"Des individus nés orphelins, vivant fonctionnaires et mourant célibataires, transportables et interchangeables à merci..."
J'écrivais en décembre dernier que l'État était l'ennemi de la nation. En voici deux illustrations pratico-théoriques :
"Le fonds de l'erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste : la première, droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée ; la seconde, source de maux infinis, ne sera jamais assez rejetée. La vie nationale est, de sa nature, l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le lien de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa contribution propre, la culture de toute l'humanité. Dans son essence, par conséquent, la vie nationale est quelque chose de non politique : c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres, au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci. La vie nationale ne devint un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu'elle commença à être exploitée comme moyen pour des fins politiques, à savoir quand l'État dominateur et centralisateur fit de la nationalité la base de sa force d'expansion. On eut alors l'État nationaliste, germe de rivalité et sources de discordes.
…Chez quelques peuples considérés jusqu'à présent comme coloniaux, le processus d'évolution vers l'autonomie politique, que l'Europe aurait dû guider avec prévoyance et attention, s'est rapidement transformé en explosion de nationalismes avides de puissance. Il faut avouer que ces incendies imprévus, au détriment du prestige et des intérêts de l'Europe sont, au moins partiellement, le fruit de son mauvais exemple."
Caution d'infaillibilité s'il en est à mes propres propos, puisque cela vient du pape Pie XII, en 1954. Un an plus tard - il s'agit de messages de Noël -, le même Pie ajoutait :
"Les peuples de l'Occident, spécialement de l'Europe, ne devraient pas, sur l'ensemble des questions dont il s'agit, demeurer passifs dans un regret stérile du passé ou s'adresser des reproches mutuels de colonialisme. Ils devraient au contraire se mettre à l'oeuvre de façon constructive, pour étendre, là où cela n'aurait pas encore été fait, les vraies valeurs de l'Occident, qui ont porté tant de bons fruits dans d'autres continents. Plus ils tendront à cela seulement, plus ils aideront les libertés des peuples jeunes, et plus ils demeureront eux-mêmes préservés des séductions du faux nationalisme. Celui-ci est en réalité leur véritable ennemi, qui les exciterait un jour les uns contre les autres, au profit d'un tiers."
Ici bien sûr Alain Soral sent son gland antisioniste frémir, mais là n'est pas l'essentiel : dans la France contemporaine on est plus nationaliste que patriote, on part en guerre contre la terre entière, y compris la France elle-même… Là où le patriote traditionnel - serait-on tenté d'écrire si le mot patriote n'était connoté Révolution française, mais c'est justement là que le mensonge prend toute son ampleur - ne veut pas de mal aux autres pays, se contentant de penser, plus ou moins consciemment, que le sien vaut au moins aussi bien que les autres, et même souvent mieux. Nous n'avons plus le droit de penser cela, et c'est justement à ce moment que nous attaquons tout le monde ! Sachant que dans cette phrase le premier nous est celui de la nation, le second celui de l'État, à qui nous (la nation) n'avons jamais demandé de renverser Khadafi, d'aller donner du fric et des armes aux islamistes syriens, ou de s'en prendre à Poutine, liste non exhaustive.
- Ces textes de Pie XII sont cités par l'excellent Jean Madiran dans son excellent recueil d'Éditoriaux et chroniques (Dominique Martin Morin, 1983, pp. 200-201). Le même Madiran écrivait, en juillet 1962, à propos de la façon dont le pouvoir gaulliste (ou le pouvoir américano-gaulliste ?) avait traité les Français d'Algérie :
"Renoncer à nos droits ?
En soi, cela est théoriquement possible et quelquefois généreux : mais à la condition que celui qui renonce à un droit soit celui qui le possède. Or les droits français en Algérie n'étaient pas seulement ceux de l'État français. Ils étaient aussi ceux de la nation française d'Algérie : et l'État n'était pas le maître de ces droits-là, l'État n'en était pas le possesseur, l'État n'avait pas licence d'en disposer souverainement. D'ailleurs l'État n'a pas tellement renoncé à ses droits : il a gardé, ou cru garder, ses droits sur le pétrole et sur les bases, et il n'a sacrifié, selon la conception qu'il s'en fait, ni ses intérêts économiques, ni ses intérêts stratégiques : il pense même les avoir mieux assurés, ce qui est, en intention du moins, le contraire d'un renoncement. Ce n'est surtout pas son intérêt ni son droit que l'État néglige : c'est à son devoir qu'il a tourné le dos. Le dégagement est explicitement un dégagement à l'égard des charges et des obligations. L'État se dégage de son devoir envers les hommes.
