mardi 29 octobre 2019

Prenons conseil auprès de nobles ancêtres.

"Mais la religion de Dieu, et toutes Lois reçues entre les hommes, non seulement excusent, ains commandent au sujet charger les armes, pour la défense de son naturel Prince, quand il est opprimé, pour la conservation de la Loi, et pour la garde du Pays."


Réponse chrétienne et défensive, écrite en 1560 - pendant une période de troubles religieux et institutionnels… Certes nous en sommes au point que notre Prince n'a plus rien de naturel et, lui, ne nous défend pas ; que la Loi est retournée par ceux qui sont chargés de veiller à son application ; que c'est à peine si l'on peut encore parler d'un pays. Mais cela ne change rien à la validité des principes...

vendredi 25 octobre 2019

Droite des valeurs…

Au début du Recul de la mort, Paul Yonnet cite des lignes assez ridicules issues d’un livre trotskiste co-écrit par Michel « Cercle de Minuit » Field et Jean-Marie Brohm en 1975, Jeunesse et révolution, et rappelle ensuite quelques faits bruts : 

"1975, date de la publication de Jeunesse et révolution, n’est pas n’importe quelle date. David Cooper, apôtre de l’antipsychiatrie, vient de publier Mort de la famille, en Grande-Bretagne, puis, presque simultanément, en France. Et c’est dans un véritable bain de réjouissances funèbres qu’est annoncée autant que souhaitée « la mort de la famille », le grand thème de ces années où la jeunesse devient le premier des substituts au prolétariat défaillant de Mai 68. Mais c’est aussi l’avènement de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, et avec lui celui du libéralisme sexuel et moral. En quelques nuits du 4 août mémorables, dès Giscard élu, une Assemblée nationale dominée par la droite vote avant la fin du mois de juin 1974 des lois autorisant le remboursement des contraceptifs, l’accès gratuit des mineurs aux moyens contraceptifs - hors la mise au courant ou la consultation de leurs parents - et le passage des majorités civique et civile de vingt et un à dix-huit ans. La légalisation de l’avortement (interruption volontaire de grossesse) fait l’objet d’un projet de loi gouvernemental déposé en novembre 1974. Cette fois, l’appui des parlementaires de gauche est nécessaire à la constitution d’une majorité d’idées : il n’en reste pas moins que c’est pour l’essentiel le texte proposé par l’exécutif, Giscard président, Chirac premier ministre, Simone Veil ministre de la Santé, qui est voté [un an avant la parution du livre de Field et Brohm, rappelle ici P. Yonnet en note]. Il y a certes une rupture, mais à ne pas surestimer, car le terrain a été préparé par les années Pompidou. En 1973, Pierre Messmer, le Premier ministre de Pompidou, a déposé un projet de loi libéralisant l’avortement. Jean Taittinger, ministre de la Justice, et Michel Poniatowski, ministre de la Sécurité sociale et de la Santé, en sont cosignataires. Après la loi du 28 décembre 1967 (dite « loi Neuwirth », du nom de son ardent promoteur et défenseur, à l’Assemblée nationale), qui a légalisé la mise en vente de produits contraceptifs et l’information contraceptive, le gouvernement de Jean-Jacques Chaban-Delmas [tous ces gens-là sont de parfaits gaullistes, note de AMG], également Premier ministre de Georges Pompidou, auprès duquel il a précédé Pierre Messmer, s’engage résolument dans l’application de la loi et la mise en place du maillage de l’Hexagone par un réseau de structures aptes à informer sur la contraception, mais aussi à délivrer des produits contraceptifs : c’est le décret du 24 avril 1972 qui définit les établissements d’information, de consultation et de conseil familial, ainsi que les centres de planification et d’éducation familiale. Il y a continuité avec le gouvernement de son successeur, qui, plus fermement encore, oriente définitivement l’action de l’État en ce sens. Messmer et Poniatowski font adopter la loi du 11 juillet 1973, qui porte création d’un Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale (CSIS). La séance inaugurale de ce Conseil a lieu en mars 1974, et Poniatowski, son président, est on ne peut plus clair sur la finalité de la politique du gouvernement : « Il est indispensable de rendre accessibles à tous les couples les techniques de la contraception » ! A l’Assemblée nationale, il s’est auparavant signalé par un long et vigoureux plaidoyer en faveur du développement de la contraception, face au député gaulliste Lucien Neuwirth (UDR), qui l’interrogeait sur cette dimension de l’action du gouvernement  (question d’actualité à l’Assemblée nationale, le 12 mai 1973). Point n’était besoin, on le voit, de « faire la révolution » [allusion au livre de Field et Brohm], puisque la majorité politique, de droite qui plus est, s’en chargeait. Et point n’était besoin, faut-il le préciser, de « faire la révolution en Occident capitaliste », puisque, presque partout dans les pays occidentaux démocratiques, l’avortement était légalisé, se légalisait ou allait se légaliser, la contraception médicalisée, autorisée, se diffusait, les majorités civique et civile, ou étaient abaissées, ou étaient en voie de l’être. Dans le temple du capitalisme et de la religion modernisée, aux États-Unis, la Cour suprême avait autorisé l’avortement le 22 janvier 1973, donnant une base légale aux États qui le pratiquaient déjà sans restriction (dont l’État de New York, où l’on avait procédé, depuis 1970, en deux ans et demi, à cinq cent mille avortements), et rendant caduques toutes les lois sur l’avortement qui l’interdisaient, au motif qu’elles violaient la Constitution américaine puisqu’elles transgressaient le droit de la femme à décider librement de mettre ou non un terme à une grossesse. 

