dimanche 19 juillet 2020

Article sur Jean-Pierre Voyer paru dans "Éléments".

Certains d'entre vous ont peut-être lu l'article en hommage à Jean-Pierre Voyer paru dans le dernier numéro de la revue "Éléments" il y a déjà quelques semaines. Tout en remerciant les rédacteurs de leur hospitalité et de leur ouverture d'esprit, je ne peux que regretter qu'ils aient pratiqué autant de coupures. Voici donc le texte tel que je l'avais écrit. Si ma mémoire ne me trahit pas, je l'avais fini à quelques jours du déconfinement.



Hormis les connaisseurs de l’histoire de l’Internationale Situationniste, qui se souvient encore de Jean-Pierre Voyer ? Sa silhouette est celle d’un intermédiaire, voire d’un entremetteur : l’homme qui fit se rencontrer Guy Debord et Gérard Lebovici. Des lecteurs d’Alain Soral se rappellent de surcroît que celui-ci a mis en exergue de son Anthologie un compliment à lui adressé par Voyer, il est peu probable que ceux d’entre eux qui ont eu la curiosité de lire des textes de l’auteur de la Diatribe d’un fanatique y aient trouvé leur compte. 

Jean-Pierre Voyer est décédé le 1er décembre 2019, et l’on ne sache pas que beaucoup lui aient rendu hommage. Nous qui pensons qu’il est un des rares penseurs français à donner une description concrète du monde dans lequel nous vivons tous les jours un peu plus difficilement et tristement, nous voudrions retracer ici les grandes lignes d’une oeuvre aussi riche qu’évolutive. Si les thèses les plus importantes peuvent être en énoncées en des termes simples : "La société est communication" ; "L’économie n’existe pas" ; "La vie est une cérémonie", il faut avant toute explication de ces formules marquer la singularité de cette philosophie : elle exalte la richesse tout en récusant toute forme de matérialisme. Ce qui va amener une rupture progressive dans cet itinéraire qui court, pour être schématique, sur une quarantaine d’années, de L’enquête sur la cause et la nature de la misère des gens, presque un texte sur les Gilets Jaunes… (1976), aux interventions d’abord volubiles puis plus sporadiques sur internet, jusqu’en 2017 : c’est au moment où le monde matérialiste occidental est enfin attaqué en tant que monde, par un autre monde, c’est-à-dire lors du 11 septembre, qu’il devient de plus en plus clair que les riches ne sont plus ce qu’ils étaient. Même le monde des riches est déserté par l’esprit. Développons.

Après quelques ouvrages parus chez Champ Libre, l’Enquête déjà évoquée, Reich mode d’emploi, 1971 (il revendiquait la paternité de la tournure "X mode d’emploi", reprise depuis à satiété), comprenant que Debord ne répondrait jamais aux importantes objections que lui semblait soulever La société du spectacle, Voyer jette son premier pavé dans la mare, qui est aussi son premier grand livre, Rapport sur l’état des illusions dans notre parti suivi de Révélations sur le principe du monde, 1981. En revenant sur le célèbre « Anti-Hegel » de Marx, en jouant le premier contre le second, l’auteur y expose ses thèses cardinales. 

"La société est communication". Il faut ici remonter à Mai 68, qui fut pour Voyer à la la fois la découverte de ce que peut être la communication, la découverte de l’idée que la société est communication, et la révélation, si ce n’est conceptuelle en tout cas palpable pendant quelques semaines, qu’en temps ordinaire, et au moins depuis l’avènement du capitalisme et de la modernité, il n’y a plus de communication. Cette acmé d’échanges ("Plus l’homme a de relations, et plus il est libre", disait Proudhon), qui est bien le souvenir commun à tous ceux qui ont connu cette période de Mai, fut on le sait éphémère, la communication fut très vite recouverte par la parole de tous ceux qui avaient le droit officiel de parler et par tous ceux qui en profitèrent pour prendre ce pouvoir, parler à la place des autres, tenir le crachoir et ne plus le lâcher… jusqu’à aujourd’hui. La part la plus drôle et la plus féroce de l’oeuvre de Voyer réside dans l’envoi de lettres d’insultes - il poursuit alors y compris à l’encontre de Debord et Lebovici, une tradition situationniste, elle-même reprise des surréalistes - à l’égard de ceux qu’il appelait les putes intellectuelles - tous ceux, de Bourdieu à BHL en passant par Comte-Sponville ou Kahn, qui sont stipendiés par l’État bourgeois, c’est-à-dire par le commerce, pour parler afin d’empêcher les gens de penser. Voyer ne fut jamais payé, ni par l’État ni par un journal - au pays roi du capitalisme de connivence, cela fait de moins en moins de différence… - pour travailler ni pour écrire, c’était un homme normal comme un Gilet Jaune, mais en mieux, en grande partie autodidacte, qui produisit son oeuvre tout en connaissant la vie concrète - parfois plus pauvre, parfois plus riche - d’un français dit moyen. Mais restons sur l’essentiel.

"La société est communication". Cela signifie que les relations sociales ont pour but les relations sociales. Le riche n’est pas celui qui a plus d’argent, le riche est celui qui détient la communication - fût-elle en partie aliénée -, la richesse est moins compte en banque ou richesse matérielle que pouvoir et liberté, liberté et pouvoir de communiquer - et, de facto, d’empêcher les autres de communiquer à leur guise. S’appuyant sur l’ethnologie de Malinowski, Voyer décrit les sauvages communiquant sans cesse, par les jeux subtils de ce que les lecteurs de Mauss connaissent comme le « don / contre-don », alors que dans la société moderne (depuis 1789) seuls les riches communiquent, seuls les riches vivent dans la liberté. Une conséquence politique importante : on est riche ou on ne l’est pas. Il y a les riches et les esclaves, esclaves salariés à l’époque actuelle - ou jusqu’à très récemment… -, on est riche ou on est esclave. Gagner un peu plus, bosser un peu moins, cela ne change rien à sa condition d’esclave, obligé de pointer au boulot à heures déterminées, et qu’importe le temps dit libre : "c’est dans ces loisirs conçus spécialement pour lui que l’esclave peut révéler toute sa bassesse et son ignominie d’esclave." Que certains changements puissent ne pas être insignifiants dans la vie de tel ou tel, c’est vrai, mais l’esclave salarié, s’il peut se croire libre, n’en est pas moins esclave. Ce qui se voit très bien, l’actualité nous le rappelle à chaque jour de travail sur cet article, quand les riches décident de serrer la vis et de rappeler la différence entre eux et nous. (Il faudrait ici considérer l’immigration massive actuelle comme une paradoxale ruée de l’Afrique vers l’esclavage, que celui-ci prenne la forme du salariat ou des « allocs ».)

