mardi 31 octobre 2017

Les parents contre l'école, le genre, l'Islam, l'écriture inclusive, etc.

Monnerot ne parlait que du marxisme enseigné à l'Université et dans le supérieur, il est regrettable, quarante-sept ans après son livre, de devoir autant allonger la liste des domaines auxquels s'applique sa réflexion sur les responsabilités des parents devant un enseignement débilitant et inepte prodigué à leurs enfants :

"Là plusieurs types de réaction. Ou ils tiennent bon, et il y a lutte d'idées, de la famille contre l'école (à moins qu'ils ne soient aussi communistes), ou bien ils réagissent par la lâcheté que l'historien de la société française actuelle rencontre à tous les tournants de sa route. Ils laissent faire. Ils se persuadent que cela n'a pas d'importance, ou que cela ne les gêne pas, ou qu'il faut marcher avec son temps, et ils veulent s'aveugler sur ceci : en tant qu'ils sont convaincus que leurs enfants reçoivent un enseignement erroné, ils se rendent coupables de non-assistance à intelligence en danger, avec cette circonstance qui ne me paraît pas atténuante, que les intelligences dont il s'agit sont celles de leurs propres enfants."

lundi 30 octobre 2017

Revenons à Monnerot et à "Démarxiser l'université."

"On peut donc être tenté d'imputer à la majorité du corps enseignant français la responsabilité d'une telle situation, et les responsabilités étant proportionnelles aux connaissances, les plus savants, ou ceux qui socialement sont réputés pour tels, sont les plus coupables. Les possibilités de critique, que la culture dont ils sont les bénéficiaires et dont ils sont ou devraient être les participants actifs met à leur disposition, leur permettent de désintégrer à vue les marxismes. On doit d'ailleurs dire à leur décharge que la formule politique des régimes français au XXe siècle, que les plis pris par la société et l'État contemporains, ne les prédisposent pas, ne les forment pas à prendre jusqu'au bout leurs responsabilités dans cet étrange état de paix empoisonnée, ou de guerre homéopathique, qui est devenu celui de notre monde historique depuis que le marxisme est assez fort pour mener son entreprise sans l'être assez pour la mener à bien."

Toute ressemblance avec une situation contemporaine, etc. J'espère que vous appréciez comme moi ces formules (j'ai introduit de très légères corrections pour la fluidité de la citation). Une dernière :

"Nos politiciens ne se sont pas laissé ébranler, ne se sont pas laissé détourner de la politique de l'autruche, cette résolution des irrésolus."

dimanche 29 octobre 2017

Ivresse des intellectuels, Jean Cau, suite et fin.

"Sartre, c’est l’anti-Blondin. Sa fantastique machine à écrire, pour fonctionner, a besoin de vider des litres de thé qui tache noir, des tubes de cachets versés au creux de la main, du whisky bu sec. Des générations d’ancêtres alsaciens et périgourdins lui ont donné un moteur qui brûle tout. Au contraire de Blondin, plus il boit, plus il écrit. Il est capable d’opérer une une sorte de séparation entre son corps bourré de carburant et sa cervelle, comme un pilote de F1 entre son moteur martyrisé et sa tête irriguée de sang froid. Il a bu jusqu’à quatre heures du matin, il dort trois heures, il se réveille, il met la clef de contact, ça tourne et ça écrit. Si ça parle, la parole reste claire et métallique. Antoine, en revanche, appartient à l’espèce de ceux qui se détruisent posément, méthodiquement, qui ont des sommeils écrasés et des réveils si lourds qu’ils sont incapables, le lendemain, de traîner la charrue traçant ses sillons de mots. C’est qu’il se saoule corps et âme. Il a bu parce qu’il était à l’est d’Eden, à l’est d’enfance ; il a bu pour ne pas être seul, par amitié, besoin de coller ses épaules, en mêlée, à des copains, besoin de chaleur et de tutoiements. Sartre n’a pas d’amis et encore moins de copains. Vissé sur sa chaise de bois, il peut écrire pendant des heures. Il déteste son enfance, il juge sa mère (Blondin adore la sienne). Avoir des enfants ne lui vient même pas à l’idée. (…) Revenons-en à la célèbre phrase de Blondin : « Je ne suis pas un écrivain qui boit mais un ivrogne qui écrit. » Sartre est un philosophe - d’abord un philosophe - qui picole. Son but est de produire des idées, de comprendre et, doté d’une intelligence impérialiste, de changer, pas moins, le monde. Son corps est au service de cette mission et, si le moteur chauffe, fume et pète, ça n’a aucune importance. Quand on lui dit qu’il détruit sa santé, il répond qu’une santé est faite pour ça. Blondin se démolit corps et âme. Il ne veut pas changer le monde, il est prêt à se lier d’amitié avec un clodo de l’aube qui lui sera un frère en détresse, son semblable en perdition. Il n’a pas d’idées mais des vibrations sensibles et une mélancolique innocence de son état et de ses comportements. Il n’est pas coupable de son ivrognerie. Il n’accuse ni lui ni personne. Il n’a pas le Ricard mauvais comme l’effroyable clocharde qui sillonne mon quartier et traite tous les passants d’enculés. (…) Il n’a pas le Ricard révolté, anarchique ou politique, mais rêveur. Doucement rêveur. Quand il est saoul - et il le sera, à la fin, en permanence -, c’est pour redevenir un bébé qui s’étonne d’être là et, quand il sirote son poison, couleur de lait, à la lettre il biberonne. (…) Par un phénomène étrange, son ivrognerie effraie (…) et impose un respect, comme s’il se livrait à une opération sacrificielle de lui-même sur lui-même, à un martyre dont on ne discerne pas les raisons. Chaque Ricard lui est un calice. Quand on l’aide à se hisser sur un tabouret, il monte vers sa croix. « Enfance, enfance, pourquoi m’as-tu abandonné ? »"

samedi 28 octobre 2017

Ivresse des intellectuels, Jean Cau, suite.

"Les masses populaires, depuis l’aube des temps, quand elles ont vraiment adoré, ce furent des monstres et ce qui fut vrai hier le sera demain. Désolant est pourtant ce fait que les intellectuels succombent aussi à ce travers. Aux quatre coins du monde et aux six de l’Hexagone, ils plièrent l’échine devant les monstres rouges et, s’ils ne célébrèrent pas la gloire de Hitler, ce fut pour mieux chanter celle de Staline et de Mao. Il y a là une fatalité. Je me souviens de mon ahurissement, de mon incompréhension totale lorsque, dès 1945, les mêmes qui, pendant quatre ans, n’avaient pas eu assez de ricanements à l’égard de ceux qui pratiquaient le culte du maréchal Pétain, les mêmes se vautrèrent dans le culte du divin maréchal moscovite et de son représentant en France, Maurice Thorez,  « notre Maurice » et sa Jeannette. Oui, il y a là comme une fatalité.  Les intellectuels s’inclinent devant la puissance. Comédiens de l’idée, ils rêvent d’obéir à un metteur en scène et, l’histoire du théâtre et du cinéma nous l’apprend, plus ce dernier est autoritaire, brutal même, et plus, sur le plateau, la troupe le respecte et tremble quand se déchaînent ses colères. Staline Productions Inc, sur scénario de Lénine et d’après l’oeuvre de Marx, avait mis en scène le communisme mondial. Les intellectuels se précipitèrent en foule pour y tenir des rôles."

"Vous voulez un maître, vous l’aurez", aurait dit Lacan aux étudiants révoltés de Mai 68, lesquels étaient, Monnerot nous le rappelle de son côté, des intellectuels novices, des apprentis intellectuels, avides de reproduire le modèle - avec ses qualités et ses défauts - de leur aînés, ce qui au passage peut expliquer qu’un type aussi brillant qu’Alain Badiou soit resté en même temps une telle caricature de « l’intellectuel français ». (Ou, contre-exemple, qu’un Jacques Bouveresse, lui aussi à Normale Sup en ces années, dégoûté par cette atmosphère inconsciemment grégaire et autoritaire, se soit expatrié pour y échapper.)

Cela rappellerait par ailleurs, j’irai y pêcher des citations à l’occasion, l’Éloge de l’ignorance de Bonnard, sur les dangers qu’il y a à croire que l’on peut avoir, voire que l’on doit avoir une opinion sur de nombreux sujets, et s'accorder à soi-même une importance du fait de cette opinion dérisoire.  


Une dernière remarque, j’en profite pour la placer ici, quitte à l’émettre aussi sous forme de tweet : dans la série, « les mêmes », ce sont des gens de même obédience qui nous expliquent depuis des années qu’il faut simplifier la langue française, qui s’attaquent à un accent circonflexe qui ne leur a rien fait, ou à un nénuphar bien innocent - et qui cherchent à imposer une effroyable complication de la langue française. Ces gens veulent mourir et nous tuer avec eux. 

vendredi 27 octobre 2017

"L'écriture ne doit pas bredouiller."

