mercredi 31 octobre 2018

L'alliance du technicien et de l'État.

Petit complément aux deux livraisons précédentes : 

"On verra l’importance que prend dans les journaux de la Seconde Guerre mondiale la lecture de Léon Bloy, qui devient l’un de ses auteurs de prédilection, avec son déchaînement incontrôlé contre le caractère satanique du progrès, ou sa jubilation délirante à la mort de Curie, « le diabolique inventeur du radium ». Jünger cherche désormais des contre-pouvoirs à la domination de la technique. (…) Mais la guerre n’est pas le seul lieu où où la technique déploie sa redoutable surpuissance : l’exemple des régimes totalitaires concrétise la menace que fait peser sur l’homme l’alliance du technicien et de l’État. La technicité et un pseudo-hygiénisme règnent aussi sur les camps de concentration. 

Jünger (…) méditera à maintes reprises sur le naufrage du Titanic, ce bateau conçu comme un défi à la Nature et au Créateur, et dont le désastre exemplaire annonce à ses yeux tous les désastres qu’allait nous réserver l’hybris du progrès. Mais sa réflexion prend de plus en plus une dimension mythique. (…) L’homme de la technique sera de moins en moins évoqué sous la figure neutre du « Travailleur » ; par référence à la Bible et à la mythologie classique, il apparaîtra avec une connotation négative comme le descendant des forgerons caïnites ou, plus souvent encore, comme un titan révolté contre l’ancienne domination des dieux. Bien que la technique ne soit pas perverse en elle-même, elle se prête à toutes les dérives dès lors qu’une dimension théologique, un « supplément d’âme » lui fait défaut. Si l’on veut « observer de près un petit noyau nihiliste », il ne faut « pas seulement songer à un groupe de dynamiteros, ou à un régiment qui se bat sous la tête de mort, mais par exemple à une réunion de médecins, de techniciens ou d’inspecteurs des finances, qui discutent les questions de leurs spécialités. » Jünger qui, à la suite du choc émotif et mental des grandes batailles de matériel, s’était imposé de comprendre la domination de la technique et y avait vu l’incarnation contemporaine de la volonté de puissance nietzschéenne, l’appréhende désormais sous la dimension toujours menaçante du nihilisme."



Il faut être prudent avec la catégorie de nihilisme, et je ne voudrais pas laisser croire, en achevant sur ce terme cet ensemble de citations, que j’y vois le denier mot de l’histoire. Ce qui m’intéresse ici, en plus de l’intérêt à partir d’une certaine période de Jünger pour Bloy et pour la Bible, c’est "l’alliance du technicien et de l’État", ou du technicien et du croisé, ou du réformateur, tout ce que l’on veut, c’est-à-dire l’alliance entre la froideur, que l’on peut effectivement qualifier de nihiliste, des moyens, qu’il s’agisse des massacres de masse, des camps de concentration, de l’immigration massive organisée, de l’avortement comme « soin médical », etc., d’une part, et les buts poursuivis, qui peuvent être tout sauf nihilistes dans l’esprit de ceux qui les initient. Sachant donc, c’était l’objet des livraisons précédentes, que tout ceci se mêle, et n’a cessé de plus se mêler depuis un siècle, et que c’est ce qui rend ces textes de Jünger si actuels - et si tragiques. Bien à vous !

mardi 30 octobre 2018

"Issu de quelque bestiaire disparu."

On continue avec Jünger et J. Hervier. 

"Dans Sur la douleur (1934), Jünger notera les affinités profondes que l’art militaire a toujours entretenues avec la technique : depuis les origines, les équipements militaires visent à objectiver le corps du combattant et à le dépouiller de son individualité. Les grandes armées professionnelles de l’Antiquité, et l’armée romaine en particulier, préfigurent en ce sens les armées modernes. (…) Dans le domaine concret, la technicité des légions romaines culmine lors du siège de Jérusalem tel que le décrit Flavius Josèphe : la légion y apparaît comme une machine, la cavalerie se déploie aux ailes comme les bras d’un levier, et tout l’ensemble, « avec ses tortues, ses béliers couverts, ses scorpions, ses tours roulantes et ses plans inclinés » semble arraché au monde humain, issu de quelque bestiaire disparu. « Devant de tels spectacles, on perd le sentiment qu’il s’agit encore d’êtres humains : la construction artificieuse et la mobilité bien réglée de l’ouvrage détournent le regard des destinées individuelles. » Protégé à l’intérieur de ses machines roulantes, l’homme semble être devenu autre chose qu’un homme.

