caractéristique nationale, je n’ai jamais eu une particulière estime pour l’institution judiciaire. Depuis la disparition des parlements de l’Ancien Régime, celle-ci, c’est le moins que l’on puisse dire, ne s’est jamais montrée indocile à l’égard des maîtres successifs du pouvoir."

Cela n’a pas changé depuis… Il faudrait d’ailleurs se demander, au cas où la remarque de R. Girardet sur les parlements de l’Ancien Régime est historiquement exacte, si nous ne sommes pas devant un cas typique de mensonge moderne : il y aurait moins de séparation des pouvoirs et moins d’indépendance du pouvoir judiciaire depuis la Révolution française qu’avant. La France n’est pas seulement remplie d’idées chrétiennes devenues folles, elle est aussi le lieu privilégié de la modernité en tant que mensonge sur le passé, à coups de grands mots (séparation des pouvoirs !), pour mieux permettre à des minorités sans légitimité d’exercer le pouvoir - et pas du tout de façon « séparée ». 


(Une note sur M. Benalla et toute la racaille rebeu qui entoure notre bien-aimé Président : même s’il suffit de regarder les députés LREM pour ne pas oublier que les blancs arrivistes ne manquent pas, il y a quelque chose de vaguement rassurant à voir qui compose la « garde rapprochée » (jusqu’où, mon colon ?) de M. Macron. Ce n’est pas pour dire du bien de ceux qui ont peur de se salir les mains, c’est plutôt pour dire du mal de ceux qui ne répugnent pas assez à se les salir…)

jeudi 19 juillet 2018

R. Girardet, sacrifice, bon sens, gratuité, la valeur du défi...

 " - Qu’avez-vous fait concrètement ? 

Rien. Des journées vides. Nous avons attendu, consignés dans l’immobilité de la caserne, l’approche des Allemands ; entendu le maréchal Pétain demander l’armistice ; creusé quelques trous dans un champ de pommes de terre, à quelques kilomètres de Fontenay-le-Comte, dans un lieu nommé Pissotte. « Mourir à Pissotte », tel a semblé pendant un jour être le destin - que nous acceptions tous avec une ironie résignée ; enfin, pris la route vers le Sud-Ouest. Déjouant subtilement les manoeuvres de l’adversaire, et après avoir longuement, longuement marché, nous sommes enfin arrivés en Dordogne, en zone non occupée. 


Notre colonel avait eu la sagesse, partant à temps et à la tête d’une unité restée parfaitement cohérente, n’ayant abandonné aucune de ses armes et aucun de ses insignes, de nous éviter la captivité et, sans doute pour quelques-uns, la mort. Un certain nombre cependant (et j’en étais) lui en ont beaucoup voulu. Et si manifestement qu’il s’est cru obliger de s’en expliquer publiquement : « J’ai été, nous a-t-il dit, sous-lieutenant et lieutenant, très jeune officier en 1914. J’ai vu les sacrifices absurdes si souvent demandés à des garçons de votre âge par des hommes qui avaient celui que j’ai aujourd’hui. Livrer un combat de retardement vingt-quatre heures après la demande de l’armistice, alors que nous ne disposions que d’un armement dérisoire et de moins d’une demi-heure de munitions, c’était de nouveau imposer un sacrifice absurde. Vous êtes libres, vous êtes en vie, j’ai le sentiment d’avoir accompli mon devoir. L’issue de cette guerre n’aurait en rien été changée. J’ai préservé un peu de l’avenir de ce pays. » Résumées sous cette forme, ces paroles m’ont beaucoup frappé, et me posent, encore aujourd’hui, un vrai problème. Selon l’évidence la plus visible, notre colonel avait eu raison : notre sacrifice aurait été très inutile. Mais existe-t-il vraiment des sacrifices que l’on est en droit d’appeler inutiles ? Accepter le combat aurait sans doute représenté pour notre vieux colonel un geste d’héroïsme gratuit, coupable d’ailleurs au regard du règlement militaire puisqu’il avait reçu l’ordre de se retirer. Il est  vrai aussi qu’il avait su préserver la liberté et la vie des deux à trois cents jeunes gens dont il avait la charge et la responsabilité. N’existe-t-il pas cependant parfois certaines exigences supérieures à celles que semble indiquer le bon sens ? Dans cette France où tout semblait se liquéfier, un geste de résistance, gratuit sans doute, sanglant sans doute, mais prenant la valeur d’un défi, n’aurait-il pas contribué à la restauration d’une certaine notion de l’honneur ? Et sans cette certaine notion de l’honneur, une nation peut-elle vivre, même libre, même en paix ? Où était donc le devoir pour notre colonel ? Où était-il pour nous ? Obéir au nom de la plus immédiate raison ? Désobéir, comme j’avais songé à le faire avec un camarade, en emportant armes et munitions pour continuer le combat, nous ne savions d’ailleurs pas où ? La question s’est reposée pour moi beaucoup plus tard, à la fin de la guerre d’Algérie ; j’ai cru alors qu’il fallait lui donner une réponse inverse à celle de notre colonel, et qui était celle du refus. En vérité, je ne sais aujourd’hui où se trouve très exactement la juste nécessité. Le refus du « raisonnable » n’est-il pas parfois plus historiquement fécond que la soumission à ce qui a l’apparence du raisonnable ? Le sursaut, qui peut paraître absurde, de la non-résignation, n’est-ce pas parfois, pour toute communauté humaine, la promesse de sa survie ?"

