dimanche 30 juin 2019

L'entracte de Minerve.




(Félicien-Rops)

samedi 29 juin 2019

Ma bite et mon couteau.




Pour changer - un peu - de Muray, voici les premières lignes d’un texte de Jean Clair sur le rapport des artistes au cirque et aux saltimbanques : 

"L’homme, premier des primates à adopter la station debout, est aussi le premier des saltimbanques. Osant se dresser sur le sol, hésiter, s’avancer puis trébucher, trouver son chemin sur deux pieds, il fut, parmi les mammifères, le premier funambule à parcourir le fil invisible de son existence. Là où les autres de son espèce, collés au sol, rampaient, sautillaient, claudiquaient, il avança. 

Mais plus encore, ce clown céleste, cet acrobate ouranien insensible au vertige, qui désormais plaçait sa tête au-dessus de lui et dirigeait son regard un peu plus haut vers l’horizon, fut le premier à deviner qu’il portait en lui l’énigme de son existence. Là où d'autres animaux dissimulaient leur sexe au creux de leur flanc ou sous leur ventre, il l’exhiba, frontal, évident, d’une présence aveuglante, situé qu’il était au centre du cercle qu’il dessine quand il étend les rayons de ses bras et de ses jambes. L’homme n’était pas seulement un funambule, c’était aussi l’acrobate qui inscrivait son corps dans la roue invisible dont la course conquerrait le monde. Connaissant le sexe et inventant le progrès, il découvrit la mort."

De façon moins solennelle, en citant Picasso, J. Clair répète la même chose, quelques paragraphes plus loin : 

"Les Espagnols, c’est l’église le matin, la corrida l’après-midi, le bordel le soir." 

Le trépied de la civilisation, comme disait Céline, qui lui, parlant des Français, mettait le bistro à la place de la corrida… Une façon moins tragique et plus conviviale d'affronter la mort, en somme. 


vendredi 28 juin 2019

"Et le monde deviendra toujours plus artistique..."




"L'art n'a plus de sexe opposé. Il n'y a plus rien qui ne soit artistique ou artistisable, et toutes les ripostes inventées par les artistes pour traiter ce désastre (se le réapproprier, l'ironiser, le détourner) sont vouées à l'échec, ne serait-ce que parce que la Culture, maternellement, accueillera toujours ces ripostes en son sein. Elle se les ajoutera. Elle s'en grossira. Et le monde deviendra toujours plus artistique.


La Culture n'a pas le même projet que les artistes, mais ils ne le savent pas. La Culture n'est qu'une des voix par lesquelles parle l'espèce ; et l'espèce ne veut qu'une chose : perdurer au détriment des individus. Ce que les artistes de jadis savaient. Ce que les prétendus « artistes contemporains » ignorent. Preuve qu'il ne s'agit pas d'artistes."


jeudi 27 juin 2019

"L'émancipation sexuelle est la réalisation de la pire des répressions..."

Muray, 1985 : 

"Le paradoxe, c'est que presque tout le monde croit ou fait semblant de croire que chrétien ou catholique sont synonymes exclusifs de répulsion de la sexualité, condamnation des élans du corps, répression du plaisir, hypocrisie « jésuitique » sur le désir, étouffement des libertés envolées de la chair, culpabilisation sordide des plus légitimes aspirations de chacun à une jouissance absolument égale en intensité à celle des autres. Comme il me paraît évident, au contraire, et démontrable quotidiennement, que l'émancipation sexuelle est la réalisation de la pire des répressions puisqu'il s'agit d'un stade d'égalisation par effacement des différences jusqu'ici jamais atteint, donc aussi de l'enfer inévitable des rivalités entre égaux (entre partenaires, pour commencer, devenus obstacles à la place de la Loi qui jusque-là endossait toutes les responsabilités et faisait ce sale travail d'obstacle pour eux), je ne crois pas qu'il soit nécessaire de perdre trop de temps avec ces balivernes."

Ben si, en fait, mais c’était bien de donner de telles pistes… C'est en tout cas un domaine où le précepte "Juger l'arbre à ses fruits" se révèle impitoyable. (Il n’est pas impossible que je suspende à nouveau ce blog, comme je l’avais fait il y a quelques années, quitte à me défouler sur Twitter pour compenser. Ce serait une pause, rien de plus. - C’est une tentation, je ne sais pas encore. Ne soyez pas surpris si ça arrive). 

mercredi 26 juin 2019

Je l'ai toujours dit, depuis le début de ce blog : il faut une philosophie du sens, pas une philosophie du bonheur. Et encore moins une religion du bonheur !

Muray encore, mais pas directement, il cite deux auteurs, et je trouve que réunir ces deux phrases n’est pas tout à fait sans signification : 

"Nous savons bien, comme disait Freud, qu'il n'est point entré dans le plan de la « Création » que l'homme soit heureux."


"Ce n'est qu'à l'expresse condition que nous soyons fermes dans nos croyances qu'apparaît à nos yeux l'aspect comique de l’univers." F. O’Connor - qui de ce fait nous donne des armes dans notre lutte actuelle contre ceux qui veulent croire que nous devrions être heureux…

mardi 25 juin 2019

"Il existe une sorte de meurtre de la femme nue, on le nomme histoire de l'art moderne."

Je poursuis le filon Muray-Rubens, c’est l’extase ! : 

"Dieu est-il un artiste ? La question, à vrai dire, n'est toujours pas tranchée. Ce qui est sûr, c'est que depuis qu'il est « mort », il n'y a plus de femmes nues dans la peinture. Coïncidence ? Ce qui ne fait également aucun doute, c'est qu'on le voit dès le début, dès sa Création, mettre le critère du goût en avant. Ce qui devient mystérieux, à partir de là, c'est de savoir dans quelle mesure cette autojustification divine nous serait, à nous, communicable. Cette euphorie, ce plaisir." (Muray fait ici allusion à la satisfaction de Dieu dans la Genèse, contemplant son œuvre "Ki tob !" - "Quel bien !").