Jünger n’est pas le seul à être passé dans cette guerre d’un enthousiasme puéril pour la science et la puissance technique qu’elle procure à un refus des effroyables destructions qu’elle entraîne simultanément ; mais il ne les considère pas seulement comme des accidents matériels que l’homme pourrait surmonter en agissant avec plus de sagesse et de raison. Il n’y a pas seulement un bon et un mauvais usage de la technique. Ce qui s’amorce dans ses livres de guerre, c’est la prise de conscience que la technique ne se contente pas d’entamer l’intégrité de l’homme en l’agressant de l’extérieur, mais en le transformant au plus intime de lui-même. 

 - que dire alors de la pilule ou de l’avortement !… mais laissons J. Hervier s’exprimer : 

Autant l’histoire événementielle à court terme préoccupe peu Jünger dans ses écrits sur la Première Guerre mondiale, autant, selon la longue durée, il est sensible à la mutation radicale qui s’opère sous ses yeux. Ce sont les structures mentales de l’humanité qui sont modifiées tandis que le champ de bataille devient une usine avec ses « armées de machines » et ses « bataillons d’ouvriers » : Jünger retrace les interminables défilés de matériel qui précèdent les grandes offensives, l’action destructrice de l’impressionnante muraille de feu que l’artillerie déploie devant les troupes d’assaut. Tous les éléments du combat sont issus de la technique moderne, non seulement les canons, les avions et les chars, mais la tranchée elle-même, devenue un immense labyrinthe, construit par une armée de terrassiers ; et c’est que réside la modification majeure : le soldat s’est transformé en Arbeiter, dans les deux acceptions que comporte le mot, celui de « travailleur » et celui d’ « ouvrier ». En tant qu’ouvrier, il est au service de la machine au sens le plus matériel du terme, mais en tant que travailleur, fût-il général et exempté de toute tâche servile, il est pris dans l’immense mécanisme de la technicité universelle. Dans ses journaux de la Seconde Guerre, Jünger insistera sur le fait que, comme le dernier des soldats, généraux et officiers supérieurs ne sont plus que des rouages, échangeables à volonté, au sein d’une machinerie qui leur refuse toute personnalité propre. Il ne s’agit pas là d’une simple constatation psychologique mais de l’enregistrement d’un phénomène historique. Dans une vision très hégélienne, Jünger pense que tout ce processus est piloté par l’esprit du monde (Weltgeist) ou l’esprit du temps (Zeitgeist), en qui réside l’essence des nouveaux affrontements : « La bataille n’utilise pas seulement la machine de manière croissante, elle est elle-même imprégnée dans sa totalité par l’esprit qui crée les machines » ; c’est cet esprit qu’il nomme un peu plus loin « l’esprit qui se tient derrière la technique ».

Désormais, les guerres n’opposent plus deux peuples ou deux armées, mais deux puissances industrielles : « La bataille est un terrible affrontement entre industries et la victoire le succès du concurrent qui a su travailler plus vite et plus brutalement. » D’où la nécessité pour chacun des adversaires de « mobiliser », de « mettre en mouvement » au sens précis du terme, toutes les ressources dont il dispose. Au-delà des soldats, c’est un peuple tout entier qui est sous les armes. La Révolution française avait déjà emprunté cette direction en substituant aux armées de métier de l’Ancien Régime la conscription universelle et la levée en masse. Avec les nouvelles guerres surgit un nouveau concept, celui de « mobilisation totale », auquel Jünger va assurer une large audience en lui consacrant un essai en 1930. Toute l’activité des belligérants s’oriente vers la guerre dans un « gigantesque processus de travail » qui est la caractéristique essentielle du monde moderne : « Dans cette saisie absolue de l’énergie potentielle qui transforme les États industriels belligérants en forges de Vulcain s’annonce, de la façon peut-être la plus significative, l’avènement de l’âge du travail - elle fait de la guerre mondiale un phénomène historique qui dépasse en importance la Révolution française. » D’où l’idée que la Grande Guerre a été gagnée non par les pays les plus militaristes selon les formes traditionnelles, l’Allemagne en étant la plus frappante incarnation, mais par ceux que leur mentalité progressiste rendait les plus aptes à cette mobilisation."