La droite française (appuyée par la gauche et, parfois, sur la gauche) ne faisait là que poursuivre l’oeuvre de réformes fondamentales engagées depuis 1965, quand Jean Foyer [le bien nommé, ricane AMG] était le garde des Sceaux du gouvernement Pompidou, sous la férule du général de Gaulle. Le principe central de ces réformes était l’émancipation de la femme dans la famille, la mise à égalité des conditions juridiques de la femme et de l’homme, au-delà, dans la société. Ainsi, voilà cinq ans, lorsque Field et Brohm vitupèrent contre l’autoritarisme paternel, que la puissance paternelle a été transformée en autorité parentale (par la loi du 4 juin 1970, votée par cette fameuse chambre parlementaire justement issue d’une réaction de rejet de Mai 68), et qu’au surplus  l’autorité parentale est entièrement dévolue à la mère, en cas de naissance hors mariage, même si les deux parents ont conjointement reconnu l’enfant."

Etc., etc. Il n’y a donc dans ce processus aucune rupture entre gaullistes et libéraux giscardiens, même si certains gaullistes ont pu à titre individuel s’y opposer. 


Et ce serait évidemment mentir par omission que de ne pas rappeler (ce n’est pas le sujet de P. Yonnet) que les premières années de la présidence Giscard, avec ses « mémorables nuits du 4 août », sont aussi celles du regroupement familial… Fermez le ban !

jeudi 24 octobre 2019

Cela ne nous évitera ni la prison ni les catacombes, mais tout de même...

Chateaubriand, la légitimité démocratico-royale : 

"L'ancienne légitimité n'était autre chose que la volonté nationale personnifiée et maintenue dans une famille."

Chateaubriand, la légitimité intellectuelle, morale et historique du catholicisme : 

"Ils vous nient des mystères religieux pour les remplacer par des mystères de déisme, d'athéisme, de matérialisme, cent fois plus difficiles à admettre que la doctrine de la Chute et de la Rédemption. 

Loin d'avoir un avantage sur nous, c'est donc nous qui en avons un sur eux, car nous entrons dans leur système, et ils n'ont pas une idée que nous n'ayons. Mais eux, ils ne peuvent nous suivre dans les régions de la lumière évangélique ; ils ne peuvent savoir comment le monde politique et historique matériel s'est moulé sur le monde moral et intellectuel chrétien, comment depuis 1800 ans une vérité incarnée dans l'Orient, est devenue l'axe sur lequel a tourné la sphère sociale. Ce n'est donc pas notre vue qui est bornée, c'est la leur : nous apercevons tout ce qu'ils aperçoivent ; ils ne voient pas tout ce que nous voyons."