"Dans l'échelle des genres, des plus nobles jusqu'aux triviaux, il en fallu du temps pour qu'il remonte, le paysage, jusqu'à occuper la plus haute place ! Le « sentiment de la Nature », pour m'exprimer comme les manuels scolaires, a quand même fini par l'emporter. Le coup de pouce hollandais, dans cette victoire, ne me paraît pas du tout négligeable (il serait peut-être amusant de resituer les impressionnistes dans cette perspective insolite)."

"La nudité en tant que problème par rapport au paysage viendra plus tard, lorsque le paysage aura une existence si envahissante que le corps entier dénudé ne pourra même plus le traverser. Ce sera le calvaire de Cézanne, ce sera le début de nos temps modernes."

"Zola va attaquer son grand roman sur la peinture, l'Œuvre, qui culmine dans l'impossibilité, pour son héros, de placer une femme nue sur une toile. Les modèles ne sont plus approchables. Fini. Ou presque. Quelques exceptions encore (Renoir, Matisse, Modigliani), et ce sera vraiment terminé."



Stade suivant : "la propagande pour le moins de sexuel possible dans le meilleur des mondes athlétiques."


lundi 24 juin 2019

Épidémie de sorcellerie...

J’avais déjà prévu, entre mille autres choses à faire, de relire le livre de Muray sur Rubens, les notes que j’y ai prises il y a quelques années justifient amplement ce désir intellectuel : 

"L'Europe entière vacillait depuis à peu près soixante ans. La Chrétienté avait commencé à se déchiqueter lorsqu'un moine, à Wittemberg, avait affiché un placard annonçant la discussion de quatre-vingt-quinze thèses sur les indulgences. 

Immédiatement, tout s'embrasa. L'Allemagne découvrit avec extase qu'elle était l'avenir du monde. Elle célébra son réveil par un festival de vandalisme. Faute de boucs émissaires plus sérieux, elle commença par se faire la main en détruisant des œuvres d’art."

Le protestantisme : 

"Par le plus grand des hasards, ses conquêtes étaient partout accompagnées d'une épidémie de sorcellerie comme on n'en avait jamais vu. Les magiciens se réveillaient au rythme des conjurations de la Raison. Devins, gris-gris, poudres et sabbats ! Marabouts ! Rackets de gourous ! Va-et-vient plus logique qu'on ne pourrait le croire, tourniquet fatal des illusions. Solidarité des utopies. Lévitation des délires. Plus l'ultra-rationnel communautaire est poussé vers ses limites extrêmes (et qu'est-ce que la Réforme, sinon l'injection massive à froid de la raison pure dans la religion, laquelle est extravagante, ou paradoxale au moins, par définition ?), et plus l'ultra-irrationnel, en retour, se retrouve libre de se déchaîner avec une violence sans limites sur le plan intime ou personnel. On ne liquide pas impunément la contradiction qui aide à vivre. On arrache rarement la mauvaise herbe sans détruire la bonne par la même occasion. Malfaisance de la vertu ! Retours de bâton de la Bienfaisance ! La pulsion de mort se nourrit d'idéal ; tout ce qui ressemble à du doute ou de l'ironie, à du paradoxe, à de l'équivoque, lui est tout de suite menace mortelle, et c'est la raison pour laquelle, peut-être, la Réforme va s'engloutir dans le grand Bassin aux Mirages, je veux parler de la Méditerranée. C'est là, à pic, d'un seul coup, qu'elle va aller se naufrager, dans cette région de toutes les merveilles. Oui, c'est là, c'est bien là, pas ailleurs, aux franges de la Mer Intérieure civilisatrice, sur les rives de vignes et de cyprès, que la mise en ordre protestante rencontre sa vraie chimie dissolvante, sa grande confusion, sa seule défaite."

Qui dit protestantisme dit culpabilité. Ce qui est suit est diaboliquement actuel, si j’ose dire : 

"La bête noire de la culpabilité, c'est le langage évidemment, elle préfère de loin la musique, elle en met partout, elle en rêverait dans tous les coins. Que la planète se transforme en une immense Fête, vaseuse et morne, de la Musique égalisante. Musique aujourd'hui, forme suprême de notre gâtisme consensuel ! « Viens, musique, emporte-moi avec toi et sauve-moi de cet effort douloureux pour trouver les mots » : ainsi chantait-on, déjà, au XVIIIe, quand on était poète, et romantique, et allemand.

Effort douloureux pour trouver les mots ! Dans les époques de décadence, le langage devient l'ennemi, sourdement, comme s'il y avait incompatibilité entre la survie en commun et lui. Comme si les sociétés n'étaient jamais fondées que sur un Inexprimable exsangue que menacerait trop la langue. On communie mal avec les mots, ils ont toujours trois sens au moins. Au IIe siècle, raconte un historien de la Rome impériale, les parties dialoguées des pièces de théâtre disparurent petit à petit, laissant la place aux chants d'un chœur de plus en plus envahissant ; les « chefs de troupe » (nous dirions aujourd'hui les metteurs en scène ou les réalisateurs) coupèrent les textes et noyèrent l'action « dans les fantasmagories du décor et l'incantation du lyrisme musical ». Le démoniaque se fraye mieux son chemin dans les histoires sans paroles."


Requiem ! 

dimanche 23 juin 2019

"Appelons Europe l'illusion..."