Dans L’ivresse des intellectuels (1992), Jean Cau, qui lui-même, selon ses propres dires, ne buvait pas, s’interroge sur les différentes façons de boire ou, moins souvent, de ne pas boire, des intellectuels dans les années 50-60, avec comme fil conducteur une comparaison entre l’alcoolisme mondain des existentialistes et compagnons de route du communisme d’une part, de l’alcoolisme solitaire et suicidaire d’Antoine Blondin, d’autre part. En voici un passage : 

"Comme tous les vrais terroristes, les surréalistes ne buvaient pas. Ni Tzara, ni Breton, Péret, Éluard, Aragon. Leur terreur était cérébrale, robespierriste, glacée. Ils théorisent, décrètent, excommunient, piétinent. Ils vivent vieux. Ils gèrent, riches, les désastres qu’ils ont provoqués. Ils se veulent maudits par maudits - Sade, Rimbaud ou Lautréamont - interposés. Comme nous les eussions pardonnés s’ils avaient croupi en prison ou en Éthiopie ; vérolés jusqu’à l’os comme Baudelaire, abandonnés à l’hôpital comme Verlaine. Un seul sauva l’honneur grâce à la syphilis qui le rendit fou : Artaud. Antoine Blondin, pas cérébral, pas théoricien, pas vérolé, pas riche, pas homosexuel, pas maudit par procuration, pas intello, pas drogué, pas fou. Tout juste alcoolique. L’ivrogne immémorial, le Silène éternel et barbu qui embrasse les réverbères et les confond avec les arbres du bois sacré. L’ivrogne presque démodé parce qu’il boit depuis toujours l’ambroisie puis, quelques siècles plus tard, le Ricard ; le pulque dont s’enivraient les soldats d’Atahulpa, ensuite ; quelques siècles plus tard, le whisky importé d’Écosse. 

Il sait pourtant, Antoine, qu’au contraire, l’écriture ne doit pas bredouiller et il écrit d’abord la prose la plus articulée qui soit puis il se tait quand le corps, son alambic, n’est plus capable de distiller le sang en encre noire." 


Bien entendu, Artaud avait déjà « sauvé l’honneur », si l’on ose dire, des surréalistes avant de devenir fou (j’ignorais qu’il eût été victime de syphilis), tout simplement parce que c’était le meilleur écrivain de la bande, mais passons. 

jeudi 26 octobre 2017

A quoi mène l'anti-poutinisme primaire ?

"Poutine fossoyeur de la Révolution d'octobre. C'est Lénine qu'on assassine.", voici la couverture du dernier numéro de Télérama. Télérama en qui d'aucuns voient encore un journal catho... A elle seule, cette une - qui fait jaser, tout de même - montre que Jean Madiran avait bien raison, dans les années 50, dans sa croisade (le mot n'est évidemment pas péjoratif) pour montrer que la presse dite chrétienne de gauche, à laquelle appartenait l'ancêtre de Télérama, Radio-Cinéma-Télévision, mais aussi Esprit, et, non explicitement chrétien mais très explicitement de gauche, Le Monde, était beaucoup plus indulgente vis-à-vis du communisme que vis-à-vis des tendances qu'elle jugeait droitières du reste du monde chrétien. Encore aujourd'hui, manifestement, pour Télérama, Poutine, c'est pire que Lénine. C'est-à-dire, car on peut éviter que le débat ne dévie sur la personne même de Lénine, que Poutine, c'est pire que le communisme. Le communisme réel. Il fallait oser. J'imagine que dans le numéro on doit trouver un ou deux russes assez anti-Poutine (pour de bonnes ou mauvaises raisons, ce n'est pas le sujet) pour nourrir de reproches à son égard l'imaginaire tordu de Télérama, mais je pense que si l'on demande aux Russes en leur majorité (et aux Syriens en leur majorité, soit dit en passant - Télérama doit préférer des musulmans à des chrétiens orthodoxes, c'est logique...) quelle est leur préférence sur ce point, la réponse sera sans ambiguïté.

Malheureusement, derrière le côté grotesque, tout cela est très déprimant. On évoque de temps à autre le fait que les Français battent les records de consommation d'anti-dépresseurs, il serait utile d'évoquer plus souvent le fait qu'ils sont sous euphorisants et hallucinogènes politiques depuis plus de deux siècles - et que ceci pourrait avoir un lien avec cela.

mercredi 25 octobre 2017

Permis de détruire...

J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire il y a quelques mois, lire les livres anticommunistes de Jules Monnerot permet de constater les ressemblances flagrantes entre les stratégies communistes et musulmanes de pénétration du monde occidental. Ce que pourtant la lecture seule de sa Sociologie du communisme (1949) ne permettait pas vraiment d’aborder, mais que La guerre en question (1951) et Démarxiser l’université (1970) viennent utilement compléter, c’est l’autre versant de la question. Pour reprendre la formule de Senghor citée par E. Zemmour, "pour être colonisé, il faut être colonisable" : ces deux livres de Monnerot permettent de mieux voir en quoi et pourquoi nous avons pu être et nous sommes toujours spirituellement et intellectuellement colonisables. 

"Nous lisons dans un article de la revue Kommounist de Moscou (11 août 1969) (…) : « Lénine disait… que l’essentiel dans toute école est l’orientation idéologique et politique de l’enseignement. Et, ajoute Lénine, cette orientation est déterminée entièrement et exclusivement par la composition du corps enseignant. » « Faites-moi une instruction publique qui endoctrine à 100% et je vous fais un communisme irrésistible », traduirons-nous, transposant le baron Louis. La trouvaille historique des staliniens des « années de Libération », c’est que cet endoctrinement massif n’avait pas besoin d’être consécutif à la révolution et pratiqué dans le pays où elle a déjà eu lieu. Il pouvait au contraire la précéder et en être le déterminant le plus efficace. Après tout, il ne suffisait que de se faire délivrer un permis de détruire par l’irresponsabilité de nos politiciens. Une telle éventualité paraît peu crédible dans l’abstrait. Il faut l’avoir vu pour le croire."

 - Et, depuis 1970, nous le voyons et le croyons… Deuxième salve : 

"Les professeurs catéchisés qui furent conduits à instiller la plupart du temps inconsciemment à leurs étudiants cette sorte de marxisme en émulsion eurent affaire, par les effets combinés de la croissance démographique, de la mobilité sociale, et de la politique de « démocratisation » inintelligemment conduite, à des générations d’étudiants dont la cotation en esprit critique virtuel pouvait être estimée moindre que celle de leurs prédécesseurs, et qui, de par leur nombre même, et la mauvaise organisation intellectuelle et matérielle de leurs études, constituaient un terrain moins favorable pour faire passer à la réalité ces virtualités affaiblies. L’amoindrissement de l’esprit critique par la pression continue de dogmes rencontra moins d’obstacles en ces « étudiants » qu’en leurs prédécesseurs en plus petit nombre et mieux défendus. Il est bien certain que ces masses de « néo-étudiants » qui offrent le double caractère d’être socialement nouveaux et d’être des masses,  double caractère dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne semble pas avoir frappé nos gouvernants, se prêtent mieux à l’endoctrinement révolutionnaire que les classes ouvrières d’aujourd’hui qui leur sont contemporaines

[Plus de quarante après, les classes populaires françaises restent plus hermétiques aux nouvelles révolutions, migratoires et de moeurs, que les étudiants. Mais laissons Jules continuer :]

Dans ce domaine, la propagande paie, a payé. Le marxisme en émulsion que diffusait et que diffuse plus ou moins consciemment maintenant la majorité du corps enseignant, conditionnait chez les étudiants une prédisposition laborieusement entretenue à la suite d’une action d’un quart de siècle, prédisposition à la destruction de l’ordre en possession d’état (ordre « capitaliste », « bourgeois »), et de l’autorité. Il devint possible de passer de l’inclination aux « travaux pratiques » quand lesdits étudiants furent assez nombreux pour l’entreprendre. C’est en effet une question de quantité."


Eh oui, c’est une question de quantité. Ce pourquoi il faut toujours rajouter l’adjectif massive au terme immigration, sans quoi on fait un gros, et un de plus en plus gros hélas, mensonge par omission. Les « travaux pratiques » quant à eux ont commencé et ne semblent pas près de finir. Bonne soirée !   

mardi 24 octobre 2017

Marcel Gauchet, dans l'avant-propos de son dernier livre, cite (implicitement) Philippe Muray, Christophe Guilluy, Renaud Camus - et Cioran.

Pour Cioran, il se peut que ce soit moins conscient que pour les autres. Je ne dis pas non plus qu’il reprend à son compte toutes les thèses de ces auteurs. Quoi qu’il en soit, voici les passages de cet avant-propos qui m’ont particulièrement frappé - de façon d’autant plus amère que l’on ne peut se retenir de penser que depuis la parution de ce Nouveau monde, en janvier dernier, les choses ont encore empiré : 

"Les États-Unis ont émergé en tête, et de loin, de ce qui a fini par apparaître, au terme d’une gestation embrouillée, comme une troisième révolution industrielle, la révolution des « nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Ils ont reconquis haut la main la place de laboratoire du futur que la concurrence européenne et asiatique leur avait un instant disputée. Ainsi se retrouvent-ils, à l’orée des années 2000, un siècle après la prophétie qui leur avait promis le sceptre, en position de puissance solaire, sans rivale sur quelque plan que ce soit, la force, la richesse, l’invention, la doctrine. Le Nouveau Monde est devenu pour de bon le modèle du monde. 