Merci René !

mercredi 23 octobre 2019

Zone de mort.

Un jour, si Dieu me prête vie, il faudra que je lise Bossuet : 

"C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel soit mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. Voilà, dit-on, ce que c’est que l’homme ! Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s’applique rien, oublieux de sa destinée ! ou s’il passe dans son esprit quelque désir de s’y préparer, il dissipe bientôt ses noires idées ; et je puis dire, Messieurs, que les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts eux-mêmes."

Quand Paul Yonnet, dont je viens enfin de me décider ce midi à acquérir Zone de mort, le livre posthume dans lequel il décrit son expérience de la maladie et de l’approche de la mort (crainte et tremblement de mon côté depuis la sortie de ce volume, je tombe sous la condamnation de Bossuet…), met cette phrase en exergue de son grand livre Le recul de la mort, que j’ai décidé ce matin sur une impulsion imprévue de ressortir, se sait-il souffrant, voire condamné ? Je l’ignore. Mais si j’ai rouvert le Recul, c’est en me disant que dans mes idées un tant soit peu personnelles il y a une vision croisée de ce livre et du 19ème siècle à travers les âges de Muray, et qu’il serait peut-être temps, quand même, un jour, de m’atteler à travailler vraiment lesdites idées.

Tomber, dans ce contexte, sur cette tirade de Bossuet, le jour où j’achète un livre dans lequel un auteur que j’aimais beaucoup, et qui devait donner une suite à son chef-d’oeuvre  - dont le titre n’est tout de même pas anodin - ce que la mort ne lui permit pas de faire -, livre dans lequel cet auteur, mort prématurément, comme on dit, évoque sa mort à venir, à un âge que j’atteindrai (peut-être) dans quelques petites années… il est difficile de ne pas y voir un signe. 


Bref : vive Bossuet. 

mardi 22 octobre 2019

Jeunesse et santé mentales.

Maulnier encore, dans le même esprit que la dernière fois : 

"Vieille, vieille jeunesse, la plus vieille jeunesse qu’ait connue l’histoire des hommes, jeunesse qui craint le combat, qui protège sa tête de son coude contre les coups, qui regarde vers le passé rassurant, qui proteste et conteste parce que tout ne lui est pas donné, comme si rien était jamais donné, comme si rien ne pouvait être plus exaltant que l’avenir vierge, libre comme la grande mer des départs, et cette merveille : de grandes choses interdites. Voilà la faute de vos parents : quelles choses interdites vous ont-ils laissées en héritage, quelles règles à enfreindre ? Toutes les règles étaient mortes."

(C'est pour ça que Cohen-Bendit ne vieillit pas : il a toujours été vieux ! Sa grimace au flic, c'est une mimique de petit vieux...)


Une autre, pour la route : 


"« Je suis coupable », ou « je ne suis pas coupable » : deux obsessions de la mauvaise santé mentale. La bonne santé vit joyeusement en compagnie de l’innocence, et de la culpabilité."

dimanche 20 octobre 2019

"Des enfants de vieux."

Évidemment, Thierry Maulnier, question style, ce n’est pas Chateaubriand, mais si on commence à virer tous ceux qui écrivent moins bien que l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, ça ne va pas être facile - or, question lucidité, je trouve ce texte intéressant : 

"La « révolution » des étudiants dans la France de 1968, et ailleurs, a été une révolution avortée, comme beaucoup d’autres. Pour qu’elle s’évanouisse ainsi qu’une fumée, il a suffi de quatre phrases prononcées avec l’autorité nécessaire. Il n’en résulte pas qu’elle ait été sans conséquences. En fait, si elle n’a pas provoqué de changements politiques à court terme, tout le climat culturel de la nation s’est trouvé changé, pour ainsi dire, du jour au lendemain. Des parents ont découvert leurs enfants, la gauche a découvert une autre gauche à sa gauche, le règne - le monopole - de la terreur a été consolidé ou instauré dans les facultés, dans les théâtres, les maisons de la culture, dans l’information, jusque dans les salons de la bourgeoisie opportuniste. Il est surprenant que de telles conséquences soient issues d’une sorte de fête des Fous, d’une bacchanale politico-philosophico-sexuelle, que personne n’a prise au sérieux, même pas ses acteurs, qui n’a pas fait de morts, et qui, plutôt que la révolution, en était la dérision involontaire, la parodie. Pourquoi ? Parce que toute la société devant elle était vermoulue, privée de confiance en elle-même - à bout de souffle. Dans une nation épuisée mais parvenue à un certain bien-être, les poussées révolutionnaires elles-mêmes manquent de force. La résistance était molle, mais la poussée était faible. Une société en déclin marque de sa propre faiblesse les énergies révolutionnaires qui se lèvent en elle pour la contester. Les jeunes gens de 1968 étaient des enfants de vieux."