A la recherche d’une citation, je rouvre un dossier, et je tombe là-dessus : 

"Du temps de Rubens, donc, on ne disait pas « Europe » mais « Chrétienté ». Qui s'en souvient ? Le terme « Europe », comme désignation d'un espace pertinent, est de création récente, il n'a que deux siècles, l'enfance ou presque. C'est entre disons 1650 et 1750 que la terminologie a basculé. Des environs, donc, de la mort de Rubens aux premiers frissons précurseurs de la Révolution. Dans cette époque d'effondrements que quelqu'un a pu appeler excellemment la « crise de la conscience européenne ». « Chrétienté »., au fond, était un terme de guerre, un nom dans lequel résonnait l'effort européen pour repousser l'ennemi absolu d'alors, je veux parler des Turcs, bien sûr, des Ottomans. La « Terreur du monde », comme on disait depuis la prise de Constantinople en 1453. « Europe » est employé progressivement partout où ce danger disparaît (à l'ouest), alors que là où il subsiste (Espagne, Italie du Sud, Autriche, Hongrie, Pologne), « Chrétienté » résiste. Le mot « Europe » signifie donc cessation des hostilités, armistice, ou encore croyance à la fin de la Guerre Sainte (sa consécration dans la langue date de 1751, avec la publication par Voltaire du Siècle de Louis XIV). Appelons « Europe » l'illusion naissante, et maintenant devenue lieu commun, que nous n'ayons pas eu d'autre ennemis à travers le temps que les Turcs ; ou que la menace « ottomane » se soit à jamais évanouie avec ces « chrétiens » qui la combattaient ; et aussi, bien entendu, que nous puissions partager quelque chose, par exemple avec les Allemands, avec l'Allemagne, avec le puissant Massif moral et central germanique."

P. Muray, La Gloire de Rubens, 1991. Livre publié, c’est toujours un peu piquant de le rappeler, par un directeur de collection chez Grasset du nom de Lévy, du prénom de Bernard-Henri. 


samedi 22 juin 2019

L'Église au centre du village...

De nouveau un beau texte issu du Journal d’un curé de campagne, le ton est différent, c’est cette fois-ci le curé lui-même qui s’exprime : 

"Presque tous les jours, je m’arrange pour rentrer au presbytère par la route de Gesvres. Au haut de la côte, qu’il pleuve ou vente, je m’assois sur un tronc de peuplier oublié là on ne sait pourquoi depuis des hivers et qui commence à pourrir. La végétation parasite lui fait une sorte de gaine que je trouve hideuse et jolie tour à tour, selon l’état de mes pensées ou la couleur du temps. C’est là que m’est venue l’idée de ce journal et il me semble que je ne l’aurais eue nulle part ailleurs. Dans ce pays de bois et de pâturages coupés de haies vives, plantés de pommiers, je ne trouverais pas un autre observatoire d’où le village m’apparaisse ainsi tout entier comme ramassé dans le creux de la main. Je le regarde, et je n’ai jamais l’impression qu’il me regarde aussi. Je ne crois pas d’ailleurs non plus qu’il m’ignore. On dirait qu’il me tourne le dos et m’observe de biais, les yeux mi-clos, à la manière des chats.

Que me veut-il ? Me veut-il même quelque chose ? À cette place tout autre que moi, un homme riche, par exemple, pourrait évaluer le prix de ces maisons de torchis, calculer l’exacte superficie de ces champs, de ces prés, rêver qu’il a déboursé la somme nécessaire, que ce village lui appartient. Moi pas.

Quoi que je fasse, lui aurais-je donné jusqu’à la dernière goutte de mon sang (et c’est vrai que parfois j’imagine qu’il m’a cloué là-haut sur une croix, qu’il me regarde au moins mourir), je ne le posséderais pas. J’ai beau le voir en ce moment si blanc, si frais (à l’occasion de la Toussaint, ils viennent de passer leurs murs au lait de chaux teinté de bleu de linge), je ne puis oublier qu’il est là depuis des siècles, son ancienneté me fait peur. Bien avant que ne fût bâtie, au quinzième siècle, la petite église où je ne suis tout de même qu’un passant, il endurait ici patiemment le chaud et le froid, la pluie, le vent, le soleil, tantôt prospère, tantôt misérable, accroché à ce lambeau de sol dont il pompait les sucs et auquel il rendait ses morts. Que son expérience de la vie doit être secrète, profonde ! Il m’aura comme les autres, plus vite que les autres sûrement."


 - "ce lambeau de sol dont il pompait les sucs et auquel il rendait ses morts…" Outre cette heureuse formule, il y a dans ce dernier paragraphe un aspect païen assez intéressant, pas toujours « démêlable » de ses aspects chrétiens, par exemple dans la référence à la Toussaint. 


Et pour qui lit ce texte presque un siècle de déchristianisation supplémentaire après son écriture, cette inscription temporelle de la construction de l’Église ne peut que renvoyer, en contraste avec une certaine immutabilité du village (on n’ose parler d’éternité…), à la possibilité de la destruction ou de la disparition de cette Église. C’était déjà explicite dans le texte de Bernanos, c’est évidemment encore plus frappant en 2019. 

vendredi 21 juin 2019

"Le Français aime les théories, le Christ préfère la pratique."

"Articuler engagement personnel et vision politique reste une gageure pour les catholiques contemporains : nourrir le pauvre en bas de chez soi sans discrimination et contrôler ses frontières politiques du même mouvement, voilà ce qu’on lui demande."