Cela y compris pour le Vieux Monde, qui a perdu son centre de gravité au cours de cette métamorphose et qui ne sait à quel saint se vouer. Il flotte dans une immense incertitude, tiraillé qu’il est entre la fidélité à son histoire, en laquelle toutefois il ne se reconnaît plus vraiment, et l’adoption d’un cours nouveau, où il ne peine pas moins à se reconnaître. Si les Britanniques ont pu rejoindre le courant général sans trop de complexes au nom de leurs antécédents libéraux, les continentaux, eux, sont déchirés. D’un côté, la crainte d’une irrémédiable provincialisation les pousse à se délester d’un passé qui leur semble sans plus de raison d’être et à épouser sans réserve l’exemple du plus fort. De l’autre, le sentiment diffus, mais puissant, de la singularité de leur expérience les engage à chercher une voie originale que le brouillage de leurs repères, joint à l’inertie de l’acquis, les empêche de trouver. Entre un recommencement sur d’autres bases que sa radicalité rend improbable et une réinvention d’eux-mêmes dont les conditions ne sont pas réunies, ils piétinent dans une expectative interminable.

Car s’il est une région du monde où ce changement global de direction a été violent, et même traumatique, sous sa surface pacifique, c’est la vieille Europe. Jusqu’à lui, l’expérience européenne, au milieu de ses pires cataclysmes, était restée en continuité avec ses sources. Elle s’appuyait sur un socle dont la solidité paraissait à toute épreuve - le rétablissement miraculeux d’après 1945 en étant l’illustration la plus récente, mais non la moins probante. Elle s’enracinait dans un héritage que ses contestations les plus radicales ne faisaient que réactualiser. Elle se vivait sous le signe de la poursuite de ce qu’elle avait commencé, fût-ce au prix de la rupture sans merci avec ses expressions dépassées."

Une couche supplémentaire : 

"…Le gouffre du droit dans lequel nous sommes en train de nous enfoncer pourrait s’avérer plus dangereux encore, pour finir, que l’abîme de l’histoire où nous avons failli jadis nous perdre. Au moins les horreurs patentes que celui-ci recélait avaient-elles valeur d’avertissement salutaire. Au moins obligeaient-elles à se rendre un compte exact à soi-même de la situation qui les suscitait et du travail indispensable pour la changer. Au lieu que le nouveau régime de l’illusion qui s’est implanté en Europe se présente sous un jour aimable et démobilisateur. Il n’implique aucun drame, ses effets désagrégateurs sont indirects et sournois, il bloque l’imagination d’autre chose. C’est dire que nous ne sommes pas préparés à nous en extraire. 


Fardeau de l’aventure dont ils sont les héritiers, les Européens se trouvent dans une nouvelle grande épreuve. Après la page effroyable des totalitarismes, les voici replongés dans une explication sans merci avec les éléments du monde en forme de problème qu’ils ont inventé. Rien ne dit qu’ils seront en mesure de relever ce nouveau défi. La teneur paralysante de ce dernier peut faire craindre le pire, lorsqu’on la joint à la tentation du renoncement soufflée par l’état d’un monde où l’Europe n’est plus qu’un modeste province, certes prospère, mais périphérique. Compte tenu de ce cumul de facteurs, il n’est pas exclu qu’elle se marginalise et s’efface de la scène, en se laissant gagner par un engourdissement démissionnaire."

lundi 23 octobre 2017

Pas facile de gagner à un jeu dont l'adversaire a fixé les règles.

"L’intellectuel de gauche qui largue son camp rejoindra rarement la droite mais préférera décréter l’abolition de ce clivage, sans jamais vraiment y parvenir, ce qui nous rappelle qu’il n’y a pas et n’y aura pas de symétrie entre la gauche et la droite, la première allant de soi, la seconde étant éternellement condamnée à être suspecte."

Ceci parce que, comme l'a montré J. Madiran il y a longtemps, c'est la gauche qui a inventé et défini la droite. La difficulté, et je sais de quoi je parle, est là : si on vient de la gauche, comme votre serviteur, et que l'on ne s'y reconnaît plus, on ne voit pas pourquoi on serait « à droite », mais on se sent dans une telle impossibilité psychologique et intellectuelle de redevenir un jour de gauche, que l'on est dans le même temps bien obligé d'admettre qu'il y a un vrai clivage, une vraie différence, peut-être pas entre « la gauche » et « la droite », mais entre la gauche et ce qui n'est pas elle. 

Un cliché, et vous connaissez mon respect pour les clichés, un cliché de la vie d'entreprise ou de la vie politique dit que, lors de la tenue d'une réunion, celui qui parvient à fixer l'ordre du jour a déjà quasiment gagné la partie. Le problème, ou le drame, ou la tragédie, ou la tragi-comédie, etc., de notre vie politique, est que l'ordre du jour est fixé par la gauche depuis 1789, et que les seules exceptions, et encore - Restauration, Révolution nationale, voire le gaullisme d'après 1958, celui qui a gagné -, sont toutes issues d'une défaite militaire du pays. Dont dans aucun cas la droite n'est responsable, mais là n'est pas la question. 

Il y aurait une autre exception, Napoléon III, venu de la gauche et, sauf erreur, franc-maçon, qui pourtant envoya des soldats français aider le pape, ce dont certes LE Napoléon, le Ier, ne lui avait pas donné l'exemple. (C'est un point sur lequel j'ai du mal à suivre J. Rochedy, cette passion pour Napoléon. Il est vrai que Léon Bloy lui-même lui consacra un livre.) Et si l'on porte un jugement global et nuancé sur la France du Second Empire, je pense que l'on peut s'accorder à lui donner une certaine importance, ce qui n'empêche pas les réelles critiques. Il m'est arrivé d'espérer que M. Macron, un peu comme Poutine ou Napoléon III, soit un pur produit du système qui, mis en place par ledit système, se retourne (plus Poutine que Louis-Napoléon) contre lui. On peut se moquer, mais l'espoir fait vivre...

Le lien de la citation : https://www.valeursactuelles.com/politique/la-france-la-droite-et-moi-89895

dimanche 22 octobre 2017

"S'il gouverne mal, se défend bien..."

"Un système établi (...), qui s’il gouverne mal se défend bien, ayant en particulier à sa disposition l’ensemble des pouvoirs judiciaires, policiers, financiers et médiatiques."

Jean-Pierre Maugendre, 

ici : http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2017/10/la-politique-et-le-pari-bénédictin-tenir-les-deux-bouts-de-la-chaine.html#more. 

Et nos hommes politiques sont formés et doués pour garder leur place, pas pour faire de la politique. Et comme il est humiliant de faire de la politique en milieu démocratique, les gens honnêtes laissent la place libre aux arrivistes, ce qui n'arrange pas les choses. 

Bon dimanche ! 

samedi 21 octobre 2017

Le politiquement correct c'est la mort, le politiquement correct, c'est le suicide collectif.

(Même de ceux qui n'ont pas de pulsion suicidaire !)


"L’un des caractères dominants de ce qu’on nomme, avec une grandiloquence qui, aujourd’hui, sonne faux, l’Occident, c’est-à-dire principalement l’Europe et ses prolongements extra-européens, en particulier ce repiquage grandiose, l’Amérique, l’un des caractères dominants de cette culture, ou de cette succession de cultures, est d’avoir assumé, pour le meilleur et pour le pire, la vérité comme valeur. Entre l’intérieur et l’extérieur, entre la discipline de l’intellect, et l’efficacité des actes, qui s’est traduite effectivement par une hégémonie mondiale (elle n’est pas ou pas encore aujourd’hui disparue), la valeur vérité a été et reste le moyen terme. Les deux sésames ouvre-toi des temps modernes en Europe : l’inscription baconienne : on ne commande à la nature qu’en lui obéissant, et la maxime de hobbes : scientia propter potentiam, la science pour la puissance, ont des effets identiques : transformation du monde sans précédent, décuplement de la puissance propre de l’intellect, qui, de plus en plus clairement, s’éprouve et se situe lui-même comme le siège de la puissance. Les sociétés les plus développées aujourd’hui ne se conçoivent seulement pas sans un ordre, un état comparable au clergé de notre ancien régime, le scientific estate, la science organisée, dans ses universités, ses instituts de recherche, ses « grandes écoles ». Et ce qu’on nomme aujourd’hui développement est fonction de cette « science organisée ». Organisation du savoir et sociétés développées réciproquement sont fonction l’une de l’autre. La dépendance mutuelle des deux paramètres est rigoureuse. Or, c’est le service constant, continu, opiniâtre, humble et multiforme de la valeur vérité, qui a conduit là. Nous devons à cette puissance de la vérité dans les sociétés occidentales une inextinguible volonté de perception de tous les faits et de mise en question de toutes les idées. Et ceci n’explique pas seulement le succès historique de l’Occident, mais sert à en définir l’essence même. Lorsque l’observateur ne pourra plus enregistrer un tel fait psychologique, ou sociologique (ce sont deux manières d’enregistrer), cette culture aura vécu. Ce n’est pas de notre part un jugement négatif - il est d’autres cultures, d’autres possibilités humaines, d’autres espoirs - c’est la simple considération d’une éventualité : lorsqu’il sera irrémissiblement acquis que La Vérité n’est plus maîtresse, il s’agira d’autre chose que de cette culture occidentale."

