dimanche 30 septembre 2018

L'histoire n'est pas linéaire...

"Les révolutions s’impriment plus profondément et dressent des repères plus visibles que les guerres nationales. On peut dire, en ce sens, que trois pas de géant nous ont amené au point où nous sommes aujourd’hui : la Réforme, la Révolution française et la révolution russe. Les guerres sont les protubérances d’événements cachés et dont la masse est souterraine." 

Jünger parle ici des guerres nationales, mais combien de guerres civiles en France depuis la Révolution ? Et combien encore à venir, que nous devrons encore à cette Révolution ? 

samedi 29 septembre 2018

Les Français commencent à s'apercevoir...

Intéressant entretien avec Fabrice Grimal dans le dernier numéro d’Éléments, interrogé par le débonnaire gauchiste David L’Épée sur les potentialités révolutionnaires dans la France d’aujourd’hui. 

Une remarque lucide pour commencer : 

"Nous en arrivons à un seuil critique, car [les Français] commencent à s’apercevoir que, pour obtenir des choses pas si révolutionnaires que ça, il faut peut-être aujourd’hui faire une révolution."

Un parallèle avec la situation en France avant 1789, et la perte du sens du devoir chez les aristocrates, ensuite : 

"Longtemps, les Français ont calmement toléré que leur élite prospère beaucoup plus que la moyenne, mais ils posaient des conditions, des contreparties : que leurs enfants aient accès aux mêmes formations si leurs capacités le permettent, et que le niveau de vie monte en proportion de celui de leurs dirigeants, qu’ils sont prompts à admirer de bon coeur dès que ceux-ci le méritent. Mais si nous vivons aujourd’hui une véritable révolte, c’est celle d’une élite mondialisée durablement coupée de ses bases, qui revendique toute honte bue de mener une lutte des classes à l’envers. Comme les nobles de 1789, les grands banquiers d’aujourd’hui ne prennent plus réellement de « risques », les PDG toucheront leurs parachutes dorés quoi qu’il arrive, et les humiliations subies par les employés du quotidien ne sont mêmes plus justifiables par des augmentations de salaire régulières ou des perspectives meilleures pour leurs enfants, mais uniquement par la crainte du chômage. Le bâton sans la carotte. Au passage, l’autre parallèle passionnant entre la situation actuelle et la Révolution, c’est la question de la dette et la souveraineté financière."


Il se peut que nous entrions ici dans une thématique soralienne, mais l’interview prend ensuite une autre direction. Une remarque acerbe de ma part pour finir : si la situation s’aggrave de façon conséquente, et qu’enfin les Français descendent dans la rue, je leur conseille de bien fermer leur porte à clé, histoire de ne pas se faire dévaliser par la racaille (qui jouera moins avec les flics si ceux-ci sont armés) pendant qu’ils feront la révolution. Après une journée à s'être fait frapper par les CRS, rentrer chez soi pour découvrir que la banlieue en a profité pour vider votre appart, il y a mieux pour le moral...

vendredi 28 septembre 2018

"L’amour charnel…" - Du Kafka ce soir.

"L’amour charnel nous donne le change sur l’amour céleste ; seul, il ne le pourrait pas, mais comme il porte inconsciemment en lui l’élément de l’amour céleste, il le peut."

"Le fait que notre tâche est tout juste aussi grande que notre vie lui donne un semblant d’infinité."

"La bête dérobe le fouet au maître et se fouette elle-même pour devenir maître ; et ne sait pas que ce n’est là qu’un fantasme produit par un nouveau noeud dans la lanière du maître."

"Est mauvais ce qui fait diversion."

"La psychologie est impatience. 
Toutes les fautes humaines sont impatience, une rupture prématurée du méthodique, la pose apparente d’une clôture autour de la chose apparente."

"L’un des moyens de séduction les plus efficaces du Mal est la provocation au combat. Il est comme le combat avec les femmes, qui finit au lit."

"La contemplation et l’activité ont leur vérité apparente ; mais seule l’activité qui émane de la contemplation ou plutôt, qui y retourne, est la vérité."



"De son propre gré, tel un poing, il se tourna et évita le monde."

jeudi 27 septembre 2018

"Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?"

Si j’en crois Philippe Sellier, c’est cette sentence de Paul (1 Corinthiens, IV, 7) qui fut pour saint Augustin la vraie révélation, ce qui lui aurait permis d’accéder à la vérité selon laquelle l’homme, quoi qu’il en aie, et quelle que soit sa bonne volonté, ne peut rien, au bout du compte, sans la Grâce divine. Le vieux lecteur de Marcel Mauss et de Jean-Pierre Voyer que je suis n’a pu manquer d’être frappé une fois de plus, même dans son insomnie, par la parenté de ce principe paulinien (et quand on connaît l’importance de l’oeuvre de saint Augustin dans l’histoire du christianisme et de l’Occident, le fait que cette phrase ait enclenché un tel processus n’est pas loin de donner le vertige) avec les bonnes vieilles théories du don et du contre-don comme constante anthropologique de la réciprocité entre humains et comme  « fait social total ». Il y a… deux ans ? environ, discutant avec un ami chrétien qui n’est pas sans avoir quelque influence sur moi-même comme sur ce qui est publié à ce comptoir, nous sommes arrivés à des réflexions sur l’Esprit Saint, le don, l’économie de la Grâce, que j’ai toujours regrettées de n’avoir pas noté avec précision, nous avions touché du doigt, m’avait-il semblé, quelque chose de tout à fait fondamental. 