Ce qu’il y a pertinent dans le concept de société du spectacle n’est donc qu’une conséquence du régime de l’esclavage moderne : "La société est unifiée par le commerce et non par le spectacle. C’est parce qu’il y a unification qu’il peut y avoir spectacle de la société et non l’inverse." ; "L’individu dans cette société est d’abord esclave et ensuite seulement et de ce fait spectateur. La cause du spectacle est connue, c’est l’esclavage. Ce qu’il convient donc de déterminer est la cause de l’esclavage. Il faut nommer cette société la société de l’isolement, ce qui tombe bien puisqu’elle est aussi la société de l’isoloir auquel se réduit la liberté politique de l’esclave moderne." Que l’on repense à l’acharnement récent à envoyer les gens tomber malades au champ d’honneur du vote…

"L’économie n’existe pas." C’est la conséquence du refus hégélien du matérialisme marxiste, matérialisme repris par les situationnistes, par une sorte de ruse de la raison moderne. Même les adversaires du capitalisme moderne croient à l’existence d’un ordre de faits indépendants des autres, l’« Économie », et adoptent sans s’en rendre compte les présupposés explicites des économistes libéraux (qui ne sont pas ceux des riches, moins matérialistes que leurs valets). Si seulement on redistribuait un peu plus d’argent… on se voue ainsi à l’impuissance, comme tous les J. Bové et J.-L. Mélenchon de la terre, on contribue à asseoir la domination de ce monde moderne sur les existences et les consciences. "Seul un monde peut combattre un monde. Gros imbécile de bourgeois, il s’agit bien de lutte contre la pauvreté. Ce n’est pas le sort de sociétés prétendument attardées qu’il s’agit d’améliorer, c’est le sort du monde qui est en jeu." Si l’économie n’existe pas, le commerce, lui, existe bel et bien, et c’est lui qui domine le monde depuis, disons, la Révolution française, en un mouvement progressif d’assujettissement des États audit commerce et au règne fétichisé de la marchandise, ce qui fera souvent écrire à Voyer que notre monde n’est aucunement désenchanté, qu’il est au contraire enchanté, et mal enchanté (sauf lorsqu’il s’agit d’une Rolls-Royce…) par la marchandise. "C’est seulement la vie des prostitués [salariés] qui est désenchantée."

Évoquons ici brièvement le concept d’enculisme, érigé par Voyer comme la pierre angulaire de la psychologie de l’esclave salarié, au croisement du péché antique de l’envie et du matérialisme de l’homme moderne, l’enculisme comme pratique nihiliste de l’arnaque de tout le monde par tout le monde pour grappiller un peu plus de pognon, puis avançons. Nous avons évoqué une « rupture progressive » dans l’oeuvre de Voyer. A l’époque du Rapport, publié par ce qu’il avait appelé l’Institut de Préhistoire contemporaine, notre auteur reste sur un schéma de pensée que l’on pourrait décrire comme du Marx mâtiné de Musil, le Musil qui intitule une partie de L’homme sans qualités "Toujours la même Histoire" et qui cherche des moyens rationnels et romanesques d’y échapper. Il croit en ou estime envisageable la possibilité d’une nouvelle ère (la sortie de notre préhistoire), les riches donnant de plus en plus envie aux pauvres de devenir riches, ce qui n’était pas le cas à l’époque pré-moderne, où la religion tenait les troupes en ordre, jusqu’à un éventuel basculement vers une sorte de richesse universelle, dont vous aurez compris qu’il s’agit avant tout d’une richesse de sens. Mais le basculement, s’il n’a peut-être pas été total, s’est produit, lors des dernières décennies du XXe siècle, dans l’autre sens : les riches sont devenus aussi pauvres en esprit que les pauvres, voire plus. Accueilli comme une fête par Voyer dans sa Diatribe d’un fanatique (son autre grand livre à notre sens), le 11 septembre, ou l’attaque frontale du monde nihiliste occidental par le monde musulman, lequel a encore une foi, lequel donne encore un sens aux choses ("Seul ce qui a un sens est réel…"), que Ben Laden ait été milliardaire ne changeant rien à cela ; le 11 septembre (toutes thèses complotistes, que Voyer n’a jamais trouvées très convaincantes, mises ici de côté) est aussi un crépuscule, la « foi de synthèse » mondialisée qu’est le wahhabisme ne pouvant apporter mieux qu’un exemple : "Le vide de foi créé par le nihilisme des gens de biens ouvre la porte à n’importe quelle foi, peu importe laquelle pourvu qu’elle soit. Comme dirait Houellebecq, c’est la plus con, mais c’est la seule. A qui la faute ? On a la foi qu’on mérite. Si ce monde n’était aussi prostitué, les wahhabites n’auraient rien à dire, ni rien à faire. C’est le vide de foi du monde de l’enculisme qui active la foi wahhabite (…). La foi a horreur du vide."


Après la Diatribe, Voyer écrira de nombreux et pétillants textes sur internet (https://leuven.pagesperso-orange.fr/noc-blot-12.htm), puis sa parole se fera plus rare, il se contentera de donner des liens accompagnés d’un bref commentaire - anticipant ce qui fait sur Twitter. Cette disparition progressive de sa parole est d’autant plus frappante rétrospectivement qu’il tomba alors malade, à peu près au moment de l’apparition des Gilets Jaunes, d’une maladie cérébrale qui l’empêchait de s’exprimer oralement et dont il finit par décéder. Nous avions déjà été frappé, sans pouvoir en tirer de conclusion autre qu’une forme de prophétie pessimiste, de cette coïncidence : un théoricien de la communication comme fondement de la condition humaine, atteint, comme le Baudelaire de Fusées, dont il était si proche ("Le monde va finir…"), d’une forme d’aphasie, alors même que naissait un mouvement politique aussi important mais aussi muet conceptuellement que celui des Gilets Jaunes… Et voici que nous rédigeons ce texte alors que la séparation, pour reprendre un terme situationniste qu’il ne dédaignait pas d’utiliser, est instituée à la fois par un virus et par un gouvernement qui rappelle chaque jour un peu plus que dans esclave salarié il y a esclave, alors que la médecine prouve maintenant que plus on communique et plus on est en bonne santé et moins on meurt du Covid, alors que nous entrons dans un monde qui balaie rudement les illusions réelles ou proclamées (les masques!) de ceux qu’il avait si justement attaqués, sans que l’on puisse savoir si cette rude clarification des concepts politiques sera ou non une forme d’Apocalypse, et à quel point. Il y a une une parenté logique on le sait entre les conceptions de l’histoire qui s’achèvent sur un âge nouveau, le « dimanche de la vie » hégélien, le communisme, et sur l’Apocalypse et/ou le Jugement dernier. Exprimons ces interrogations en empruntant une pirouette au maître : "De même que l’on dit fume c’est du belge, les Arabes ont dit [le 11.09] à leur brutale manière : fume c’est du réel." Et le Covid ajoute : étouffe, c’est du réel ; et l’État enfonce son pieu légal dans ce qui reste de pays réel. - Quel sens nouveau peut-il en sortir ? 