Je me permets de citer de nouveau cette phrase : "Sans cette certaine notion de l’honneur, une nation peut-elle vivre, même libre, même en paix ?". Et lorsqu'elle se retrouve en guerre, sans qu'on lui ait léguée cette notion de l'honneur, et alors que ce ne sont certes pas ses gouvernants qui ont intérêt à lui inculquer de nouveau, que penser ? - Le tout, insistons-y, dans un cadre spirituel, et même si R. Girardet lui-même ne croyait pas en Dieu, qui ne se prête à aucun romantisme du massacre - et encore moins à une sainteté obtenue en tuant des chiens d'infidèles. - Peut-être faut-il se dire qu'une « certaine notion de l'honneur » peut aussi rendre intelligent, ferme, stratège...



mercredi 18 juillet 2018

"La dernière de nos Républiques..."

L’AF vue par Girardet, suite.

" - Quand donc avez-vous quitté l’Action française ? 

La guerre a représenté une coupure de fait. Mais je crois que, de toute façon, je me serais éloigné de Maurras, lentement, pas à pas, de la même façon que je m’en étais approché. L’engagement dans l’Action française n’avait rien de comparable à l’engagement de type communiste : il ne présentait aucun caractère totalitaire ; il ne s’emparait pas, sauf chez quelques-uns, mais ils étaient rares, de l’être tout entier ; il ne mobilisait pas dans leur intégralité l’esprit et le coeur ; il laissait à ceux-ci de larges disponibilités, de larges marges de liberté. D’où la possibilité de voir les liens se distendre ou se rompre progressivement, sans connaître la tragédie de la rupture qu’ont vécue tous les anciens du P.C…

Et puis, l’Action française se voulait une école. Comme toute école, il était normal qu’elle fût un lieu de passage. Beaucoup, en effet, de mon âge et des générations antérieures, sont passés sur ses bancs pour des temps plus ou moins longs. Reste à savoir ce qu’ils ont retenu de l’enseignement qu’ils ont reçu…

 - Et vous, qu’en avez-vous retenu ? 

Le bilan, tout compte fait, cinquante ans plus tard, me paraît plutôt positif. Si l’on admet que, dans la France du XXe siècle, tant d’intellectuels (pardonnez le terme, il me gêne mais je n’en trouve pas d’autre) ont connu la tentation de l’engagement, celui-là ne me semble pas pire que beaucoup d’autres. Il apprenait au moins à appliquer aux choses de la politique une certaine logique, les lois d’un certain raisonnement, à développer par conséquent l’esprit d’analyse et l’acuité critique, à explorer le contenu des mots, à se méfier de leurs seules résonances. En d’autres termes, c’est en fonction même de la méthode qui se trouvait enseignée qu’il était possible de se libérer du dogmatisme intrinsèque de cet enseignement. 

