jeudi 23 avril 2020

Voyer, les pédés, les gouines, les connasses...

Un lecteur m'a fait parvenir ce texte rare de Jean-Pierre Voyer, dont j'avais entendu parler il y a longtemps, une lettre aux membres du F.H.A.R. (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire...), je reproduis ces lignes aussi actuelles que pertinentes avec plaisir. 

Citoyens,


nos félicitations et notre estime pour votre excellent Rapport contre la normalité paru aux éditions Champ Libre. Nous avons particulièrement apprécié sa dignité, sa clarté, sa rigueur, son intrépidité, choses si rares et tant nécessaires aujourd’hui.

Mais que la honte soit sur les connasses maoïstes qui encombrent vos colonnes avec leur "phallocratie". Et qui pensent, parce qu’elles sont une masse de connes, qu’elles doivent être chose nécessairement que de réelles connasses. Et qui confondent le prolétariat avec une masse de cons et de connes. Le prolétariat n’existe que pour autant qu’il se connaisse. Leur verbiage, leur bêtise et leur confusion tranche détestablement sur la claire détermination du reste du rapport. D’autre part, ces connasses m’insultent personnellement, moi, secrétaire général de cet institut, et homme – c’est-à-dire : individu humain de sexe masculin –, en disant que CE monde est MON monde puisque mon sexe s’y étale. C’est-à-dire que moi, individu masculin, j’ai plus qui quiconque la libre disposition de ma vie, que j’ai un réel intérêt au maintien de ce monde – alors que, bien sûr, il existe un illusoire intérêt qui courbe les fronts de toute une humanité. C’est dire que je retire un avantage quotidien, permanent, que je m’éveille de bonne humeur chaque matin, simplement du fait que mon sexe symbolise tour à tour le sceptre et la matraque.

Elles m’insultent en disant que le langage, qui en fait est au service d’un pouvoir qui n’est pas le mien ni celui de mes semblables, est mon langage et me sert, moi qui suis assailli par l’isolement.

Elles m’insultent en insinuant que ce monde étant le monde de l’"homme", ce serait ma possession, moi qui ne possède pas même le plein usage de ma propre vie.

Connasses, quel « intérêt » pour les individus concrets, existants, masculins ou féminins (et que vous ne rencontrerez jamais, évidemment, tant votre connerie vous aveugle !), quel avantage à ce que le sexe masculin soit exploité et glorifié spectaculairement à des fins commerciales et d’asservissement du bétail laborieux, tant masculin que féminin, dont je suis ? – Aucuns !
Non, la « phallocratie », si l’on entend par là l’usage publicitaire du sexe masculin, n’est pas l’ennemi des « femmes » aussi bien que le pire ennemi des « hommes » est leur bêtise, dont cet échantillon de connasses témoigne scandaleusement, et pour la production, le maintien de laquelle tout est fait dans cette société, par les classes dominantes occidentales, orientales et extrême-orientales.

Ces connasses insultent mal à propos un peuple d’esclaves, dont je suis, en prétendant que quelque chose lui appartient, à lui qui n’a rien. Ce peuple dont certains membres sont déjà les "Spartacus", comme pourraient bien l’être les autres rédacteurs du Rapport. Et alors qu’il existe tant d’injures appropriées au prolétariat quand il n’est pas révolutionnaire : esclaves, cons et connes, étudiants, petits cadres, vieux cons, staliniens, syndicalistes, maoïstes, trotskistes, castristes, bureaucrates, léninistes, anciens combattants, automobilistes, vacanciers, racistes, télévisionnaires, footballeurs, flambeurs minables, etc. il a fallu qu’elles choisissent la SEULE insulte inappropriée par définition : HOMME, lancée à une foule à qui la qualité d’homme est déniée chaque jour.

Enfin, il n’y a pas de « sexualité dominante ». Il n’y a qu’une réelle absence de sexualité, une réelle misère de la sexualité d’une part, et d’autre part : image, spectacle, idée, eux dominants, d’une sexualité épanouie et heureuse ! Image, spectacle, idée, tellement dominants, tellement terroristes, que c’est leur énorme réalité qui condamne la misère réelle au silence, au secret, à la terreur, à l’isolement. Heureusement, de plus en plus apparait la réalité, qui est celle de l’universelle misère sexuelle, tant hétéro qu’homo, celle-ci servant de bouc-émissaire à celle-là. C’est même l’universalité de cette misère qui fait qu’un spectacle de la libération sexuelle soit rentable.