Des petits soldats interchangeables et shootés de l’islamisme à l’armée chinoise, mobilisation en masse s’il en est, tout cela ne nous dépayse pas. Pendant que les Français, plus que l’alcoolique du Petit prince, ne se droguent pas pour combattre, ou pour oublier qu’ils se droguent, mais pour s’oublier. On peut appliquer à la conscription de masse et aux fièvres révolutionnaires, à Verdun et à Valmy pour résumer, ce que M. Gauchet disait des régimes fasciste italien et surtout nazi : ces moments de tension collective ne peuvent avoir qu’un temps. Après quoi le patient, c’est-à-dire le peuple, est en pleine descente, pour reprendre le terme lié à la drogue, en pleine hébétude. 

lundi 29 octobre 2018

"L’homme serait encore plus noble que ce qui le tue..."

"Ah Dieu ! que la guerre est jolie
    Avec ses chants ses longs loisirs
    Cette bague je l'ai polie
    Le vent se mêle à vos soupirs

    Adieu ! voici le boute-selle
    Il disparut dans un tournant
    Et mourut là-bas tandis qu'elle
    Riait au destin surprenant."






Je vous avais promis (combien de promesses de genre n’ai-je pas tenues, au fil des années…) des réflexions autour de l’oeuvre de Jünger ; plus précisément, suscitées par l’introduction de Julien Hervier à l’édition en « Pléiade » des Journaux de guerre. J’avais été frappé, à la lecture de cette introduction - qui remonte déjà à une dizaine d’années -, par ses échos contemporains, ceci dans des domaines variés. Voici aujourd’hui une première salve : 

"Il ne s’agit pas ici de cette esthétisation proprement fasciste de la guerre qui suscitait l’indignation de Walter Benjamin, et dans laquelle sont tombés des écrivains amoureux du progrès tels que les futuristes italiens. A la fin de L’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Benjamin cite le manifeste de Marinetti sur la guerre d’Éthiopie : « Depuis vingt-sept ans, nous autres futuristes, nous nous élevons contre l’affirmation que la guerre n’est pas esthétique. (…) Aussi sommes-nous amenés à constater (…) que la guerre est belle, car, grâce aux masques à gaz, aux terrifiants mégaphones, aux lance-flammes et aux petits tanks, elle fonde la suprématie de l’homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, car elle réalise pour la première fois le rêve d’un corps humain métallique. La guerre est belle car elle enrichit un pré en fleurs des flamboyantes orchidées des mitrailleuses », etc. [je ne sais pas si les coupures sont de Benjamin ou de J. Hervier, note de AMG]. Pour Jünger, nous le savons, la guerre n’est pas belle, ni même « jolie » - selon la formule, souvent mal interprétée, d’Apollinaire dans « L’Adieu du cavalier » -, « la guerre est terrible », bien que l’on arrive parfois à s’extraire de sa hideur pour y découvrir une parcelle de beauté protégée. Assurément, Jünger reste esthète au milieu des paysages désolés du combat, mais il lui importe surtout de sauvegarder au sein de l’écrasement matériel le lien à une transcendance mal définie et à laquelle il croit, et c’est pour répondre à cet impératif que l’écriture lui est indispensable. C’est sa « force créatrice » et son courage qui fondent la suprématie de l’homme sur une machine qui échappe à son emprise, comme il l’analysera en détail dans Le Travailleur (1932), avant d’y revenir dans tous ses livres de vieillesse. Son triomphe sur elle est de nature morale, à la façon dont le « roseau pensant » pascalien surpasse l’univers, car « quand l’univers l’écraserait l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ». Il est donc loin de subjuguer la machine, au sens où l’entendait Marinetti. Jünger, en revanche, admettrait aisément que la guerre réalise « le rêve d’un corps humain métallique ». 




Les combattants des nouveaux conflits deviennent des sortes de robots marqués par l’anonymat de la matière, qui aide à surmonter la peur. Cette pétrification, ce passage du visage au masque touche aussi les sportifs et, à la limite, toute l’humanité moderne : « Le visage nouveau (…) est dépourvu d’âme, comme forgé dans le métal ou taillé dans un bois spécial. (…) C’est l’un des visages où s’exprime le type ou la race du Travailleur. »"





Les coupures ici sont de J. Hervier, qui ajoute en note, suite donc à cette citation d’un texte de 1934 intitulé Sur la douleur, cette précision : "Les analyses du Travailleur vont dans le même sens, et soulignent l’importance que va prendre le masque dans la civilisation contemporaine, allant jusqu’à « estomper les traits qui rendent le caractère sexuel physiognomiquement visible »."






dimanche 28 octobre 2018

Islamo-racaille.

"Le meurtrier se lève au point du jour, 
il assassine le pauvre et l’indigent, 
et la nuit, il agit en voleur.

