vendredi 25 novembre 2011

On ne meurt que deux fois. (Le sexe..., III ter.)

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, I.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, II.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III bis.


"C'est pour trois fois rien qu'on payait la richesse de ces femmes. Clopinettes pour un miracle ! Elles se donnaient à l'acte de se vendre ! Quels éclats de corps glorieux ! Quelles personnes parfaites ! Elles semblaient revêtir leur chair glorieuse et sainte ! Comme des pharaones dans leur propre pyramide, les Putes vivaient dans le tombeau de leur sexe. C'est ça peut-être qui leur donnait cette dignité. Même la star du porno se justifie en disant qu'elle fait ça parce qu'elle aime ça. La Pute dit qu'elle fait ça pour le fric. (…)

La vraie noblesse, c'est l'honnêteté. Entre l'ouvrier qui a économisé sur ses heures supplémentaires, le producteur de cinéma qui claque tout ce qu'il veut et l'adolescent qui a cassé sa tirelire, la Pute ne fait pas de différence. C'était le seul exemple où le fric, paradoxalement, libère les êtres de leur lien social. L'argent servait à retrouver une gratuité perdue. En vérité, ce que gagnaient les Putes n'était qu'un pourboire divin, encaissé pudiquement par elles, pour justifier leur travail religieux sur les autres (apostolique, évangélique, sacerdotal selon les cas). Ces magiciennes avaient l'art de remettre l'être dans son âme. En faisant sauter d'emblée l'articulation désir/fric, elles proposaient un montage de l'amour. Elles compressaient le temps entre la première rencontre et la première baise. Les Putes sont des métaphysiciennes en action, car elles ne travaillent que sur le présent éternel, comme au théâtre." (Alain Zannini, p. 503)

"Je suis un lève-tôt. Depuis le temps, j'en ai vu décarrer des régiments de bonnes femmes comme ça... aux aurores courant vers les métros, la mine barbouillée, on dirait - des fois - des vieilles bougies trempées dans des cafés crème. C'est pas beau, des travailleuses !

- Il ne peut pas y avoir que des putes.

- Et pourquoi pas ? Des travailleurs et des putes, au moins comme ça on saurait pourquoi on travaille.

- Ouais... Vous êtes un idéaliste, Monsieur Léonce."

(M. Audiard)


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Le meilleur moment dans l'amour, c'est quand on monte l'escalier…


"De ma traversée chaste de la prostitution, il me restait une drôle d'impression. J'avais tout compris de ces femmes qui me ressemblaient si fort, mais pas pourquoi elles me ressemblaient si fort. Je me dirigeai vers la sortie en les évitant. Face au grand miroir du couloir de l'entrée, je me regardai, et en voulant saisir bêtement mon reflet, je saisis ce qui faisait que c'était bien le mien. Nous avions, les Putes et moi, échangé beaucoup d'amour, mais cet amour était d'autant plus pathétique qu'il débouchait sur quelque chose que les hommes et les femmes de l'Extérieur fuyaient, faute de pouvoir l'affronter violemment comme nous : l'impossibilité d'être avec un autre ! La Pute ne vend ni son âme ni son corps, elle vend son rapport à l'Autre. Pour ce sacrifice religieux, je ne les en aimais et plaignais que davantage, surtout me regardant dans la glace du Paradis [le bar où Nabe passe de nombreuses soirées à dialoguer avec les « Putes », sans coucher avec elles]. Chaque fois que je faisais la pute moi-même, j'exhibais ma terrible solitude. J'étais devenu une allégorie du non-contact absolu : c'est ce qui donnait tant de prostitution à mon comportement. Et c'est de ça désormais qu'il fallait faire quelque chose !… Quelle divine connerie ! De l'enfer paradisiaque au paradis infernal ! De la recherche d'amour à la découverte de l'impossible. Le constat, il était là : aucun être humain n'est pénétrable. Cette tragédie touche si naturellement les artistes et les putains que seuls eux deux peuvent faire semblant de s'entendre en s'écoutant. La panacée de l'altérité est dans l'expression artistique ou prostitutionnelle, et c'est une misère… Alors, imaginez ce que ne vivent pas les autres ! Je ne voyais pas d'autre explication à mon acharnement à avoir voulu montrer ce que chacun cachait (en écrivant et en publiant mon Journal intime, comme en « transgressant » les attitudes « normales » de l'existence). Puisque , au fond, personne ne se laissait pénétrer, nous, les Putes, nous accéderions à ce plaisir métaphysique ! J'avais mis ma peau à l'envers. Qui d'autre qu'une pute aurait pu me ressembler dans cet auto-écorchage à vif permanent? Certains critiques en étaient arrivés à accuser mes organes ! Délit de sale pancréas ! Jamais ça n'était arrivé dans l'histoire de la Littérature : attaquer un écrivain pour ce qu'il a dans son corps !… Mes soeurs solitaires aussi étaient humiliées au nom de leurs organes. Je le comprenais alors : ce n'était pas le désir que provoquait la Pute, c'est la Solitude. Comme elle, j'étais une Solipute." (Alain Zannini, pp. 521-22)