"Entre nous il n’est qu’échange, Dieu seul donne, lui seul." Plus de dix ans maintenant que j’ai cité pour la première fois (http://cafeducommerce.blogspot.com/2007/08/de-mauss-la-grce.html : une brève intervention intitulée : De Mauss à la grâce…) cette phrase de Bernanos, et je n’ai toujours pas sérieusement entrepris la synthèse dont elle m’ouvrait la perspective. 

Il y un don fondamental, la Création - et l’on arrive vite à la théorie de la création continuée, comme don en permanence renouvelé. A vues humaines certes on n’en sait rien - en tout cas sans être touché par la Grâce… -, mais psychologiquement, Chesterton aborde cela quelque part, dans son livre sur saint Thomas si ma mémoire ne me trahit pas, psychologiquement il n’est pas malsain pour les pécheurs que nous sommes de nous sentir redevables, de temps à autre, de ce fait que le monde est encore là dans sa beauté, et que nous pouvons, encore, la contempler (et notamment les femmes, si manifestement heureuses de pouvoir continuer à montrer leur beauté en cette arrière-saison parisienne ensoleillée - fin de la parenthèse, la preuve : ). Il arrive ceci dit au Seigneur, dans la Bible, de se plaindre d’être bien peu payé en retour de ce premier don par ses ouailles, mais Il doit bien avoir à l’idée que ce qu’il a créé n’est pas de taille à entrer avec lui dans un vrai rapport de réciprocité. 

Au lieu qu’entre pécheurs… Je ne vais pas vous refaire l’Essai sur le don, d’autant que je n’ai pas lu depuis bien longtemps, mais pour continuer cette ébauche synthétique, si vous me passez l’expression, je dirais que la principale leçon que l’on peut retenir du chef-d’oeuvre de Mauss, est que l’humanité a toujours considéré le système du don/contre-don, en tant que figure importante, mais non principielle ni exclusive de l’échange (le don/contre-don n’est pas le troc, ne s’oppose pas frontalement ni logiquement au commerce (par contre, le capitalisme s’oppose au don/contre-don, et pas mal de gauchistes aussi…), survit quel que soit le système économique en cours), l'a toujours considéré comme un équilibre fragile et précieux - nous dirions aujourd’hui : quelque chose de non scientifique. 

Deux aspects : 1/ la conscience (nous retrouvons Bernanos) qu’un don n’est pas gratuit (il appelle un contre-don, et ainsi de suite). 2/ Ce qu’il y a de plus humain dans l’échange échappera toujours à une régularisation autre qu’approximative ou subjective. Ce que le capitalisme, voire le protestantisme, s’acharnent à ne pas comprendre. (Et voilà pourquoi le commerce n’est pas identique au capitalisme : le paradigme du don/contre-don, en tant que paradigme de la finitude humaine sous l’angle de la réciprocité, peut s’épanouir dans une société où il y a des commerçants. Au lieu qu’une société intégralement capitaliste (est-ce possible ? D’aucuns en rêvent, en tous cas…) s’y attaquerait avec rage, notamment parce qu’il n’y a pas de contrat pour le don/contre-don, si fondamentalement lié à la subjectivité - et là on retrouve Hegel et Kojève, la lutte pour la reconnaissance, et, un peu plus loin, Girard et les rivalités mimétiques, tout ce qui peut être en partie contrôlé, sublimé, organisé, mais jamais financièrement évalué…)

Ce qui me manque ici (tout cela, je l’ai déjà développé au fil du temps), c’est de revenir à la notion d’économie, entre Aristote, Voyer, et ce que, donc, j’avais pressenti lorsqu’il avait été question devant moi de l’économie du Saint-Esprit. Plus tard, peut-être... J’espère maintenant que cette clarification aura été utile pour d’autres que pour son rédacteur. 



En attendant d’éventuels prolongements, si vous voulez une bonne leçon d’humilité, je vous encourage à lire la suite de l’Épitre aux Corinthiens, IV, 7 !

mercredi 26 septembre 2018

De belles âmes et de beaux corps...

Réveillé bien trop tôt à mon goût ce matin, je prends les Confessions de saint Augustin, en « Folio », traduction d’Arnauld d’Andilly, en espérant que cela m’aide, après quelques pages, à me rendormir. Manque de pot, ou coup de chance, la préface de Philippe Sellier m’intéresse tout de suite. Et notamment la brève biographie de Robert d’Arnauld d’Andilly, tant cette évocation fait comme resurgir un siècle, et un portrait de l’honnête homme de ce siècle… Bref, je n’ai pas retrouvé le sommeil, mais j’ai trouvé une citation pour vous. (Je ne signale pas quelques menues coupures de ma part.)

"C’est en 1585 que prend son origine la célébrité de la famille Arnauld. Cette année-là, Antoine Arnauld l’ancien, alors avocat au Parlement de Paris, épouse Catherine Marion, dont le père est, lui aussi, avocat en ce même Parlement.De ce mariage naîtront vingt enfants. L’ainé, Robert, voit le jour en 1589. Il est élevé à Paris, dans un milieu cultivé, non loin de la paroisse Saint-Merri. Son père s’est chargé d’assumer lui-même sa formation intellectuelle, comme le fera un peu plus tard - et avec le même succès - le père de Blaise Pascal.