Où sont ces « hommes », dans tout cela, qui réinventent sans cesse le pouvoir ! Les connasses se sont trompés de rédaction : elles devaient aller à la rédaction de Elle, où elles auraient été d’ailleurs été très bien reçues, étant donné que Lesbos devient fort à la mode ces temps, et va même devenir sous peu, pensons-nous, un secteur rentable du spectacle. Il ne faut pas confondre le mensonge insolent de l’idéologie avec la réalité de la misère.
Oui, l’homosexualité est l’homosexualité de l’homme ; mais non pas, comme le pensent ces connasses, à cause du « défaut » de sexe des "femmes" ; mais pour un fait historique et social : seuls les homosexuels masculins sont traqués comme des bêtes, comme des juifs par les nazis. L’histoire ça n’existe pas pour ces connasses. L’"homme" dont elles parlent n’existe que dans leurs petites têtes, il y a été mis, comme idée aberrante, par le spectacle de l’"homme" qu’entretient cette société ennemie du genre humain. Si elles n’étaient pas si connes et si prétentieuses, ce ne seraient que de malheureuses victimes de cette odieuse mise en scène. Ce n’est pas le sexe qui leur fait défaut, mais la cervelle et le moyen de s’en servir. La prose de ces connasses, digne de la prose du M.L.F., peut se résumer en une phrase, celle d’un aveugle qui dirait au paralytique : "Salaud, tu vois !" 

Citoyens du F.H.AR., mes collègues et moi-même ne pouvons que vous encourager vivement à choisir scrupuleusement vos associés dans l’avenir. Tout le monde – si on a quelque connaissance de la vie – sait fort bien que l’homosexualité féminine, heureusement, n’est presque pas réprimée dans la société actuelle. Nous comprenons les excellentes raisons de principe qui vous ont incités à associer à votre mouvement des homosexuelles féminines. Malheureusement, cette expérience prouve que vous n’en avez pas trouvé de vraies (ou tout au plus quelques maladroites qui n’arrivent pas facilement à mettre des filles dans leurs lits). De sorte que nous avons là la simple continuation de l’arrivisme militant où les femmes se sont toujours tristement distinguées, pour des causes qui tiennent évidemment au surplus d’aliénation dont elles sont victimes, dans la société présente. Tandis que les véritables lesbiennes sont dans l’ensemble à l’avant-garde des femmes aujourd’hui, les fausses ou les incapables qui participent malencontreusement à votre Rapport témoignent pleinement de l’arriération féminine, et aspirent à la conserver, par le simple contraste de la sottise de leur "pensée" et de leur langage, en regard de ce qu’écrivent les autres rapporteurs. Si ces connasses savaient quelque réalité sur le plaisir, même entre hétérosexuels, elles ne s’en mettraient pas plein la bouche avec le mythe de la "phallocratie".

Et quand bien même les hétérosexuels resteraient la plus réduite des "minorités sexuelles" elles n’en mériteraient pas moins d’être approuvée comme toutes les autres, par une société, sans classes, sans Mao, et sans Lin Piao.

A bas le spectacle de la sexualité !

A bas l’opposition spectaculaire de l’"homme" et de la "femme" !

Travaillons plutôt à la publicité de la misère individuelle !

La publicité de la misère individuelle est l’arme absolue !

Bravo pour la manière dont vous avez mouché les petits bourgeois de Voix Ouvrière.

Pour l’Institut de Préhistoire Contemporaine
le secrétaire général
J.-P. VOYER


P.-S. – Que les camarades homosexuels masculins se rassurent : ils ne détiennent pas le triste monopole de l’insulte allusive avec "merdeux" et "enculé". Leurs consœurs, qui sont aussi les nôtres, sont assez bien loties avec l’emploi universel et très bisexué de "connerie", etc. Sans compter les travailleurs qui pourraient aussi se sentir offensés, et, pensons-nous, ne vont pas tarder à l’être de termes comme "canaille", "plèbe", "ivrognes", "abrutis" !

