La Norvège rend con.
Je n'ai pas souvenir, depuis que j'ai pris l'habitude d'aller sur Internet - c'est une phrase un peu étrange, je sais... -, d'avoir pu saisir à ce point in vivo l'importance de ce phénomène mental qui consiste à plaquer sur un événement sa propre grille d'analyse, sans prendre le temps de la réflexion. J'aurais presque pu écrire les articles moi-même avant de les lire, quoique le style de certains ne soit pas si aisément imitable ("Alors couchés, fafounets de tous poils...").
Incidemment et dans le même ordre d'idées, j'ai aussi éprouvé quelque jubilation à voir répéter la même formule rhétorique en tête de chaque papier : "Sans doute est-il trop tôt pour tirer toutes les leçons du drame qui a endeuillé la Norvège. Toutefois, on peut d'ores et déjà..." déconner à bloc et ne parler de l'événement qu'à partir de son prisme, sans se soucier du reste.
- Ceci étant dit, peut-on tirer quelques leçons de ce qui n'est qu'une impression, certes plus aiguë que pour d'autres événements, mais néanmoins banale ?
D'abord, que l'idéologisation d'un événement peut-être contre-productive. J'ai lu dans un article (à part la pique ci-dessus contre mon cher Bonnet de nuit, je ne vous donne pas de lien, je m'attache ici à décrire un phénomène collectif, et de toutes façons vous connaissez les sites que je fréquente habituellement) que d'après des témoins Breivk n'était pas le seul à tirer. Voilà ma foi qui mérite intérêt : s'il n'a pas agi seul, avec qui ? Lui a exprimé ses pensées, mais les autres, les éventuels complices, qu'est-ce qui les aurait amenés à participer à ce carnage ? L'idéologie aussi, la même, une autre ? D'autres intérêts ? A force de faire de Breivik le diable en personne - diable facho, diable sioniste, etc. - on passe peut-être à côté d'informations plus proches du déroulement exact des événements.
Ensuite, que l'expression trop rapide de certaines hypothèses ne tend pas à les rendre crédibles. Je pense ici aux accusations formulées sur un mode plus ou moins mesuré à l'endroit d'Israël, accusations que Égalité et Réconciliation ne s'est pas honorée à reprendre. Il n'y a de fait rien d'impossible à ce que le Mossad ait joué un rôle dans cette histoire : cela fait partie de la définition même d'un service secret que de faire des choses secrètes - et autres « coups tordus » qui ont tant fait pour la réputation de nos propres services. Mais comme on ne fait pas aisément la preuve de telles accusations, ne serait-il pas plus sage de fermer sa gueule pendant quelques jours, au lieu de mettre tout de suite Israël sur la table ? Ne voit-on pas qu'en ramenant tout à ça on se met soi-même en scène comme un obsessionnel fanatique ? "Quelques jours", c'est bien vague, je sais, mais pourquoi contribuer, on retombe sur ce que j'écrivais plus haut, à la cacophonie générale, au moment même où il faudrait être attentif aux éléments les plus concrets ?
Enfin, il ne serait peut-être pas inintéressant de faire porter le débat sur la question de la responsabilité des « intellectuels » et des politiques. J'ai beaucoup ri en découvrant que M. Breivik citait dans son texte Alain Finkielkraut, me disant que notre Calimero national n'était décidément pas né sous une bonne étoile (avec ou sans mauvais jeu de mots ?), mais la question reste : Alain Finkielkraut est-il pour quelque chose dans le massacre d'Utoya ? Si Anders Breivik se réclame de notre ami Finkie, la réponse est forcément oui, il n'y a à ce sujet aucune ambiguïté, mais peut-on aller plus loin ? Je suis très content que notre barde mélancolique touche du doigt le fait que les écrits aient des conséquences, mais cela ne signifie pas que sa responsabilité soit fortement engagée.