Phrase à plusieurs titres bancale, mais bonne synthèse, de J. de Guillebon dans L’incorrect. Ce que développe, quelques pages plus loin, le Père Vivarès : 

"Le pauvre dérange, il a toujours dérangé et dérangera toujours. Il est l’incarnation de la charité chrétienne, l’incarnation du Christ aujourd’hui dans notre monde. Là aussi, quelle que soit l’époque, le pauvre a gêné : que l’on se rappelle le « grand renfermement » en plein XVIIe siècle au grand dam de Saint Vincent de Paul ou les camps de migrants ventilés sur tout le territoire aujourd’hui. Le pauvre est accusé de tous les vices, il est cause de tous les maux et pour enfin vivre tranquilles, il ne faut plus le voir. Dans notre bonne ville de Paris gouvernée par la bien-pensance, on change les sièges du métro, on met des piques sur les rebords des devantures, on repousse les tentes Quechua le plus loin possible du périphérique, quand elles ne sont pas tout simplement détruites. C’est la raison pour laquelle j’ai tant de pauvres qui viennent s’asseoir dans mon église toute la journée. Ici, on les laisse tranquilles, et ils peuvent se poser, se reposer. On n’imagine pas l’insécurité quotidienne de celui qui n’a pas de toit. 

Je n’ai pas à dire quelle attitude adopter : il y a celle que j’adopte en conscience, et j’invite chacun à agir en conscience, non pas devant un problème politique, ou géopolitique, mais devant une personne. Le Français aime les théories, le Christ préfère la pratique. (…) Je rencontre des personnes en souffrance, parfois à cause d’elles-mêmes. Je peux détourner les yeux de cette souffrance ou essayer de l’accueillir et, à ma mesure, avec mes moyens, essayer d’y remédier. (…)

Ensuite, nous votons, là aussi en conscience, sur un programme que l’on voudrait voir appliquer. Si les décisions actuelles ne vous plaisent pas, faites de la politique, ce qui, pour saint Thomas d’Aquin, est l’une des plus hautes formes de la charité. Mais concrètement, nous ne serons pas jugés sur notre amertume politique ou nos victoires électoralistes, mais sur nos actions."

Il faut aussi distinguer charité individuelle et collective : pour un pays plus encore que pour un individu, charité bien ordonnée commence par soi-même. Si l’on veut que les pays riches aident les pays pauvres, il faut que les pays riches aient une indépendance, économique, politique, culturelle, spirituelle, qui leur permette de concevoir, planifier, organiser cette aide. Il est tout de même difficile de ne pas remarquer, sur le long terme, que ceux qui font le plus pour affaiblir, de toutes les manières (économique, politique, culturelle, spirituelle...), les nations occidentales, adoptent souvent aussi des positions pro-migrants (et il ne faut pas confondre, purement et simplement, migrants et pauvres) et se montrent fort prompts à insulter ceux qui se posent des questions sur cette soudaine promotion gaucho-capitaliste du migrant comme personne à qui tous les sédentaires du monde devraient maintenant prêter allégeance !


Et pendant ce temps, de plus en plus de gens, Français et étrangers, dorment, pissent et chient dans le métro d'Hidalgo, toutes les nuits…

jeudi 20 juin 2019

"Que vous servirait de fabriquer la vie même, si vous avez perdu le sens de la vie ?" Paganisme, néo-paganisme, Diable, pornographie, transhumanisme… tout est remis à sa place !

J’ai vu son adaptation par Robert Bresson, mais ai-je dans ma lointaine jeunesse lu le Journal d’un curé de campagne ? Je ne m’en souviens plus. Et, en lisant - ou relisant - le début, je ne saurais dire quel rôle va jouer dans la suite du récit le personnage du curé de Torcy. Il me semble en tout cas difficile de nier que ce qui suit, qui est assez long (merci Wikisource…) et qui conclut un discours encore plus long, reflète en bonne partie la pensée de Bernanos : 

"Tradition ! grognent les vieux. Évolution ! chantent les jeunes. Moi je crois que l’homme est l’homme, qu’il ne vaut guère mieux qu’au temps des païens. La question n’est d’ailleurs pas de savoir ce qu’il vaut, mais qui le commande. Ah ! si on avait laissé faire les hommes d’Église ! Remarque que je ne coupe pas dans le moyen âge des confiseurs : les gens du treizième siècle ne passaient pas pour de petits saints et si les moines étaient moins bêtes, ils buvaient plus qu’aujourd’hui, on ne peut pas dire le contraire. Mais nous étions en train de fonder un empire, mon garçon, un empire auprès duquel celui des Césars n’eût été que de la crotte — une paix, la Paix romaine, la vraie. Un peuple chrétien, voilà ce que nous aurions fait tous ensemble. Un peuple de chrétiens n’est pas un peuple de saintes-nitouches. L’Église a les nerfs solides, le péché ne lui fait pas peur, au contraire. Elle le regarde en face, tranquillement, et même, à l’exemple de Notre-Seigneur, elle le prend à son compte, elle l’assume. Quand un bon ouvrier travaille convenablement les six jours de la semaine, on peut bien lui passer une ribote, le samedi soir. Tiens, je vais te définir un peuple chrétien par son contraire. Le contraire d’un peuple chrétien, c’est un peuple triste, un peuple de vieux. Tu me diras que la définition n’est pas trop théologique. D’accord. Mais elle a de quoi faire réfléchir les messieurs qui bâillent à la messe du dimanche. Bien sûr qu’ils bâillent ! Tu ne voudrais pas qu’en une malheureuse demi-heure par semaine, l’Église puisse leur apprendre la joie ! Et même s’ils savaient par cœur le catéchisme du Concile de Trente, ils n’en seraient probablement pas plus gais.