Paris, le 10 novembre 1971


INSTITUT DE PREHISTOIRE CONTEMPORAINE

samedi 18 avril 2020

Furieusement actuel, y compris au temps du Covid...

"Canjuers et Debord ont raison dans leurs Préliminaires, la société capitaliste moderne n'a pas de culture parce qu'elle n'en a pas besoin et c'est tant mieux. Le concept de richesse existe objectivement pour tous les hommes. Notre époque est celle qui a la chance de connaître le concept objectif de la richesse, le spectacle de la richesse universelle, car elle a le malheur d'en connaître tous les moyens pratiques dans toute l'étendue de leur aliénation, la division mondiale et infinie du travail par l'Etat et la marchandise. Elle est capable de résoudre cette question car elle est capable, enfin, de se la poser et bien entendu pas seulement dans la théorie. Elle peut exiger la richesse dans la théorie parce que la richesse est devenu une exigence du monde dans le monde.
Il revient à l'I.S. d'avoir formulé pour la première fois un concept pratique de la richesse. Elle parvient à concevoir la richesse comme richesse de la communication et pratique de la communication et elle se déclare du parti de ceux qui ont pour but la communication totale. Cependant bien qu'elle ait insisté sur le côté pratique de la communication en concevant celle-ci comme une construction de situation, elle ne parvient jamais à concevoir le contenu pratique de la communication. Le contenu pratique, concret, de la communication, le contenu pratique, concret, de la richesse, est la division du travail. Là où l'on ne divise pas de travail on ne communique pas. Là où l'on ne divise pas de travail on est pauvre.
 Face à l'utilitarisme de l'économie politique, l'art moderne représente le point de vue anti-utilitariste conscient de soi de la richesse pratique. La richesse pratique, la communication pratique est une exigence de l'art. Seulement l'art est condamné, faute de moyens pratiques, à ne communiquer que d'une manière artistique, c'est-à-dire non pratique. L'art est la communication dans la pensée, pas même communication de la pensée ou communication pensée, communication théorique et théorie de la communication, seulement pratique de la communication dans la pensée. Si l’« art » des sociétés primitives a un côté essentiellement pratique, c'est-à-dire non artistique, c'est simplement que dans les sociétés primitives l'art n'est pas encore séparé de la richesse pratique elle-même dont il est un moment. S'il n'est pas artistique, c'est parce qu'il a encore des pouvoirs pratiques, c'est-à-dire sociaux. L'art primitif n'est pas artistique. C'est la société primitive qui est artistique. L'exigence de la richesse n'y est pas encore séparée et opposée à la richesse pratique. L'art devient artistique quand la société cesse de l'être. L'art moderne commence avec les Médicis. Il finit avec les Rothschild, c'est-à-dire quand commence le prolétariat moderne. Il commence quand la richesse commence à s'opposer à la société dont elle est pourtant l'essence. Il se décompose quand se décomposent les illusions sur la richesse séparée. Contrairement à l'économie et même à la théorie de Marx, la théorie situationniste de la richesse rend compte aisément des sociétés primitives : les sauvages sont des constructeurs de situations.
 Regardons, grâce à la meilleure ethnographie, comment vivent les sauvages et tout particulièrement ceux qui semblent les plus gais : tout le temps se passe en activité sociale. Tout est prétexte à activité sociale. Par exemple chez les Trobriandais, le jardinage est prétexte à une furieuse activité sociale où tout prend un caractère de défi et de magie."
La vie est une cérémonie, nom de… ! 
Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, suivi de Révélations sur le principe du monde, Institut de Préhistoire contemporaine, 1979, pp. 155-157. Je rappelle que les ouvrages de Jean-Pierre Voyer sont disponibles ici : http://www.editions-anonymes.fr/

dimanche 12 avril 2020

"La communication est l'activité qui produit le monde en produisant l'aliénation du monde." Voyer encule Macron et les autres...