Les hommes, il les considère en somme non pas comme des communautés vivantes ayant leurs droits propres, mais comme des fonctionnaires à ses ordres.
C'est cette conception aberrante de la vie sociale qui est sans doute la racine du drame.
Les chrétiens, les musulmans et les juifs d'Algérie qui se déclarent « fidèles à la France » et qui veulent « demeurer français », à vrai dire l'État n'a pas omis de les prendre en considération. Mais il les a considérés comme des individus selon la définition de Renan, des individus nés orphelins, vivant fonctionnaires et mourant célibataires, transportables et interchangeables à merci. Il a considéré qu'il pouvait les déplacer et les rappeler comme on déplace un préfet et comme on rappelle un ambassadeur.
Et quand il a vu que ça ne marchait pas, quand il a constaté que les Français d'Algérie étaient autre chose que des fonctionnaires à ses ordres, il les a traité comme on traite - et même comme on ne traite pas - des fonctionnaires félons.
L'État a prétendu renoncer en Algérie à des droits, ceux de la société, qui ne sont pas à la disposition de l'État, et qui au contraire imposent à l'État des devoirs, et des « charges », et des « obligations », d'une nature différente de celles qui sont énumérées dans le statut des fonctionnaires. L'État a ignoré que la nation française d'Algérie avait seule qualité pour éventuellement renoncer aux droits qui sont les siens. Il ne s'agissait même pas de la consulter : la nation française d'Algérie avait en la matière beaucoup plus qu'une voix consultative. Personne ne peut à sa place disposer des droits qui sont les siens, personne ne peut les supprimer sans son aveu et sans son consentement. Que si l'État y prétend néanmoins, c'est alors exactement ce que Pie XII a nommé l'absolutisme d'État.
On peut assurément « rapatrier » un corps expéditionnaire.
On peut « reclasser en métropole » un fonctionnaire.
Mais traiter ainsi une communauté nationale, c'est une violence sans nom." (pp. 193-194)
Vous me serez d'autant plus reconnaissant de vous citer un tel texte que je ne suis pas suspect d'indulgence excessive à l'égard de certains de ceux qui composèrent cette nation française d'Algérie. Leur apport économico-culturel à la nation française de France ne me semblant pas d'une grande richesse spirituelle. Passons. Il est vrai que l'on n'a jamais considéré ici qu'être une victime était un brevet de sainteté -
mais ce n'est justement pas parce que je partage avec le Général certaines inimitiés qu'il faut fermer les yeux sur la nature des procédés qu'il a employés... pourquoi, d'ailleurs ? A l'école (maçonnique...) on évoquait un supposé « sens de l'histoire » pour expliquer que la décolonisation était une fatalité, et que ça valait bien un mensonge du style "Je vous ai compris" pour ne pas s'éterniser en vaines querelles, etc.
- Sauf que ces « vaines querelles » gangrènent maintenant la métropole elle-même ! - A Hegel, Hegel et demi : on pourrait opposer au sens-de-l'histoire-dans-notre-cul le principe selon lequel la raison d'être, c'est le résultat (eh oui, j'ai changé sur pas mal de points depuis 2005 mais je suis toujours voyeriste...). Et dans la mesure où le résultat qui se dessine sous nos yeux comme prochain visage de la France, c'est, en somme, le Quick hallal, l'américanisation et l'islamisation en même temps et pour le même prix, eh bien le retour de de Gaulle au pouvoir avec l'aval de la CIA, puis le lâchage de ce qui restait de l'Empire français (le lâchage de cette partie de l'Empire, la IVe République atlantiste ne pouvait l'assumer, il fallait l'homme du 18 juin pour cela), la victoire militaire de l'armée française sur le terrain présentée comme une victoire du FLN (d'où 50 ans de schizophrénie de part et d'autre), le début ensuite de l'immigration musulmane de masse, etc., tout cela fait sens, de l'histoire ou pas, mais sens qui nous pète maintenant à la gueule.
- Quoi qu'il en soit du rôle exact de de Gaulle dans l'histoire, vous aurez compris à quel point les propos de J. Madiran s'appliquent aussi aux migrants actuels. Là encore, l'État se décharge de ses devoirs et obligations envers la nation française, cette vieille emmerderesse. - Mais il faut avouer que celle-ci a bien du mal à garder de sa noblesse, après deux siècles de passes en tous genres...
En démocratie, finalement, dès que l'on quitte le niveau de la politique locale, on peut parier sans risque de se tromper que les hommes politiques sont nos ennemis.