Introduit très jeune dans le monde et à la cour, Robert, grâce à l’un de ses oncles, acquiert une excellente connaissance des affaires politiques et bientôt assiste au Conseil des finances en qualité de secrétaire. Il épouse en 1613 Catherine Le Fèvre de La Boderie, fille d’un ambassadeur, et prend le nom d’Andilly, une terre qu’il posséda jusqu’en 1643 ; de cette union naîtront quinze enfants : les six filles prendront le voile à Port-Royal. (…)

De 1620 à 1622, Robert Arnauld accompagne dans le Midi le roi Louis XIII, qui a entrepris de réduire la rébellion des Huguenots. C’est au cours de ces déplacements qu’il fait à Poitiers la connaissance de l’abbé de Saint-Cyran et noue avec lui une amitié qui ne se démentira jamais. Grâce à lui, Saint-Cyran fait en 1623 la connaissance de sa soeur, la Mère Angélique. En 1622, Louis XIII propose à Arnauld d’Andilly de devenir secrétaire d’État ; mais celui-ci, trouvant la charge trop coûteuse, élude. Après une courte période passée au service de Gaston d’Orléans, frère du roi, Robert se retire sur les terres de Pomponne (près de Lagny-sur-Marne), où il passe huit années (1626-1634) « dans une grande tranquillité d’esprit ».

Un moment intendant de l’armée du Rhin, Arnauld d’Andilly se démet de sa charge dès 1635. Il se rapproche de l’abbé de Saint-Cyran, dont son frère cadet, Antoine devient le disciple et que sa soeur Angélique adopte comme directeur spirituel de Port-Royal. A à la mort de sa femme (23 août 1637), Robert songe à se retirer du monde. Mais il faudra la mort de son ami Saint-Cyran, en 1643, pour que cette retraite commence à se réaliser en 1644 et devienne définitive en 1645 : il rejoint alors, à cinquante-cinq ans, le groupe des Solitaires qui vivent aux abords du monastère des Champs [dans la vallées de Chevreuse, note de AMG] . Il va y passer trente années. 

Parfait homme du monde, au centre d’un vaste réseau d’amitiés et de relations, Arnauld d’Andilly ne rompt pourtant nullement avec la haute société parisienne. Il se déplace fréquemment chez des amis, comme la brillante comtesse Du Plessis-Guénégaud, où il rencontre Mme de Sévigné, Mme de Lafayette… On le plaisantait d’ailleurs sur sa prédilection pour les belles âmes, surtout quand elles se trouvaient dans de beaux corps. Certains lui reprochaient aussi de recevoir trop souvent à Port-Royal l’aristocratie de la capitale. 

A Port-Royal, le nouveau Solitaire fait preuve d’une activité intense. Il fait assainir et défricher les lieux à ses frais. Il cultive les fruits et les fleurs, se décerne avec humour le titre de Surintendant des jardins, surprend agréablement ses amis, et même la reine, par l’envoi de primeurs, de poires ou de pêches magnifiques. De là, en 1652, la rédaction de La manière de cultiver les arbres fruitiers

Andilly avait toujours éprouvé le plus vif désir à écrire. Au sein même de ses activités au Conseil des finances, en 1613, il lui arrivait de composer cent vers par jour, et jusque dans l’inconfort d’un carrosse. En relation avec des écrivains célèbres comme Guez de Balzac ou Chapelain, il s’affirme en toutes sortes de domaines : poésie, lettres, Mémoires (rédigés vers 1664 et publiés en 1734) et surtout art de la traduction. La Rochefoucauld lui envoie une copie de ses Mémoires en sollicitant ses corrections pour la pureté du style. En 1671, il collabore avec La Fontaine à la publication d’une anthologie poétique, le Recueil de poésies chrétiennes et diverses.

C’est dans la solitude de Port-Royal qu’Arnauld d’Andilly a pu parfaire ses traductions les plus célèbres. Aussitôt après avoir édité les Lettres chrétiennes et spirituelles de Saint-Cyran (1645-1647) , il traduit les Confessions de saint Augustin (1649) et les Vies des saints Pères des déserts (1647-1657). Il publiera encore, entre autres, des traductions remarquables de l’historien juif Flavius Josèphe (1667-1668) et des Oeuvres de sainte Thérèse d’Avila. 

Le talent de l’écrivain avait fait souhaiter à l’Académie française de l’accueillir parmi ses membres. Mais il déclina les invitations qui lui furent adressées dès 1634 (à la création), puis en 1649, en plein succès des Confessions.

Âgé de quatre-vingt-cinq ans, le Patriarche de la Vallée de Chevreuse s’éteignit le 27 septembre 1674, alors que son ami libraire Pierre Le Petit préparait une superbe édition de ses Oeuvres en huit volumes in-folio."


Belle mort, ou belle épitaphe, ma foi ! 

mardi 25 septembre 2018

Je hais les rêves qui nous font tant de mal...