D’où vient que le temps de notre petite enfance nous apparaît si doux, si rayonnant ? Un gosse a des peines comme tout le monde, et il est, en somme, si désarmé contre la douleur, la maladie ! L’enfance et l’extrême vieillesse devraient être les deux grandes épreuves de l’homme. Mais c’est du sentiment de sa propre impuissance que l’enfant tire humblement le principe même de sa joie. Il s’en rapporte à sa mère, comprends-tu ? Présent, passé, avenir, toute sa vie, la vie entière tient dans un regard, et ce regard est un sourire. Hé bien, mon garçon, si l’on nous avait laissés faire, nous autres, l’Église eût donné aux hommes cette espèce de sécurité souveraine. Retiens que chacun n’en aurait pas moins eu sa part d’embêtements. La faim, la soif, la pauvreté, la jalousie, nous ne serons jamais assez forts pour mettre le diable dans notre poche, tu penses ! Mais l’homme se serait su le fils de Dieu, voilà le miracle ! Il aurait vécu, il serait mort avec cette idée, dans la caboche — et non pas une idée apprise seulement dans les livres, — non. Parce qu’elle eût inspiré, grâce à nous, les mœurs, les coutumes, les distractions, les plaisirs et jusqu’aux plus humbles nécessités. Ça n’aurait pas empêché l’ouvrier de gratter la terre, le savant de piocher sa table de logarithmes ou même l’ingénieur de construire ses joujoux pour grandes personnes. Seulement nous aurions aboli, nous aurions arraché du cœur d’Adam le sentiment de sa solitude. Avec leur ribambelle de dieux, les païens n’étaient pas si bêtes ; ils avaient tout de même réussi à donner au pauvre monde l’illusion d’une grossière entente avec l’invisible. Mais le truc maintenant ne vaudrait plus un clou. Hors l’Église, un peuple sera toujours un peuple de bâtards, un peuple d’enfants trouvés. Évidemment, il leur reste encore l’espoir de se faire reconnaître par Satan. Bernique ! Ils peuvent l’attendre longtemps, leur petit Noël noir ! Ils peuvent les mettre dans la cheminée, leurs souliers ! Voilà déjà que le diable se lasse d’y déposer des tas de mécaniques aussi vite démodées qu’inventées, il n’y met plus maintenant qu’un minuscule paquet de cocaïne, d’héroïne, de morphine, une saleté de poudre quelconque qui ne lui coûte pas cher. Pauvres types ! Ils auront usé jusqu’au péché. Ne s’amuse pas qui veut. La moindre poupée de quatre sous fait les délices d’un gosse toute une saison, tandis qu’un vieux bonhomme bâillera devant un jouet de cinq cents francs. Pourquoi ? Parce qu’il a perdu l’esprit d’enfance. Hé bien, l’Église a été chargée par le bon Dieu de maintenir dans le monde cet esprit d’enfance, cette ingénuité, cette fraîcheur. Le paganisme n’était pas l’ennemi de la nature, mais le christianisme seul l’agrandit, l’exalte, la met à la mesure de l’homme, du rêve de l’homme. Je voudrais tenir un de ces savantasses qui me traitent d’obscurantiste, je lui dirais : « Ce n’est pas ma faute si je porte un costume de croque-mort. Après tout, le Pape s’habille bien en blanc, et les cardinaux en rouge. J’aurais le droit de me promener vêtu comme la Reine de Saba, parce que j’apporte la joie. Je vous la donnerais pour rien si vous me la demandiez. L’Église dispose de la joie, de toute la part de joie réservée à ce triste monde. Ce que vous avez fait contre elle, vous l’avez fait contre la joie. Est-ce que je vous empêche, moi, de calculer la précession des équinoxes ou de désintégrer les atomes ? Mais que vous servirait de fabriquer la vie même, si vous avez perdu le sens de la vie ? Vous n’auriez plus qu’à vous faire sauter la cervelle devant vos cornues. Fabriquez de la vie tant que vous voudrez ! L’image que vous donnez de la mort empoisonne peu à peu la pensée des misérables, elle assombrit, elle décolore lentement leurs dernières joies. Ça ira encore tant que votre industrie et vos capitaux vous permettront de faire du monde une foire, avec des mécaniques qui tournent à des vitesses vertigineuses, dans le fracas des cuivres et l’explosion des feux d’artifice. Mais attendez, attendez le premier quart d’heure de silence. Alors, ils l’entendront la parole — non pas celle qu’ils ont refusée, qui disait tranquillement : Je suis la Voie, la Vérité, la Vie — mais celle qui monte de l’abîme : je suis la porte à jamais close, la route sans issue, le mensonge et la perdition. »"

Quelle synthèse… 

Les païens n’étaient pas bêtes ni simples, mais on ne peut plus revenir en arrière - "le truc maintenant ne vaudrait pas un clou" -, et d’ailleurs, hormis quelques farfelus et quelques intellectuels au demeurant parfois fort estimables, mais incurablement intellectuels, personne n’est plus païen. 

L’usure du Diable, en tout cas d’une certaine façon de le concevoir ; concomitante avec la peur panique, voire négationniste, du péché, si frappante dans les néo-catharismes actuels, écolos, LGBT, voire transhumanistes… 

Et le transhumanisme lui-même déjà bien cerné (il est vrai qu’il est aussi la continuation de vieux rêves sinon prométhéens, du moins maçons et faustiens) dans son inutilité dérisoire - au mieux ! - s’il n’est pas issu de, ou s’il n’accompagne pas (c’est une question à traiter à part, que le curé de Torcy n’avait pas à se poser mais qui va prendre à tout le moins un aspect stratégique dans les années à venir) une vision bien claire de ce qu’est la vie (et la mort). 