"Le fonds de l'erreur consiste à confondre la vie nationale au sens propre avec la politique nationaliste : la première, droit et gloire d'un peuple, peut et doit être développée ; la seconde, source de maux infinis, ne sera jamais assez rejetée. La vie nationale est, de sa nature, l'ensemble actif de toutes les valeurs de civilisation qui sont propres à un groupe déterminé, le caractérisent et constituent comme le lien de son unité spirituelle. Elle enrichit en même temps, par sa contribution propre, la culture de toute l'humanité. Dans son essence, par conséquent, la vie nationale est quelque chose de non politique : c'est si vrai que, comme le démontrent l'histoire et l'expérience, elle peut se développer côte à côte avec d'autres, au sein d'un même État, comme elle peut aussi s'étendre au-delà des frontières politiques de celui-ci. La vie nationale ne devint un principe dissolvant pour la communauté des peuples que lorsqu'elle commença à être exploitée comme moyen pour des fins politiques, à savoir quand l'État dominateur et centralisateur fit de la nationalité la base de sa force d'expansion. On eut alors l'État nationaliste, germe de rivalité et sources de discordes.
…Chez quelques peuples considérés jusqu'à présent comme coloniaux, le processus d'évolution vers l'autonomie politique, que l'Europe aurait dû guider avec prévoyance et attention, s'est rapidement transformé en explosion de nationalismes avides de puissance. Il faut avouer que ces incendies imprévus, au détriment du prestige et des intérêts de l'Europe sont, au moins partiellement, le fruit de son mauvais exemple."
Caution d'infaillibilité s'il en est à mes propres propos, puisque cela vient du pape Pie XII, en 1954. Un an plus tard - il s'agit de messages de Noël -, le même Pie ajoutait :
"Les peuples de l'Occident, spécialement de l'Europe, ne devraient pas, sur l'ensemble des questions dont il s'agit, demeurer passifs dans un regret stérile du passé ou s'adresser des reproches mutuels de colonialisme. Ils devraient au contraire se mettre à l'oeuvre de façon constructive, pour étendre, là où cela n'aurait pas encore été fait, les vraies valeurs de l'Occident, qui ont porté tant de bons fruits dans d'autres continents. Plus ils tendront à cela seulement, plus ils aideront les libertés des peuples jeunes, et plus ils demeureront eux-mêmes préservés des séductions du faux nationalisme. Celui-ci est en réalité leur véritable ennemi, qui les exciterait un jour les uns contre les autres, au profit d'un tiers."
Ici bien sûr Alain Soral sent son gland antisioniste frémir, mais là n'est pas l'essentiel : dans la France contemporaine on est plus nationaliste que patriote, on part en guerre contre la terre entière, y compris la France elle-même… Là où le patriote traditionnel - serait-on tenté d'écrire si le mot patriote n'était connoté Révolution française, mais c'est justement là que le mensonge prend toute son ampleur - ne veut pas de mal aux autres pays, se contentant de penser, plus ou moins consciemment, que le sien vaut au moins aussi bien que les autres, et même souvent mieux. Nous n'avons plus le droit de penser cela, et c'est justement à ce moment que nous attaquons tout le monde ! Sachant que dans cette phrase le premier nous est celui de la nation, le second celui de l'État, à qui nous (la nation) n'avons jamais demandé de renverser Khadafi, d'aller donner du fric et des armes aux islamistes syriens, ou de s'en prendre à Poutine, liste non exhaustive.
- Ces textes de Pie XII sont cités par l'excellent Jean Madiran dans son excellent recueil d'Éditoriaux et chroniques (Dominique Martin Morin, 1983, pp. 200-201). Le même Madiran écrivait, en juillet 1962, à propos de la façon dont le pouvoir gaulliste (ou le pouvoir américano-gaulliste ?) avait traité les Français d'Algérie :
"Renoncer à nos droits ?
En soi, cela est théoriquement possible et quelquefois généreux : mais à la condition que celui qui renonce à un droit soit celui qui le possède. Or les droits français en Algérie n'étaient pas seulement ceux de l'État français. Ils étaient aussi ceux de la nation française d'Algérie : et l'État n'était pas le maître de ces droits-là, l'État n'en était pas le possesseur, l'État n'avait pas licence d'en disposer souverainement. D'ailleurs l'État n'a pas tellement renoncé à ses droits : il a gardé, ou cru garder, ses droits sur le pétrole et sur les bases, et il n'a sacrifié, selon la conception qu'il s'en fait, ni ses intérêts économiques, ni ses intérêts stratégiques : il pense même les avoir mieux assurés, ce qui est, en intention du moins, le contraire d'un renoncement. Ce n'est surtout pas son intérêt ni son droit que l'État néglige : c'est à son devoir qu'il a tourné le dos. Le dégagement est explicitement un dégagement à l'égard des charges et des obligations. L'État se dégage de son devoir envers les hommes.