Jules Monnerot, 1970.

vendredi 20 octobre 2017

"...L'automne vient d'arriver."

Continuons à citer le portrait de saint François de Sales par Ernest Hello : 

"Cet homme cause toujours de près avec le lecteur. Il ne lui échappe pas par ces excursions, ces ascensions ou ces absorptions qui séparent pour un moment celui qui parle de celui qui écoute. Il n’est jamais anéanti sous le poids de sa pensée ; ce qu’il dit ne succombe pas sous ce qu’il voudrait dire. 

Il parle en vieux français. On pourrait croire que ceci est seulement une affaire de date, que le fait de parler en vieux français tient au temps où l’on parle et non à l’homme qui parle. Malgré la très grande vraisemblance, le vieux français ne tient pas seulement à la date où il est parlé : il tient au caractère de celui qui parle. Jeanne de Chantal est contemporaine de saint François de Sales. Elle ne parle pas en vieux français. Elle emploie des mots qui appartiennent au vieux français, parce que ce fait résulte de la nature des choses et de l’état de la langue au moment où elle écrivait. Mais ces mots, qui, sous la plume de saint François de Sales, forment le vieux français, ne constituent pas la même langue chez Jeanne de Chantal. C’est que le vieux français est un style ; donc il est un secret. Il ne suffit pas pour l’avoir parlé d’être né à une certaine époque, il faut avoir possédé un certain esprit. Cet esprit, quel est-il ? Quel est le caractère de cette langue ? - C’est la naïveté. 

La naïveté n’est pas la simplicité. Elle est un genre à part de la simplicité, une simplicité particulière qui a un tempérament à elle. (…) [Saint François de Sales] a le droit de parler comme il pense. Il agit en chrétien et en prêtre. La pensée de produire un effet quelconque est si loin de lui, qu’on oublie de le remarquer : (…) ressemblance avec les enfants. Il est vrai qu’à l’heure présente ceux-ci sont occupés à perdre la naïveté, et je me sers à dessein du mot occupés, car c’est de leur part un rude travail : la naïveté, chassée de l’enfance, se réfugie dans la campagne. Les villages ont une langue à part qui ressemble beaucoup au vieux français, et par une rencontre qui n’est pas fortuite, le vieux français parle toujours de la campagne et lui demande toujours des comparaisons. Un des caractères qui distinguent le vieux français, la langue des villages, et le style de saint François de Sales, c’est l’absence d’ironie. L’ironie, qui est excellente à sa place, et, par cela même qu’elle est excellente à sa place, est détestable et funeste dès qu’elle arrive mal à propos, et elle arrive souvent mal à propos, l’ironie est due au mal, à l’erreur, au péché. (…) Cette arme puissante et redoutable a été empoisonnée par la corruption de l’homme. L’ironie a trahi la vérité : au lieu d’écraser le mal, elle s’est tournée contre les choses simples, naïves, innocentes, dans le sens sérieux de ce mot trop souvent rabaissé. L’ironie alors est devenue la moquerie. La moquerie est une chose basse ; c’est le ricanement de l’amour-propre. (…) La moquerie, qui est myope, prend la naïveté pour la niaiserie, pendant que la sottise prend la niaiserie pour la naïveté. Entre la niaiserie et la naïveté la différence est radicale. Dans la niaiserie la pensée est faible, le sentiment mollasse, et l’expression langoureuse. Dans la naïveté la pensée est précise, le sentiment vigoureux et l’expression imprévue. La moquerie, qui les confond, ôte à l’écrivain la liberté des choses intimes, qui ne veulent être montrées qu’à des regards purs. Cette contrainte domine toute la littérature moderne, qui ne s’en doute pas. Cette littérature, qui se croit très libre, est esclave du lecteur, qu’elle méprise. Elle craint la moquerie. Or, l’absence de cette crainte est un des caractères du vieux français, et particulièrement un des caractères de saint François de Sales. Cet homme parle comme il pense. (…)

Presque personne n’a parlé le français comme lui ; c’est pourquoi, si ces choses étaient étonnantes, il faudrait s’étonner de l’oubli où l’ont laissé les littérateurs. (…)

L’étymologie nous rappelle, même malgré nous, que la langue française réclame par-dessus toutes les autres langues la franchise. Saint François de Sales est franc comme peu d’hommes l’ont été."

Quoi qu’il en soit de cette étymologie et de ce qu’elle est supposé impliquer, j’ai cité ce texte entre autres raisons pour le lien qu’il tisse entre l’ancien français (qui est effectivement une caractéristique immédiatement frappante du style de saint François de Sales), les racines rurales de cette langue, et l’état d’esprit, disons direct, qu’elle porte avec elle. Il paraît que dans les romans de Chesterton - je n’en ai jamais lu - on croise souvent un vieux paysan français qui ne se prive pas de dire ce qu’il pense des utopies (dites) modernes, avec un bon sens qui en fait le porte-parole de l’auteur. Cela va vans le même sens… qui n’est pas celui qui nous porte actuellement. Je le rappelle de temps à autre, la France a longtemps d’abord été un pays profondément rural : ce n’est pas parce que les artistes français ont pu s’opposer, pour certains d’entre eux, à cet arrière-plan campagnard, qu’ils n’en ont pas été imprégnés, aussi bien physiquement - les paysages, l’alimentation… - que spirituellement (l’éducation au sens le plus large). Et j’ai du mal à croire qu’il n’y a pas un rapport entre les difficultés des agriculteurs, comme on dit maintenant, qui souffrent dans l’indifférence générale (y compris celle des contempteurs gauchistes de la malbouffe), et l’état de notre langue comme de notre spiritualité, encore plus gangrenée qu’à l’époque de Hello par l’ironie et la peur de la moquerie. (Même si, de ce point de vue, il y a quelques signes favorables, plus qu’il y a une quinzaine d’années). 


Concluons et répétons : on sous-estime je crois trop souvent l’importance de ce basculement démographique de la ruralité aux villes depuis quelques décennies, basculement qui concerne maintenant, à ce qu’il paraît, surtout les grandes villes (et ne contribue pas à les rendre vivables, si elles évoluent toutes comme la capitale). C’est pourtant un phénomène historique aux ramifications multiples, y compris, donc, dans notre langue comme dans son esprit. Ce qui n’est pas pour remonter le moral, mais tant pis.

jeudi 19 octobre 2017

Le plus beau mensonge du cinéma.

(Et il y en a).

"C'était beau, le Mexique ?

 - Oui, Simon. Très beau."

En hommage à Danielle Darrieux, et non sans lien avec les débats récents sur le charme et la séduction.


"Notre vie joue en alternance / La tragédie de l'existence / et la comédie du bonheur..."

mercredi 18 octobre 2017

"Presto, non sono piu forte..."

Puisque les accusations contre un ignoble producteur juif hollywoodien prédateur sexuel (je laisse l’inconscient de chacun établir des liens entre ces différentes précisions, ce n’est pas mon problème) tourne dans l’esprit de certain-e-s (pf ! même pour rigoler ça me dégoûte d’écrire comme ça) au procès contre l’homme-hétérosexuel-blanc-et-riche-et-sa-trop-fameuse-culture-du-viol, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler quelques petits principes concernant ce qu’il n’est pas encore tout à fait désuet d’appeler la séduction. 

Je prends donc pour point de départ le duo de l’opéra de Mozart Don Giovanni (Là ci darem la mano, pour ceux qui veulent googler), à ma connaissance LE duo de séduction dans l’histoire de l’opéra. Il se trouve qu’il y a du Weinstein chez Don Giovanni : riche, puissant, cynique, égoïste, il n’hésite pas utiliser toutes les armes à sa disposition pour séduire. Et si cela ne suffit pas, il peut lui arriver d’essayer de forcer physiquement l’entrée du chemin qui lui est explicitement fermé - la pauvre Zerlina, celle-là même qu’il a réussi à séduire, mais sans pouvoir coucher avec elle, dans le duo en question, est tout près d’être violée à la fin de l’acte I et ne doit certes pas son salut à la mansuétude ou à des remords de son agresseur. 

Mais s’il n’est pas sympathique, il peut être charmant, et il est bien sûr séduisant. (C’est d’ailleurs, soit dit en passant, le problème de certains interprètes du rôle, qui n’ont aucun charisme : même s’ils chantent bien, l’essentiel leur fait défaut.) Et le plus bel exemple, dans l’opéra, en est donc ce fameux duo, parce que Mozart et son librettiste Da Ponte jouent à merveille du contrepoint des émotions de la naïve (au moins dans ce passage, et encore pas tout à fait) Zerlina en face de la stratégie de conquête de Don Giovanni. 