Grâce à Twitter et un peu par hasard, je découvre l’existence de Malcolm Muggeridge, qui, bien que végétarien (Nobody’s perfect…), semble avoir été une personnalité pour le moins intéressante. Très peu traduit en français (si ce n’est pour des livres sur Mère Teresa), il me fournit opportunément ma citation du jour, dont j’ignore la source comme la date. Dans la mesure où c’est la possibilité de la généraliser qui m’intéresse, ce n’est pas un problème : 

"M. Solzhenitsyn says there are virtually no Marxists in the Communist countries, which I should suppose to be true. On the other hand, they are multiplying in the ostensibly Capitalist countries, notably on campuses and in faculties, and among priests and Jesuits, and media pundits."

lundi 24 septembre 2018

"La force et le sens des réjouissances humaines..."

Chesterton sur Tolstoï, les pacifistes, les végétariens, les vegan, etc. :

"Le fait de parler continuellement de sa vigueur a pour effet de rendre moins vigoureux, à plus forte raison le fait de parler sans cesse de la simplicité a pour effet de rendre moins simple. Je pense qu’un grand reproche doit être adressé aux partisans actuels de la vie simple, de la vie simple sous toutes ses formes (…), c’est qu’ils voudraient nous rendre simples dans les choses sans conséquence et compliqués dans les choses de conséquence. Ils voudraient nous rendre simples dans les choses qui n’importent pas, telles la nourriture, le costume, l’étiquette ou le système économique. Par contre, ils entendent nous rendre compliqués dans les choses qui importent, la philosophie, la loyauté, l’acceptation spirituelle et le refus spirituel. Il n’est pas grave après tout qu’un homme mange une tomate sur le gril ou une tomate crue, mais il est très grave qu’il mange une tomate crue avec un esprit sur le gril. La seule simplicité qui vaille d’être conservée est celle du coeur, la simplicité qui sait accepter et se réjouir. On peut raisonnablement émettre des doutes sur le système susceptible de la conserver, mais il n’est pas douteux que tout système de la simplicité la détruit. Il y a plus de simplicité chez l’homme qui mange du caviar par impulsion que chez l’homme qui mange des pâtes à l’épeautre par conviction. 

L’erreur principale de ces gens-là se révèle dans la phrase même qui leur sert de devise : Vie simple et pensées élevées. Ces gens n’ont aucun besoin et n’éprouveraient aucun bien d’une vie simple et de pensées élevées. Ils ont besoin du contraire. Ils éprouveraient du bien d’une vie élevée et de pensées simples. Un peu de vie élevée (je dis ces mots avec une pleine conscience de ma responsabilité) leur enseignerait la force et le sens des réjouissances humaines, du banquet qui dure depuis le commencement du monde. Ils apprendraient ce fait historique, à savoir que l’artificiel est, s’il se peut, plus ancien que le naturel. Ils apprendraient que la coupe d’amour est aussi ancienne que la faim. Ils apprendraient que le ritualisme est plus ancien que la religion. Et un peu de pensée simple leur enseignerait combien toutes leurs théories morales sont dures et illusoires, combien est civilisé et compliqué le cerveau du tolstoïen qui croit réellement qu’il est mal d’aimer son pays et criminel de frapper un coup."

"L’artificiel est, s’il se peut, plus ancien que le naturel", merveilleuse formule que j’ai déjà citée ici, plus d’une fois sans doute. Pour que l’on ne fasse pas de contresens, je vous rajoute sa glose par l’auteur lui-même : 

"En ces matières comme en bien d’autres, l’enfant est le meilleur guide. Or, il n’est jamais aussi purement enfantin, jamais il ne montre plus exactement ce qu’est la vraie simplicité que par la manière dont il regarde toutes choses, même les plus compliquées, avec un plaisir simple. Le faux naturel insiste toujours sur la distinction entre le naturel et l’artificiel. Le vrai naturel ignore cette distinction. Pour l’enfant, l’arbre et le réverbère sont aussi naturels et aussi artificiels l’un que l’autre, ou plutôt ni l’un ni l’autre n’est naturel, tous deux sont surnaturels, car tous deux sont splendides et inexpliqués."

Ajoutons : "Rien n’est plus matérialiste que de mépriser un plaisir [uniquement] parce qu’il est purement matériel."

Fermons le ban : 

"En cette matière, comme en toutes les matières traitées dans ce livre, notre conclusion principale est que nous avons besoin d’un point de vue fondamental, d’une philosophie ou d’une religion, et non pas d’un changement dans les habitudes ou la routine sociale. Ce dont nous avons le plus besoin pour la pratique immédiate, ce sont des abstractions."


Et saluons : Heil !

dimanche 23 septembre 2018

"Changer l'étincelle en flamme..."



"Dans un petit texte intitulé Nocturne, Kafka décrit une troupe de nomades pesamment endormis sur le sol. Mais quelques-uns veillent sur eux et se lancent des signaux à travers la nuit : « Et toi, tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvre le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles près de toi. Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut quelqu’un. » Voici donc qu’après tant de protestations d’humilité, tant de moments de désespoir, Kafka s’assigne une fonction ; il a une place à tenir, un rôle irremplaçable à jouer. Une autre fois, il se voit placé à un tournant des temps, il est, dit-il, une fin ou un commencement. Il pense qu’il peut et doit tirer profit de la position exposée où le destin l’a confiné ; il attend que ses privations trouvent enfin leur récompense et que de son extrême faiblesse une force surgisse, qu’il est peut-être le seul à pouvoir produire : « Je n’ai rien apporté, que je sache, de tout ce que la vie exige, j’ai apporté seulement l’humaine et générale faiblesse. Grâce à elle - c’est de ce point de vue une force immense - j’ai vigoureusement absorbé en moi tout le négatif de mon temps, un temps qui m’est très proche, que je n’ai jamais le droit de combattre, mais dont je peux, jusqu’à un certain point, être le représentant. »