 - Et, vieux, ils sont toujours des enfants de vieux… comme une espèce de malédiction originelle, dont ils ne sont pas responsables, mais qu’ils perpétuent avec un zèle regrettable.

vendredi 18 octobre 2019

"Une quasi-chose qui tient de tout et de rien..."

Encore un peu de Chateaubriand…

"Ce que l'on possède aujourd'hui est un je ne sais quoi qui n'est ni république, ni monarchie, ni légitimité, ni illégitimité ; une quasi-chose qui tient de tout et de rien, qui ne vit pas, qui ne meurt pas ; une usurpation sans usurpateur, une journée sans veille et sans lendemain."

"Cependant, Messieurs, on n'ignore plus l'utilité des forêts. (...) Partout où les arbres ont disparu, l'homme a été puni de son imprévoyance. Je puis vous dire mieux qu'un autre, Messieurs, ce que produit la présence ou l'absence de forêts, puisque j'ai vu les solitudes du Nouveau Monde où la nature semble naître, et les déserts de la vieille Arabie où la création paraît expirer."

l'Angleterre : "Qu'avons-nous donc à espérer d'elle ? Quelle niaiserie de nous croire ses alliés, parce qu'elle a comme nous deux Chambres qui ne ressemblent guère aux nôtres ! Le peuple anglais possède de grandes qualités ; son gouvernement a de l'expérience et de la fermeté ; mais en politique il est tout positif. S'imaginer qu'il va devenir le Don Quichotte des libertés du monde, c'est étrangement le méconnaître : le cabinet de Saint-James s'est-il jamais piqué d'un dévouement sentimental pour les institutions d'un peuple ? Il a toujours fait bon marché du salut des rois et des nations, prêt à sacrifier monarchie ou république à ses intérêts."

"Il n'en est pas d'une nation comme d'un homme : la modération dans la fortune et l'amour du repos qui peuvent convenir à un citoyen ne mèneront pas bien loin un Etat. Sans doute il ne faut jamais faire une guerre impie ; il ne faut jamais acheter la gloire au prix d'une injustice : mais ne pas savoir profiter de sa position pour honorer, agrandir, fortifier sa patrie, c'est plutôt dans un roi un défaut de génie qu'un sentiment de vertu."



"Vous parlez de l'abaissement de la France, et vous êtes à genoux : cela vous va mal."

jeudi 17 octobre 2019

"Un acte de matérialisme hideux."

Je rouvre un vieux dossier Chateaubriand, j’y trouve quelques perles, que je vous laisse harmoniser avec l’actualité et ses personnages…

"Toutes les constitutions ne sont pas applicables aux mêmes peuples ; toutes les formes de gouvernement sont bonnes, hors celles qui enlèveraient à l'homme sa dignité. Nos révolutionnaires, qui manquent surtout d'élévation d'âme, ont placé l'indépendance dans les mots ; ils n'ont pas vu qu'elle peut exister dans certaines institutions qui impriment à certains peuples un caractère spécial de liberté."

"A Dieu ne plaise, que je me fasse l'apôtre de cette propagande qui prétend coûte que coûte, sang et pleurs, anarchie et ruines, rétablir des institutions pareilles en tous pays, comme si la civilisation atteignait partout le même niveau. Il me semble voir des costumiers qui, n'ayant qu'une forme et qu'une mesure, jettent le même habit tantôt sur le dos d'un nain, tantôt sur le dos d'un géant. Manteau court pour l'un, robe traînante pour l’autre."

sur Napoléon : "Il méprise souverainement les hommes, parce qu'il les juge d'après lui."