Ne manque que l’Islam, à moins certes d’y voir "la porte à jamais close, la route sans issue, le mensonge et la perdition…" Ce qui me semblerait, tout de même, mais c’est peut-être à cause de mes récentes relectures de Massignon que je dis ça, abusif. (Ou abusé, comme disent les jeunes qui passent le bac Français, et qui, en ces temps d’écriture inclusive, ne comprennent plus que le prénom Andrée est féminin…)


mercredi 19 juin 2019

"Exprimer l'invisible par le visible..."

Fromentin, au début des Maîtres d’autrefois


"Je viens voir Rubens et Rembrandt chez eux, et pareillement l’école hollandaise dans son cadre, toujours le même, de vie agricole, maritime, de dunes, de pâturages, de grands nuages, de minces horizons. (…) Je vais traverser des musées et je n’en ferai pas la revue. Je m’arrêterai devant certains hommes ; je ne raconterai pas leur vie et ne cataloguerai pas leurs oeuvres, même celles que leurs compatriotes ont conservées. Je définirai, tout juste comme je les entends, autant que je puis les saisir, quelques côtés physionomiques de leur génie ou de leur talent. Je n’aborderai point de trop grosses questions ; j’éviterai les profondeurs, les trous noirs. L’art de peindre n’est que l’art d’exprimer l’invisible par le visible ; petites ou grandes, ses voies sont semées de problèmes qu’il est permis de sonder pour soi comme des vérités, mais qu’il est bon de laisser dans leur nuit comme des mystères."

mardi 18 juin 2019

"Si, dans vingt-cinq ans, l’Afrique du Nord n’est pas devenue française de coeur, donc chrétienne..." Massignon, 1923, suite et fin.

"A cette oeuvre apostolique, toutes les nations chrétiennes sont intéressées. Mais chacune, à un degré différent. Pour celles qui n’ont pas de colonies musulmanes, c’est une intention de charité générale, comme celle qui pousse à recueillir des enfants abandonnés. Pour d’autres, il y a plus : le devoir impérieux, devoir d’État, de donner une éducation chrétienne à leurs enfants d’adoption. Leurs colonies sont peuplées de musulmans, elles doivent les acheminer vers la civilisation intégrale, qui est l’Église. Nous ne resterons chrétiens au-dedans que si nous remplissons au-dehors l’apostolat qui nous incombe. (…)

Quant à la France, elle a, vis-à-vis du monde musulman, un rôle tout spécial. Implantée en Afrique du Nord, la voici constituée tête de la chrétienté latine, avec cette primatie de Carthage, où saint Louis, il y a six siècles, est venu mourir. Dès maintenant la création d’un électorat musulman en Algérie impose aux catholiques de France un devoir pressant à l’égard de leurs concitoyens musulmans ; ils ne deviendront de vrais Français que si nous les persuadons de devenir chrétiens. Tâche urgente, problème angoissant ; si, dans vingt-cinq ans, l’Afrique du Nord n’est pas devenue française de coeur, donc chrétienne, la France la perdra, et ce sera sa ruine. 

 - Vingt-cinq ans, cela nous amène en 1948, quelques années donc avant le début des fameux événements d’Algérie, histoire toujours en cours… Ces lignes rappellent par ailleurs une célèbre lettre de Charles de Foucauld sur le même sujet, dont Massignon avait peut-être, je l’ignore, connaissance. Je l’ai citée à ce comptoir il y a bientôt deux ans je crois.

Pour convertir des parents, des frères, des amis, il faut une grande patience, une vraie délicatesse, beaucoup de discrétion, et garder constamment, dans le secret du coeur, « partie liée avec Dieu ». Pour gagner ces âmes, teintes du sang de tant de martyrs unis à la Passion de leur Maître, il faut éviter ces marchandages mondains dont trafiquent les hypocrites. (…) Il nous faut gagner les âmes musulmanes par la sainteté avant de les convaincre par la doctrine.

- La plus belle phrase du texte, à n’en pas douter, bien qu’il faille immédiatement lui ajouter un codicille à la Guitry : « avant, tout avant », c’est-à-dire quasiment en même temps ; ne serait-ce que pour éviter des dérives ethno-masochistes, où l’on se prend pour un saint parce que l’on ne protège même plus les siens… La suite de ce texte, le dernier paragraphe que j’en citerai, a pris, avec quasiment un siècle de recul, une tonalité d’humour noir bien regrettable - pour nous : 

Et, pour commencer, rivaliser avec elles, triompher d’elles en ces vertus naturelles qu’elles possèdent encore : entraide fraternelle, respect des parents, hospitalité sincère, modération des désirs, sobriété." 


Comme disait l’autre, la route est droite, mais la pente est forte ! 

lundi 17 juin 2019

"Faut-il attendre encore que la désorganisation totale de leur corps social s’achève, destruction de la famille et de la morale..."

Massignon et la conversion des musulmans, suite. Quelques extraits de ce texte écrit je le rappelle en 1923 : 

"Plusieurs ordres religieux se sont illustrés en terre musulmane, pour la défense de l’Église ; militaires, comme l’Hôpital, le Temple et la Calatrava ; apôtres, comme les Augustins, Carmes, Jésuites, Lazaristes, Pères Blancs. Les Trinitaires et Mercédaires ont été fondés spécialement pour la rédemption des captifs, retenus en prison musulmane. La garde des lieux saints en pays musulman est une des gloires de l’ordre franciscain. Et la controverse théorique avec les docteurs musulmans a formé la méthode dialectique des Dominicains."