Dans les moments où il accède à cette confiance, il est réconcilié avec lui-même, il se sent justifié. Mais ces heures-là sont rares et il se méfie de l’exaltation, peut-être mensongère, qui les inspire. Ainsi, quelques jours après avoir imaginé la métaphore du veilleur, il se corrige lui-même dans son Journal et note sarcastiquement : « Un veilleur ! Un veilleur ! Sur quoi veilles-tu ? Qui t’a engagé ? Une seule chose, ton dégoût de toi-même, te rend plus riche que le cloporte, qui est couché sous la vieille pierre et qui veille. » Non seulement la littérature, son seul salut, l’a empêché de vivre, mais elle ne va pas l’aider à mourir : « Ce que j’ai joué », écrit-il, « va se produire maintenant dans la réalité. Je ne me suis pas racheté par l’écriture. Je suis mort ma vie durant et vais maintenant réellement mourir. Ma vie a été plus douce que celle des autres, ma mort n’en sera que plus terrible. L’écrivain en moi mourra naturellement aussitôt, car ce personnage n’a aucun sol pour le porter, il est sans consistance, il n’est même pas poussière ; il n’est à la rigueur possible que dans la vie terrestre la plus insensée, il n’est qu’une construction du narcissisme. Voilà pour l’écrivain. Mais quant à moi-même, je ne puis continuer à vivre, puisque je n’ai pas vécu ; je suis resté limon, je n’ai pas su changer l’étincelle en flamme, je ne l’ai utilisée que pour l’illumination de mon cadavre. Ce sera un étrange enterrement : l’écrivain, c’est-à-dire un être qui n’a aucune consistance, livrera le vieux cadavre, le cadavre de toujours, à son tombeau. »"


(Claude David, dans une préface à une édition de récits de Kafka en « Folio ».)

samedi 22 septembre 2018

"Les plus actives complicités."

Suite de l’analyse de Boutang, citations de l’Anti-Oedipe à l’appui : 

"Je renvoie ceux qui soupçonneraient la moindre intention de caricature, aux déclarations finales explicites ; la répression capitaliste, due à la disparité des régimes, ne doit pas nous faire oublier l’identité de nature entre le réprimant et le désir qu’il réprime : « Le choix n’est qu’entre deux pôles, la contre-fuite paranoïaque qui anime tous les investissements conformistes, réactionnaires et fascisants, la fuite schizophrénique convertible en investissements révolutionnaires. » 

Non seulement aucune politique n’est tirée de cet impératif de la fuite, mais la manoeuvre en retraite infinie (rétrograde, à la lettre) prévoit les conditions de ralliement à n’importe quelle révolution, et le prix, entre perversion et permission : « La schizo-analyse, en tant que telle, ne pose pas le problème de la nature du socius qui doit sortir de la révolution ; elle ne prétend nullement valoir pour la révolution elle-même. Un socius étant donné, elle demande seulement quelle place il réserve à la production désirante, quel rôle moteur y a le désir, sous quelle forme s’y fait la réconciliation du régime de la production désirante et du régime de la production sociale… »

La justice, l’éminente dignité des pauvres, le caractère sacré de l’enracinement des hommes ordinaires, ceux qui naissent et meurent dans les cités temporelles, sont absents de cette épithymiocratie. Le désir y est proclamé souverain, non le désir des hommes, mais le fantasme des délirants de la grande Dérive. Rien, dans la théorie de l’Anti-Oedipe - ni même dans les analyses apparemment plus philosophiques de Différence et Répétition - ne va au-delà du mythe du Théétète, où Platon a défini pour toujours la sophistique relativiste et mobiliste de Protagoras sous sa forme la plus raffinée et secrète. Du moins cette sophistique devait-elle être mise au jour, dérobée à son propre secret. Celle de notre temps s’étale et se pavane dans une société qu’elle aguiche et qu’elle invite, non sans succès, aux plus actives complicités."


Il n’est certes pas interdit d’aller plus loin, et de réécouter par exemple ce que Deleuze dit de l’Anti-Oedipe presque vingt après sa parution, dans l’Abécédaire. Mais la question, ici, n’est pas de juger la pensée d’un  tel philosophe, d’autant que je suis nettement moins armé conceptuellement que P. Boutang pour le faire : il s’agit, à travers ces oeuvres souvent absconses et prétentieuses qu’a produit la french theory, de saisir dans leur persistante simplicité les traits psychologiques d’une époque. Ici, un conformisme anticonformiste et masochiste petit-bourgeois, que finalement Lacan, quand il reprochait aux étudiants rebelles de 68 de vouloir un maître, avait très vite perçu. Mais il est vrai que Lacan, comme Boutang, connaissait son Maurras, et n’ignorait pas la différence entre l’acceptation de l’autorité légitime et la recherche plus ou moins consciente du bâton pour se faire battre (et plus si affinités, on n’en sort pas…).

vendredi 21 septembre 2018

L'anus capitaliste de G. Deleuze.