Afin que l'on ne m'accuse pas de m'acharner sur A. Finkielkraut, je vais prendre un autre exemple, le mien en l'occurrence : si une lecture trop rapide de ce peu amène texte à l'encontre de N. Sarkozy, où je décris la façon dont, en sapant les « corps intermédiaires », notre Président s'expose individuellement plus à une révolte populaire que ses prédécesseurs, ceci avec des photos de Mussolini et S. Hussein en bien piètre état pour rappeler que ces révoltes peuvent finir de sanglante manière ; si donc une lecture trop rapide de ce texte amène quelqu'un d'un peu excessif à se dire qu'après tout Sarkozy l'aura bien cherché et à essayer de le supprimer lui-même, le peuple ne s'y décidant pas, quelle sera ma responsabilité propre ? Comme pour Finkie, elle existera, mais encore ?
Il faudrait ici faire intervenir Aristote et les différents types de causalité, évoquer des exemples mieux connus que ne l'est pour l'heure celui d'A. Breivik, et que, a fortiori, mon hypothèse virtuelle. Mais on peut déjà rappeler que l'emploi de la métaphore en politique est toujours un peu dangereux. D'une part elle peut être prise au mot par certains. D'autre part il serait souhaitable que certains auteurs ou politiciens se posent plus la question de leur attitude par rapport à ce qu'ils disent ou écrivent : à quel point ceci est-il ou non une métaphore ? Question d'autant plus agaçante pour eux qu'une métaphore est souvent précédée d'une expression du type « littéralement », , « à proprement parler », « sans ambiguïté » qui vise précisément à donner du poids à ce que l'on dit, à faire que "ce ne soit pas qu'une métaphore"... Il n'y a rien de plus énervant que ces écrivains qui ruent dans tous les brancards, contre la terre entière, et se replient derrière les conventions de l'« art » et de la « provocation » si d'aventure certains mettent en pratique leurs leçons ou conseils. Comme le disait Simone Weil, ce n'est pas montrer de la sympathie à l'égard des vichystes qui prétendaient que Gide et la NRF étaient responsables de la défaite de 1940, que de rappeler à Gide qu'il ne pouvait à la fois se poser en chef spirituel des jeunes générations durant l'entre-deux-guerres, et expliquer dès la débâcle qu'il n'avait fait que des oeuvres d'art qui ne prétendaient à aucune influence particulière. Laurent Tailhade était bien plus cohérent, qui ne renia rien de ses engagements politiques après avoir été lui-même blessé lors d'un des attentats anarchistes qu'il approuvait. Il est vrai qu'il aurait eu l'air un peu con. Mais à notre époque, se renier et avoir l'air con, ça ne gêne plus personne...
Incidemment et dans le même ordre d'idées, j'ai aussi éprouvé quelque jubilation à voir répéter la même formule rhétorique en tête de chaque papier : "Sans doute est-il trop tôt pour tirer toutes les leçons du drame qui a endeuillé la Norvège. Toutefois, on peut d'ores et déjà..." déconner à bloc et ne parler de l'événement qu'à partir de son prisme, sans se soucier du reste.
- Ceci étant dit, peut-on tirer quelques leçons de ce qui n'est qu'une impression, certes plus aiguë que pour d'autres événements, mais néanmoins banale ?
D'abord, que l'idéologisation d'un événement peut-être contre-productive. J'ai lu dans un article (à part la pique ci-dessus contre mon cher Bonnet de nuit, je ne vous donne pas de lien, je m'attache ici à décrire un phénomène collectif, et de toutes façons vous connaissez les sites que je fréquente habituellement) que d'après des témoins Breivk n'était pas le seul à tirer. Voilà ma foi qui mérite intérêt : s'il n'a pas agi seul, avec qui ? Lui a exprimé ses pensées, mais les autres, les éventuels complices, qu'est-ce qui les aurait amenés à participer à ce carnage ? L'idéologie aussi, la même, une autre ? D'autres intérêts ? A force de faire de Breivik le diable en personne - diable facho, diable sioniste, etc. - on passe peut-être à côté d'informations plus proches du déroulement exact des événements.