"La communication est l'activité qui produit le monde en produisant l'aliénation du monde. 

Le péché théorique de Marx est de confondre, en retrait de Hegel,ce qu'il appelle « processus matériel de production » et qui serait censé selon lui dominer et diriger entièrement le cours de l'existence humaine, avec le processus réel de production du monde qui est non pas production particulière et déterminée mais production du monde. Et ce processus de production du monde n'est autre que le processus infini de la communication. Le monde est le monde de la communication. La production du monde est la production de la communication par la communication. C'est en ce sens que le monde, en accord avec Hegel est ens causa sui : jusqu'à aujourd'hui l'esprit n'a jamais eu de cause qui ne soit lui-même : la soif de communication n'a d'autre cause que la soif de communication, la soif de richesse n'a d'autre cause que la soif de richesse. Le mouvement d'auto-division du monde qui est aussi bien le mouvement de la production du monde par le monde est un mouvement interne et dans le cas de l'aliénation un effondrement interne, sur soi, infini, un auto-effondrement et non pas le mouvement externe d'un objet par rapport à un sujet intangible. De ce fait il n'y a aucune limite à ce mouvement du genre de celles auxquelles pensait Marx, comme le montre parfaitement le développement le plus moderne de la marchandise. Rien ne peut empêcher la marchandise de s'auto-diviser indéfiniment, rien sinon l'anéantissement total ou l'intelligence des prolétaires. Si Marx et les situationnistes ont absolument raison sur le point de l'effondrement nécessaire de ce monde ils ont absolument tort sur celui de savoir ce qui doit mettre fin à cet effondrement. S'il est absolument nécessaire que ce monde s'effondre parce que c'est son mouvement même, il n'est absolument pas nécessaire que notre parti, le parti de la communication totale, triomphe pour autant. Et c'est ce qui fonde tous nos espoirs : nous n'avons que faire d'une victoire nécessaire. Si la victoire de notre parti est une victoire nécessaire, si la victoire de notre parti est causée par l'effondrement de ce monde, cette victoire n'est pas la victoire de notre parti mais la victoire de ce qui la rend nécessaire, la victoire de ce qui la cause. Nous rejoignons Hegel sur ce point intangible de sa doctrine : l'esprit absolu, la liberté, ne peuvent se tenir que d'eux-mêmes, ils ne sauraient admettre aucune cause, ils ne sauraient résulter d'aucune nécessité, d'aucun présupposé, ils sont la suppression de toute nécessité et de tous présupposés. Si notre parti triomphe il ne peut le devoir qu'à lui-même ou alors il n'est pas le parti de l'esprit. Rien ne peut servir de limite à l'auto-effondrement de l'esprit aliéné, rien sinon l'esprit lui-même, rien sinon l'intelligence des prolétaires. L'esprit seul peut servir de limite à l'esprit. Nulle autre chose ne le peut. Même dans le cas d'un anéantissement total de l'esprit, cet anéantissement aura été l'œuvre de l'esprit. La prétendue croissance économique n'est que l'apparence, dans la théorie dominante, de la croissance infinie, interne, de l'auto-division du monde. L'auto-division du monde est la seule chose que produit réellement le monde. Et le monde nous inflige durement la preuve de l'intériorité de cette auto-division : il n'y a nul extérieur où l'on pourrait rejeter la merde de l'esprit aliéné, il faut survivre dedans. Nous répondrons d'un seul mot aux facéties kantiennes sur la chose en soi : la chose, mais nous sommes dedans.