jeudi 23 avril 2020

Voyer, les pédés, les gouines, les connasses...

Un lecteur m'a fait parvenir ce texte rare de Jean-Pierre Voyer, dont j'avais entendu parler il y a longtemps, une lettre aux membres du F.H.A.R. (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire...), je reproduis ces lignes aussi actuelles que pertinentes avec plaisir. 

Citoyens,


nos félicitations et notre estime pour votre excellent Rapport contre la normalité paru aux éditions Champ Libre. Nous avons particulièrement apprécié sa dignité, sa clarté, sa rigueur, son intrépidité, choses si rares et tant nécessaires aujourd’hui.

Mais que la honte soit sur les connasses maoïstes qui encombrent vos colonnes avec leur "phallocratie". Et qui pensent, parce qu’elles sont une masse de connes, qu’elles doivent être chose nécessairement que de réelles connasses. Et qui confondent le prolétariat avec une masse de cons et de connes. Le prolétariat n’existe que pour autant qu’il se connaisse. Leur verbiage, leur bêtise et leur confusion tranche détestablement sur la claire détermination du reste du rapport. D’autre part, ces connasses m’insultent personnellement, moi, secrétaire général de cet institut, et homme – c’est-à-dire : individu humain de sexe masculin –, en disant que CE monde est MON monde puisque mon sexe s’y étale. C’est-à-dire que moi, individu masculin, j’ai plus qui quiconque la libre disposition de ma vie, que j’ai un réel intérêt au maintien de ce monde – alors que, bien sûr, il existe un illusoire intérêt qui courbe les fronts de toute une humanité. C’est dire que je retire un avantage quotidien, permanent, que je m’éveille de bonne humeur chaque matin, simplement du fait que mon sexe symbolise tour à tour le sceptre et la matraque.

Elles m’insultent en disant que le langage, qui en fait est au service d’un pouvoir qui n’est pas le mien ni celui de mes semblables, est mon langage et me sert, moi qui suis assailli par l’isolement.

Elles m’insultent en insinuant que ce monde étant le monde de l’"homme", ce serait ma possession, moi qui ne possède pas même le plein usage de ma propre vie.

Connasses, quel « intérêt » pour les individus concrets, existants, masculins ou féminins (et que vous ne rencontrerez jamais, évidemment, tant votre connerie vous aveugle !), quel avantage à ce que le sexe masculin soit exploité et glorifié spectaculairement à des fins commerciales et d’asservissement du bétail laborieux, tant masculin que féminin, dont je suis ? – Aucuns !
Non, la « phallocratie », si l’on entend par là l’usage publicitaire du sexe masculin, n’est pas l’ennemi des « femmes » aussi bien que le pire ennemi des « hommes » est leur bêtise, dont cet échantillon de connasses témoigne scandaleusement, et pour la production, le maintien de laquelle tout est fait dans cette société, par les classes dominantes occidentales, orientales et extrême-orientales.

Ces connasses insultent mal à propos un peuple d’esclaves, dont je suis, en prétendant que quelque chose lui appartient, à lui qui n’a rien. Ce peuple dont certains membres sont déjà les "Spartacus", comme pourraient bien l’être les autres rédacteurs du Rapport. Et alors qu’il existe tant d’injures appropriées au prolétariat quand il n’est pas révolutionnaire : esclaves, cons et connes, étudiants, petits cadres, vieux cons, staliniens, syndicalistes, maoïstes, trotskistes, castristes, bureaucrates, léninistes, anciens combattants, automobilistes, vacanciers, racistes, télévisionnaires, footballeurs, flambeurs minables, etc. il a fallu qu’elles choisissent la SEULE insulte inappropriée par définition : HOMME, lancée à une foule à qui la qualité d’homme est déniée chaque jour.

Enfin, il n’y a pas de « sexualité dominante ». Il n’y a qu’une réelle absence de sexualité, une réelle misère de la sexualité d’une part, et d’autre part : image, spectacle, idée, eux dominants, d’une sexualité épanouie et heureuse ! Image, spectacle, idée, tellement dominants, tellement terroristes, que c’est leur énorme réalité qui condamne la misère réelle au silence, au secret, à la terreur, à l’isolement. Heureusement, de plus en plus apparait la réalité, qui est celle de l’universelle misère sexuelle, tant hétéro qu’homo, celle-ci servant de bouc-émissaire à celle-là. C’est même l’universalité de cette misère qui fait qu’un spectacle de la libération sexuelle soit rentable.

Où sont ces « hommes », dans tout cela, qui réinventent sans cesse le pouvoir ! Les connasses se sont trompés de rédaction : elles devaient aller à la rédaction de Elle, où elles auraient été d’ailleurs été très bien reçues, étant donné que Lesbos devient fort à la mode ces temps, et va même devenir sous peu, pensons-nous, un secteur rentable du spectacle. Il ne faut pas confondre le mensonge insolent de l’idéologie avec la réalité de la misère.
Oui, l’homosexualité est l’homosexualité de l’homme ; mais non pas, comme le pensent ces connasses, à cause du « défaut » de sexe des "femmes" ; mais pour un fait historique et social : seuls les homosexuels masculins sont traqués comme des bêtes, comme des juifs par les nazis. L’histoire ça n’existe pas pour ces connasses. L’"homme" dont elles parlent n’existe que dans leurs petites têtes, il y a été mis, comme idée aberrante, par le spectacle de l’"homme" qu’entretient cette société ennemie du genre humain. Si elles n’étaient pas si connes et si prétentieuses, ce ne seraient que de malheureuses victimes de cette odieuse mise en scène. Ce n’est pas le sexe qui leur fait défaut, mais la cervelle et le moyen de s’en servir. La prose de ces connasses, digne de la prose du M.L.F., peut se résumer en une phrase, celle d’un aveugle qui dirait au paralytique : "Salaud, tu vois !" 