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mercredi 16 novembre 2011

Le retour en fanfare du trou du cul. Un Bonnet sur les yeux, ou Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Je vous la fais brève aujourd'hui, ce sont des choses que j'ai déjà écrites. Mais c'est un tel cas d'école que, outre le plaisir bien naturel de dire du mal de l'intéressé, il serait dommage de ne pas s'attarder dessus quelques minutes.

Donc, Olivier « Moi j'encule les fachos » Bonnet découvre la loi Rothschild, et nous fait tout un laïus dessus. C'est bien sûr du pur Soral, en plus grossier d'ailleurs, car à le lire on a l'impression que sans cette loi tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes français, ce dont je me permets de douter. Quoi qu'il en soit, ce qui est amusant, c'est que notre gauchiste « sabre au clair » (sérieusement, un de ses copains ne peut pas lui dire à quel point il a l'air con avec cette appellation ?), notre Albert Londres de la revue de presse (ou, si l'on préfère, notre Ivan Levaï de la blogosphère de gauche), reprend, via des déclarations de J.-L. Mélenchon, un argumentaire dont je veux bien que l'origine, si tant est qu'on la trouve, ne soit pas nécessairement à chercher du côté d'Alain Soral, mais qui a été pour la première fois, ces derniers temps, porté sur la place publique par Marine Le Pen, sous l'évidente inspiration de Poutine-Chavez-Khadafi (aïe !) -Ahmadinejad-Soral.

Ce que concède en partie notre serial compilateur des idées des autres, mais c'est pour aussitôt dégainer sa petite bite antifaf : "Et personne ne dénonce jamais ce scandale absolu ! A part Mélenchon et l’extrême droite – qui ne le fait que par opportunisme, étant entendu qu’elle a toujours été au service zélé du capitalisme libéral et ne remettra donc jamais en cause son empire…"

Antipathie personnelle mise à part, et je veux bien avouer que si celui qui se vante d'avoir été formé à L'événement du jeudi, c'est dire s'il s'y connaît en matière de morale, et se félicite d'avoir été classé parmi les meilleurs blogs par un torche-cul comme Challenges, c'est dire s'il a la fierté bien placée, je veux bien avouer que s'il me semble aussi pathétique, c'est parce que je reconnais en lui un peu de ce que j'ai pu être, antipathie personnelle mise à part, donc, il ne s'agit pas de donner à ce compagnon de route de toutes les défaites plus d'importance qu'il n'en a.

Il est néanmoins frappant de saisir ainsi sur le fait l'expression d'une idée qui mérite d'être discutée - le rôle de la loi Rothschild - et, dans la minute qui suit, la volonté de fermer la porte à ceux qui pourraient contribuer à discuter cette idée, à lui donner plus d'écho. Plus idiot utile tu meurs !

Soyons clair, tiens, profitons-en. Que l'extrême-droite, ou ce que l'on a coutume d'appeler comme ça, ait pu être au service du capitalisme libéral - dans le temps, on disait : du grand capital, et c'était peut-être plus juste, mais passons -, oui, d'accord, mais Lénine, mais Trotski, ils ont trouvé de quoi financer leurs activités dans une pochette surprise ? Par la simple générosité du peuple russe ? - A. Soral évoque ça ces derniers temps, il n'est pas le premier, les lecteurs du journal Spirou dans les années 80 pouvaient lire des choses analogues


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, c'est justement le noeud du problème en monde capitaliste-libéral : où trouver l'argent ? Par qui se le faire donner sans se lier les mains ? Ceci dans l'optique où l'on veut avoir un minimum d'efficacité, bien sûr. Si c'est pour distribuer quelques tracts au soleil provençal avant d'aller râler sur son sort autour d'un pastis tout en se prenant pour Tintin (créé par un facho!), les ressources restent assez faciles à dénicher. - Or, et c'est là que le Bonnet blesse, c'est précisément en continuant à faire un clivage strict entre les mécontents de gauche et les mécontents de droite que l'on sépare des gens qui pourraient avoir quelques points d'entente, que l'on entretient une logique de petits groupes aussi inutiles que facilement manipulables. Et certes, l'histoire du fascisme italien illustre bien le fait que l'on peut au départ être à l'écart des clivages du monde politique traditionnel pour finir (à partir de quel moment, je ne saurais le dire, je ne suis pas assez connaisseur du sujet) par être fortement dépendant du grand capital.