De Renan (je trouve ça dans le même dossier) : "Le jour où la France coupa la tête de Louis XVI, elle commit un suicide" - un "acte de matérialisme hideux".

Retour à Chateaubriand : "Les Français ont toujours été libres au pied du trône : nous avions placé dans nos opinions, l'indépendance que d'autres peuples ont mise dans leurs lois."

"L'étendue naturelle d'un empire n'est point fixée par des bornes géographiques, quoi qu'on en puisse dire, mais par la conformité des mœurs et des langages : la France finit là où on ne parle plus français." - celle-là, adaptée à nos quartiers, fait mal…

Et pour finir : 


"Notre vieille monarchie était fondée sur l'honneur : si l'honneur est une fiction, du moins cette fiction est-elle naturelle à la France, et elle a produit d'immortelles réalités."

dimanche 13 octobre 2019

(Pas trouvé de titre...)




Les habitués qui me suivent depuis des lustres - il y en a, et je les remercie ! - savent que si j’ai pu évoluer sur certains points j’ai toujours défendu l’idée qu’il n’y avait pas de rupture de principe entre modernité et post-modernité. Je me réjouis donc chaque fois que je rencontre une confirmation de cette hypothèse, que ce soit un élément de preuve ou un simple accord sur ce point d’un auteur que j’estime. 

J’ai ainsi été ravi de lire ce paragraphe de Jean Clair (qui vient à la fin d’une séquence fort réussie, dont j’espère vous transmettre la substantifique moelle ultérieurement) : 

"Cette provinciale de passage, avec l’accent de son terroir, qui pénètre pour la première fois dans les jardins du Palais-Royal et, découvrant les colonnes de Daniel Buren, de hauteurs différentes, comme les poteaux en béton d’un édifice en cours, s’exclame : « Mais, y a tout un chantier ici… » Elle dit mieux que toutes les exégèses le projet inachevé de la modernité - et déjà sa ruine, prétentieuse, laide et dérisoire. La modernité comme construction de la ruine."


Très bonne définition ! - On peut ajouter alors - j’ai peut-être déjà écrit cela - que le moderne est celui participe de façon plus ou moins volontaire et/ou amère à la construction de cette ruine, quand le post-moderne s’enchante (et il a raison, il serait incapable de faire autre chose) de construire de la ruine.  (Comme on dirait : de la merde - et l’on connaît l’attirance du post-moderne pour l’organique et l’excrémentiel.) Différence d'état d'esprit, pas de principe. 

vendredi 11 octobre 2019

De Jésus-Christ à Han Solo...

En pleine lecture du Nouveau Testament (saint Jean, plus précisément), je songe ces jours-ci à ma thèse (ici : http://cafeducommerce.blogspot.com/2018/02/montrer-le-fond-de-la-mer-le-montrer-et.html) selon laquelle le cinéma, brisant le cours décadent (le mot est d’autant plus justifié que cette idée m’était venue entre autres à la lecture de considérations de Jean Clair sur A rebours) de l’art moderne, avait su, pendant quelques décennies, redonner à l’homme, à la figure humaine, sa dignité - avant que la vidéo, le transhumanisme, le catharisme LGBT, l’indifférence maçonnique à toute dignité supra-humaine de l’homme, etc., ne viennent permettre à l’ « art » moderne de reprendre son cours de destruction… 

(Une illustration facile ou symbolique serait fournie par les deux derniers épisodes à ce jour de Star wars : de la rencontre bazinienne et émouvante des visages et corps vieillis de Harrison Ford et Carrie Fisher, à l’épouvantable nécrophilie expérimentale autour de l’image filmée de Peter Cushing…)

Je pourrais aujourd’hui reformuler ceci en écrivant que le cinéma a été, comme ce fut auparavant le cas pour la peinture, avant qu'elle ne renonce à cette mission, un art de l’incarnation. Si je continue dans un sens biblique et repense aux passages où le Christ se dit "la lumière", il n’en faudrait pas beaucoup pour que je glose sur le nom des inventeurs du cinéma, voire sur leur nationalité - les Lumière étaient français, pas anglais ou allemands… J’en resterais à la définition du cinéma selon André Bazin : "Le cinéma est le voile de Véronique posé sur le visage de la souffrance humaine" et enchaîne maintenant, une fois cet état d’esprit exposé, sur la citation du jour, Jean Clair encore : 