Nous ne saisissons pas bien l'intérêt des doléances de Debord et de Sanguinetti sur le néo-pain, la néo-viande, la néo-bière. Trente ou quarante pages du Capital sont déjà consacrées, il y a plus de cent ans de cela, à la falsification du pain et des aliments destinés aux ouvriers. Voici maintenant que cette falsification s'étend aussi aux aliments destinés aux classes moyennes, à l'air que tous respirent, à l'eau que tous boivent. Et alors ? Bien fait. Qu'en avons-nous à faire ? De quoi se plaignent Debord et Sanguinetti ? C'est la guerre. Ce paysage de désolation, ces gaz toxiques, ces radiations électro-magnétiques, c'est le champ de bataille de la guerre totale de l'esprit pratique. Si Debord et Sanguinetti cherchent à dresser le catalogue de tous les prétextes qui peuvent servir à une révolte, leur tentative est strictement dénuée d'intérêt — pour nous — et de plus vouée à l'échec, et heureusement, car s'ils pouvaient établir ce catalogue, la police le pourrait aussi. Mais le prétexte des révoltes est aussi imprévisible que le sont les révoltes elles-mêmes et c'est tant mieux car elles sont aussi imprévisibles pour la police. Si Debord et Sanguinetti veulent simplement dire que les riches fournissent eux-mêmes et de plus en plus de prétextes de révolte aux pauvres, nous le savons bien et nous en sommes fort contents. Mais la seule vraie question est que les pauvres ne s'éternisent pas à ces prétextes quand ils se révoltent — ce que préféreraient les riches — mais qu'ils en viennent tout de suite aux principes. Or nous savons bien qu'ils y viennent vite et à chaque révolte et d'autant plus que ces révoltes sont plus modernes. Et ce n'est pas le fait que les riches fournissent des masses de prétextes de révolte aux pauvres ou même qu'ils rendent presque impossible aux pauvres de ne pas se révolter qui peut garantir que ceux-ci en viennent encore plus radicalement aux principes, mais seulement leur éducation par le monde, par l'histoire, par l'aliénation de la richesse. Et le rôle de la théorie n'est pas de souligner les prétextes que les riches fournissent obligeamment aux pauvres pour se révolter, prétextes qui se signalent sinistrement et pesamment eux-mêmes, mais bien de souligner les principes que le monde lui-même met en avant. Il est bien possible qu'une question de néo-pain ou de plutonium soit le prétexte d'une révolte comme le fut l'absence de pain en 1789, de la viande pourrie en 1905. Mais si les pauvres se révoltent parce que le pain manque ou devient immangeable, ils ne se révoltent pas pour avoir du pain ou du pain mangeable mais pour pratiquer la richesse à la place des riches. Et si les riches parviennent à confiner cette révolte dans une question de pain, les pauvres auront peut-être du pain mais sûrement pas la richesse. Et il est certain que lorsque les pauvres seront riches, ils mangeront du bon pain à l'occasion. Ce sera pourtant le cadet de leurs soucis d'alors. Certes, tout va bien parce que le monde va de plus en plus mal. Mais le monde ne va pas plus mal parce que le pain, la viande, la bière, l'air et l'eau vont de plus en plus mal, parce qu'il y a de plus en plus de plutonium dans le monde soit en masses de 6 tonnes soit en quantités diffuses, mais parce que la communication va de plus en plus mal dans ce monde. Le mauvais pain et le plutonium dans des mains irresponsables ne sont que purs résultats, pures apparences inessentielles de ce qui dans le monde est essentiellement mauvais et va essentiellement de plus en plus mal : la communication, c'est-à-dire l'aliénation de la communication, le mal historique plurimillénaire. L'existence de l'humanité tant qu'elle n'est pas fondée est elle aussi inessentielle. Le plutonium inessentiel peut donc très bien occire l'humanité inessentielle. Et alors ? C'est la guerre. Qui peut se vanter à la guerre d'être certain de gagner. L'humanité peut très bien perdre la guerre qu'elle a engagée contre elle-même."

Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, suivi de Révélations sur le principe du monde, Institut de Préhistoire contemporaine, 1979, pp. 133-137. Je rappelle que les ouvrages de Jean-Pierre Voyer sont disponibles ici : http://www.editions-anonymes.fr/


Joyeuses Pâques ! 

dimanche 5 avril 2020

Hors de l'incarnation, point de salut...

Un beau texte de Jean Clair, dans La part de l’ange, 2015. Comme vous pourrez le constater, beaucoup des éléments de notre actualité la plus étouffante s’y retrouvent. Pour l’intelligence du début, je rappelle que l’auteur est un fils de bouseux de la campagne (Mayenne), qu’avant d’être un intellectuel reconnu et Académicien, il devint conservateur de musées (après que son instituteur, tel celui de Péguy, eut convoqué ses parents pour leur dire que le fils était assez brillant pour continuer ses études et que cela valait quelques sacrifices financiers de leur part). L’analyse dont il est question dans les premières lignes est une psychanalyse suivie durant la fin de l’adolescence de l’auteur. 