Sur la lancée des citations prises dans son La Fontaine politique, j’ai ressorti de ma bibliothèque l’Apocalypse du désir de Boutang. Mon exemplaire est quelque peu décati, les indications que j’ai retrouvées sur la page de garde permettant d’en comprendre la raison : "Août 2009. Lu jusqu’à la p. 63. Recommencé en octobre 2011." Ce recommencement m’a entraîné jusqu’à la p. 220 environ, j’ai fait plus de la moitié du livre - en quelques mois sans doute, il y a sept ans… Passée la première réaction de lassitude, je me suis dit qu’après tout il n’était pas étonnant, rapport à mes propres préoccupations, que je passe autant d’années, fût-ce de manière très intermittente, sur un livre que l’on pourrait d’une certaine façon sous-titrer Érotique chrétienne - vaste programme ! La difficulté du style de P. Boutang n’est ici que le reflet de la difficulté des questions abordées, elle ne suffit pas expliquer la lenteur de ma progression. 

Quoi qu’il en soit, voici deux passages issus de l’analyse serrée que Boutang nous livre (nous sommes en 1979) de l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari. Je note incidemment que l’oeuvre de notre catholique platonicien contient de vraies lectures des philosophes de la deuxième moitié du siècle, de Sartre à Foucault, en passant par Lacan, et donc, les deux promoteurs des « machines désirantes ». Allons-y : Boutang évoque d’abord leurs attaques contre, justement, l’auteur des Écrits :

"Jacques Lacan a dénoncé la part prise par les rites de la psychanalyse, dans l’ « american way of life », à la domestication du désir ; pour autant que l’Europe s’américanise, nos sociétés libérales avancées sont plus sensibles au psychodrame et à la dynamique de groupe qui favorisent la conservation des biens ou des situations et la révolution des moeurs, qu’à la psychanalyse ; seule une minorité lacanise sans attendre, plus que son maître, mieux que de jolis ou drôles détours vers la mort. L’intention de l’Anti-Oedipe n’était donc pas nécessairement sagace, s’il s’agissait d’empêcher ou ruiner une « oedipianisation » à laquelle Lacan ne s’est pas voué, et qui a une importance vaste et pelliculaire, analogue à celle des « ovnis » chez les adultes moyens. 

Cette conclusion serait trop rapide : l’entreprise de l’Anti-Oedipe n’est pas limitée aux clients et victimes de Claire Brétécher ; elle a une valeur de prototype, de prélude à un couronnement de l’anarchie, qui ne ralliera pas les marxistes les plus sérieux mais ne cessera de séduire les « déchets » ou les « renvois » de la bourgeoisie intellectuelle, à proportion de la jeunesse, ou - ce n’est pas nous qui le disons, mais nos auteurs qui le proposent comme programme - de sa perversion : « Encore plus de perversion ! Encore plus d’artifice ! » Cela a des chances, en effet, de marcher. (…)

Alors, quelle voie révolutionnaire ? La question a été posée plusieurs fois, aux divers tournants, toujours avec la réponse en forme de fuite. (…) On écartait… le conseil de Samir Amin (…) aux pays du tiers monde, de « se retirer du marché mondial » : renouvellement de la solution économique fasciste, risquant sans doute, dans le cas improbable de sa possibilité, ou de son esquisse, de « reterritorialiser », rendre à une tradition originelle, des candidats sauvages pour qui les auteurs de l’Anti-Oedipe éprouvent certainement un dégoût de civilisés subtils. Non, ce qui est envisagé par eux c’est d’aller encore plus loin : « Aller encore plus loin dans le mouvement du marché, du décodage et de la déterritorialisation. » (Donc vivent les multinationales, les déplacements de main-d’oeuvre pour leur profit, vive le pouvoir croissant des banques !) Parce que « peut-être les flux ne sont pas encore assez déterritorialisés, pas assez décodés du point de vue d’une théorie et d’une pratique de flux à haute teneur schizophrénique. Non pas se retirer du procès, mais aller plus loin, accélérer le procès, comme disait Nietzsche : en vérité, dans cette matière, nous n’avons encore rien vu ». Si l’on n’est ni voyeur ni provocateur, on fera observer que cette schizo-révolution, ou politique de la décomposition, met à l’infinitif des verbes sans sujet vraisemblable : accélérer le procès ? Qui et comment ? L’Anti-Oedipe va-t-il déléguer ses pervers pour induire la finance mondiale à encore plus d’ignominie ? Et par quels moyens, on brûle de l’apprendre, et si la jet society amorce sa conversion au flux hylétique infini ?"


Je vous retranscris la suite demain, mais ce que l’on peut d’ores et déjà noter, par-delà la caricature du libéral-libertaire, ou du gauchiste qui demande lui-même au capital d’être encore plus capitaliste - toujours la même histoire, continuons avec Musil… -, ce sont les aspects masochistes, et plus encore morbides, d’une telle approche. Avec les textes de Muray sur le sexe et la « part maudite » que je vous ai donnés à lire il y a peu, vous imaginez bien qu’il ne s’agit pas pour moi de verser dans une vision idyllique de la sexualité - et encore moins de la politique. Mais il y a ici, non pas un Gai savoir, comme le revendiquait le Nietzsche de nos oiseaux (savoir comme Nietzsche qui n’étaient déjà pas bien gais), mais comme une noirceur gay (et c’est tout sauf un oxymore : cela fait longtemps que je me dis que la promotion du terme gay pour désigner un comportement morbide tel que l’homosexualité masculine fut une des premières grandes manifestations et un des premiers signes d’une forme d’attaque contre le langage et ses significations), une noirceur gay qui donne envie de vomir, les extraits de demain vous le confirmerons, je pense, et ma phrase est finie, merci. 

jeudi 20 septembre 2018

La France et l'amour courtois...