Ensuite, que l'expression trop rapide de certaines hypothèses ne tend pas à les rendre crédibles. Je pense ici aux accusations formulées sur un mode plus ou moins mesuré à l'endroit d'Israël, accusations que Égalité et Réconciliation ne s'est pas honorée à reprendre. Il n'y a de fait rien d'impossible à ce que le Mossad ait joué un rôle dans cette histoire : cela fait partie de la définition même d'un service secret que de faire des choses secrètes - et autres « coups tordus » qui ont tant fait pour la réputation de nos propres services. Mais comme on ne fait pas aisément la preuve de telles accusations, ne serait-il pas plus sage de fermer sa gueule pendant quelques jours, au lieu de mettre tout de suite Israël sur la table ? Ne voit-on pas qu'en ramenant tout à ça on se met soi-même en scène comme un obsessionnel fanatique ? "Quelques jours", c'est bien vague, je sais, mais pourquoi contribuer, on retombe sur ce que j'écrivais plus haut, à la cacophonie générale, au moment même où il faudrait être attentif aux éléments les plus concrets ?
Enfin, il ne serait peut-être pas inintéressant de faire porter le débat sur la question de la responsabilité des « intellectuels » et des politiques. J'ai beaucoup ri en découvrant que M. Breivik citait dans son texte Alain Finkielkraut, me disant que notre Calimero national n'était décidément pas né sous une bonne étoile (avec ou sans mauvais jeu de mots ?), mais la question reste : Alain Finkielkraut est-il pour quelque chose dans le massacre d'Utoya ? Si Anders Breivik se réclame de notre ami Finkie, la réponse est forcément oui, il n'y a à ce sujet aucune ambiguïté, mais peut-on aller plus loin ? Je suis très content que notre barde mélancolique touche du doigt le fait que les écrits aient des conséquences, mais cela ne signifie pas que sa responsabilité soit fortement engagée.
Afin que l'on ne m'accuse pas de m'acharner sur A. Finkielkraut, je vais prendre un autre exemple, le mien en l'occurrence : si une lecture trop rapide de ce peu amène texte à l'encontre de N. Sarkozy, où je décris la façon dont, en sapant les « corps intermédiaires », notre Président s'expose individuellement plus à une révolte populaire que ses prédécesseurs, ceci avec des photos de Mussolini et S. Hussein en bien piètre état pour rappeler que ces révoltes peuvent finir de sanglante manière ; si donc une lecture trop rapide de ce texte amène quelqu'un d'un peu excessif à se dire qu'après tout Sarkozy l'aura bien cherché et à essayer de le supprimer lui-même, le peuple ne s'y décidant pas, quelle sera ma responsabilité propre ? Comme pour Finkie, elle existera, mais encore ?
Il faudrait ici faire intervenir Aristote et les différents types de causalité, évoquer des exemples mieux connus que ne l'est pour l'heure celui d'A. Breivik, et que, a fortiori, mon hypothèse virtuelle. Mais on peut déjà rappeler que l'emploi de la métaphore en politique est toujours un peu dangereux. D'une part elle peut être prise au mot par certains. D'autre part il serait souhaitable que certains auteurs ou politiciens se posent plus la question de leur attitude par rapport à ce qu'ils disent ou écrivent : à quel point ceci est-il ou non une métaphore ? Question d'autant plus agaçante pour eux qu'une métaphore est souvent précédée d'une expression du type « littéralement », , « à proprement parler », « sans ambiguïté » qui vise précisément à donner du poids à ce que l'on dit, à faire que "ce ne soit pas qu'une métaphore"... Il n'y a rien de plus énervant que ces écrivains qui ruent dans tous les brancards, contre la terre entière, et se replient derrière les conventions de l'« art » et de la « provocation » si d'aventure certains mettent en pratique leurs leçons ou conseils. Comme le disait Simone Weil, ce n'est pas montrer de la sympathie à l'égard des vichystes qui prétendaient que Gide et la NRF étaient responsables de la défaite de 1940, que de rappeler à Gide qu'il ne pouvait à la fois se poser en chef spirituel des jeunes générations durant l'entre-deux-guerres, et expliquer dès la débâcle qu'il n'avait fait que des oeuvres d'art qui ne prétendaient à aucune influence particulière. Laurent Tailhade était bien plus cohérent, qui ne renia rien de ses engagements politiques après avoir été lui-même blessé lors d'un des attentats anarchistes qu'il approuvait. Il est vrai qu'il aurait eu l'air un peu con. Mais à notre époque, se renier et avoir l'air con, ça ne gêne plus personne...
Libellés : Aristote, Bonnet, Breivik, Finkielkraut, Gide, Sarkozy, Soral, Tailhade, Weil