De toutes façons, j'écris tout ça pour que cela soit fait une fois, mais sans enthousiasme ni grand espoir. Je partage l'opinion d'un ami : Marine Le Pen ne peut rien faire en elle-même (et j'ajouterai : son parti, ou ce qu'il en reste, encore moins), mais c'est peut-être par elle qu'il peut se passer quelque chose. Qui a de bonnes chances, tous les Bonnet de la terre aidant, de ressembler à un nouveau 21 avril (date fétiche pour moi, c'est un 21 avril que j'en ai fini avec l'esclavage salarié... Pardon !).

Vous aurez compris que cela n'a rien d'une « consigne de vote » - quelle expression, d'ailleurs, quel respect de l'autonomie de ses électeurs... - ou d'une annonce de mon vote personnel, en admettant que je me résolve à voter. Un diagnostic tout au plus.

(D'ailleurs, puisqu'on en parle, je verrais plus des possibilités, sinon de changement au moins d'amusement, dans une grande grève des impôts, sur le mode : personne ne paie plus rien à l'État tant que notre argent part chez les banquiers... Chiche ?)


J'ai donc fini quelques mois à l'avance, merci Bonnet, mon petit discours sur la prochaine élection, et repars m'occuper de choses plus intéressantes, en tout cas pour moi, j'espère revenir bientôt vous les soumettre. Portez-vous bien !



P.S. : à l'heure où je mets sous presse, j'hésite à communiquer cet article à notre intrépide grand reporter des cafés provençaux, ainsi que je l'avais fait la dernière fois que je l'avais pris à parti. D'un côté je ne voudrais pas donner l'impression de lui dissimuler mes injures à son endroit, d'un autre je sais par expérience que l'on ne peut pas discuter avec lui - même si, d'une certaine façon, je viens d'essayer de le faire à l'instant -, et que ça n'en vaut donc pas la peine. Je verrai.

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vendredi 11 novembre 2011

Chacun fait ce qu'il lui plaît. - Mon Dieu j'peux même pas jouir...

"Ni par le péché, ni par la misère il n'est diminué, ce libre arbitre ; il n'est pas plus grand chez le juste que chez le pécheur ni plus plein chez l'ange que dans l'homme." (Bernard de Clairvaux, De gratia e libero arbitrio)




Pourquoi, malgré les « indignés » et autres « 99% », aussi peu de révolte, finalement ? Pourquoi, alors que la situation est tout de même limpide - cf. Todd, Lordon, Jorion, etc. -, aussi peu d'action ? A chaque plan de « rigueur » on se fait un peu plus enculer, et alors que ça fait un peu plus mal à chaque fois, on se défend à peine, quelques cris tout au plus… Après tout, ce n'est pas parce que l'occidental a bouffé comme un porc pendant des années qu'il doit accepter qu'on l'en punisse en l'empêchant de chier.

Il y a à cela plusieurs raisons, pas toutes mauvaises, certaines circonstancielles : en France, la tenue assez proche de l'Élection parmi les élections, celle dont on continue à espérer qu'elle puisse changer quelque chose en mieux pour le pays - alors que depuis longtemps elle ne fait que provoquer le pire. Il y a une conscience du caractère illusoire de la violence : tout le monde sait bien que pendre Nicolas Sarkozy à un étal de boucher ne ferait pas beaucoup avancer le schmilblick. Ce qui est à la fois lucide et proche de la résignation. De même que le refus de l'action violente oscille entre sagesse, intelligence tactique (ne pas donner d'armes au pouvoir) et pusillanimité. Il y a la relative habileté dudit pouvoir : on ne va pas manifester pour payer ses clopes et son resto moins cher. Il y a, je-sais-que-je-me-répète-mais-c'est-parce-que-j'ai-raison, un sourd désir que les choses se règlent d'elles-mêmes.