Citoyens du F.H.AR., mes collègues et moi-même ne pouvons que vous encourager vivement à choisir scrupuleusement vos associés dans l’avenir. Tout le monde – si on a quelque connaissance de la vie – sait fort bien que l’homosexualité féminine, heureusement, n’est presque pas réprimée dans la société actuelle. Nous comprenons les excellentes raisons de principe qui vous ont incités à associer à votre mouvement des homosexuelles féminines. Malheureusement, cette expérience prouve que vous n’en avez pas trouvé de vraies (ou tout au plus quelques maladroites qui n’arrivent pas facilement à mettre des filles dans leurs lits). De sorte que nous avons là la simple continuation de l’arrivisme militant où les femmes se sont toujours tristement distinguées, pour des causes qui tiennent évidemment au surplus d’aliénation dont elles sont victimes, dans la société présente. Tandis que les véritables lesbiennes sont dans l’ensemble à l’avant-garde des femmes aujourd’hui, les fausses ou les incapables qui participent malencontreusement à votre Rapport témoignent pleinement de l’arriération féminine, et aspirent à la conserver, par le simple contraste de la sottise de leur "pensée" et de leur langage, en regard de ce qu’écrivent les autres rapporteurs. Si ces connasses savaient quelque réalité sur le plaisir, même entre hétérosexuels, elles ne s’en mettraient pas plein la bouche avec le mythe de la "phallocratie".

Et quand bien même les hétérosexuels resteraient la plus réduite des "minorités sexuelles" elles n’en mériteraient pas moins d’être approuvée comme toutes les autres, par une société, sans classes, sans Mao, et sans Lin Piao.

A bas le spectacle de la sexualité !

A bas l’opposition spectaculaire de l’"homme" et de la "femme" !

Travaillons plutôt à la publicité de la misère individuelle !

La publicité de la misère individuelle est l’arme absolue !

Bravo pour la manière dont vous avez mouché les petits bourgeois de Voix Ouvrière.

Pour l’Institut de Préhistoire Contemporaine
le secrétaire général
J.-P. VOYER


P.-S. – Que les camarades homosexuels masculins se rassurent : ils ne détiennent pas le triste monopole de l’insulte allusive avec "merdeux" et "enculé". Leurs consœurs, qui sont aussi les nôtres, sont assez bien loties avec l’emploi universel et très bisexué de "connerie", etc. Sans compter les travailleurs qui pourraient aussi se sentir offensés, et, pensons-nous, ne vont pas tarder à l’être de termes comme "canaille", "plèbe", "ivrognes", "abrutis" !

Paris, le 10 novembre 1971


INSTITUT DE PREHISTOIRE CONTEMPORAINE

samedi 18 avril 2020

Furieusement actuel, y compris au temps du Covid...

"Canjuers et Debord ont raison dans leurs Préliminaires, la société capitaliste moderne n'a pas de culture parce qu'elle n'en a pas besoin et c'est tant mieux. Le concept de richesse existe objectivement pour tous les hommes. Notre époque est celle qui a la chance de connaître le concept objectif de la richesse, le spectacle de la richesse universelle, car elle a le malheur d'en connaître tous les moyens pratiques dans toute l'étendue de leur aliénation, la division mondiale et infinie du travail par l'Etat et la marchandise. Elle est capable de résoudre cette question car elle est capable, enfin, de se la poser et bien entendu pas seulement dans la théorie. Elle peut exiger la richesse dans la théorie parce que la richesse est devenu une exigence du monde dans le monde.
Il revient à l'I.S. d'avoir formulé pour la première fois un concept pratique de la richesse. Elle parvient à concevoir la richesse comme richesse de la communication et pratique de la communication et elle se déclare du parti de ceux qui ont pour but la communication totale. Cependant bien qu'elle ait insisté sur le côté pratique de la communication en concevant celle-ci comme une construction de situation, elle ne parvient jamais à concevoir le contenu pratique de la communication. Le contenu pratique, concret, de la communication, le contenu pratique, concret, de la richesse, est la division du travail. Là où l'on ne divise pas de travail on ne communique pas. Là où l'on ne divise pas de travail on est pauvre.
 Face à l'utilitarisme de l'économie politique, l'art moderne représente le point de vue anti-utilitariste conscient de soi de la richesse pratique. La richesse pratique, la communication pratique est une exigence de l'art. Seulement l'art est condamné, faute de moyens pratiques, à ne communiquer que d'une manière artistique, c'est-à-dire non pratique. L'art est la communication dans la pensée, pas même communication de la pensée ou communication pensée, communication théorique et théorie de la communication, seulement pratique de la communication dans la pensée. Si l’« art » des sociétés primitives a un côté essentiellement pratique, c'est-à-dire non artistique, c'est simplement que dans les sociétés primitives l'art n'est pas encore séparé de la richesse pratique elle-même dont il est un moment. S'il n'est pas artistique, c'est parce qu'il a encore des pouvoirs pratiques, c'est-à-dire sociaux. L'art primitif n'est pas artistique. C'est la société primitive qui est artistique. L'exigence de la richesse n'y est pas encore séparée et opposée à la richesse pratique. L'art devient artistique quand la société cesse de l'être. L'art moderne commence avec les Médicis. Il finit avec les Rothschild, c'est-à-dire quand commence le prolétariat moderne. Il commence quand la richesse commence à s'opposer à la société dont elle est pourtant l'essence. Il se décompose quand se décomposent les illusions sur la richesse séparée. Contrairement à l'économie et même à la théorie de Marx, la théorie situationniste de la richesse rend compte aisément des sociétés primitives : les sauvages sont des constructeurs de situations.
 Regardons, grâce à la meilleure ethnographie, comment vivent les sauvages et tout particulièrement ceux qui semblent les plus gais : tout le temps se passe en activité sociale. Tout est prétexte à activité sociale. Par exemple chez les Trobriandais, le jardinage est prétexte à une furieuse activité sociale où tout prend un caractère de défi et de magie."
La vie est une cérémonie, nom de… ! 
Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, suivi de Révélations sur le principe du monde, Institut de Préhistoire contemporaine, 1979, pp. 155-157. Je rappelle que les ouvrages de Jean-Pierre Voyer sont disponibles ici : http://www.editions-anonymes.fr/

dimanche 12 avril 2020

"La communication est l'activité qui produit le monde en produisant l'aliénation du monde." Voyer encule Macron et les autres...