Charme, charisme ; stratégie, conquête : j’utilise des champs lexicaux bien déterminés, celui de la magie d’une part, celui de la guerre d’autre part. La séduction en effet est au carrefour de ces deux domaines, celui de l’irrationnel et celui de la lutte. Une lutte à deux qui fait beaucoup plus fond sur la réciprocité agonistique (que dois-tu faire pour m’attirer ? fais-le plus, fais-le mieux ; je veux bien te guider, mais je peux pas tout faire tout(e) seul(e)), que sur une quelconque égalité. A l’homme de faire perdre à la tête à la femme qui, si elle est en train d'être séduite, ne demande qu’à s’oublier mais qui cherche, discrètement et dans un jeu qui peut être paradoxal ou fort subtil avec sa propre conscience, à amener l’homme à la séduire assez pour qu’elle s’oublie. "Vorrei et non vorrei", chante Zerlina, qui n’attend qu’une chose, que Don Giovanni la convainque de vouloir - puis "Presto, non sono piu forte…"

On parle du jeu de la séduction : jeu, c’est aussi le terme utilisé quand quelque chose ne tient pas totalement, une prise, une corde - "il y a du jeu". La séduction est ludique et n’est pas une science exacte, il y a du flou de l’imprécis… Autant de choses que l’on ne peut pas réguler. 

Bien sûr, le schéma que j’ai décrit et qui est celui du duo de Mozart n’est pas le seul que l’on puisse envisager. Bien sûr les choses sont parfois plus explicites, bien sûr parfois la femme prend plus l’initiative (ce qui n’est pas sans évoquer, ma remarque sans devoir être surinterprétée n’est pas innocente, le schéma récurrent de la pornographie américaine actuelle, où la femme fait pour ainsi dire tout), bien sûr enfin les histoires d’amour se déroulent ensuite comme elles le doivent, sans que la façon dont elles ont commencé en détermine complètement la nature ni la durée. Je tenais simplement à rappeler que tout ne peut pas se légiférer, se légaliser, s’égaliser. 


"Pas d’idéologie entre les cuisses. - C’est pas sa place.", s’accordent à reconnaître un vieil anar de droite anar individualiste et une jeune et jolie gauchiste révolutionnaire, dans un film de Mocky, avant de coucher ensemble. Qui peut leur donner tort ? 

mardi 17 octobre 2017

"J'aime les filles..."

( #BalancetongrosporcdeJacquesDutronc.)

"Il y a un paradoxe à refuser les règles de l’amour courtois et de la galanterie civilisationnelle et après se plaindre d’accoucher de barbares", nous dit avec à-propos Eugénie Bastié 

(ici : https://fr.aleteia.org/2017/10/17/aujourdhui-le-christianisme-ne-menace-pas-la-femme-eugenie-bastie-repond-a-sophia-aram/).  

Je pense à la vérité que cet entretien est un peu rapide et que l'auteur (sans e !) de Adieu Mademoiselle pourrait développer un peu plus certains points, mais il faut faire vite, répondre vite, etc., et en l'espèce ce n'est pas bien grave. 

Pour l'anecdote, la polémique entre Eugénie Bastié et Sophia Aram avait commencé hier, lorsque j'ai mis en ligne mes citations de Régine Pernoud, sans avoir la moindre idée que E. Bastié s'était inspirée d'un autre ouvrage de la célèbre historienne (ici, l'accord se fait, nous parlons une langue vivante, pas un dialecte égalitaro-administratif) pour son livre. J'en profite du coup pour en placer une autre, de Matisse, cité par R. Pernoud : "La Renaissance, c'est la décadence." Je ne sais pas si c'est vrai, il est plus probable que c'est le fait que le Moyen Age était entré en décadence qui a permis à quelque chose comme la Renaissance de se produire ; "L'idée de Renaissance, c'est la décadence", me permettrais-je donc de proposer. De même que l'idée de progrès, une des idées les plus débiles que l'on puisse trouver sans doute. 

lundi 16 octobre 2017

#Balancel'ignobleantiféministeRéginePernoud

"C’est au XVIIe siècle seulement que la femme prend obligatoirement le nom de son époux ; et (…) ce n’est qu’avec le Concile de Trente, donc dans la deuxième moitié du XVIe siècle, que le consentement des parents est devenu nécessaire pour le mariage des enfants ; tout comme est devenue indispensable la sanction de l’Eglise. 

Au vieil adage des temps précédents : 
« Boire, manger, coucher ensemble
Font mariage, ce me semble

on ajoute : 

Mais il faut que l’Eglise y passe. »"


"Les progrès du libre choix des époux ont partout accompagné les progrès de la diffusion du christianisme."

dimanche 15 octobre 2017

Une constante anthropologique.

Mauss encore : 

"Être le premier, le plus beau, le plus chanceux, le plus fort et le plus riche, voilà ce qu'on cherche et comment on l'obtient. Plus tard, le chef confirme son mana en redistribuant à ses vassaux, parents, ce qu'il vient de recevoir ; il maintient son rang parmi les chefs en rendant bracelets contre colliers, hospitalité contre visites, et ainsi de suite... Dans ce cas la richesse est, à tout point de vue, autant un moyen de prestige qu'une chose d'utilité. Mais est-il sûr qu'il en soit autrement parmi nous et que même chez nous la richesse ne soit pas avant tout le moyen de commander aux hommes ?"

Demandez, dans des registres différents, à MM. Zuckerberg ou Weinstein ce qu'ils en pensent. D'une certaine façon les riches vivent dans un univers moins utilitariste que le nôtre, plus explicitement enchanté. Mêmes médiocres, ils finissent par comprendre que la richesse, c'est autre chose que : plus d'argent que les pauvres. C'est : pouvoir, séduction, manipulation, prestige...

samedi 14 octobre 2017

"Nous ne le savons que trop."

Pardon pour la mise en page et la présentation... Le lien (cela vient d'un autre site, L'homme nouveau, qui demande à être cité, dont acte) : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2016/11/11/patrick-buisson-il-est-temps-de-refermer-le-cycle-des-lumieres.html#.WdhnbF87IHU.twitter

La citation : 

"Le phénomène de déchristianisation propre à notre modernité et au développement du mythe du progrès n’a été rien d’autre, à bien l’examiner, qu’un christianisme inversé. Il a correspondu à ce moment de l’histoire – la sécularisation – où les grands thèmes théologiques ont été non pas abandonnés mais retranscrits sous une forme profane. De ce point de vue, il est parfaitement exact de dire que capitalisme et communisme qui se disputent le monopole de l’idéologie du progrès depuis le XIXe siècle, relèvent d’idées chrétiennes ramenées sur terre, de ces « idées chrétiennes devenues folles » dont parlait Chesterton. D’un côté, la prédestination protestante. De l’autre, le déterminisme marxiste. D’une part, l’obéissance à la volonté divine jusqu’à la négation de la liberté humaine. D’autre part, l’amour de l’homme jusqu’à la mort de Dieu. La ruine de ces deux idéologies à la fois rivales et jumelles laisse le champ libre à une politique de l’espérance. Le grand mystère chrétien laïcisé, désormais libéré de ces derniers avatars, se trouve disponible pour une autre incarnation, une autre aventure. Régis Debray notait que le fait majeur de la fin du XXe siècle aura été « la fin de la politique comme religion et le retour de la religion comme politique ». C’est vrai pour l’islam et nous ne le savons que trop. En France comme dans les pays qui formaient jadis la chrétienté, un État théologico-politique n’est nullement souhaitable. Mais nous disposons en revanche d’un patrimoine historique et spirituel dont peuvent renaître les déterminants directs de l’établissement. En d’autres termes, une politique de civilisation répondant à la volonté, de plus en plus manifeste, du peuple français, de retrouver en partage un monde commun de valeurs, de signes et de symboles qui ne demande qu’à resurgir à la faveur des épreuves présentes et des épreuves à venir."



"Le cycle ouvert par les Lumières est en train de se refermer. Nous ne sommes qu’à l’aurore d’une nouvelle ère et nous voudrions déjà cueillir les fruits de la maturité. En fait, nous ne supportons pas l’idée que ces grandes questions de civilisation ne reçoivent pas de réponse dans la temporalité qui est celle de nos vies humaines."





Patrick Buisson a parfaitement raison sur ce dernier point, un peu d'humilité dans notre gueule - et c'est pour ça que ceux qui poursuivent un but et qui acceptent de ne pas le voir réalisé de leur vivant ont un avantage sur les prétentieux qui ne se résolvent pas à ne pas voir leur action couronnée de succès. La gauche d'esprit messianico-marxiste a besoin d'un messie : le prolétariat, les pédés, les migrants, les femmes, etc., cela lui donne un but. - Mais de notre côté, il y a quelque chose de rationnel dans l'évaluation de nos chances de succès qui nous ramène à une forme de croyance - la difficulté pour les chrétiens résidant dans le fait que leur Messie est déjà venu.

vendredi 13 octobre 2017

A propos d'une interview de E. Balladur, E&R écrit :

"La grande question est : la France pouvait-elle, en 1995, soit 20 ans après les lois sur l’immigration massive décidées par le duo Giscard-Veil, freiner ou inverser la courbe migratoire dont on voit le désolant résultat dans nos rues aujourd’hui ? À Paris, dans le RER, des familles entières mendient, lançant les enfants dans les pattes des usagers, qui ne savent plus quoi faire. Sans nous départir du respect que l’on doit à tout être humain, on nous balance toute cette merde sur la gueule et on voudrait qu’on soit polis, patients, gentils, antiracistes ? Mais c’est une véritable escroquerie !

La France et les Français se font agresser quotidiennement par cet étalage grandissant de misère, de connerie et d’hébétude, un robinet à migrants complètement défoncés d’ignorance, un miséroduc qui n’en finit plus de dégueuler sur un pays construit dans le travail, la souffrance, la patience et la passion, aussi. Et on devrait foutre ça en l’air pour les beaux yeux d’une oligarchie pourrie jusqu’à la moelle ? Pas question."

