dimanche 29 mars 2020

"Seule une époque réelle le pourra."

Revenons à un texte plus programmatique, l’introduction au Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, 1979 : 

"Personne ne conteste les limites de Hegel. Et c’est bien ce contre quoi nous voulons combattre. Nous voulons contester les limites de Hegel, les limites telles que le bon gros sens positiviste, qui est la chose la mieux partagée de ce monde, croit pouvoir lui assigner en toute quiétude après la chaude alerte que lui causa Marx il y cent ans. Nous voulons attaquer ceux qui se bornent à ânonner les poncifs de bon ton qui ont cours depuis un siècle. Le véritable but de tous ceux qui agissent ainsi est l’on ne connaisse jamais d’autres limites à la pensée de Hegel que celles qu’ils veulent bien lui assigner du haut de leur gros bon sens pseudo-réaliste de gauche. Nous voulons au contraire connaître de nouvelles limites à la pensée de Hegel, connaître en quoi notre époque est devenue plus profondément ce qu’elle était déjà du temps de Hegel et du temps de Marx. Malgré la satisfaction feinte de ceux qui y vont de leur couplet sur les limites bien connues de la pensée de Hegel, celui-ci n’a pas fini de nuire, car ce qui l’a si bien inspiré n’a pas non plus fini de nuire et nuit même de plus en plus efficacement. C’est un monde irréel qui a inspiré Hegel. Et ce monde n’est pas devenu plus réel depuis, que nous sachions. Notre époque est trop peu réelle elle-même pour pouvoir prétendre trancher du peu de réalisme de la pensée de Hegel. Cela, seule une époque réelle le pourra. En ce qui nous concerne, plus modestement et en parfait accord avec Hegel, nous prétendons trancher de ce qui n’est pas réel  et qui pourtant prétend l’être. Plutôt que ce soit ce monde qui soit capable de dénoncer l’irréalisme de la pensée de Hegel, c’est cette pensée, le mépris qu’elle témoigne pour ce qui n’est réel qu’en apparence, qui vont nous être d’un grand secours pour dénoncer le peu de réalité de ce monde. Là où Hegel plaidait seulement contre le pseudo-réalisme mensonger de la pensée positiviste dominante, nous plaidons, nous, contre le peu de réalité du monde lui-même. Nous faisons nôtre l’adage intangible de Hegel : seul ce qui est rationnel est réel. C’est dire le peu de réalité que nous accordons à ce monde quand on voit son peu de rationalité." (pp. 10-12)

mardi 24 mars 2020

J.-P. Voyer, 1976.

"L'époque moderne, celle de Marx, la nôtre, n'est pas caractérisée par le capital, mais par le salariat, par le fait que le capital, le commerce, s'empare de la sphère de l'exploitation. Au cours d'une soixantaine de siècles de commerce, le capital était toujours demeuré extérieur à la sphère de l'exploitation. Quand, voici quelques siècles, après avoir ruiné une bonne partie de la planète, le commerce s'empare de la sphère de l'exploitation, il va créer une nouvelle forme d'argent, l'argent qui ne peut s'accroitre, le salaire. (...) Le salariat, c'est d'abord la démocratisation de l'argent, l'argent avili, car la démocratisation avilit tout ce qu'elle touche."

Une enquête sur la nature et les causes de la misère des gens, Éditions Champ libre, 1976, p. 90. 

dimanche 15 mars 2020

"Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui."




Jean-Pierre Voyer à Jean-François Kahn, 26 novembre 1986. 

"Cher juif et sale Monsieur, 

Face au commode repoussoir russe, vous vous extasiez sur la liberté dans un pays qui compte plus de cinquante millions d’esclaves motorisés (une voiture pour deux esclaves). Vous êtes donc exactement comme les journalistes russes, vous colportez bravement la vérité officielle. En Russie, depuis 1917, comme en France depuis 1789, la vérité officielle est que l’esclavage n’existe plus. (Et les Juifs, existent-ils ? Ne les a-t-on pas supprimés récemment ? Encore plus récemment, n’a-t-on pas supprimé les aveugles, les sourds et les vieux ? Dernière invention de la bonne pensée, on ne dit plus charitable, mais caritative. Où donc s’arrêtera cette rage de suppression ?)