"Il n’y a que deux attitudes face à l’énigme du visage, ou bien trancher la tête, comme les Révolutionnaires ou les adorateurs d’Allah, à défaut de pouvoir supporter l’embarras de la face, ou bien, d’un mouvement contraire, l’imprimer, en conserver l’image, et tenter de comprendre, aussi longtemps qu’on peut, ce qui se cache en elle, et en chérir l’énigme. 

Il y a l’Islam, mais avant lui il y a eu les héroïnes de la Bible, pour pratiquer la décollation des hommes. 

Dans le Nouveau Testament apparaît une sensibilité différente : la naissance de la tendresse pour autrui, et par conséquent un amour pour son visage, que manifeste le christianisme et qu’incarne Véronique. Au lieu de l’épée, elle usera de son linge pour essuyer un visage, comme déjà détaché, décollé de son corps, celui du futur Crucifié dont elle entreprend de garder l’empreinte. 


Il y a des tableaux, au XVe siècle, où Judith et Salomé saisissent par les cheveux les têtes tranchées du saint ou du tyran pour les exhiber à la hauteur de leur ventre, et pour les tendre à bout de bras, comme un trophée. Dans d’autres peintures, d’une confondante réversibilité, c’est aussi à la ceinture, et avec le même geste, que Véronique tient et déplie le voile contenant imprimée la tête ensanglantée du Christ, pareille à celle d’un décapité, mais c’est pour en conserver cette fois, pieusement, le modèle. 

« Véronique », latinisation de Berenikê, ou Beronikê, c’est « Bérénice » : celle qui « porte la victoire ». Véronique est la première femme à triompher de la mort, et de ce triomphe, c’est dans sa main qu’elle retient l’image, une simple image imprimée, qui survit."


"Une simple image imprimée, qui survit, vingt-quatre fois par seconde…" - J’ajouterai à ce texte certes un peu rapide et général mais touchant qu’on y trouve implicitement l’intuition d’un certain rapport aux femmes dans le christianisme : alors que dans un premier temps (vétéro-testamentaire si l’on veut) elles peuvent pratiquer une violence comparable à celle des hommes, elles consacrent ensuite leur propre féminité en apportant une autre approche (néo-testamentaire si l’on veut) - mais à partir de et en reproduisant d’une certaine manière leur premier comportement, tout en en changeant complètement le sens. (Et cela me semble caractéristique des rapports entre Nouveau et Ancien Testaments - ou comment ne pas être marcioniste…)

jeudi 10 octobre 2019

Anti-américanisme lucide.

Jean Clair cite cette phrase de Duchamp : "Ce que les Américains ont de mieux, c’est leur plomberie." Mine de rien, cette phrase définit aussi bien un rapport au corps - cela m’a rappelé un texte de Gombrowicz sur les salles de bain et toilettes nouvelles des années 20, avec évacuation tellement rapide des excréments que ceux-ci en deviennent presque fictifs - qu’une éthique et une esthétique. Il faut que ça coule, en somme. Les flux avant tout. Hollywood et Netflix participent de la même vision du monde - la pratique du bombardement massif comme premier principe de la guerre en serait un autre exemple : d’abord, on fait place nette. (Ce qui permet de sentir pourquoi le pays le plus meurtrier de l’histoire est aussi le plus moralisateur : qu'importe le nombre de cadavres tant qu'on nettoie bien les traces du massacre !) Une variation sur le thème de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme



On peut le formuler autrement : dans l’univers anglo-saxon, il n’y a rien de rabelaisien. Ce qui n'empêche pas, sur le versant américain, une forme perverse de scatologie, mais chacun, sinon sa merde, du moins ses contradictions...

lundi 7 octobre 2019

"On ne répondit pas."