On feuillette le Chesterton qu’on a oublié dans son sac depuis la dernière fois que l’on a cité ce grand homme, et on a le bonheur de tomber sur ces lignes : 

"La nationalité est une chose qui existe et qui n’a rien à voir avec la race. La nationalité est comme une Église ou une société secrète, c’est un produit de l’âme humaine, de la volonté humaine ; c’est un produit spirituel. Et il y a des gens, dans le monde moderne, qui préfèreraient croire et faire n’importe quoi plutôt que d’admettre qu’une chose pût être un produit spirituel. 

Toutefois une nation, telle qu’elle se présente au monde, est un produit purement spirituel. Parfois elle naît dans l’indépendance, comme l’Écosse, parfois dans la servitude et sous le joug comme l’Irlande. Parfois c’est une grande chose due à la cohésion d’un grand nombre de petites choses comme l’Italie ; parfois c’est une petite chose qui se détache d’une grande comme la Pologne. Mais, dans tous les cas, sa qualité est purement spirituelle ou, si l’on veut, purement psychologique. C’est une minute où cinq hommes en deviennent un sixième. Quiconque a fondé un club connaît ce phénomène. C’est le moment où cinq endroits différents en font un seul. Quiconque a jamais eu à repousser une invasion le comprendra. M. Timothy Healy, l’intelligence la plus sûre de la Chambre des Communes actuelle, a donné une définition parfaite de la nationalité en l’appelant simplement une chose pour laquelle les hommes sont prêts à mourir. Il l’a dit excellemment dans sa réponse à lord Hugh Cecil : « Personne, pas même le noble lord, ne voudrait mourir pour le méridien de Greenwich. » Et c’est bien là une consécration de son caractère purement psychologique. Il serait superflu de se demander pourquoi Greenwich n’opère pas cette cohésion spirituelle comme le firent Athènes ou Sparte. C’est comme si on demandait pourquoi un homme tombe amoureux d’une femme et non d’une autre."

L’UE ne veut plus que nous acceptions de mourir pour la France, mais elle nous demande de nous suicider en tant que Français (Italiens, Polonais, etc.) pour l’UE - pour le méridien de Greenwich. La question qu’il reste à poser, pour continuer à filer les métaphores de G.K., est toute simple : sommes-nous encore capables de tomber amoureux ? 



(Idée que je note derechef : la généralisation de l’avortement (sous toutes ses formes, incluant les formes contraceptives) rendrait impuissant. Comme si l’inconscient en venait à estimer qu’éjaculer n’avait plus la moindre importance.)

mercredi 19 septembre 2018

Tout contre.

Dans le livre de P. Boutang sur La Fontaine se trouve une analyse aiguë du Meunier, son fils et l'âne. La parcourant à la recherche d'une citation, j'y trouve une délectable incise, liée à la rencontre fort animée des deux (ou trois, avec l’âne) protagonistes principaux avec les « trois filles » : 

"Passez votre chemin, la Fille, et m'en croyez.
 - Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort et mit son fils en croupe."

Trois vers lapidaires pour rendre compte d’une longue dispute, que Pierre Boutang glose ainsi : 

"A l’usure toutefois, elles l’avaient eu. « L'homme crut avoir tort et mit son fils en croupe. » Les révolutions utilisent cette puissance féminine de mettre dans son tort par la répétition, et en 1789 la pression des femmes était si croyable et rentable que les émeutes multiplièrent les déguisements d’hommes sous le vêtement féminin."


J’ignorais ce fait historique ; pour ce qui est de la puissance d’érosion de la complainte féminine, elle est par exemple présente dans l’épisode biblique de Samson et Dalila (il est plus facile pour le héros de se sacrifier que de se laisser casser les couilles par le femme qu’il aime), elle est de nos jours flagrante sur Twitter - avec bien sûr d’autant plus de violence que les femmes (ou ceux qui multiplient les déguisements d’hommes sous le vêtement féminin) se croient beaucoup plus victimes qu’elles ne le sont en réalité. J’allais écrire : que cela puisse finalement déboucher, à terme, sur une situation où elles deviendront bien plus victimes qu'elles ne le sont aujourd'hui, est une autre histoire ; mais non, justement, comme dirait Musil, c’est « toujours la même histoire ». Avec des dénouements plus ou moins tragiques.

mardi 18 septembre 2018

L'usurpation du destin sur la Providence.

Ai-je fini le livre de Boutang, La Fontaine politique, commencé il y a un an ? Non. Est-ce que cela doit m’empêcher de vous en citer un nouvel extrait ? Non plus. (La Galatée dont il va être question est un opéra inachevé de l’auteur des Fables.)