Tout cela, je signe des deux mains, d'autant que je prends le métro tous les jours... La suite néanmoins me séduit moins : 

"Il s’agit de trouver une solution sans tomber dans le piège tendu : on voit bien que la Synagogue et le Temple essayent de précipiter l’Église et la Mosquée l’une contre l’autre, dans une déflagration où seules les deux premières sortiront gagnantes !"

Le lien : https://www.egaliteetreconciliation.fr/Un-jour-en-France-vendredi-13-octobre-2017-48024.html

Le problème : quoi que l'on pense des désirs du Temple et de la Synagogue à notre égard (je ne suis pas sûr que les dingues de l'UE aient besoin de ces deux vénérables édifices pour décider qu'un Grand Remplacement vaut mieux qu'un européen fatigué, mais je ne suis pas dans le secret des Bidelberg), il y a un angle mort de la pensée Soral/E&R : pourquoi les "musulmans du quotidien" sont-ils, selon eux, si sympathiques, si traditionnels, si "gauche du travail, droite des valeurs", quand les immigrés/clandestins/sans-papiers/réfugiés qui débarquent de plus en plus nombreux, sont, le plus souvent, musulmans, et pas du tout "front de la tradition" ? A quel moment et comment se fait la transmutation ? 

Le temps me manque (comme d'habitude ces jours-ci...) pour développer, je sais bien qu'il y a quelques réponses possibles, je maintiens : 1/ qu'il y a ici un angle mort, genre nuage de Tchernobyl à certains égards ; 2/que l'on ne croise malheureusement pas aussi souvent, aussi quotidiennement, les "musulmans du quotidien" dont nous parle couramment A. Soral. C'est dommage d'ailleurs. 

jeudi 12 octobre 2017

"Son originalité..."

Dans le beau portrait qu’il dresse de saint François de Sales, Ernest Hello fait une mise au point salutaire sur le rapport chrétien de l’homme à la nature. Après avoir cité saint François, il enchaîne : 

"L’intention littéraire est absente de ce tableau, et cette parole a une grâce singulière, exquise, naïve, qui échappe à ceux qui la cherchent. Le sens de la nature est charmant pour saint François de Sales, et charmant pour cette raison même que la nature est pour lui, ce qu’elle est en effet, un moyen et non un but. Elle est l’instrument sur lequel il s’accompagne pour chanter. Elle n’est jamais, comme il arrive aux faux poètes, la beauté même vers laquelle vont les chants. L’amour de saint François la trouve sur sa route ; il la trouve sans la chercher, tout simplement parce qu’elle est là, et, sans jamais s’arrêter à elle, il la traverse et l’emporte sur ses ailes vers le ciel où il va.

Ainsi vue à la clarté d’en haut, la création prend un goût exquis qu’elle n’a jamais chez les hommes qui l’aiment pour elle-même et la fêtent, au lieu de fêter Dieu. La création est une barrière quand elle n’est pas un marchepied ; elle apparaît comme une limite, chez le faux poète, qui s’embourbe au milieu d’elle ; pour saint François, elle est une harpe, et ses doigts, promenés sur les cordes, lancent des sons qui montent toujours."

La suite abordant un autre sujet (sur lequel j’espère revenir), arrêtons-nous là pour aujourd’hui, et synthétisons. Dans le 19e siècle à travers des âges, P. Muray est parfois étonnamment agressif à l’égard de la nature, ou de la Nature, ou de l’idée de nature. La parole de Muray n’est certes pas toute d’évangile, mais je gardais ceci, que je ne m’expliquais pas bien, dans un coin de ma tête, lorsque j’ai trouvé la clé… grâce à Guy Debord et son vieil adversaire, Jean-Pierre Voyer, que Dieu le bénisse (encore que si Dieu lui avait donné la foi, la philosophie française y eût gagné trente ans, mais ceci, si ce n’est pas à proprement parler une autre histoire, n’est pas tout à fait notre sujet du jour). 


Le dit Voyer, donc, râlait avec sa verve et sa vigueur personnelles contre les thématiques écologistes, notamment, mais pas seulement, dans la veine nostalgique du Debord des années 80 : il n’y a plus rien de bon, de vrai, d’authentique, tout est pollué et travesti, les bouteilles de vin ont les mêmes étiquettes qu’avant mais on ne peut plus les boire, etc. Je n’ai pas le temps aujourd’hui de vous retrouver les citations précises d’un côté comme de l’autre, mais la réponse de J.-P. Voyer était en gros : qu’importe le cadre de vie ou la qualité de la bouffe, si les gens se font chier entre eux. (La philosophie de Jean-Pierre Voyer est je le rappelle une philosophie de la relation et de la communication). Je repensais à cela, qui ne doit pas être considéré comme un mépris utopique ou hypocrite de la bonne bouffe et de la beauté de la nature, quand je suis tombé sur ce passage de Ernest Hello, qui a fini de m’expliquer et m’a permis de mieux formuler ce que j’étais en train de comprendre. Les arbres pour les arbres, on s’en tape. Les arbres comme partie du sens du monde, sens donné au monde par les relations des hommes entre eux chez JPV, par les rapports de la nature et du surnaturel chez François de Sales et Hello, on ne s’en fout pas. Ceux qui détruisent la nature pour des fins mercantiles doivent être combattus, mais ceux qui l’idéalisent pour elle-même n’ont pas tout compris au film - ce qui peut nuire d’ailleurs à leur discours. Il est logique de reprocher à Jacques Attali sa formule selon laquelle la nature est notre « ennemie », mais il serait fou de nier qu’elle le devient à l’occasion. Quant à Muray, je pense - tempérament personnel ? Christianisme un peu trop rigoriste et désenchanté ? Provocation par rapport aux écolos de son époque ? - qu’il pousse un peu trop loin le bouchon. Ce qu’avec mon tempérament que vous savez plein de douceur ("Son originalité fut d’être doux", écrit encore Hello de François de Sales) je lui pardonne aisément. A demain ! 

mercredi 11 octobre 2017

"Les Ukrainiens n'ont jamais été une nation."

Décidément, notre ami Mauss est un allié de poids dans la lutte pour un monde multipolaire sensé... D'autres réflexions, toujours un peu en vrac : 

"En troisième lieu, une nation croit à sa civilisation, à ses mœurs, ses arts industriels et ses beaux-arts. Elle a le fétichisme de sa littérature, de sa plastique, de sa science, de sa technique, de sa morale, de sa tradition, de son caractère en un mot. Elle a presque toujours l'illusion d'être la première du monde. Elle enseigne sa littérature comme si elle était la seule, la science comme si elle seule y avait collaboré, les techniques comme si elle les avait inventées, et son histoire et sa morale comme si elles étaient les meilleures et les plus belles. Il y a là une fatuité naturelle, en partie causée par l'ignorance et le sophisme politique, mais souvent par les nécessités de l'éducation. Les plus petites nations n'y échappent pas."

"Le nombre des nations devient singulièrement restreint. Elles apparaissent, surtout les grandes, comme de belles fleurs, mais encore rares et fragiles de la civilisation et du progrès humain. Les premières furent petites, ce furent les cités grecques. La première grande fut Rome. Depuis, je ne compte guère que sept ou huit grandes nations et une douzaine de petites dans toute l'histoire."

"Alors que c'est la nation qui fait la tradition, on cherche à reconstituer celle-ci autour de la tradition."

Et cet avertissement sincère, en 1924 : 

"Vous dites qu'un régime collectiviste serait moins productif qu'un régime de propriété privée. En tant que socialiste, et en tant qu'homme qui a peut-être plus vécu que vous avec les ouvriers, je vous dirai franchement que c'est là, en effet, la pierre d'achoppement pour le socialisme, et l'objet secret de mes craintes."

mardi 10 octobre 2017

"France is not France anymore..."

Là-dessus, l'horrible facho-américano-vulgaro-Macdo Trump et le génial sociologue juif de gauche sont d'accord, voilà la définition que Mauss donne de la nation : 


"Nous entendons par nation une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l'État et à ses lois."

- L'arnaque de certains, des gauchistes à quelqu'un comme Marc-Édouard Nabe, c'est de suggérer qu'adhérer à une telle définition, regretter l'actuel bordel ambiant, et surtout craindre que ce bordel ne dégénère en quelque chose de vraiment grave (pour nous ? oui, pour nous), c'est de suggérer que tout cela implique un nationalisme ardent ou une volonté de fusion de tout le monde dans une identité fêtée en permanence, sous peine d'excommunication. Alors que chez la majorité des gens, c'est le contraire ! L'avantage de la stabilité, de la sécurité, de la "relative unité morale", c'est d'avoir la paix pour travailler à ce que l'on veut, des bouquins, des films, une collection de papillons, un fétichisme sexuel, une passion pour les vieilles voitures, que sais-je. C'est justement le cadre collectif stable qui permet, sous certaines conditions et dans certaines limites, de se déprendre de la collectivité. 

Et d'ailleurs, il semble difficile de soutenir que l'affaiblissement actuel de la nation provoque un accroissement de la liberté individuelle. 

lundi 9 octobre 2017

"Soumettez-vous donc. Vous ne pouvez ? - J’en vois la cause...