Et puis, à la jonction de certaines de ces motivations, il y a, c'est ça qui m'amuse ce matin, un reste de décence chez nos citoyens-consommateurs. On aurait au moins autant de raisons aujourd'hui qu'il y a quarante ans de crier "Pompidou / Sarkozy, des sous !", mais on répugne à le faire. « Nous » savons bien que notre mode de vie ne vaut guère la peine d'être défendu. Une accro à la mode, et il y en a, deviendra peut-être hystérique si le monde évolue de telle manière qu'elle ne puisse plus satisfaire ses « besoins », on a quelque peine à imaginer une manifestation de ces consommatrices en manque pour le rétablissement de leurs droits. - Ce n'est pas tout à fait impossible, mais on voit bien que le passage de la frustration personnelle à l'action collective, tout de même chargée d'histoire, n'est pas évident. "Pompidou, des sous !", c'était un peu la vérité des « Trente glorieuses », l'aveu de ce qu'on voulait vraiment. On le veut toujours, en tout cas on s'y accroche, mais on a du mal à le dire tout haut. C'est heureux, certes, mais c'est aussi, entre autres, ce qui permet à nos élites bien-aimées de continuer à augmenter la taille du godemichet - i.e. leur patient travail de vol des ressources de la population. C'est en partie parce que nous avons une certaine décence que l'on se fait de plus en plus enculer par les enculistes. Peut-être vous souvenez-vous de ce texte au début de la Recherche, où Proust explique que dans une conversation entre un imbécile et un homme intelligent celui-ci a souvent le dessous, parce qu'il ne peut prendre le temps de démonter tous les contre-sens et toutes les stupidités proférés par l'imbécile. Il y a de cela ici : le reste d'humanité que l'on peut trouver chez l'Homo Occidentalus le dessert pour l'instant plus qu'autre chose.

- Ce qui d'ailleurs explique à la fois pourquoi ceux qui manifestent le font en parlant d'un « autre monde » (tube de l'éternel groupe Téléphone, devenu Portable, puis Smartphone…), donc en dépassant - au moins en paroles - ce côté « je défends ce qui reste de mon bas de laine », et pourquoi ils sont, pour l'instant, aussi peu nombreux : on les soupçonne volontiers de ne pas être aussi désintéressés qu'ils le prétendent et éventuellement le croient. Cercle vicieux de l'absence de confiance, en soi et en les autres. Si je vais défiler, moi, c'est au moins autant pour défendre mon bout de canapé que parce que je crois qu'un autre monde est possible, donc il doit en être de même pour ceux qui défilent, donc c'est un peu la honte de les rejoindre, etc.

Ces remarques et intuitions, que je soumets à votre jugement, n'amènent à aucune conclusion. C'est la réalité qui s'en chargera, comme toujours !






P.S. La fin de mon texte consacré à Alain Zannini et L'enculé me laisse un peu sur ma faim concernant le travail romanesque de MEN dans son dernier livre. J'essaierai d'y revenir, mais mon attention a été attirée par les remarques de Laurent James sur le même sujet, publiées le lendemain de ma note. Je n'ai pas le temps de développer ça aujourd'hui, mais il me semble qu'une fois encore L.J. aborde, sous un autre angle, les mêmes problèmes que votre serviteur. (Ma rapide allusion au concept « post-moderne » était d'ailleurs dans mon esprit une allusion directe à la précédente intervention de Laurent James.) Les distinctions des différentes sortes de chaos ne sont pas éloignées je crois, sous un angle plus général, de mes réflexions sur l'identité du personnage Nabe dans Alain Zannini. Et les dernières phrases :

"Le monde post-moderne repose intégralement sur la crise, c’est son moteur premier. Ce qu’il faut, c’est réinventer une manière d’être seul, retrouver une solitude qui soit à l’opposé de la solitude de l’homme corporellement mêlé à la foule. Etre seul sans soi avec Dieu, et non pas seul avec les autres sans Dieu. La nécessité révolutionnaire, pour moi aujourd’hui, consiste à fuir tout espoir démobilisateur pour, au contraire, retrouver le sens du désespoir mobilisateur.",

si elles méritent réflexion, se trouvent à l'exacte jonction des préoccupations nabiennes, telles qu'il m'a semblé pouvoir les décrire, et du phénomène collectif que j'ai cherché aujourd'hui à expliquer.

Après, il n'y a plus qu'à : qu'est-ce que l'apocalypse, qu'est-ce que la solitude, que vient et que peut faire ma bite là-dedans... Il y a encore de quoi s'amuser !

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dimanche 6 novembre 2011

Des bites de MEN, DSK et AMG par temps de crise(s). (Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III bis.)

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Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, I.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, II.

Le sexe, c'est le sexe et autre chose que le sexe, III.