Il faut y ajouter l’apprentissage de l’irrespect à l’égard des pouvoirs et du pouvoir, de ses détenteurs, de ses représentants et de ses serviteurs : disposition d’esprit que le cours même de la dernière de nos Républiques ne semble pas exceptionnellement favoriser. Y ajouter encore le souvenir de tant de livres qui auraient pu ne pas être lus. Y ajouter enfin la reconnaissance à l’égard de tant d’amitiés, et qui ont échappé, elles, à toutes les remises en cause.

C’est assez pour ne pas faire le dégoûté, non ?"

Au sujet de ces amitiés, je m’en voudrais de ne pas citer pour finir ces quelques lignes sur Philippe Ariès, historien célèbre, catholique et monarchiste : 


"Ma dernière rencontre avec Ariès se situe en 1984, deux ou trois jours avant sa mort. Il repartait pour Toulouse où il s’était fixé. Nous avons déjeuné ensemble. Philippe très fatigué, mais bavard comme il l’a toujours été, coupant nos propos de son rire interminable et aigrelet. Me raccompagnant à l’autobus, il me dit avec la plus totale simplicité : « Nous ne nous verrons plus. Je suis prêt, et plutôt content. Mais c’est vraiment dommage que tu ne croies pas en Dieu… »"

mardi 17 juillet 2018

De l'Action française comme introduction à la modernité.

"Ce qui reste vrai, c’est que nous frôlions alors le fascisme.

 - Vous n’y êtes pas tombés ? 

Non. Et c’est peut-être à l’Action française précisément qu’il faut en rendre grâce. Même ébréchée, la doctrine maurassienne constituait à cet égard une barrière solide : la conception totalitaire de l’État et la société lui était complètement étrangère. Le national-socialisme allemand était dénoncé quotidiennement dans l’Action française comme l’une des pires incarnations du germanisme éternel, un « nouvel Islam », disait Léon Daudet. Restait enfin la hantise du danger allemand, la menace qui se précisait, le vieux réflexe national de défense. 

Bainville avait sans doute disparu, mais ses leçons restaient présentes. Nous étions trop imprégnées d’elles pour rêver à Nuremberg, à son exaltation de la terre et du sang, et à ses cathédrales de lumière… Les historiens se posent aujourd’hui la question de savoir pourquoi la tentation fasciste ne s’est pas plus fortement exercée sur la France de l’immédiat avant-guerre. Parmi tous les butoirs auxquels elle s’en effet heurtée, je crois que, pour les milieux intellectuels du moins, on ne saurait oublier l’influence maurassienne.

Mais c’est aussi d’autres dettes de reconnaissance à l’égard de l’Action française que je me trouve obligé de reconnaître.

 - Lesquelles ? 

Tout d’abord de m’avoir fait beaucoup lire. Le conformisme doctrinal de l’A.F., si puissant sur tant d’autres point, s’arrêtait à la littérature. L’ouverture dans ce domaine était totale. (…) C’est grâce à l’Action française que je suis parti à la découverte de la littérature de mon temps. (…) Il y eut Apollinaire, Malraux, Claudel, Giraudoux, Céline et tant d’autres [en plus de Gide et Proust, note de AMG]. L’Action française apparaît dans cette perspective comme une introduction à la modernité. Indiscutablement, nous avions lu bien davantage que la plupart, voire la quasi-totalité de nos camarades étudiants [et que l’actuelle Ministre de la Culture, note de AMG]. Indiscutablement aussi la littérature était souvent plus présente que la politique dans nos conversations. 