Or si le mot a été aboli en grande pompe vers 1789, la chose a proféré comme jamais dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas un hasard. La révolution française ou la guerre de sécession ont mis fin aux archaïsmes et contraintes inhérents aux esclavages d’ancien régime ou antique afin de permettre un développement sans frein, universel, de l’esclavage. Cette époque a vu l’invention extraordinaire de l’esclave citoyen et a associé allègrement l’esclavage le plus éhonté avec les dithyrambiques et grandiloquentes déclarations sur la liberté (vous, précisément, êtes payé pour cela). Qu’eût dit Platon qui se plaignait déjà de l’extravagante liberté dont jouissaient à Athènes les esclaves, les ânes et les chevaux qui heurtaient le passant dans la rue tant était grande leur liberté d’allure ! Le libre esclave motorisé et plus particulièrement l’esclave motorisé en col blanc, ski et planche à voile, est l’esclave idéal. Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui. L’État se charge de surveiller, soigner et punir la grande masse des libres esclaves motorisés. Le salaire a remplacé le fouet. Le maître moderne est ainsi dégagé de tous les soucis que pouvaient connaître les maîtres antiques qui avaient la charge des esclaves. 

Je comprends l’indignation de Soljenitsyne quand il put constater qu’en Occident il n’était même pas besoin de police et de censure pour que les esclaves se couchent. 

Vous êtes de la merde. De tous les esclaves, les journalistes sont les pires car ils s’imaginent bien traités. Vous vous asseyez à la table des maîtres et vous avez le droit de leur adresser la parole pendant le repas. Un rien vous satisfait. Cependant, vous n’êtes pas comme ces esclaves dont parle Platon, dans une époque où l’on savait regarder l’esclavage en face : vous ne vous ferez pas couper la tête pour vos maîtres. Fort heureusement de temps en temps des bougnoules frénétiques s’en chargent.

Je vous prie d’agréer, cher juif et sale Monsieur, mes salutations distinguées."


(Hécatombe, 1991, pp. 270-71). 

lundi 2 mars 2020

"Vérité du tiers mondisme."

Titre d’un texte de J.-P. Voyer dont voici un extrait : 

"Notre thèse se résume ainsi : 

1) oui le sous-développement est bien une acculturation mais non de la périphérie par le centre, mais bien du centre par la périphérie ; 

2) cela est possible seulement parce que le prétendu développement économique n’est pas économique mais pure culture, pure communication ; 

3) ce développement culturel, ce développement de la communication étant développement de l’aliénation de la communication, c’est par-là même un sous-développement de la communication directe. 

Il faut encore remarquer que l’acculturation du centre par la périphérie n’est évidemment pas le fait de la périphérie qui s’avancerait les armes à la main mais le fait du principe de la périphérie : le fétichisme.

Ainsi, comme le note Lopi dans sa Note sur le spectacle de la rareté, c’est le fétichisme qui était seulement rituel, rêvé, souhaité, invoqué en Afrique qui est totalement réel, réalisé à Paris, Tokyo et New York. 

Donc, s’il y a acculturation, ce n’est pas de l’Afrique par l’Europe ou l’Amérique, mais bien de l’Europe et de l’Amérique par le principe africain de la société qui se trouve ainsi un principe universel. Le monde est fétichiste. Donc le monde est africain."

La « communication directe » est-elle possible, il n’est pas interdit de penser que Jean-Pierre Voyer et son ami Pierre Brée, associé à la conception de ce texte, se soient leurrés sur cette question. Mais retenons aujourd’hui ce renversement de perspective - l’acculturation du centre par la périphérie -, qu’il est certes tentant d’actualiser, à l’heure où les Africains ne sont pas loin de venir au « centre » les « armes à la main » : depuis que ces lignes ont été écrites, il y a plus de trente ans, on ne saurait dire que l’Occident se soit montré moins fétichiste. Il suffit de songer au cérémonial que chaque apparition d’un nouveau modèle d’iPhone a pu provoquer… Il n’y a donc aucune raison que l’Afrique ne s’y sente pas de plus en plus naturellement comme chez elle. Cela expliquerait au moins autant que les discours des uns et des autres sur la colonisation ou sur les Blancs la conscience tout à fait tranquille qu’arborent de plus en plus ostensiblement les nouveaux arrivants : la périphérie est dans le centre comme un poisson dans l’eau, le centre, ce n’est plus que la périphérie avec plus d’argent - de même que l’on dit que les riches ne sont plus que des pauvres avec plus d’argent. 


Le capitalisme, c’est la tiers-mondisation (qui n’empêche pas toutes sortes de colonisations) : désormais, la tiers-mondisation revient à la maison mère ! - Mettez la table, sortez les couverts, mais dépêchez-vous, il n'y en aura sans doute pas pour tout le monde !