Les hommes, il les considère en somme non pas comme des communautés vivantes ayant leurs droits propres, mais comme des fonctionnaires à ses ordres.
C'est cette conception aberrante de la vie sociale qui est sans doute la racine du drame.
Les chrétiens, les musulmans et les juifs d'Algérie qui se déclarent « fidèles à la France » et qui veulent « demeurer français », à vrai dire l'État n'a pas omis de les prendre en considération. Mais il les a considérés comme des individus selon la définition de Renan, des individus nés orphelins, vivant fonctionnaires et mourant célibataires, transportables et interchangeables à merci. Il a considéré qu'il pouvait les déplacer et les rappeler comme on déplace un préfet et comme on rappelle un ambassadeur.
Et quand il a vu que ça ne marchait pas, quand il a constaté que les Français d'Algérie étaient autre chose que des fonctionnaires à ses ordres, il les a traité comme on traite - et même comme on ne traite pas - des fonctionnaires félons.
L'État a prétendu renoncer en Algérie à des droits, ceux de la société, qui ne sont pas à la disposition de l'État, et qui au contraire imposent à l'État des devoirs, et des « charges », et des « obligations », d'une nature différente de celles qui sont énumérées dans le statut des fonctionnaires. L'État a ignoré que la nation française d'Algérie avait seule qualité pour éventuellement renoncer aux droits qui sont les siens. Il ne s'agissait même pas de la consulter : la nation française d'Algérie avait en la matière beaucoup plus qu'une voix consultative. Personne ne peut à sa place disposer des droits qui sont les siens, personne ne peut les supprimer sans son aveu et sans son consentement. Que si l'État y prétend néanmoins, c'est alors exactement ce que Pie XII a nommé l'absolutisme d'État.
On peut assurément « rapatrier » un corps expéditionnaire.
On peut « reclasser en métropole » un fonctionnaire.
Mais traiter ainsi une communauté nationale, c'est une violence sans nom." (pp. 193-194)
Vous me serez d'autant plus reconnaissant de vous citer un tel texte que je ne suis pas suspect d'indulgence excessive à l'égard de certains de ceux qui composèrent cette nation française d'Algérie. Leur apport économico-culturel à la nation française de France ne me semblant pas d'une grande richesse spirituelle. Passons. Il est vrai que l'on n'a jamais considéré ici qu'être une victime était un brevet de sainteté -
mais ce n'est justement pas parce que je partage avec le Général certaines inimitiés qu'il faut fermer les yeux sur la nature des procédés qu'il a employés... pourquoi, d'ailleurs ? A l'école (maçonnique...) on évoquait un supposé « sens de l'histoire » pour expliquer que la décolonisation était une fatalité, et que ça valait bien un mensonge du style "Je vous ai compris" pour ne pas s'éterniser en vaines querelles, etc.
- Sauf que ces « vaines querelles » gangrènent maintenant la métropole elle-même ! - A Hegel, Hegel et demi : on pourrait opposer au sens-de-l'histoire-dans-notre-cul le principe selon lequel la raison d'être, c'est le résultat (eh oui, j'ai changé sur pas mal de points depuis 2005 mais je suis toujours voyeriste...). Et dans la mesure où le résultat qui se dessine sous nos yeux comme prochain visage de la France, c'est, en somme, le Quick hallal, l'américanisation et l'islamisation en même temps et pour le même prix, eh bien le retour de de Gaulle au pouvoir avec l'aval de la CIA, puis le lâchage de ce qui restait de l'Empire français (le lâchage de cette partie de l'Empire, la IVe République atlantiste ne pouvait l'assumer, il fallait l'homme du 18 juin pour cela), la victoire militaire de l'armée française sur le terrain présentée comme une victoire du FLN (d'où 50 ans de schizophrénie de part et d'autre), le début ensuite de l'immigration musulmane de masse, etc., tout cela fait sens, de l'histoire ou pas, mais sens qui nous pète maintenant à la gueule.
- Quoi qu'il en soit du rôle exact de de Gaulle dans l'histoire, vous aurez compris à quel point les propos de J. Madiran s'appliquent aussi aux migrants actuels. Là encore, l'État se décharge de ses devoirs et obligations envers la nation française, cette vieille emmerderesse. - Mais il faut avouer que celle-ci a bien du mal à garder de sa noblesse, après deux siècles de passes en tous genres...
En démocratie, finalement, dès que l'on quitte le niveau de la politique locale, on peut parier sans risque de se tromper que les hommes politiques sont nos ennemis.