Il y avait aussi le cinéma. Je ne pense pas que Maurras y ait mis souvent les pieds. Selon toutes les apparences cependant, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les jeunes disciples y passent leurs après-midi ou leurs soirées. Le « Grand Cluny », rue des Écoles, projetait trois films, dont quasi obligatoirement un western : ce n’est pas en vain si l’un des mes camarades d’alors, légitimait, quelques années plus tard, sa volonté de hâter le départ de l’occupant par son besoin existentiel de retrouver le western et les comédies américaines… Au « Grand Cluny », mais aussi, au « Panthéon », aux « Ursulines », nous retrouvions assez souvent quelques-uns de nos adversaires de nos combats de rue, plus délurés eux aussi, ou moins attachés à la bonne poursuite de leurs études. Nous échangions des saluts courtois : le cinéma remplaçait la trêve de Dieu."


Raoul Girardet, interrogé par Pierre Assouline, 1990.

lundi 16 juillet 2018

"Autorité ne veut pas dire : punir."

Surpris ? Voici la phrase de Léon Daudet dans son contexte : 

"Autorité ne veut pas dire : punir. Autorité, cela signifie : n’être pas contraint de punir. Il y a des moments, dans la famille comme dans l’État, où il est nécessaire de sévir, et alors, pour sévir moins longtemps, il est bon de sévir fortement. Car ces moments doivent être abrégés le plus possible."

Plus clair tu meurs. 


Et à la page d’avant, la démocratie : "cette machine à dépeupler…"

dimanche 15 juillet 2018

Un minimum...

Retour à Léon Daudet (1922) : 

"[Quinet] est, comme Michelet, un type de dément aux dehors bourgeois et logiques, qui joint la platitude à l’extravagance, à la façon de Saint-Simon, de Fourier, de Victor Considérant. Ce qui est remarquable et, en un certain sens, consolant, c’est qu’un temps, muni de pareils docteurs, n’ait pas abouti à des hécatombes pires que celles que nous avons subies. Il faut que notre pays ait la tête solide, pour avoir résisté à de pareilles lumières, et s’en être tiré avec un minimum de cinq invasions en 130 ans. Avec des conducteurs et pilotes nourris et imbibés de Hugo, de Michelet, de Quinet, de Rousseau, etc., nous avions droit à une invasion tous les dix ans. La bêtise est plus cruelle que la méchanceté."


Et avec, entre autres, un « docteur » comme Trotsky et sa révolution permanente pour inspirer, encore et toujours, nos « pilotes », nous avons maintenant l’invasion permanente. Pratique. 

samedi 14 juillet 2018

La prunelle de vos yeux.

Les citations qui suivent sont extraites du livre de P.-F. Paoli, L’imposture du Vivre-ensemble de A à Z, 2017. Ouvrage d’ailleurs moins agressif que son titre ne pourrait sembler l’indiquer, mais ce n’est pas le sujet. 

Nature, culture, animalité et humanité… - H. Arendt : 

"La « nature » de l’homme n’est « humaine » que dans la mesure où elle ouvre l’homme à la possibilité de devenir quelque chose de non-naturel par excellence, à savoir un homme."

Féminisme et progressisme… - G. Flaubert : 

"L’affranchissement du prolétaire selon la Vatnaz n’était possible que par l’affranchissement de la femme. Elle voulait son admissibilité à tous les emplois, la recherche de la paternité, un autre code, l’abolition ou tout au moins une « réglementation du mariage plus intelligente ». (…) Il fallait que les nourrices et les accoucheuses fussent des fonctionnaires salariées par l’État ; qu’il y eût un jury pour examiner les oeuvres des femmes, des éditeurs spéciaux pour les femmes, une école polytechnique pour les femmes !" (La coupure est de moi.)



La nation comme sécurité contre l’uniformité et l’invasion… - Jean-Paul II : 

"Veillez par tous les moyens à votre disposition sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. Protégez-la comme la prunelle de vos yeux… (…) Protégez-la ! Ne permettez pas qu’elle devienne la proie de quelque intérêt politique ou économique." (1980, la coupure est de M. Paoli).