"Sa musique est au présent pour toujours…"

"Et Laura, novice à Lisieux, fit cette nuit-là quelque chose que je n'avais jamais vu aucune femme faire : elle se caressa le clitoris en s'humectant le doigt avec des larmes prises directement dans ses yeux. En quelques secondes elle râla, presque douloureusement devant moi qui la regardait comme une sainte, sans la toucher.

Son cri fut solennel. Tout le carmel en trembla, même s'il devait depuis un siècle en avoir entendu d'autres ! Les cloîtres sont des châteaux de branlette. Un spectre hante chaque corps de soeur. Une des milliards de preuves que Dieu existe est que des femmes peuvent tourner toute leur vie autour de son absence jusqu'à ce que sa présence leur soit jouissive. Dans une désintégration sublime de l'avenir et du passé, elles vivent au présent éternel." (Alain Zannini, Éditions du Rocher, 2002, p. 396)

"Les Putes sont des métaphysiciennes en action, car elles ne travaillent que sur le présent éternel, comme au théâtre." (Ibid., p. 503)



La question n'est pas : comment vivre sans détruire ? La question est : comment vivre sans faire autre chose que détruire ? Le roman Alain Zannini est une tentative de réponse en acte à cette question. D'abord un constat de tout ce que Nabe a pu détruire autour de lui et en lui durant les années 90, puis une promesse d'un « Nabe nouveau », un peu comme le Beaujolais, sauf qu'il s'agit aussi d'Alain Zannini, le « vrai nom » de Nabe (le vrai nom est-il le nom de naissance ou le nom que l'auteur s'est donné, par lequel il a été connu, par lequel il est devenu un personnage littéraire de sa propre oeuvre ?). Promesse sur laquelle s'achève le roman, promesse pas nécessairement convaincante - mais il est vrai qu'en le lisant en 2011 on se dit plus qu'il a fallu encore quelques années à l'auteur, et la rédaction d'un autre épais roman, presque une décennie plus tard, L'homme qui arrêta d'écrire, pour parvenir, au moins dans son oeuvre publiée, à une forme d'apaisement qui rappelle, donc, ce que le narrateur d'Alain Zannini nous annonçait dans les derniers chapitres.

« Tragédie » est peut-être, j'y reviendrai en conclusion, un mot trop fort, « problème » est à coup sûr trop faible : disons que la contradiction dans laquelle se débat Nabe (l'appeler ainsi, sans son prénom, c'est considérer l'individu-auteur-narrateur-personnage littéraire tout ensemble ; si j'utilise nom et prénom, il s'agira plus de l'auteur), c'est qu'il construit (en tout cas, donne vie) et détruit avec les mêmes outils, à savoir sa bite et son stylo. Deux des thématiques principales qui traversent Alain Zannini sont les aventures extra-conjugales de Nabe, les moments de jouissance comme les scènes affreuses ou pénibles, et les conséquences de la publication du Journal dans les années 90 - ou comment les personnages de la vie réelle supportent - c'est-à-dire, pour la grande majorité d'entre eux, ne supportent pas - d'être devenus des personnages littéraires. Sachant bien - et ne se demandant pas du tout ici qui est le plus à plaindre de l'auteur ou de ses proches - qu'il en est de même pour l'auteur que pour celles et ceux qui gravitent autour de lui : Nabe fait jouir (les femmes, les lecteurs), il fait du mal (aux femmes, à certains de ses lecteurs), il jouit et se fait du mal (aussi bien en se coltinant aux femmes qu'avec ses amis, et en écrivant sur ceux-ci et celles-là). Les 800 pages du roman sont une suite de petites morts, aussi bien les orgasmes de Nabe et de ses maîtresses (certaines scènes, notamment avec Diane Tell, ne manquant pas de susciter des érections intempestives chez le lecteur, ce qui, dans le métro, fut parfois gênant… passons), que dans les relations de Nabe avec les autres, et dans les relations de Nabe avec lui-même.

"J'ai fait ça toute ma vie : m'empêcher de me suicider…" (p. 489) : à coups de petites morts, de jouissances et d'attentats, lutter contre la tentation de la « vraie mort » - par ailleurs bien présente dans le roman. L'orgasme est à la fois célébration de la vie, célébration narcissique de soi-même (oui, tout de même), et moment d'oubli du temps comme de soi. Cela est vrai de tous ceux qui ont des orgasmes, mais tout le monde n'est pas personnage littéraire comme Nabe, et encore moins personnage dont une partie de l'existence pour le lecteur vient justement de ces orgasmes (ce pourquoi d'ailleurs il n'est pas insignifiant que certaines scènes érotiques fassent effectivement bander le lecteur). Ajoutons tout de suite que, contrairement à ce que souhaiteraient les proches de Nabe, il est tout à fait impossible d'imaginer son Journal repeint en rose, c'est-à-dire avec seulement les scènes positives, la baise réussie d'un côté, les conversations souriantes avec Sollers de l'autre… Je n'ai fait que parcourir les tomes du Journal, mais je pense avoir au moins compris que c'était tout ou rien : si on veut la vérité, il faut la prendre en entier.