"J’avais longtemps caché à mes proches le fait d’avoir choisi la carrière des Musées. « Sang d’ouvrier et sang de paysan » : comment avais-je pu donner foi à ces bêtises de riche ? 

Le métier ne me laisserait guère mon mot, pas plus que l’analyse ne m’avait trop laissé parler : un conservateur n’a pas l’autorité d’un professeur, pas plus que l’analysant n’est trop autorisé à prendre la parole. Le silence qu’il observe, la réserve à laquelle il obéit et l’éloignement du forum signifieraient qu’il a peu à défendre. Le conservateur prend soin des collections qui lui sont confiées, les entretient, les sauve à l’occasion, les expose et les fait connaître, parfois les enrichit, mais il publie peu [sauf Jean Clair lui-même…], et il se tient à l’écart des congrès internationaux des historiens qui défendent leur discipline - sans jamais pourtant, pour la plupart, avoir manipulé, ni même souvent vu de leurs propres yeux les oeuvres qu’ils analysent si savamment. Or, c’est dans ce privilège de les manier, de les empoigner, de les retourner, de les décadrer, comme s’il s’agissait d’objets usuels, des machines, des outils - ce qu’elles sont en fait -, de se livrer sur elles à des opérations toutes physiques, de les manipuler, les observer et les réparer, que se sont probablement révélées le mieux, comme une maladie au médecin qui palpe le corps, les menaces d’une civilisation qui a fini par s’écrouler sous nos yeux. 

Je ne pouvais imaginer, entrant dans la carrière des Musées, que je me trouverais, quelques années plus tard, non dans un refuge à l’abri du monde moderne, mais tout au contraire installé au coeur d’un laboratoire où se lisaient le mieux les signes annonciateurs de l’effondrement de notre culture. C’était là, dans le silence des tableaux, loin des tumultes du siècle, que l’observation des oeuvres dont j’avais la charge renseignait le mieux sur le lent processus de décomposition dont notre monde était devenu la proie. L’histoire de l’art dit « moderne » était l’histoire de notre propre fin. Loin d’être l’histoire d’une délivrance, l’épopée de l’esprit libéré du devoir de servir, la gloire de l’homme éclairé des Lumières, l’histoire de l’art moderne était le dernier épisode d’un nouvel iconoclasme, alignant, de décennie en décennie, les symptômes les plus évidents d’une auto-adoration de l’homme par l’homme, qui se terminait dans l’ordure ou l’imbécillité. J’en avais sous les yeux, de jour en jour, les preuves. (…)

Il suffisait de voir le genre d’oeuvres qui, pendues au-dessus de leur fauteuil, ornaient les bureaux des ministres d’État, des présidents d’administration, des hauts dirigeants des instances internationales, à New York, Berlin ou Bruxelles : toujours pareilles, de même dimension, quatre mètres sur trois environ, toujours abstraites, sans rien de discernable qui pût livrer quelque lueur sur les idées, les engagements, les convictions ou les trahisons, les lâchetés ou les hypocrisies de l’homme important qui les avait placées au-dessus de sa tête. Non, rien que des taches, des points, des griffes, des halos colorés. Une nébuleuse informe, mais aussi souvent d’une indicible laideur, une image saisissante - ne le comprenaient-ils pas ? - du flou, de l’inanité, des décisions que ces Puissants prétendaient assumer, et qu’ils se faisaient gloire, pensaient-ils probablement, d’afficher sur leurs murs. (…)

Ce n’était pas seulement dans les bureaux des ministres, dans les halls des banques, ou dans les salles de musées qu’il importait que l’art ne signifiât plus rien. L’Église elle aussi avait donné l’exemple. Comme honteuse d’avoir été à l’origine de la plus bouleversante floraison d’oeuvres, peintures et sculptures qu’aucune religion ait jamais suscitée, mais surtout où chacune d’elles portait un sens, une valeur, une leçon, un enseignement, une morale, à travers une imagerie tout à la fois simple et compliquée, naïve et raffinée, elle avait entrepris de décrocher les tableaux et de descendre les statues qui ornaient les sanctuaires. La nudité des murs serait seule en mesure de dialoguer, croyait-elle, avec l’ineffable. L’ineffable, mais surtout l’ignorance, la misère intellectuelle, l’impossibilité de dialoguer. N’ayant plus rien à dire, elle n’eut plus rien à montrer. Le mur nu fut le dernier état de sa conscience.