"La communication est l'activité qui produit le monde en produisant l'aliénation du monde. 

Le péché théorique de Marx est de confondre, en retrait de Hegel,ce qu'il appelle « processus matériel de production » et qui serait censé selon lui dominer et diriger entièrement le cours de l'existence humaine, avec le processus réel de production du monde qui est non pas production particulière et déterminée mais production du monde. Et ce processus de production du monde n'est autre que le processus infini de la communication. Le monde est le monde de la communication. La production du monde est la production de la communication par la communication. C'est en ce sens que le monde, en accord avec Hegel est ens causa sui : jusqu'à aujourd'hui l'esprit n'a jamais eu de cause qui ne soit lui-même : la soif de communication n'a d'autre cause que la soif de communication, la soif de richesse n'a d'autre cause que la soif de richesse. Le mouvement d'auto-division du monde qui est aussi bien le mouvement de la production du monde par le monde est un mouvement interne et dans le cas de l'aliénation un effondrement interne, sur soi, infini, un auto-effondrement et non pas le mouvement externe d'un objet par rapport à un sujet intangible. De ce fait il n'y a aucune limite à ce mouvement du genre de celles auxquelles pensait Marx, comme le montre parfaitement le développement le plus moderne de la marchandise. Rien ne peut empêcher la marchandise de s'auto-diviser indéfiniment, rien sinon l'anéantissement total ou l'intelligence des prolétaires. Si Marx et les situationnistes ont absolument raison sur le point de l'effondrement nécessaire de ce monde ils ont absolument tort sur celui de savoir ce qui doit mettre fin à cet effondrement. S'il est absolument nécessaire que ce monde s'effondre parce que c'est son mouvement même, il n'est absolument pas nécessaire que notre parti, le parti de la communication totale, triomphe pour autant. Et c'est ce qui fonde tous nos espoirs : nous n'avons que faire d'une victoire nécessaire. Si la victoire de notre parti est une victoire nécessaire, si la victoire de notre parti est causée par l'effondrement de ce monde, cette victoire n'est pas la victoire de notre parti mais la victoire de ce qui la rend nécessaire, la victoire de ce qui la cause. Nous rejoignons Hegel sur ce point intangible de sa doctrine : l'esprit absolu, la liberté, ne peuvent se tenir que d'eux-mêmes, ils ne sauraient admettre aucune cause, ils ne sauraient résulter d'aucune nécessité, d'aucun présupposé, ils sont la suppression de toute nécessité et de tous présupposés. Si notre parti triomphe il ne peut le devoir qu'à lui-même ou alors il n'est pas le parti de l'esprit. Rien ne peut servir de limite à l'auto-effondrement de l'esprit aliéné, rien sinon l'esprit lui-même, rien sinon l'intelligence des prolétaires. L'esprit seul peut servir de limite à l'esprit. Nulle autre chose ne le peut. Même dans le cas d'un anéantissement total de l'esprit, cet anéantissement aura été l'œuvre de l'esprit. La prétendue croissance économique n'est que l'apparence, dans la théorie dominante, de la croissance infinie, interne, de l'auto-division du monde. L'auto-division du monde est la seule chose que produit réellement le monde. Et le monde nous inflige durement la preuve de l'intériorité de cette auto-division : il n'y a nul extérieur où l'on pourrait rejeter la merde de l'esprit aliéné, il faut survivre dedans. Nous répondrons d'un seul mot aux facéties kantiennes sur la chose en soi : la chose, mais nous sommes dedans.

Nous ne saisissons pas bien l'intérêt des doléances de Debord et de Sanguinetti sur le néo-pain, la néo-viande, la néo-bière. Trente ou quarante pages du Capital sont déjà consacrées, il y a plus de cent ans de cela, à la falsification du pain et des aliments destinés aux ouvriers. Voici maintenant que cette falsification s'étend aussi aux aliments destinés aux classes moyennes, à l'air que tous respirent, à l'eau que tous boivent. Et alors ? Bien fait. Qu'en avons-nous à faire ? De quoi se plaignent Debord et Sanguinetti ? C'est la guerre. Ce paysage de désolation, ces gaz toxiques, ces radiations électro-magnétiques, c'est le champ de bataille de la guerre totale de l'esprit pratique. Si Debord et Sanguinetti cherchent à dresser le catalogue de tous les prétextes qui peuvent servir à une révolte, leur tentative est strictement dénuée d'intérêt — pour nous — et de plus vouée à l'échec, et heureusement, car s'ils pouvaient établir ce catalogue, la police le pourrait aussi. Mais le prétexte des révoltes est aussi imprévisible que le sont les révoltes elles-mêmes et c'est tant mieux car elles sont aussi imprévisibles pour la police. Si Debord et Sanguinetti veulent simplement dire que les riches fournissent eux-mêmes et de plus en plus de prétextes de révolte aux pauvres, nous le savons bien et nous en sommes fort contents. Mais la seule vraie question est que les pauvres ne s'éternisent pas à ces prétextes quand ils se révoltent — ce que préféreraient les riches — mais qu'ils en viennent tout de suite aux principes. Or nous savons bien qu'ils y viennent vite et à chaque révolte et d'autant plus que ces révoltes sont plus modernes. Et ce n'est pas le fait que les riches fournissent des masses de prétextes de révolte aux pauvres ou même qu'ils rendent presque impossible aux pauvres de ne pas se révolter qui peut garantir que ceux-ci en viennent encore plus radicalement aux principes, mais seulement leur éducation par le monde, par l'histoire, par l'aliénation de la richesse. Et le rôle de la théorie n'est pas de souligner les prétextes que les riches fournissent obligeamment aux pauvres pour se révolter, prétextes qui se signalent sinistrement et pesamment eux-mêmes, mais bien de souligner les principes que le monde lui-même met en avant. Il est bien possible qu'une question de néo-pain ou de plutonium soit le prétexte d'une révolte comme le fut l'absence de pain en 1789, de la viande pourrie en 1905. Mais si les pauvres se révoltent parce que le pain manque ou devient immangeable, ils ne se révoltent pas pour avoir du pain ou du pain mangeable mais pour pratiquer la richesse à la place des riches. Et si les riches parviennent à confiner cette révolte dans une question de pain, les pauvres auront peut-être du pain mais sûrement pas la richesse. Et il est certain que lorsque les pauvres seront riches, ils mangeront du bon pain à l'occasion. Ce sera pourtant le cadet de leurs soucis d'alors. Certes, tout va bien parce que le monde va de plus en plus mal. Mais le monde ne va pas plus mal parce que le pain, la viande, la bière, l'air et l'eau vont de plus en plus mal, parce qu'il y a de plus en plus de plutonium dans le monde soit en masses de 6 tonnes soit en quantités diffuses, mais parce que la communication va de plus en plus mal dans ce monde. Le mauvais pain et le plutonium dans des mains irresponsables ne sont que purs résultats, pures apparences inessentielles de ce qui dans le monde est essentiellement mauvais et va essentiellement de plus en plus mal : la communication, c'est-à-dire l'aliénation de la communication, le mal historique plurimillénaire. L'existence de l'humanité tant qu'elle n'est pas fondée est elle aussi inessentielle. Le plutonium inessentiel peut donc très bien occire l'humanité inessentielle. Et alors ? C'est la guerre. Qui peut se vanter à la guerre d'être certain de gagner. L'humanité peut très bien perdre la guerre qu'elle a engagée contre elle-même."

Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, suivi de Révélations sur le principe du monde, Institut de Préhistoire contemporaine, 1979, pp. 133-137. Je rappelle que les ouvrages de Jean-Pierre Voyer sont disponibles ici : http://www.editions-anonymes.fr/


Joyeuses Pâques ! 

dimanche 5 avril 2020

Hors de l'incarnation, point de salut...

Un beau texte de Jean Clair, dans La part de l’ange, 2015. Comme vous pourrez le constater, beaucoup des éléments de notre actualité la plus étouffante s’y retrouvent. Pour l’intelligence du début, je rappelle que l’auteur est un fils de bouseux de la campagne (Mayenne), qu’avant d’être un intellectuel reconnu et Académicien, il devint conservateur de musées (après que son instituteur, tel celui de Péguy, eut convoqué ses parents pour leur dire que le fils était assez brillant pour continuer ses études et que cela valait quelques sacrifices financiers de leur part). L’analyse dont il est question dans les premières lignes est une psychanalyse suivie durant la fin de l’adolescence de l’auteur. 

"J’avais longtemps caché à mes proches le fait d’avoir choisi la carrière des Musées. « Sang d’ouvrier et sang de paysan » : comment avais-je pu donner foi à ces bêtises de riche ? 

Le métier ne me laisserait guère mon mot, pas plus que l’analyse ne m’avait trop laissé parler : un conservateur n’a pas l’autorité d’un professeur, pas plus que l’analysant n’est trop autorisé à prendre la parole. Le silence qu’il observe, la réserve à laquelle il obéit et l’éloignement du forum signifieraient qu’il a peu à défendre. Le conservateur prend soin des collections qui lui sont confiées, les entretient, les sauve à l’occasion, les expose et les fait connaître, parfois les enrichit, mais il publie peu [sauf Jean Clair lui-même…], et il se tient à l’écart des congrès internationaux des historiens qui défendent leur discipline - sans jamais pourtant, pour la plupart, avoir manipulé, ni même souvent vu de leurs propres yeux les oeuvres qu’ils analysent si savamment. Or, c’est dans ce privilège de les manier, de les empoigner, de les retourner, de les décadrer, comme s’il s’agissait d’objets usuels, des machines, des outils - ce qu’elles sont en fait -, de se livrer sur elles à des opérations toutes physiques, de les manipuler, les observer et les réparer, que se sont probablement révélées le mieux, comme une maladie au médecin qui palpe le corps, les menaces d’une civilisation qui a fini par s’écrouler sous nos yeux. 

Je ne pouvais imaginer, entrant dans la carrière des Musées, que je me trouverais, quelques années plus tard, non dans un refuge à l’abri du monde moderne, mais tout au contraire installé au coeur d’un laboratoire où se lisaient le mieux les signes annonciateurs de l’effondrement de notre culture. C’était là, dans le silence des tableaux, loin des tumultes du siècle, que l’observation des oeuvres dont j’avais la charge renseignait le mieux sur le lent processus de décomposition dont notre monde était devenu la proie. L’histoire de l’art dit « moderne » était l’histoire de notre propre fin. Loin d’être l’histoire d’une délivrance, l’épopée de l’esprit libéré du devoir de servir, la gloire de l’homme éclairé des Lumières, l’histoire de l’art moderne était le dernier épisode d’un nouvel iconoclasme, alignant, de décennie en décennie, les symptômes les plus évidents d’une auto-adoration de l’homme par l’homme, qui se terminait dans l’ordure ou l’imbécillité. J’en avais sous les yeux, de jour en jour, les preuves. (…)

Il suffisait de voir le genre d’oeuvres qui, pendues au-dessus de leur fauteuil, ornaient les bureaux des ministres d’État, des présidents d’administration, des hauts dirigeants des instances internationales, à New York, Berlin ou Bruxelles : toujours pareilles, de même dimension, quatre mètres sur trois environ, toujours abstraites, sans rien de discernable qui pût livrer quelque lueur sur les idées, les engagements, les convictions ou les trahisons, les lâchetés ou les hypocrisies de l’homme important qui les avait placées au-dessus de sa tête. Non, rien que des taches, des points, des griffes, des halos colorés. Une nébuleuse informe, mais aussi souvent d’une indicible laideur, une image saisissante - ne le comprenaient-ils pas ? - du flou, de l’inanité, des décisions que ces Puissants prétendaient assumer, et qu’ils se faisaient gloire, pensaient-ils probablement, d’afficher sur leurs murs. (…)

Ce n’était pas seulement dans les bureaux des ministres, dans les halls des banques, ou dans les salles de musées qu’il importait que l’art ne signifiât plus rien. L’Église elle aussi avait donné l’exemple. Comme honteuse d’avoir été à l’origine de la plus bouleversante floraison d’oeuvres, peintures et sculptures qu’aucune religion ait jamais suscitée, mais surtout où chacune d’elles portait un sens, une valeur, une leçon, un enseignement, une morale, à travers une imagerie tout à la fois simple et compliquée, naïve et raffinée, elle avait entrepris de décrocher les tableaux et de descendre les statues qui ornaient les sanctuaires. La nudité des murs serait seule en mesure de dialoguer, croyait-elle, avec l’ineffable. L’ineffable, mais surtout l’ignorance, la misère intellectuelle, l’impossibilité de dialoguer. N’ayant plus rien à dire, elle n’eut plus rien à montrer. Le mur nu fut le dernier état de sa conscience.