"Depuis la dernière guerre, la ruine de l’indépendance temporelle des musulmans est un fait accompli. L’empire ottoman est démembré et ses dirigeants ont réduit le calife turc à n’avoir plus d’autorité que sur le domaine spirituel. 
Ce grand événement n’est-il pas le signe que l’évangélisation des musulmans, si longtemps retardée, va pouvoir commencer ? Faut-il attendre encore que la désorganisation totale de leur corps social s’achève, destruction de la famille et de la morale, activée, d’ailleurs, par les exemples pervers et les livres pernicieux des mauvais chrétiens d’Occident ? Cette politique du pire n’a rien de charitable, et elle aboutirait à laisser les musulmans s’affilier par désespoir, à tous les cercles révolutionnaires communistes, pour notre plus grand mal. 
En tout cas, il importe de constituer sans délai une méthode d’apostolat sérieuse à l’usage des musulmans. Car l’écroulement politique de l’Islam coïncide avec une recrudescence d’activités de la part des « missionnaires » musulmans. De toutes parts, ils développent leur prosélytisme ; ils sont particulièrement bien accueillis par les hindous de basse caste, et certains malais et nègres, animistes et fétichistes, qu’ils libèrent d’une magie impure, et que l’adhésion au monothéisme transforme d’emblée en hommes libres, décidés à résister à l’exploitation coloniale des Européens, dont le christianisme, d’ailleurs méconnaissable, leur demeure suspect."

A quel point dans ces lignes Massignon voit-il et évoque-t-il l’essor du salafisme, lui-même n’est pas assez clair et moi-même pas assez compétent en la matière pour que je puisse l’affirmer. Ce qu’il perçoit et énonce avec force, c’est la façon dont l’Occident de moins en moins chrétien a raté le coche, d’une part en n’étant pas assez chrétien ni prosélyte, d’autre part en laissant une certaine forme d’Islam - éventuellement plus ou moins alliée à des révoltes communistes ("Le communisme, Islam du XXe siècle, comme disait Monnerot…) - s’imposer comme religion des pauvres et des exclus. Et ce n’était que le début…


(Prochain épisode sous peu, j’espère.)

dimanche 16 juin 2019

"Anobli par voie de radiation..."

Nouveau changement de cap, un petit détour par un nouveau venu en ces murs, Jacques Perret. Ancien résistant - comme la plupart des plus ardents défenseurs de l’Algérie française, ce que l’on a tendance à oublier au profit d’un idéal-type du pétainiste-raciste-colonialiste qui a aussi existé, mais dont l’image arrangeait bien de Gaulle… -, proche de l’OAS, Perret vit son fils, engagé plus activement que lui dans cette cause, passer plus de cinq ans en prison. Ayant causé quelque scandale public lors du procès de son rejeton, en mettant assez violemment en cause le Général, il fut en 1963 rayé des contrôles de la Médaille militaire (obtenue, donc, que cela soit clair, pour faits de résistance durant la seconde guerre mondiale), avec interdiction de porter toute décoration française, pour complicité d’injures envers l’Ordre de la Légion d’honneur. - Ce qui fait penser à la phrase de Baudelaire, disant qu’il en est de certaines femmes comme de la Légion d’honneur, on n’en veut pas parce qu’elles ont touché trop de sales types, mais passons et donnons la parole à l’intéressé, réagissant ainsi à cette mesure punitive du pouvoir gaullien : 

"N’étant pas lecteur du J.O., ma radiation des contrôles de la médaille militaire m’a été signifiée par la rumeur publique. Le motif ne figure pas dans l’arrêt mais on devine bien qu’il s’agit d’une affaire de moeurs. J’ai dû me faire remarquer un jour que je me livrais en public à des exhibitions de vérités premières. C’est un exercice offensant à la pudeur de l’État. 

Toujours est-il que, depuis vendredi matin, je suis promu à la dignité d’ex-médaillé. Anobli par voie de radiation, titulaire d’une particule que tant d’autres ont méritée plus que moi, je fais humblement mon entrée dans l’aristocratie des ex. 

Je dois à la vérité de dire que cette mesure est dans l’ordre des choses, car la médaille me fut remise par un colonel africain, pied-noir à quatre générations, engagé à dix-sept ans en 1914, quatre ans de guerre dans les tirailleurs algériens pour la rectification de l’hexagone écorné, rappelé en 1939 et chaque fois que ledit hexagone avait besoin de lui, démissionnaire enfin pour incompatibilité morale avec l’ordre régnant. Venant d’un pareil donateur, la médaille était caduque."

samedi 15 juin 2019

"Susciter en Occident d’admirables essais de conciliation et de collaboration sociale entre classes..."

Du Massignon, mais pas le texte sur le pèlerinage ; quelques considérations sur les musulmans, publiées anonymement - l’éditeur ne précise malheureusement pas pourquoi, même si le fait que Massignon était à l’époque, 1923, un islamologue déjà connu et qui se rendait souvent en Orient, peut suffire à l’expliquer - dans une revue pieuse publiée à Toulouse, Le Messager du Coeur de Jésus. Le texte s’intitule "La conversion du monde musulman". Ce que j’en reproduis aujourd’hui est plutôt de l’ordre de la présentation de l’Islam à des lecteurs catholiques à qui cette religion n’et pas familière. Je garde pour une autre fois le sujet du prosélytisme chrétien. Notons qu’à l’époque le pape a explicitement prôné ce prosélytisme en terre musulmane. 

"Ils n’ont ni sacerdoce, ni sacrement ; leur sacrifice annuel des agneaux n’est que figuratif. Mais leur profession de foi, témoignant de l’unité de Dieu, se réfère à la révélation de sa transcendance, telle qu’Abraham et les prophètes d’Israël l’ont reçue ; ce témoignage vaut donc davantage que le monothéisme des anciens philosophes ou des théodicées syncrétistes. 