L’oeil de l’adultère épie le crépuscule.
« Nul oeil ne me verra », dit-il
et il se met un masque.
C’est dans les ténèbres que celui-là force les maisons. 

De jour on se tient claquemuré
sans connaître la lumière.
Pour eux tous, l’aube c’est l’ombre de mort.
Mais le pillard est habitué aux épouvantes de l’ombre de mort, 
il surnage comme sur des eaux, 
son domaine est maudit par les gens du pays.

Mais lui ne prend pas le chemin des vignes…"


(Job, XXIV, 14-18.) J'ouvre le deuxième tome de ma bible (presque fini le 1er) hier soir, au hasard, tombe là-dessus. Versets 14-18, en ces temps de polémique sur les commémorations, ça ne s'invente pas (et je ne m'en suis rendu compte qu'au moment de la retranscription)...


Je quitte la capitale pour quelques jours, il est possible que je respecte pas mon rythme quotidien la semaine prochaine. A bientôt en tout cas !

samedi 27 octobre 2018

Incipit des "Décombres".

"La France est recouverte de ruines, ruines des choses, ruines des dogmes, ruines des institutions. Elle ne sont point l’oeuvre d’un cataclysme unique et fortuit. Ce livre est la chronique du long glissement, des écroulements successifs qui ont accumulé ces énormes tas de décombres."

En relisant ces lignes, je me pris à penser que nombre de nos contemporains préfèrent écrire les Décombres d'aujourd'hui, plutôt que de travailler à empêcher que nous passions une nouvelle fois de la drôle de guerre à la débâcle. On pense ce que l'on veut de Rebatet (j'en pense beaucoup de bien et pas mal de mal), il n'était pour rien dans les catastrophes qu'il décrivait. 

vendredi 26 octobre 2018

Jean Madiran, Emmanuel Macron et la démocratie, suite.

"Date terrible dans l’histoire du monde, la date où des hommes ont décidé que désormais la loi serait « l’expression de la volonté générale », c’est-à-dire l’expression de la volonté des hommes ; la date où des hommes ont décider de se donner à eux-mêmes leur loi ; la date où ils ont décliné au pluriel le péché originel. 

Car au singulier, vouloir se donner à soi-même sa loi, c’est exactement le péché d’Adam selon sa plus classique description : « Le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». « Le premier homme pécha principalement en recherchant la ressemblance de Dieu quant à la science du bien et du mal, comme le démon le lui suggéra ; en ce sens que, par la vertu de sa propre nature, il se déterminât à soi-même ce qu’il est bon ou ce qu’il est mal de faire… [Saint Thomas] » « …afin que, comme Dieu, par la lumière de sa nature, régit toutes choses, de même l’homme, sans le secours d’une lumière extérieure, pût se régir lui-même… » [Saint Thomas, dans un autre texte, notes de AMG]

Péché fondamental : révolte essentielle par laquelle l’homme veut à lui-même se donner sa loi morale, écartant celle qu’il avait reçue de Dieu. En 1789, cette apostasie s’est faite collective. Elle est devenue le fondement du droit politique. La démocratie moderne, c’est la démocratie classique en état de péché mortel."

Si cette démonstration - qui ne dit pas autre chose qu’un livre de Jacques Rancière, mais dans la perspective strictement inverse - ne vous convainc pas, peut-être admettrez-vous néanmoins que le tableau des conséquences qu’en tire Jean Madiran n’est pas sans ressemblances avec certains événements réels et certains personnages connus, comme on dit au début des films : 

"La démocratie moderne est religieuse : elle remplace les religions par la religion de l’homme qui collectivement se fait dieu. Ne reconnaissant aucune limite qui lui soit extérieure, aucune valeur qui lui soit supérieure, aucun autre droit qui puisse lui résister, elle suscite une extension indéfinie de l’État totalitaire et trouve dans le communisme, c’est-à-dire la domination du parti communiste, l’aboutissement de sa logique interne la plus fondamentale [ceci est écrit en 1977. Il faut aujourd’hui bifurquer du côté des totalitarismes des droits de l’homme, LGBT, En Marche, etc. Sachant que cela reste vrai dans le pays le plus peuplé du monde, la Chine communisto-capitaliste, note de AMG]. Freinée en fait par l’existence de moeurs et de pensées chrétiennes qu’elle ne supporte provisoirement qu’à titre de survivance condamnées par l’évolution des esprits et le progrès des moeurs [c’est ici qu’il a fallu s’adapter, et adjoindre aux mouvements progressistes, notamment LGBT, l’appui des activistes passéistes musulmans, les premiers n’étant pas suffisants forts en face de ce qui restait du christianisme], elle peut en droit et elle peut seule trancher du bien et du mal, du juste et de l’injuste, elle n’admet que les libertés et garanties qu’elle octroie et plus volontiers les suspend."