...Vous voulez juger par vous-même ; vous voulez faire votre règle de votre jugement ; vous voulez être plus savant et plus éclairé que les autres ; vous vous croyez ravili en suivant le chemin battu, les voies communes ; vous voulez être auteur, inventeur, vous élever au-dessus des autres par la singularité de vos sentiments ; en un mot, vous voulez, ou vous faire un nom parmi les hommes, ou vous admirer vous-même en secret comme un homme extraordinaire. Aveugle, conducteur d’aveugles, en quel abîme vous allez vous précipiter, avec tous ceux qui vous suivront ! Si vous étiez tout à fait aveugle, vous trouveriez quelque excuse dans votre ignorance. Mais vous dites : Nous voyons, nous entendons tout, et le secret de l’Écriture nous est révélé : « Votre péché demeure en vous »." 


Bossuet - et Jean, IX, 41, pour la sentence finale. - Et Bibi, je me suis permis de changer un peu la ponctuation dans le tout début. 

dimanche 8 octobre 2017

Génie pratique.

Je suis le premier à être conscient que les livraisons actuelles sont un peu paresseuses et décousues. Le temps me manque, l’apparition de divers problèmes techniques n’arrange pas les choses, j’en suis réduit à juxtaposer des réflexions (de Mauss, encore une fois) un peu disparates, et sans les commenter. Mes intentions ne sont donc pas aussi claires que je le souhaiterais ; au moins pouvez-vous profiter de la prose d’un des grands esprits du siècle précédent. La relecture de ces notes confirmant que Mauss avait quelque chose d’un savant fou (il finit d’ailleurs, sous le coup de l’émotion provoquée en lui par le génocide des Juifs, plus fou encore que savant), et que le diagnostic à son endroit de Sylvain Lévi était justifié : "Je ne doute pas de son génie ; je doute plutôt de sa régularité." Mais allons-y : 

"Les faits eux-mêmes, qu'il s'agit d'observer, disparaissent chaque jour. On peut attendre pour déterrer des ruines ou des monuments préhistoriques, on ne peut attendre pour observer des populations encore vivantes, des langues qui vont bientôt être remplacées par des sabirs, des civilisations qui vont céder à la contagion de notre uniforme culture occidentale. Il faut se hâter de rentrer la récolte, dans peu de temps elle sera pourrie sur pied. Le temps, chaque jour entame la vie des races, des choses, des objets, des faits. Et il agit très vite."

"Il fallait sans doute que les États fussent unifiés par la volonté du prince, expression suprême bien qu'inconsciente de la volonté des peuples."

"Les peuples anglo-saxons ont en effet un génie pratique qui leur fait inventer des formes de droit capitales, mais ils ont en même temps une sorte de timidité idéologique qui fait perdre conscience du caractère révolutionnaire de leurs interventions politiques. Tout autrement pensent les Révolutions continentales, la française et l'allemande."


"Le pouvoir peut être loin et bien différent des gens gouvernés ; ceux-ci peuvent vivre leur vie sociale de tous les jours de façon indépendante : les « joint family », les villages slaves, hindous, irlandais, continuèrent à vivre avec la superposition des aristocraties, des despotismes, ou des deux, Les villages annamites et chinois sont dans leur forme familiale et populaire les vrais organes de la vie sociale dans ces Pays. Il faudrait que le sociologue (et l'homme politique) n'en restât pas au simplisme intellectualiste, mais que vraiment, comme le psychologue et le médecin, il s'habituât a concevoir que les hommes peuvent vouloir, penser et sentir des choses contradictoires, dans le même temps ou dans des temps successifs. La Prusse, type de la royauté de droit divin, l'est en même temps de droit populaire. Il n'y a là que deux prétentions mais elles sont encore parfaitement fondées et une grande quantité des Prussiens, jusqu'à M. Rathenau, voient encore, même après la guerre, dans la monarchie le seul moyen de gérer les intérêts du peuple pour le peuple sinon par le peuple."

samedi 7 octobre 2017

Mauss toujours, sans peaufiner, problèmes techniques ce samedi soir...

"Les anciens ouvrages français concernaient avant tout la Nouvelle-France la Louisiane, les possessions de la mer des Caraïbes et de la mer du Mexique. Nous perdîmes ces colonies après Napoléon 1er. N'ayant plus d'indigènes à administrer, nous n'avons plus cherché à les connaître. L’État et la science, en France, ont toujours été administrés de façon plus utilitaire qu'on ne dit."


"Les Pères Jésuites de Tananarive avaient entrepris une tentative des plus intéressantes, celles de recueillir les traditions hovas et en particulier celles de la famille royale, le Tantara ni Andriana. L'édition en fut faite. Elle eut tant de succès, à Tananarive en particulier, que les bons Pères prirent peur d'avoir donné, par cette mise en circulation de tant de légendes et de tant de mythes, trop d'aliments à la superstition. Ils se mirent en chasse des exemplaires sortis et les détruisirent, avec ceux qu'ils possédaient encore. La Bibliothèque Nationale n'en a point. Et l'on peut considérer ce document capital comme disparu."

vendredi 6 octobre 2017

Interactions.

"M. Berr semble croire que la sociologie nie le rôle de l'individu. C'est une profonde erreur, même sur la pensée de Durkheim ; celui-ci avait au contraire pris pour point de départ de ses études la relation de l'individu et de son milieu social. Sa première publication (...) est consacrée au rôle des Grands Hommes ; et le problème fait encore le fond de la Division du travail social. L'idée principale de Durkheim sur ce point est restée constante : que plus le milieu social était organisé, plus l'individu y avait et d'existence propre, libre, indépendante, et de force, physique et morale ; celle du milieu social, puissante, mais asservie cette fois. Durkheim restait même, sur ce point, bien en deçà d'extrémités où d'autres pousseraient leur raisonnement. Car enfin la notion d'individu n'est ni claire, ni si « individuelle » qu'on croit. Ce n'est pas parce que chaque homme se sent un être ineffable, qu'il l'est."

Mauss encore, en 1925. Je vous prie de m'excuser de ne pas commenter ce texte comme je le souhaiterais moi-même. Disons que je suggère des pistes... Bonne soirée à tous ! 

jeudi 5 octobre 2017

Qui paie ses dettes s'enrichit...

Je retrouve dans des notes prises en lisant les trois beaux volumes de textes de Marcel Mauss publiés chez Minuit (je bossais, dans le temps), un passage délectable, à multiples résonances. 

Chez les celtes, "comme dans le « potlach » , le héros, future victime, demande à ses compagnons de table - on pourrait presque dire de Table Ronde - des présents en nombre déterminé que ceux-ci, défiés, avertis ou non de la sanction qui va venir, mais sommés de s'exécuter sous peine de perdre leur rang, ne peuvent lui refuser. Ces présents sont donnés solennellement, en public, plus précisément, dans la grande salle carrée, du festin des nobles et du tournoi ; l'assistance est garante du caractère définitif du don. Alors, - trait extraordinaire - le héros qui, normalement, eût dû, en une autre séance, rendre avec usure les cadeaux reçus, paie de sa vie ceux qu'il vient de prendre. Les ayant distribués à ses proches, qu'il enrichit ainsi définitivement et qu'il aime tant qu'il se sacrifie pour eux, il échappe par la mort, à la fois, à toute contre-prestation et au déshonneur qui lui viendrait s'il ne rendait pas un jour les présents acceptés. Au contraire il meurt de la mort du brave, sur son bouclier. Il fait honneur à son nom en disparaissant ainsi. Il se sacrifie avec gloire pour lui et profit pour les siens.

Une pareille morale n'a rien d'extraordinaire ; elle est militaire et financière à la fois. Nous en avons encore la survivance immédiate dans nos mœurs, où certains croient payer leurs dettes en se suicidant."


mercredi 4 octobre 2017

"De plus en plus de jeunes estiment ne pas être nés avec le bon sexe."

Tu m'étonnes, ils devaient être moins nombreux il y a quelques siècles... C'est bien la peine d'être anti-nazi féroce et de donner un tel poids à la génétique dans certains domaines. Bref ! Un peu à la bourre ce mercredi, je chope sur Le salon beige un article, en voici l'intégralité depuis le site d'origine (http://www.genethique.org/fr/financement-de-la-conservation-des-gametes-dadolescents-transgenres-le-nhs-sur-la-sellette-68310#.WdTwFUzpP-Z) : 

"Les cliniques du NHS (National Health Service) permettent à des douzaines d'adolescents transgenres de congeler leurs spermatozoïdes ou de conserver leurs ovocytes pour leur permettre de procréer après un changement de sexe.

Certains garçons, parfois âgés seulement « de douze ans », font congeler leur sperme pour concevoir dans le futur leur « propre enfant biologique » après avoir subi les interventions chirurgicales nécessaires au changement de sexe. Les cliniques congèlent aussi les ovocytes « des filles à partir de l’âge de seize ans avant la prise d’hormones » qui réduira leur fertilité et leur donnera une apparence masculine.

Les traitements de fertilité des adolescents transgenres, financés par le NHS, pourraient coûter des centaines de milliers de livres. Des dépenses qui devraient continuer de s’accroitre : de plus en plus de jeunes estiment ne pas être nés avec le bon sexe.