Alertée, cependant, inquiète de ce qui pouvait ressembler à un fâcheux silence ou, pis, à une désertion, elle revint vers les représentations peintes. Mais trop incertaine à présent de son dogme, elle s’en alla loucher vers les Orthodoxes qui étaient, eux, restés fidèles à leur foi, et même l’avaient, pendant le stalinisme, défendue jusqu’au sacrifice. Alors elle se fit orthodoxe à son tour et, sans trop de souffrance, accueillit des icônes, de bien pauvres copies, à vrai dire, des figures admirables devant lesquelles, à Saint-Pétersbourg ou Moscou, le fidèle s’agenouille. 

L’Église, ayant ainsi emprunté la voix tracée par l’avant-garde esthétique, se trouva bien désarmée quand il fallu livrer bataille à des religions qui n’avaient rejeté les images qu’en se fondant sur une exégèse sévère de la nature de la divinité, qui rejetait le dogme d’une incarnation…

En attendant, cette vague d’iconoclasme atteignit à peu près tous les lieux publics, les administrations, les écoles, les hôpitaux… Au nom de la laïcité - ce terme propre au français et inconnu des autres langues, une sorte de religion du prochain, une fraternité floue empruntant autant à la fraternité des Loges maçonniques qu’à la camaraderie virile du Mannesbund allemand -, on entreprit de bannir toute oeuvre d’art qui risquait, par son imagerie, de blesser la sensibilité des prétendues vertus républicaines. On décrocha de partout les vierges, les saints, et les pauvres martyrs qui avaient, nonobstant, le voulait-on ou non, aidé à fonder, pendant un millénaire ou deux, la culture de l’Europe, son humanité, sa tendresse, une tendresse comme on n’en avait encore jamais ailleurs, son amour des autres."


Un homme de ma génération n’en avait pas conscience, mais il est vrai que l’on voit cela dans les films des années 30-50, toutes ces peintures ou sculptures dans les hôpitaux et les lycées, représentant des figures religieuses, ou des sacrifices plus ou moins patriotiques et laïcisés… Le mouvement est le même, du refus de l’incarnation, de l’iconoclasme et de l’acceptation de l’euthanasie sous les formes les plus variées. 

samedi 4 avril 2020

"Un spiritualiste déçu qui se révolte contre le matérialisme..."



Une mise au point de Jean Clair : 

"Marx avait décrit la religion comme un opium pour le peuple. Et l’autre grande voix, à l’entrée du monde actuel, Freud, avait parlé de l’art comme d’une « narcose légère ». La religion et l’art, qui ne servent à rien, seraient des stupéfiants qui nous cacheraient la misère du monde. 

Mais les citations sont tronquées. Dans leur intégralité, elles disent le contraire de ce qu’on leur fait dire. Marx dit de la religion qu’elle est aussi l’âme d’un monde sans coeur, « le soupir de la créature oppressée, l’esprit d’un état des choses ou il n’est point d’esprit (Geist) ». Marx est, ici comme ailleurs, un spiritualiste déçu qui se révolte contre le matérialisme d’un temps qu’il voit venir. 

Freud, dans des termes très proches, dira de l’art - cette activité qui ne cessera d’occuper sa pensée au point d’en faire une obsession, un idéal, une énigme dont il tentera en vain de résoudre l’origine - qu’il est une illusion, mais une illusion nécessaire et bienheureuse, une consolation sans prix, qui permet de supporter la souffrance. (…)


Ni l’un ni l’autre donc de ces deux grands révolutionnaires n’ont méprisé l’art ni la religion - au contraire."