Sur ce dernier point, la capacité de la démocratie moderne à remettre en cause les principes mêmes du combat, à changer les règles du jeu pendant qu’il se déroule, a toujours surpris ses adversaires - et continue à nous surprendre…

jeudi 25 octobre 2018

"Une grande nouveauté dans l'histoire du monde."

"Que « la loi » soit « l’expression de la volonté générale », et seulement cela, et nullement autre chose, est une grande nouveauté dans l’histoire du monde. Cette proclamation de 1789 n’a pas inventé la démocratie, elle lui a donné un autre contenu. Elle a imposé dans la vie politique une morale nouvelle et un nouveau droit. 

Toujours, dans toutes les civilisations jusqu’en 1789 (et ensuite encore, mais alors par survivance de plus en plus fragile, de plus en plus implicite), la loi était l’expression d’une réalité supérieure à l’homme, d’un bien objectif, d’un bien commun, que l’homme traduisait, interprétait, codifiait librement, mais non arbitrairement. Le législateur faisait ce qu’il pouvait, pas toujours ce qu’il devait : mais sa fonction reconnue était de formuler de grands impératifs qu’il n’avait pas inventés, mais découverts, à moins qu’il ne les ait simplement reçus comme Moïse sur le Sinaï. La loi était l’expression humaine de la volonté de Dieu sur les hommes, conformément à la nature qu’il leur a donnée, à la destinée qu’il leur veut. Quand Dieu était inconnu ou méconnu, la loi demeurait néanmoins l’expression d’une raison, d’une justice, d’un ordre supérieurs aux volontés humaines : 

« Tes décrets à toi, Créon, déclare Antigone, n’ont pas le pouvoir d’obliger un mortel à transgresser d’autres lois, les lois non écrites, inébranlables, des dieux. Elles ne datent ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? »

Ainsi la légitimité de la loi, celle du pouvoir, celle des gouvernants, résidaient dans leur conformité à cet ordre supérieur, indépendamment d’une désignation régulière des magistrats et des législateurs. Cette régularité est une légalité qui a son importance. Mais la légitimité, c’est-à-dire la justice, se fonde sur le bien commun, c’est-à-dire sur le décalogue, c’est-à-dire en Dieu. Les païens eux-mêmes, faute d’en avoir une connaissance claire, en avaient au moins le sentiment très vif. Date terrible dans l’histoire du monde, la date où des hommes ont décidé que désormais la loi serait « l’expression de la volonté générale »…"


J. Madiran, Les deux démocraties. La suite demain. Vous aurez remarqué que les hommes dont il est question dans la dernière phrase étaient des Français, hélas !

mercredi 24 octobre 2018

"La faculté de conférer les honneurs" n'est pas donnée à tout le monde.

"Voyez ce que dit Saint Augustin dans son Traité du libre arbitre, au chapitre 6 du livre premier : si un peuple est raisonnable, sérieux, très vigilant à défendre le bien commun, il est bon de promulguer une loi qui permette à un tel peuple de se donner lui-même les magistrats qui administrent les affaires publiques. Cependant, si ce peuple devient peu à peu dépravé, s’il rend vénal son suffrage, s’il donne le gouvernement à des personnages scandaleux et criminels, alors il est bon de lui enlever la faculté de conférer les honneurs, et d’en revenir au jugement d’un petit nombre d’hommes de bien."


Saint Thomas, Somme théologique, I-II, 97, I. Cité par Jean Madiran dans ce clairvoyant opuscule que j’ai ressorti il y a deux jours de ma bibliothèque, Les deux démocraties, ouvrage que l’on pourrait sous-titrer ainsi : La démocratie comme pratique et la démocratie comme idéologie. De plus en plus de gens semblant sinon comprendre du moins sentir que la démocratie comme idéologie nuit à la démocratie comme pratique, je recommande à mes fidèles lecteurs ce livre d’une grande clarté. 


mardi 23 octobre 2018

Baudelaire, les femmes, la métaphysique, Montesquieu, les pédés...