Alertée, cependant, inquiète de ce qui pouvait ressembler à un fâcheux silence ou, pis, à une désertion, elle revint vers les représentations peintes. Mais trop incertaine à présent de son dogme, elle s’en alla loucher vers les Orthodoxes qui étaient, eux, restés fidèles à leur foi, et même l’avaient, pendant le stalinisme, défendue jusqu’au sacrifice. Alors elle se fit orthodoxe à son tour et, sans trop de souffrance, accueillit des icônes, de bien pauvres copies, à vrai dire, des figures admirables devant lesquelles, à Saint-Pétersbourg ou Moscou, le fidèle s’agenouille. 

L’Église, ayant ainsi emprunté la voix tracée par l’avant-garde esthétique, se trouva bien désarmée quand il fallu livrer bataille à des religions qui n’avaient rejeté les images qu’en se fondant sur une exégèse sévère de la nature de la divinité, qui rejetait le dogme d’une incarnation…

En attendant, cette vague d’iconoclasme atteignit à peu près tous les lieux publics, les administrations, les écoles, les hôpitaux… Au nom de la laïcité - ce terme propre au français et inconnu des autres langues, une sorte de religion du prochain, une fraternité floue empruntant autant à la fraternité des Loges maçonniques qu’à la camaraderie virile du Mannesbund allemand -, on entreprit de bannir toute oeuvre d’art qui risquait, par son imagerie, de blesser la sensibilité des prétendues vertus républicaines. On décrocha de partout les vierges, les saints, et les pauvres martyrs qui avaient, nonobstant, le voulait-on ou non, aidé à fonder, pendant un millénaire ou deux, la culture de l’Europe, son humanité, sa tendresse, une tendresse comme on n’en avait encore jamais ailleurs, son amour des autres."


Un homme de ma génération n’en avait pas conscience, mais il est vrai que l’on voit cela dans les films des années 30-50, toutes ces peintures ou sculptures dans les hôpitaux et les lycées, représentant des figures religieuses, ou des sacrifices plus ou moins patriotiques et laïcisés… Le mouvement est le même, du refus de l’incarnation, de l’iconoclasme et de l’acceptation de l’euthanasie sous les formes les plus variées. 

samedi 4 avril 2020

"Un spiritualiste déçu qui se révolte contre le matérialisme..."



Une mise au point de Jean Clair : 

"Marx avait décrit la religion comme un opium pour le peuple. Et l’autre grande voix, à l’entrée du monde actuel, Freud, avait parlé de l’art comme d’une « narcose légère ». La religion et l’art, qui ne servent à rien, seraient des stupéfiants qui nous cacheraient la misère du monde. 

Mais les citations sont tronquées. Dans leur intégralité, elles disent le contraire de ce qu’on leur fait dire. Marx dit de la religion qu’elle est aussi l’âme d’un monde sans coeur, « le soupir de la créature oppressée, l’esprit d’un état des choses ou il n’est point d’esprit (Geist) ». Marx est, ici comme ailleurs, un spiritualiste déçu qui se révolte contre le matérialisme d’un temps qu’il voit venir. 

Freud, dans des termes très proches, dira de l’art - cette activité qui ne cessera d’occuper sa pensée au point d’en faire une obsession, un idéal, une énigme dont il tentera en vain de résoudre l’origine - qu’il est une illusion, mais une illusion nécessaire et bienheureuse, une consolation sans prix, qui permet de supporter la souffrance. (…)


Ni l’un ni l’autre donc de ces deux grands révolutionnaires n’ont méprisé l’art ni la religion - au contraire."

dimanche 29 mars 2020

"Seule une époque réelle le pourra."

Revenons à un texte plus programmatique, l’introduction au Rapport sur l’état des illusions dans notre parti, 1979 : 

"Personne ne conteste les limites de Hegel. Et c’est bien ce contre quoi nous voulons combattre. Nous voulons contester les limites de Hegel, les limites telles que le bon gros sens positiviste, qui est la chose la mieux partagée de ce monde, croit pouvoir lui assigner en toute quiétude après la chaude alerte que lui causa Marx il y cent ans. Nous voulons attaquer ceux qui se bornent à ânonner les poncifs de bon ton qui ont cours depuis un siècle. Le véritable but de tous ceux qui agissent ainsi est l’on ne connaisse jamais d’autres limites à la pensée de Hegel que celles qu’ils veulent bien lui assigner du haut de leur gros bon sens pseudo-réaliste de gauche. Nous voulons au contraire connaître de nouvelles limites à la pensée de Hegel, connaître en quoi notre époque est devenue plus profondément ce qu’elle était déjà du temps de Hegel et du temps de Marx. Malgré la satisfaction feinte de ceux qui y vont de leur couplet sur les limites bien connues de la pensée de Hegel, celui-ci n’a pas fini de nuire, car ce qui l’a si bien inspiré n’a pas non plus fini de nuire et nuit même de plus en plus efficacement. C’est un monde irréel qui a inspiré Hegel. Et ce monde n’est pas devenu plus réel depuis, que nous sachions. Notre époque est trop peu réelle elle-même pour pouvoir prétendre trancher du peu de réalisme de la pensée de Hegel. Cela, seule une époque réelle le pourra. En ce qui nous concerne, plus modestement et en parfait accord avec Hegel, nous prétendons trancher de ce qui n’est pas réel  et qui pourtant prétend l’être. Plutôt que ce soit ce monde qui soit capable de dénoncer l’irréalisme de la pensée de Hegel, c’est cette pensée, le mépris qu’elle témoigne pour ce qui n’est réel qu’en apparence, qui vont nous être d’un grand secours pour dénoncer le peu de réalité de ce monde. Là où Hegel plaidait seulement contre le pseudo-réalisme mensonger de la pensée positiviste dominante, nous plaidons, nous, contre le peu de réalité du monde lui-même. Nous faisons nôtre l’adage intangible de Hegel : seul ce qui est rationnel est réel. C’est dire le peu de réalité que nous accordons à ce monde quand on voit son peu de rationalité." (pp. 10-12)

mardi 24 mars 2020

J.-P. Voyer, 1976.