Alain Zannini raconte précisément le moment - qui prend des années - où « c'est trop » : "« Je », que j'attiferais bien en permanence de guillemets tant je ne peux plus le supporter tel qu'il est, tel que les autres croient qu'il est, ou plutôt tel qu'il a été complice de ce que tous voulaient qu'il soit…" (p. 14) Mais comment retrouver une unité de sa personne sans tomber dans le nombrilisme, comment la retrouver en continuant de baiser et d'écrire, quand la façon dont on a baisé, écrit, et écrit qu'on baisait a fini par donner ce « Je » insupportable pour celui-là même qui l'a construit, décrit, vendu ? La solitude est une étape, elle ne peut suffire : "Ô solitude ! Quelle maîtresse parfaite ! S'il n'y avait pas moi, de temps en temps, pour me rappeler que j'existe, je serais le plus heureux des hommes. Seul sans soi : voilà le paradis." (p. 50) De même, il est nécessaire de rappeler des distinctions importantes : "Si chaque individu admettait que tout lui parle, et que s'en apercevoir c'est vivre mieux pour soi-même et pour les autres, il n'y aurait plus personne pour traiter les attentifs de prétentieux. Tout rattacher non pas à soi mais à sa vie, c'est se donner une chance de trouver cette fameuse unité que tous les êtres recherchent. Tout est à portée de main… Un signe n'est pas là pour flatter l'ego, mais pour l'envoyer se bouger le cul sur la piste de danse de la vérité universelle !" (p. 19) ; nécessaire, mais pas suffisant.

Si solutions il y a, et solutions finalement il y aura, elles doivent être combinées. Écrire la baise différemment, déjà : la première fois que Nabe pénètre une femme dans le récit au présent de Alain Zannini (dont l'action, je le rappelle, se déroule à Patmos dans la deuxième moitié de l'année 2000) est l'occasion de généralités d'un ton différent du récit des prouesses de l'enculeur en série des années 90, telles qu'elles sont relatées au fil des 800 pages ("Je ne me vante pas, c'est la vérité qui se vante pour moi. (p. 50)" : oui et non) :

"C'était vide et abstrait... C'était le contraire du corps, et ce n'était pas l'âme. C'était avant tout ce qu'on peut imaginer. Une ouverture béante, béate, bêtasse. La plaie impansable. La fissure incomblable. L'incolmatable brèche. Le non-lieu du non-dit où l'on n'en finit pas de recommencer à se finir. Gouffre suicidesque." (p. 233)

Expérience primitive et petite mort répétée… L'autre pivot pour sortir du cercle vicieux dans lequel Nabe, lui-même vicieux, s'est retrouvé pris, c'est bien sûr la destruction du Journal, qui clôt le roman. Je me suis longtemps dit, et l'ai peut-être écrit, que cette destruction était fictive, qu'il fallait que Marc-Édouard Nabe la proclame pour retrouver des relations un peu plus « normales » avec les autres. Ce dernier point est évident, et d'ailleurs évoqué par l'auteur de (et dans) L'homme qui arrêta d'écrire, mais je me rends compte, après la lecture d'Alain Zannini, roman de la genèse de la destruction du Journal - création / destruction, toujours -, que le plus important n'est pas que M.-É. Nabe ait détruit son journal ou qu'il ne l'écrive plus, c'est qu'il ne le publie plus. Ce qui ne l'a certes pas empêché, ces dix dernières années, de régler ses comptes avec certains de ses amis ou ex-amis, ni de se mettre en scène, mais le cercle vicieux évoqué au début de ce paragraphe semble, pour l'heure, rompu.

(Parenthèse sous forme d'hypothèse (ou le contraire) : je n'ai pas lu Printemps de feu, qui n'a pas bonne réputation. Il se peut que ce qui pose problème dans ce livre est que la sortie du cercle n'y soit pas faite, que malgré l'intérêt pour la politique (qui n'est pas nouveau chez MEN, mais qui devient la base des livres du début des années 2000 : Alain Zannini est publié juste après Une lueur d'espoir et avant Printemps de feu et J'enfonce le clou) Marc-Édouard Nabe y succombe au péché de rester « Nabe ». Je laisse les connaisseurs de ce livre juger de l'éventuelle fécondité de cette hypothèse.)