L’engagement du NHS dans ces programmes a soulevé des critiques et des inquiétudes quant aux fonds alloués, alors que certains traitements de base, comme les opérations des cataractes, sont aujourd’hui rationnés. Si un des médecins, leader des traitements transgenre, a justifié ces sommes estimant que ces adolescents avaient le « droit » de fonder une famille, monseigneur Michael Nazir-Ali, ancien président du comité d'éthique de l'Autorité de fertilisation humaine et d'embryologie, a rappelé que le NHS avait pour but de traiter des patients malades, « c’est pour cette raison que nous payons des impôts » . Il s’est étonné : « Compte tenu de la pression financière croissante exercée par le NHS et de la carence de  tant de services essentiels de santé, d'où proviennent ces fonds pour le traitement de la fertilité ? »"

Ceci étant, il y aurait des ronds, cela ne changerait guère le fond du problème. Je vous laisse, anniversaire de ma chérie ce soir...

mardi 3 octobre 2017

"Ces petites guerres de religion, qu'on croyait évanouies..."

"On voit se multiplier dans les milieux alternatifs une course au purisme anti-médias. Tous ceux qui se compromettent à la télévision ou à la radio sont moqués pour leur collaboration avec le Système, même s’ils se montrent résolument hostiles au mondialisme néolibéral. Natacha Polony est ainsi accusée d’aimer les paillettes, Marcel Gauchet passe pour un universitaire trop prudent et l’on taxe parfois Eugénie Bastié de garder sa langue dans sa poche depuis qu’elle est entrée au Figaro. Mais la palme de l’intellectuel médiatique le plus critiqué revient à Michel Onfray, à qui Rémi Lélian vient d’ailleurs de consacrer un pamphlet chez Pierre-Guillaume de Roux, La raison du vide. Notons au moins que tous ces auteurs ont accepté d’écrire dans Éléments au cours des derniers mois, ce qui dénote malgré tout une certaine liberté de ton. D’aucuns regrettent pourtant que de tels rapprochements soient possibles, y compris parmi les détracteurs les plus virulents de la bonne pensée dominante.


Étrange attitude ! Il faudrait donc ostraciser tous ceux qui jouent le jeu des médias, exactement comme les médias ostracisent tous ceux qui refusent de montrer patte blanche. C’est oublier que, sans la voix de ces intellectuels «antisystème» au cœur du système, les marges idéologiques du débat public n’auraient presque plus aucune visibilité. On a le droit de ne pas aimer tel ou tel, et même de contester ses idées. Mais pourquoi repousser les bonnes volontés, d’où qu’elles viennent ? Si Onfray et quelques autres n’étaient pas là, il n’y aurait plus guère de pensée critique audible. On connaît la formule de Péguy : « Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. » À force de se retrancher dans leur tour d’ivoire, nos puristes d’un nouveau genre pourraient finir par parler totalement dans le vide.

Il ne manque pas de bonnes âmes pour reprocher à Onfray, et à Éléments par la même occasion, d’assumer des positions fort peu catholiques, et pour tout dire païennes. Admettons. Mais ces petites guerres de religion, qu’on croyait évanouies, méritent-elles vraiment d’être réactivées aujourd’hui? Ne peut-on défendre les options morales et religieuses qu’on croit justes tout en débattant ensemble des grandes questions politiques contemporaines, et en menant ponctuellement des combats partagés ? Pourquoi diable les opposants à la mondialisation devraient-ils sans cesse se diviser, alors qu’ils sont déjà bien en peine de peser sur les débats ?

Il semble donc que le purisme de droite réponde naïvement au purisme de gauche, jusqu’à rendre les uns et les autres aveugles à leurs points de convergence. Il ne sert à rien de dénoncer les intellectuels « antisystème » supposés trop complaisants à l’égard des médias, alors que nous avons plutôt besoin de solidariser les esprits rebelles, dans le respect des différences qui les divisent autant que des principes qui les rassemblent."

La suite de ce texte, que vous trouverez ici : http://www.thibaultisabel.com/2017/06/pourquoi-nous-continuerons-le-dialogue-avec-michel-onfray-marcel-gauchet-eugenie-bastie-natacha-polony.html?m=1, est à un appel à une sorte d'union, je n'ose pas écrire sacrée, contre « notre ennemi principal » : « le grand capitalisme mondialisé ».  

Sur ce diagnostic précis, je ne chipoterai pas l'auteur de cet article, Thibault Isabel. Mais il me semble qu'il effectue dans ce texte, que j'ai à dessein tenu à citer assez longuement, un tour de passe-passe logique regrettable à plusieurs points de vue. Les deux premiers paragraphes ne font pas référence à la même problématique que le troisième, et la symétrie évoquée dans le quatrième a tout des fausses symétries que dénonçait Jean Madiran (je vous ai reproduit ça : http://cafeducommerce.blogspot.fr/2017/09/les-merveilleuses-disctinctions-de.html). 

T. Isabel évoque des attaques - dont je n'ai pas eu connaissance, et que je n'ai pas cherché à connaître - contre la participation d'intellectuels contestataires au fonctionnement du système médiatique. Michel Onfray, qui a récemment préfacé un livre du même T. Isabel, est notamment pris à partie. Et c'est M. Onfray qui sert à glisser subrepticement, dans le troisième paragraphe, sur une autre problématique : la réception par certains milieux de droite (je pense notamment à cette analyse de Jacques de Guillebon, que je partage en grande partie, et que j'avais répercutée sur Twitter (de même, avec leur fair-play habituel, que les responsables de la revue Éléments, dont fait partie Thibault Isabel) : http://www.lanef.net/t_article/un-enieme-recyclage-de-poncifs-eventes-jacques-de-guillebon-26374.asp), du numéro d'Éléments sur le polythéisme, numéro qui faisait la part belle, notamment, aux conneries débitées par Michel Onfray (continuons les liens, j'avais dit tout le mal que j'en pensais ici : http://cafeducommerce.blogspot.fr/2017/08/michel-onfray-bat-le-record-mondial-de.html).

Cela n'a pas grand chose à voir, mais permet à T. Isabel - consciemment ou non, qu'importe... - de glisser en douce les objections pourtant conséquentes que la droite non-païenne a élevées contre les thèses développées dans Éléments, dans le fourre-tout des « puristes de droite », qui donc ne valent pas mieux que les « puristes de gauche », etc.  Mais cela revient en fin de compte à confondre des critiques d'ordre pratique (faut-il aller ou non dans les médias ? Sur ce point, je serais plutôt d'accord avec Thibault Isabel) et des critiques théoriques. "Ces petites guerres de religion, qu’on croyait évanouies...", quelle formule révélatrice ! Une vraie guerre de religion n'a aucune raison d'être « évanouie », tant elle met en jeu des choses importantes, elle peut tout au plus être en sommeil, larvée... et s'il n'y a pas de guerre de religion entre le catholicisme et le polythéisme tendance Éléments, c'est que tout simplement personne chez Éléments ne croit qu'il y a des dieux de la forêt, des fleuves, de la moisson, etc. 

On pourrait d'ailleurs, si l'on voulait faire sa mauvaise mine, trouver M. Isabel bien condescendant et par trop "Onfrayen", on pourrait lui reprocher de renvoyer ainsi la religion du côté de l'irrationnel, des fanatismes, etc., et de ne pas vraiment appliquer les principes d'union qu'il expose par ailleurs, savonnant discrètement la planche de ceux à qui il demande par ailleurs de se taire sur des points qui ne sont pas si tactiques qu'il veut le donner à penser...

Car, je finirai là-dessus, il faut être clair sur la portée réelle des divergences théoriques, au lieu de les mettre sous le boisseau au profit de ses propres principes. Je (et « je » pour parler Staline, c'est modeste, c'est "une division", je ne parle qu'en mon nom) suis sur la même longueur d'ondes que Thibault Isabel : devant les périls qui nous menacent, si certains peuvent encore se faire entendre dans les médias dominants et y faire entendre un discours qui peut amener des gens qui ne lisent pas du tout les médias contestataires à ouvrir les yeux, il n'est pas l'heure de chipoter. Il n'en reste pas moins que l'on ne peut faire l'économie des questions anthropologiques. Jusqu'à quel point peut-on espérer qu'une amélioration de la situation économique en France dissipera certains des problèmes actuels (cf. J. Sapir, M. Onfray, tous deux interviewés récemment dans Éléments) ? Le paganisme le plus actif en France n'est-il pas l'idolâtrie des objets et de la société de consommation ? Comment lutter contre ce paganisme ? Il y a là une vraie « guerre de religion »  avec le catholicisme... Et parlant de guerre de religion : quelle est la place de l'Islam par rapport à ces problématiques, Islam par ailleurs peu évoqué dans Éléments ?  Il est vrai qu'on en entend parler si souvent en ce moment... 

Ces questions, ou certaines d'entre elles, je sais bien que T. Isabel et les concepteurs d'Éléments se les posent et qu'elles n'appellent pas de réponses simples : je voudrais montrer qu'elles sont proches des débats concernant le «  capitalisme mondialisé », et qu'elles ne peuvent que ressurgir très vite. On ne peut pas prétendre, ou suggérer, le contraire.