"Croyant sans faille en la Providence, La Fontaine a combattu vivement l’astrologie dont les retours et la puissance démentent le poncif de la « rationalité » du Grand Siècle  ; et ce n’est ni à partir de Descartes, ni de Gassendi, ni d’Épicure que la bataille peut être menée ; ni d’Aristote d’ailleurs, chez qui les corps célestes ont un rôle médiateur pouvant fonder une astrologie. La relative indulgence de saint Thomas vient de là, on le sait. H. Busson a rappelé, dans son livre La religion des classiques que les escarmouches de « Galatée » contre l’usurpation du destin sur la Providence sont de 1674, huit ans avant l’édit expulsant du royaume « toutes les personnes se mêlant de deviner, et se disant devins ou devineresses ». (En notre âge de lumière, la liberté de la presse profite essentiellement à l’horoscope quotidien et aux pronostics du tiercé [On ajoutera les paris sportifs et les prévisions des économistes, note de AMG]). La fable de « L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits » (…) établit, en logique sans figures, qu’il n’est de « livre du destin » que comme « hasard et providence » ; et du hasard point de science proprement dite. (…) Du cours des astres et des mouvements célestes, nulle conséquence ne se tire sans impiété, que celle de la bonté de Dieu et la fécondité de la nature. Donc, « Charlatans, faiseurs d’horoscope, / Quittez les cours des Princes de l’Europe. »" 


Foutredieu, plus de trois siècles après, ils sont toujours là. Les Princes, en revanche…

lundi 17 septembre 2018

Face à la haine...

"« Face à la haine », titre Le Monde. Et, du coup, on installe trente et un écrivains face à cette haine. On les place devant. On les assoit là. Comme les vacanciers des tableaux de Boudin en face de la mer. Face à une sauvagerie à contempler pour l’apprivoiser ou  l’éradiquer. Mais qu’est-ce que la haine ? Il est frappant que tout le monde ait l’air de le savoir a priori ; il est étonnant que personne ne semble avoir besoin de considérer cette question d’abord en tant que problème. Et tout se passe, alors, comme si la littérature (dont ces trente et un écrivains sont tout de même supposés représenter une sorte de quintessence) y avait toujours été étrangère, à la haine. (…)

« Face à la haine ». En installant trente et un « écrivains face à la haine », donc en désignant la morale comme fin exclusive de tout ce qui s’écrit, on achève de transformer la littérature en ligue de vertu ; et ce qui avait été dit, pendant plusieurs siècles, sur la négativité comme condition vitale, aussi bien dans les sociétés que chez les individus (…), tout cela devient impensable, ou du moins prohibé [vingt ans après, on constate parfois que des gens s’arrêtent littéralement de penser dès qu’ils sentent qu’ils risquent d’aborder cette question, note de AMG]. Des choses que savait n’importe quel jésuite de base du XVIIe siècle retombent dans l’oubli ou sont interdites. On traite le Mal par le Bien, et on s’imagine que ça va marcher. (…)

« Face à la haine » ? C’est comme si on mettait la littérature en face de la vie. Comme si Dostoïevski, Sade, Lautréamont, Céline, Balzac, Kafka, Bloy, Bataille, Faulkner, Borges et cinquante autres avaient jamais cessé d’explorer ces territoires noirs. Explorer. Ils ne sont pas restés en face. Ils s’y sont compromis. Ils l’ont prise sur eux, d’une façon ou d’une autre, cette « part maudite » sans laquelle d’autres affections contraires (la concorde, l’amour, la tendresse, la fraternité) n’auraient jamais pu acquérir la plus légère signification. Ils ne sont pas restés dehors. Ils ne sont pas restés assis devant, avec des poses de matador, protégés par la ceinture de chasteté de leurs bonnes intentions. Ils ne se sont pas placés du bon côté, et pour ainsi dire de naissance, ou de droit divin (quitte ensuite à s’affoler que l’autre côté, le mauvais, se peuple à une vitesse de plus en plus extravagante). Ils ne se sont pas imaginés exempts de cette haine, au point de l’expatrier de la littérature pour transformer celle-ci en perpétuel cours d’éducation civique."


Ajoutons une phrase issue du même texte, de portée plus générale : 

"Car tout ce qui va de soi, chacun le sent, porte malheur."


P. Muray.

dimanche 16 septembre 2018

"Pas besoin d’être Jérémie, pour d’viner le sort qui nous est promis…"

C’est dimanche, c’est le jour du sermon : 

"Les sages sont confondus, 
ils s’effondrent, ils sont capturés ; 
ils méprisent la parole du Seigneur : 
en quoi donc peuvent-ils se dire experts ? 

Eh bien ! Je donne leurs femmes à d’autres, 
leurs champs à ceux qui s’en empareront. 
Car tous, petits et grands, sont âpres au gain ; 
tous, prophètes et prêtres, ont une conduite fausse. 

Ils ont bien vite fait de remédier au désastre de mon peuple
en disant : « Tout va bien ! tout va bien ! »
Et rien ne va. 

Ils sont confondus parce qu’ils commettent des horreurs, 
mais ils ne veulent pas en rougir ; 
ils n’ont pas conscience de leur déshonneur. 
Et bien ! ils s’écrouleront comme tous les autres ; 
quand il leur faudra rencontre compte, 
ils perdront pied, dit le Seigneur. 

Je suis décidé à en finir avec eux 
 - oracle du Seigneur -, 
pas de raisin à la vigne ! Pas de figues au figuier ! 
Le feuillage est flétri. 
Je les donne à ceux qui leur passeront dessus."


Jérémie, VIII, 9-13.