Continuons, brièvement ce jour. On peut formuler autrement ce que nous écrivions hier : l’homme est métaphysiquement autonome, la femme ne l’est pas. Dit comme ça, cela peut blesser nos sensibilités modernes, mais cela prouve une fois de plus que la nature est bien faite : si la femme aussi était métaphysiquement autonome, elle ne chercherait pas à faire progresser l’homme, comme elle le fait, quitte à lui casser les bonbons, afin qu’il soit vraiment ou qu’il reste l’appui dont elle a besoin - et lui resterait bien plus assis, pour employer un terme rimbaldien, qu’elle ne lui permet de l’être. (La femme choisit un homme en grande partie pour son potentiel, là où l’homme la choisit pour ce qu’elle est au moment où il a envie d’elle.)

Ce sont les petits inconvénients nécessaires de la complémentarité entre les sexes. L’un des plus agaçants serait que le plaisir réveille Madame alors qu’il a plutôt tendance à donner à Monsieur envie d’un bon petit somme. Cela peut générer certes des frustrations et des malentendus, mais si les deux s'endormaient, ce serait encore pire, et il fallait bien que Dame Nature trouve un moyen de siffler la fin de la récréation tout en laissant une possibilité au jeu de se continuer. A charge pour les protagonistes de trouver un équilibre… 

On peut broder sur ce thème, rappeler ainsi que c’est grâce à ce genre de dissymétries que la vie quotidienne ne ressemble pas à une boite homo, la répartition des rôles et des rythmes entre les sexes permettant d’éviter ce genre de débordement monotone ; ou, dans le sens inverse, constater encore une fois avec tristesse que l’expansion de l’homosexualité féminine, très visible en tous cas dans les rues de Paris en ce moment (je vais me prendre un sociologue dans la gueule comme Charlotte d’Ornellas, avec des remarques de ce genre…), va de pair, conséquence d’ailleurs sans doute plus que cause, avec cet amollissement des jeunes mâles Français, si gentils


Répétons pour finir que dissymétrie ne signifie pas nécessairement inégalité. Montesquieu disait ainsi que la femme étant plus intelligente (ou plus rusée) que l’homme, il était bon qu’il soit protégé par la loi contre elle, afin qu’elle ne l’écrase pas trop. Le patriarcat comme rétablissement de l'égalité entre les sexes... Ce serait ma citation du jour si j’arrivais à retrouver cette phrase dans les archives de ce comptoir, ou dans mes vieilles prises de note, que les mises à jour de mon ordinateur ne me permettent plus de lire, c’est bien le progrès, c’est aussi négationniste que feu Faurisson, Dieu ait son âme… Bref, vous avez compris le propos, et si je retrouve cette phrase je vous la transcris avec plaisir. 

lundi 22 octobre 2018

Baudelaire, les femmes et le monde, suite.

"La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable." 




J'ai suggéré hier de transcrire ainsi cette phrase célèbre : 

"La femme, laissée à elle-même, n’arrive pas à accéder au surnaturel. Si elle veut se passer de l’homme et en rester à sa nature, il faut alors la repousser comme un mauvais présage." (sens étymologique d’abominable.) 

Pourquoi la femme, laissée à elle-même, n’arrive-t-elle pas à accéder au surnaturel ? Pourquoi a-t-elle besoin d’une médiation masculine ? Laquelle, notons-le, peut prendre la forme paternelle d’un prêtre ou d’un Dieu. - Si cela est vrai, comme Baudelaire tel que je le comprends nous invite à le penser, je n’ai pas la réponse. On peut bien sûr énoncer des pistes d’ordre biblique ou traditionnel, au sens quasi guénonien du terme - à la jonction desquelles on trouverait la théorie de la hiérarchie selon Louis Dumont, où la femme est issue de l’homme, comme Eve d’Adam, et le concept de femme subsumé sous celui de l’homme. On peut évoquer les parallèles qu’il est loisible de faire avec la dépendance de la femme par rapport à l’homme et à sa force physique pendant bien longtemps, ne serait-ce que pour survivre. De même pour sa dépendance à la médiation nécessaire du sexe de l’homme pour atteindre au plaisir. Abellio a brodé des choses brillantes sur ce thème. 

On voit bien qu’il y a des données naturelles, des données symboliques, un inconscient collectif, des parentés d’agencement. Il faut par ailleurs voir que si la formulation de Baudelaire est violemment polémique, la traduction que j’en fais l’est beaucoup moins. D’autant que si l’on en reste à ce niveau de généralités, il faut rapidement compléter ces énoncés par le suivant, que l'on ne prendra pas la peine de justifier tant l'expérience chaque jour partout le confirme : l’homme est simple, la femme est duplice. Il est bien évident que selon les points de vue auxquels on se place et selon les situations où elles entrent en jeu, cette simplicité et cette duplicité peuvent être des qualités ou des défauts, des atouts ou des carences. 