Poursuivant, à mon train de sénateur, la lecture du livre de Jean Clair, La part de l’ange. Journal 2012-2015 (J. Clair qui je le précise n’est pas particulièrement anti-musulman), c’est aujourd’hui que je tombe sur ces lignes : 

"Les églises… On est resté embarrassé, sans voix quand, d’un ton patelin, le recteur de la Mosquée de Paris a proposé qu’on transformât les églises désaffectées en mosquées pour accueillir les foules de croyants qui prient dans les rues. Que répondre ? On ne répondit pas. Empêtré dans les contradictions de la laïcité, ignorant de l’histoire culturelle et architecturale d’un édifice autour duquel l’Occident avait fondé sa culture, on resta coi. 

C’était oublier qu’un auparavant, au mois près, les Islamistes au pouvoir en Turquie demandaient que la basilique impériale, transformée en musée par Kemal, l’église de la Sainte-Sophie, redevienne une mosquée. Le président Erdogan, le 30 mai 2014, était venu prier à Sainte-Sophie, le jour anniversaire de la chute de Constantinople. Un autre anniversaire était, ce jour-là, celui du génocide arménien, un siècle plus tôt, en 1919. Les dates avaient été choisies et la proposition du recteur n’était pas venue au hasard du seul fait sa générosité. La France ne disait mot, soulagée d’en finir avec la foi de ses grands-parents : pourquoi en effet ne pas donner nos églises aux musulmans qui sont à la rue, comme nos lycées déserts au migrants qui campent chez nous ? 


Il y a au Louvre une salle des antiquités islamiques, à grand faste inaugurée, mais qui, dans ses pauvres collections, ne présente pas grand cas. 

La salle byzantine a récemment été fermée, où des objets somptueux, délicats, bouleversants à nos sens, illustraient une histoire qui a été la nôtre, ses mythes, ses légendes - et pourquoi pas sa foi ? -, pour témoigner, dans leur forme et dans leur iconographie, que l’Orient avait été, jusqu’à Constantinople, le berceau spirituel de l’Europe…



Amie fidèle de l’Arabie saoudite, du Qatar et des Émirs, la France semble avoir toujours préféré la collaboration à la résistance, et le lâche soulagement de la poignée de main de Montoire à la levée en masse qui aurait permis de redonner à ceux qui la peuplent un peu de sens et d’orgueil. On sauve chaque fois son corps, un peu honteux, mais on a perdu l’âme. Au nom de la laïcité, on a en France déchristianisé plus vite et plus radicalement qu’en tout autre pays d’Europe. On a aussi, ce faisant, pavé la voie à l’ignorance et la brutalité qui montent. Laissons donc les vieilles églises et les anciens lycées aux nouveaux arrivants. De déni en déni, de lâcheté en lâcheté, quand tout aura été, de proche en proche et sans murmurer, la proie d’une désécration, « une pénurie de sacré » disait déjà Péguy, nous serons prêts pour l’abattoir."

Now’s the time, comme disait Charlie Parker…

mercredi 2 octobre 2019

"Vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres."

Jean, 8, 31. Difficile d’affirmer plus clairement que la liberté n’est ni un point de départ ni même une fin en soi, mais une heureuse conséquence d’un certain rapport à la vérité. 

Rapport à la vérité évoqué, dans la perspective inverse, quelques versets plus loin : 

"Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? Parce que vous n’êtes pas capables d’écouter ma parole. Votre père, c’est le diable, et vous avez la volonté de réaliser les désirs de votre père. Dès le commencement il s’est attaché à faire mourir l’homme ; il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Lorsqu’il profère le mensonge, il est dans son propre bien parce qu’il est menteur et père du mensonge. Quant à moi, c’est parce que je dis la vérité que vous ne me croyez pas." (43-44)


L’évangile de saint Jean pour s’en prendre à MM. Macron, Ferrand ou Buzyn, cela peut sembler superfétatoire, par trop solennel, voire grotesque, mais c’est justement cela l’erreur : croire que les gens qui passent leur vie dans le mensonge, la manipulation, les coups fourrés, etc., ne sont pas, d’une certaine façon, diaboliques. - Est-ce qui cela signifie nécessairement qu’il faille les brûler vifs ? C'est une question différente. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont minables qu’ils ne sont pas dangereux… 

On a les diables que l’on mérite, en somme !