Respirons le temps d'une pause, et ajoutons quelques remarques annexes. J'ai évoqué dans mon précédent texte sur MEN les rapports entre jouissances esthétiques, extases religieuses, sadisme et masochisme chez Nabe. Le moins que l'on puisse dire est que Alain Zannini confirme amplement ces intuitions : "Si je sens que je peux bénéficier d'une situation quelle qu'elle soit, j'en saborde le profit." (p. 432) ; "Quelquefois, avec mon zorroïsme, mon jugementisme-dernier et toute ma christiquerie sado-sado, je me demandais comment elle pouvait me supporter…" (p. 637), etc., je pourrais en enchaîner d'autres.

L'idée est que Nabe jouit à la fois contre la destruction, ne serait-ce que celle du temps qui passe, et par la destruction. D'où l'importance du thème du présent éternel, que j'ai illustré par les citations qui ouvrent ce texte, et qui lui aussi est susceptible d'applications dans les domaines érotique, esthétique et littéraire. Miles Davis, bien que mort, est éternellement vivant et présent, les carmélites se noient dans un présent perpétuel de masturbation sacrée, les relations client-Pute (la majuscule vaut pour les prostituées du club que Nabe fréquente dans les années 90 et qu'il vénère), de par l'instantanéité du rapport commercial, sont toujours au présent… Et l'écriture du Journal : fixer le soir ce qui s'est passé durant la journée, le fixer de nouveau quelques années plus tard par la publication (sur l'importance de laquelle Nabe insiste, par exemple p. 218), c'est comme ériger une statue - un « devoir de mémoire » ? - à ce qui a été, une fois, le présent. Par définition, bien sûr, il n'y a pas de présent perpétuel. Mais il peut y avoir, eh oui, des moments de présent perpétuel…


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…recherchés notamment par le héros-narrateur du dernier roman de MEN, L'enculé. Vous n'aurez pas besoin d'une longue démonstration pour constater que les thèmes dont j'ai essayé de dégager l'importance dans Alain Zannini sont toujours présents dix ans plus tard (c'est le présent perpétuel !) :

"Ces jeunes d'aujourd'hui, de France ou d'Amérique, pas un pour relever le niveau de l'autre. Des pépères et des mémères à 20 ans : ils ne pensent qu'à construire leur avenir. Construire leur prison, oui ! Ils ne savent pas vivre. Construire ! Ils n'ont pas compris que vivre c'est détruire au contraire, et détruire l'avenir en particulier. Tout miser sur le présent. Quand j'ai essayé d'enseigner ça à mes enfants et aux copains de mes enfants, ils m'ont traité de soixante-huitard. Pas du tout, j'ai horreur de mai 68. Les gauchistes, merci bien ! En revanche, « jouir sans entraves », ça c'est un programme. Et pas politique, vital !" (pp. 16-17)

Dans l'émission de radio où il présente son livre, MEN approuve la suggestion de David Abiker selon laquelle il se serait identifié à DSK. (Notons au passage, pour s'en féliciter, que le crétin de service Birenbaum a détesté le livre : rien que de très logique.) A l'entendre sans avoir lu L'enculé, on ne mesure pas à quel point DSK y est « nabisé ». Outre des détails comme le dégoût des capotes (p. 102 de L'enculé), nombre de citations de ce roman dont DSK est le narrateur sont du Nabe tout craché :

"J'adore faire ça avec une pute, car c'est le summum de la vérité entre un homme et une femme : tout, tout de suite !" (p. 209) -

"Les pépins, ils n'ont pas tardé à arriver… Il n'y a que les débuts qui méritent d'être vécus, car ils ressemblent à des morts." (idem.)

Sans compter le beau passage que je vous ai servi à part la dernière fois.