Il est en tout cas fort tentant de mettre en rapport cette duplicité féminine avec la thèse baudelairienne. C’est ici qu’il faut être un peu plus précis d’un point de vue conceptuel. Le féminin en soi n’est pas abominable, pour reprendre le terme de départ, il n’est pas négatif, dirions-nous plus banalement, mais il le devient lorsqu’il oublie que pour être le féminin en soi il doit accueillir en son sein (ce qui tombe bien pour une femme…) une relation à une figure masculine/paternelle. Le féminin se dénature lorsqu’il refuse son rapport de dépendance (je n’ai pas écrit : de sujétion, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas aussi et en même temps des formes de sujétion) avec l’homme. Ce qui n’est pas le cas du masculin s’il refuse d’entrer en relation avec le féminin : il ne se dénature pas, il a juste de bonnes chances de passer de la simplicité à la connerie. C’est un problème aussi, mais moins fondamental d'un point de vue logique ou métaphysique, quoique les conséquences pratiques puissent en être grandes.

Revenons pour finir au lieu du crime, à ces dames. D’une part pour constater, sans avoir peur de la banalité, qu’une fois qu’elles acceptent la médiation de l’homme, une fois qu’elles ont pris appui sur la béquille masculine, elles s’envolent bien plus haut que l’homme, en matière orgasmique comme dans le domaine mystique. D’autre part, et je ne développerai pas beaucoup ce point tant j’ai pu le faire au fil du temps à ce comptoir, pour signaler à quel point la sentence de Baudelaire s’applique, hélas, à notre univers mental, quand le féminisme radical et égalitariste progresse en même temps que la relation au surnaturel régresse. Un mauvais présage contre lequel certaines femmes luttent avec à-propos. 





(Et les musulmanes, dira-t-on ? Je me contenterai d’évoquer une piste de réflexion : le surnaturel musulman est peut-être de toutes façons trop éloigné de la nature. De même d’ailleurs qu’Allah est trop éloigné de ses fidèles.) 




dimanche 21 octobre 2018

"La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable."



Vous connaissez j’imagine cette phrase de Baudelaire, qui, malgré la très grande admiration que je porte aux livres intimes de l’auteur, m’a toujours laissé perplexe. Peut-être d’ailleurs parce qu’on la découvre trop jeune, avant de mieux connaître l’auteur et de le dépouiller des oripeaux romantico-gauchistes dont l’Éducation Nationale aime à le parer. 

Quoi qu’il en soit, hier soir, par je ne sais quelle bizarre association d’idées, en regardant dans mes étagères un coffret DVD Scorsese et en me disant qu’il serait temps d’accéder au voeu plusieurs fois répété de ma fille de regarder Gangs of New York

 - ce que nous fîmes pour moitié. Je ne m’attendais pas, l’ayant vu peu de temps après sa sortie, à découvrir un film sur la France d’aujourd’hui ! Affrontements de bandes ethniques, Benalla corrompus et racketteurs, le jeu de dupes entre la racaille de droite nationaliste, qui n’hésite pas à faire les basses oeuvres de la racaille de gauche, et celle-ci, démocrate, qui achète directement les votes des immigrés à la sortie du bateau (tout en les envoyant aussi sec se faire trouer la peau dans le Sud, nous sommes pendant la guerre de Sécession (Civil War), afin que cette région devienne aussi capitaliste que le Nord… - Impressionnant plan où le bateau qui va les emmener au combat ramène par la même occasion les cercueils de la fournée précédente), le tout sur fond de libéralisme surchauffé, nous n’étions pas dépaysés…

Bref ! en jetant un oeil à ce coffret, Dieu sait pourquoi, la vérité m’a frappé à la gueule, et j’ai enfin eu l’impression de comprendre la sentence baudelairienne. Le temps me manque en ce dimanche de mondanités pour développer mon interprétation, dont je ne prétends aucunement qu’elle soit originale, il se peut que je découvre la lune (au moins l’aurais-je découverte tout seul), je me contente donc de vous en livrer la première expression, rendez-vous au même endroit demain pour en parler plus longuement : 

"La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable." 

"La femme, laissée à elle-même, n’arrive pas à accéder au surnaturel. Si donc elle veut se passer de l’homme et en rester à sa  propre nature, il faut alors la repousser comme un mauvais présage." (sens étymologique d’abominable.) 