"L'époque moderne, celle de Marx, la nôtre, n'est pas caractérisée par le capital, mais par le salariat, par le fait que le capital, le commerce, s'empare de la sphère de l'exploitation. Au cours d'une soixantaine de siècles de commerce, le capital était toujours demeuré extérieur à la sphère de l'exploitation. Quand, voici quelques siècles, après avoir ruiné une bonne partie de la planète, le commerce s'empare de la sphère de l'exploitation, il va créer une nouvelle forme d'argent, l'argent qui ne peut s'accroitre, le salaire. (...) Le salariat, c'est d'abord la démocratisation de l'argent, l'argent avili, car la démocratisation avilit tout ce qu'elle touche."

Une enquête sur la nature et les causes de la misère des gens, Éditions Champ libre, 1976, p. 90. 

dimanche 15 mars 2020

"Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui."




Jean-Pierre Voyer à Jean-François Kahn, 26 novembre 1986. 

"Cher juif et sale Monsieur, 

Face au commode repoussoir russe, vous vous extasiez sur la liberté dans un pays qui compte plus de cinquante millions d’esclaves motorisés (une voiture pour deux esclaves). Vous êtes donc exactement comme les journalistes russes, vous colportez bravement la vérité officielle. En Russie, depuis 1917, comme en France depuis 1789, la vérité officielle est que l’esclavage n’existe plus. (Et les Juifs, existent-ils ? Ne les a-t-on pas supprimés récemment ? Encore plus récemment, n’a-t-on pas supprimé les aveugles, les sourds et les vieux ? Dernière invention de la bonne pensée, on ne dit plus charitable, mais caritative. Où donc s’arrêtera cette rage de suppression ?)

Or si le mot a été aboli en grande pompe vers 1789, la chose a proféré comme jamais dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas un hasard. La révolution française ou la guerre de sécession ont mis fin aux archaïsmes et contraintes inhérents aux esclavages d’ancien régime ou antique afin de permettre un développement sans frein, universel, de l’esclavage. Cette époque a vu l’invention extraordinaire de l’esclave citoyen et a associé allègrement l’esclavage le plus éhonté avec les dithyrambiques et grandiloquentes déclarations sur la liberté (vous, précisément, êtes payé pour cela). Qu’eût dit Platon qui se plaignait déjà de l’extravagante liberté dont jouissaient à Athènes les esclaves, les ânes et les chevaux qui heurtaient le passant dans la rue tant était grande leur liberté d’allure ! Le libre esclave motorisé et plus particulièrement l’esclave motorisé en col blanc, ski et planche à voile, est l’esclave idéal. Il est vraiment bon d’être un maître aujourd’hui. L’État se charge de surveiller, soigner et punir la grande masse des libres esclaves motorisés. Le salaire a remplacé le fouet. Le maître moderne est ainsi dégagé de tous les soucis que pouvaient connaître les maîtres antiques qui avaient la charge des esclaves. 

Je comprends l’indignation de Soljenitsyne quand il put constater qu’en Occident il n’était même pas besoin de police et de censure pour que les esclaves se couchent. 

Vous êtes de la merde. De tous les esclaves, les journalistes sont les pires car ils s’imaginent bien traités. Vous vous asseyez à la table des maîtres et vous avez le droit de leur adresser la parole pendant le repas. Un rien vous satisfait. Cependant, vous n’êtes pas comme ces esclaves dont parle Platon, dans une époque où l’on savait regarder l’esclavage en face : vous ne vous ferez pas couper la tête pour vos maîtres. Fort heureusement de temps en temps des bougnoules frénétiques s’en chargent.

Je vous prie d’agréer, cher juif et sale Monsieur, mes salutations distinguées."


(Hécatombe, 1991, pp. 270-71). 

lundi 2 mars 2020

"Vérité du tiers mondisme."

Titre d’un texte de J.-P. Voyer dont voici un extrait : 

"Notre thèse se résume ainsi : 

1) oui le sous-développement est bien une acculturation mais non de la périphérie par le centre, mais bien du centre par la périphérie ; 

2) cela est possible seulement parce que le prétendu développement économique n’est pas économique mais pure culture, pure communication ; 

3) ce développement culturel, ce développement de la communication étant développement de l’aliénation de la communication, c’est par-là même un sous-développement de la communication directe. 

Il faut encore remarquer que l’acculturation du centre par la périphérie n’est évidemment pas le fait de la périphérie qui s’avancerait les armes à la main mais le fait du principe de la périphérie : le fétichisme.

Ainsi, comme le note Lopi dans sa Note sur le spectacle de la rareté, c’est le fétichisme qui était seulement rituel, rêvé, souhaité, invoqué en Afrique qui est totalement réel, réalisé à Paris, Tokyo et New York. 

Donc, s’il y a acculturation, ce n’est pas de l’Afrique par l’Europe ou l’Amérique, mais bien de l’Europe et de l’Amérique par le principe africain de la société qui se trouve ainsi un principe universel. Le monde est fétichiste. Donc le monde est africain."

La « communication directe » est-elle possible, il n’est pas interdit de penser que Jean-Pierre Voyer et son ami Pierre Brée, associé à la conception de ce texte, se soient leurrés sur cette question. Mais retenons aujourd’hui ce renversement de perspective - l’acculturation du centre par la périphérie -, qu’il est certes tentant d’actualiser, à l’heure où les Africains ne sont pas loin de venir au « centre » les « armes à la main » : depuis que ces lignes ont été écrites, il y a plus de trente ans, on ne saurait dire que l’Occident se soit montré moins fétichiste. Il suffit de songer au cérémonial que chaque apparition d’un nouveau modèle d’iPhone a pu provoquer… Il n’y a donc aucune raison que l’Afrique ne s’y sente pas de plus en plus naturellement comme chez elle. Cela expliquerait au moins autant que les discours des uns et des autres sur la colonisation ou sur les Blancs la conscience tout à fait tranquille qu’arborent de plus en plus ostensiblement les nouveaux arrivants : la périphérie est dans le centre comme un poisson dans l’eau, le centre, ce n’est plus que la périphérie avec plus d’argent - de même que l’on dit que les riches ne sont plus que des pauvres avec plus d’argent. 


Le capitalisme, c’est la tiers-mondisation (qui n’empêche pas toutes sortes de colonisations) : désormais, la tiers-mondisation revient à la maison mère ! - Mettez la table, sortez les couverts, mais dépêchez-vous, il n'y en aura sans doute pas pour tout le monde !