Fiers d’avoir conservé (en partie) le dépôt de la révélation, les musulmans se raidissent contre l’apostolat chrétien intégral ; on les dit « inconvertissables » ; moins durs, toutefois, à convaincre, que les restes d’Israël. Dans les deux cas, d’ailleurs, il résulte que l’Église se heurte à des digues mystérieuses, préparées exprès pour exhausser encore le niveau de son zèle et les grandes eaux de la charité [réminiscence bloyenne, Le Salut par les Juifs, comme le signale à juste titre me semble-t-il l’éditeur]. Les musulmans protestent, en effet, au nom de la religion naturelle, imparfaite, qui leur fut transmise, contre tout l’épanouissement surnaturel du christianisme, mystères et sacrements ; et, tandis que leurs guerres saintes assaillaient la chrétienté, au Moyen Âge, leurs apologistes s’acharnaient contre le développement dogmatique du catholicisme, innovant des arguments dont la critique juive, protestante et maçonnique n’a fait que répandre les données : déisme antitrinitaire, justification par la foi seule condamnant la charité, négation de l’efficacité des sacrements et de la sainteté des voeux, exégèse littéraliste des discordances textuelles de la Bible. 

Leur livre unique, le Coran, amalgame et condense des fragments du Pentateuque, du Psautier et de l’Évangile, sous une forme singulièrement elliptique ; ce livre, qu’une contrainte supérieure semble sceller, emprisonne sous des équivoques littérales et charnelles les sources de grâce jaillissant en nos textes sacrés. Comme si le Coran était à la Bible ce qu’Ismaël, l’exclu, fut à Isaac. Notons toutefois que si la crucifixion de Jésus paraît y être mise en doute, la virginité de Marie y est affirmée ; et qu’ils y sont honorés tous deux, non seulement comme des prophètes, mais comme des saints, sans aucun péché. Ce qui peut préparer certains coeurs purs à les invoquer de préférence. 

Dans l’histoire de l’Église, l’Islam a eu un rôle de premier plan. Menacée par l’invasion musulmane du XIe siècle, jusque dans son coeur même et sa vie surnaturelle, la chrétienté réagit à l’appel du pape, le B. Urbain II, et la Croisade fut prêchée, fondée précisément sur le texte marquant la précellence d’Isaac sur Ismaël : « Ejice ancillam hanc » [Sarah à Abraham, Genèse, 21, 10]. 

La Croisade, cette « manoeuvre d’Annibal », reprise en sens inverse, de Rome, par l’Espagne et l’Asie, jusqu’à l’Afrique, n’a pas seulement sauvé l’indépendance des nations naissantes de la chrétienté occidentale ; elle a garanti la survie des chrétientés orientales asservies. Plus profondément, elle a suscité en Occident d’admirables essais de conciliation et de collaboration sociale entre classes, proposant à leurs armes un front unique, à leurs actes un idée commun."


(Massignon nuance vite ces dernières propositions, regrettant que les résultats aient parfois trahi les promesses initiales ; pour la beauté de la résonance de ces lignes avec notre actualité, je m’arrête là… La suite bientôt !)

vendredi 14 juin 2019

"Il y aura cependant génocide..."

J’avais prévu de belles pages de Massignon sur le thème du pèlerinage, dans la continuité de notre émérite voyageur irlandais d’hier, je tombe sur ces lignes, en ouvrant au hasard le mythique Camp des Saints de Jean Raspail, 1973 (devant la gravité de l’invasion migratoire en Europe, le président veut trancher dans le vif et faire tuer par l’armée un grand nombre de migrants, comme on ne disait pas encore ; le général en chef (ou un conseiller) lui explique que ce n’est pas possible) : 

"Volontaire ou non, de métier ou pas, [l’armée] se fait horreur à elle-même. Pour un nouveau génocide, ne comptez pas sur l’armée, monsieur le Président.

 - Sur qui, alors ? 

 - Sur personne, monsieur le Président. La partie est perdue. 

 - Il y aura cependant génocide, d’une autre façon, et c’est nous qui disparaîtrons. 

 - Je le sais, monsieur le Président. Mais c’est une conviction que vous ne pourrez communiquer à personne, car personne n’est plus en état de la recevoir. Nous mourrons lentement, rongés de l’intérieur par des millions de microbes introduits dans notre corps. Cela durera longtemps. Sans souffrance apparente. Il n’y aura pas de sang versé, là réside toute la différence. Mais il paraît qu’aux yeux des homuncules occidentaux, c’est devenue une question de morale et de dignité. Allez donc expliquer au peuple, à l’armée, sans compter l’opinion mondiale et la conscience universelle, qu’il faut, le jour de Pâques, ou tout au moins le lundi, massacrer un million d’immigrants à peau noire si nous ne voulons pas mourir à notre tour, mais plus tard, beaucoup plus tard…" 


"Il n’y aura pas de sang versé, là réside toute la différence." : sans préjudice du reste du roman - je n’ai lu que cette page -, c’est le seul point faible de ce passage, Jean Raspail n’aurait donc pas prévu l’avènement de la racaille, les ratonnades si régulières et répétées depuis des années contre les vieux blancs, hommes et femmes, et les agressions des petites blanches… Pour le reste, quel diagnostic ! Préférer, au nom de la morale et de la dignité, se suicider lentement que de, sinon tuer, en tout cas affronter des problèmes avec la fermeté physique parfois nécessaire pour espérer les résoudre, c’est effectivement un mal qui n’a pas fini depuis 1973 de nous ronger. Le pire étant bien sûr que tout cela risque de déboucher sur de bien plus grandes violences que celles que des politiciens pragmatiques auraient pu accepter et assumer de provoquer, au début.


(Et, encore une fois : le pire n’est jamais sûr !)