En fait, il y a (au moins) deux DSK dans ce roman. Le patron du FMI, salaud notoire, présenté sous un angle ma foi assez proche de ce qu'un Soral pourrait faire. Et le baiseur, plongé dans le présent - et qui d'ailleurs avoue (p. 206) ne pas avoir le sens des dates -, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il fascine MEN : ce n'est pas que celui-ci en fasse un portrait à charge ou à décharge, qu'il l'innocente ou qu'il l'accable, c'est qu'il s'y reconnaît (rappelons d'ailleurs que Nabe est l'auteur d'une tentative de viol dans Alain Zannini) - et, du coup, le tire dans son sens, que ce soit, donc, par rapport à ce qu'est un désir, ou pour dire du mal des socialistes depuis toujours honnis. - En revanche, dans la mesure sans doute où le thème a déjà été exploité par les éditorialistes, MEN n'abuse pas des métaphores christiques au sujet de DSK (on en trouve des exemples plus ou moins explicites pp. 98, 149, 195), alors qu'elles surabondent dans Alain Zannini, où le moindre monticule est vite qualifié de Golgotha…



Comme il ne s'agit pas de faire un compte rendu de L'enculé en tant que tel, mais de continuer à tenter de voir quels sont les thèmes fondamentaux des textes de MEN et comment ils sont structurés les uns par rapport aux autres, je concluerai ces quelques notes sur un dernier rapprochement avec Alain Zannini : ce sont des romans, tout simplement, des romans drôles et tragiques.

"…Voyant qu'elle avait affaire à quelqu'un de sérieux, c'est-à-dire à un rigolo qui prenait tout au tragique…" (Alain Zannini, p. 153) ; "Ce sont les situations les plus tragiques qui sont les plus marrantes." (L'enculé, p. 32) : ce qui est tragique est souvent aussi dérisoire, et suscite donc le rire. Les tourments du solitaire Nabe à Paris dans les années 90 ou à Patmos en 2000, les affres du patron du FMI, tout aussi solitaire, durant toute sa vie de chasseur de culs et à partir du 14 mai 2011, sont de réels tourments mais sont aussi matière à rire, ceci parce que cela et vice-versa. Il y a un côté « anarchiste-sacrificateur » chez les deux narrateurs, une façon presque religieuse de désacraliser le sacré. C'est d'ailleurs, à certains égards et sans tout mélanger, une tendance du monde moderne (ou post-moderne, si l'on veut). - On notera ceci dit que MEN n'a pas vraiment creusé le côté apocalyptique, non de DSK, mais de la symbolique de la chute du patron du FMI en temps de crise mondiale, alors que le thème de l'apocalypse était omniprésent dans Alain Zannini. Une colère biblique, dixit DSK, est bien présente (p. 234), colère biblique due à l'amoralité américaine, c'est-à-dire moderne, mais elle ne me semble pas tourner à l'Apocalypse. - Il se peut d'ailleurs que de ce point de vue l'actualité aille encore plus vite que ce roman pourtant singulièrement près de son sujet.

Quoi qu'il en soit, je n'ai pu m'empêcher de trouver, dans la plus belle formule du livre, une sorte de guide ou de sagesse pour la crise, et/ou l'après-crise :

"A la fin de mon discours, je suis descendu de l'estrade et j'ai foncé sur elle (…), j'ai piqué son numéro et l'ai appelée une heure après. Pourquoi attendre que le désir se fane, pour ces connes de convenances ? C'est si puissamment fragile, un désir. Qu'y a-t-il de plus beau dans la vie ?" (p. 209)


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mercredi 2 novembre 2011

"A cet instant précis de l'histoire du monde..."

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"C'est juste que j'ai eu soudain envie de baiser cette Noire, par défi bien sûr, défi à la société si plan-plan con-con, où tant de choses sont décrétées ne se faisant pas, mais par besoin de bonheur surtout, par petite fête que je m'offrais à moi-même. Voir une femme et quelques secondes plus tard lui mettre son sexe dans le sien ou dans sa bouche est certainement la plus belle chose qui puisse arriver à un homme. Cette magie de l'instantanéité n'a rien à voir avec l'addiction sexuelle, ni avec l'adultère, ni avec l'abus de pouvoir. Moi, j'appelle ça de l'amour. Mais qui me suivra dans ce sens ? Quelques hommes qui savent que c'est par un trop-plein d'amour et de joie de vivre qui monte jusqu'à nous étouffer que nous sommes pris d'un désir brutal (c'est le désir qui est brutal, pas nous) de rendre hommage à la vie, et d'accomplir cette offrande, ce remerciement à l'univers et à la nature en déchargeant sa jouissance d'être vivant dans une femme. Moi, rien que le mot femme me fait bander, alors il faut comprendre qu'en voir une devant moi, qu'elle soit d'accord ou pas, qu'importe ! - elles sont de toute façon inconscientes de ce qu'elles provoquent comme cataclysme en nous - et avoir une chance de lui faire l'amour, c'est-à-dire construire avec elle une adoration de la vie à cet instant précis de l'histoire du monde, ne peut que me rendre fou. Voilà la vérité." (L'enculé, pp. 89-90)


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