Évidemment, c’est moins lapidaire. Bon dimanche !


samedi 20 octobre 2018

"Franchement, c’est par trop idiot..."

Léon Bloy médite (et médit) à partir d’une encyclique de Léon XIII dirigée contre les francs-maçons : 

"Ils sont les enfants du mystère. Sans doute, ils méprisent très fermement les mystères de la foi chrétienne, mais ils se tiennent dans un tremblant respect devant le sot mystère de la foi maçonnique. On leur a fait accomplir les « trois voyages » et ils ont monté les degrés de l’ « échelle sans fin » ; on leur a fait faire « trois pas dans l’angle d’un carré long », on les a soûlés d’images symboliques, d’équerres, de compas, de glaives flamboyants, de lunes et d’étoiles, et ces superbes Capanées, qui n’ont pas assez d’injures pour la filiale soumission des chrétiens, font le serment de la plus aveugle obéissance à un pouvoir occulte qu’ils ne connaîtront jamais et qu’il leur faudra servir tant qu’ils vivront et quoi qu’il ordonne, jusqu’à répandre leur sang pour lui. 

Il est vrai qu’en récompense de tant de ferveur on leur a donné un tablier de peau blanche, une paire de gants blancs de sapeur, comme emblème de leur innocence (!!!) et, qu’ils soient mariés ou non, une paire de gants de femme, de qualité inférieure, pour offrir à celle qu’ils estiment le plus. Franchement, c’est par trop idiot et si on veut absolument que la liturgie catholique soit une simagrée, c’est du moins, en comparaison, une simagrée sublime [jusqu’à Vatican II en tout cas, sous entendu antimaçonnique de AMG…] et je demande qu’on la mette un peu au-dessus des ridicules jongleries de ces farceurs. 

Et maintenant, si l’on vient à penser qu’il y a en France quelque chose comme seize cent mille individus, la plupart instruits et lettrés, - autant que puisse l’être le commun des bourgeois, - qui ont pu avaler, en haine du christianisme, une aussi dégoûtante pâtée de ridicule, on comprendra l’énorme danger de cette conspiration des imbéciles et le cri d’alarme du Père des fidèles. 

Il ne s’agit pas seulement de sauver les âmes et de sauver les États, il faut encore sauver l’intelligence humaine qui est en perdition sur un océan de bêtise et qui va tout à l’heure être engloutie. Mais, hélas ! il est bien tard. Quand les hommes faits pour obéir n’ont plus de maîtres, ils les remplacent aussitôt par des tyrans et se précipitent à l’esclavage. Je pense qu’on peut dire aujourd’hui de la France ce qu’avec beaucoup moins de raison, le marquis de Custine disait de la Russie en 1839 : « Ce peuple a le délire de la servitude ! »"


Le délire de la servitude : ce pourrait être une extension du concept de démocratie. - Ce qui me fait penser que je devrais relire Reprendre le pouvoir de P. Boutang. A demain ! 

vendredi 19 octobre 2018

"L’avènement du transhumanisme et de l’homme amélioré était proche…"

"Dans le cocon bien clos d’une même culture, nous vivions tous ensemble, plus proches que jamais hommes ne l’ont été, dispersés à nos affaires et plaisirs, filant par places lumineuses et puits souterrains, dans les cafés où nous cernaient les miroirs éclatants, les rues, rubans de lumières colorées, bars pleins de liqueurs chatoyantes, tables de conférence et dernier cri, à chaque heure sa nouveauté, à chaque jour son problème résolu, à chaque semaine sa sensation, au fond de tout une insatisfaction énorme que le vacarme couvrait de sa chape. Toujours créatifs en mécanique, nous étions (…) rendus au terme de l’art, nous avions résolu les énigmes de l’univers, ou nous croyions être en passe d’y arriver. On arrivait aussi au point de cristallisation, l’avènement du surhomme était proche. 

Ainsi vivions-nous sans penser, et n’en étions pas peu fiers. A nous, fils d’une époque enivrée de matière, le progrès semblait un accomplissement, la machine la clef de la similitude au divin, la lunette et le microscope les organes de la connaissance. Mais sous la coque toujours plus brillamment polie, sous les atours dont nous nous attifions comme des magiciens de foire, nous restions aussi nus et bruts que les hommes des forêts et des steppes.

On le vit bien, lorsque la guerre déchira la communauté de l’Europe, lorsque, derrière des drapeaux et des symboles pour lesquels plus d’un, et depuis fort longtemps, ne gardait qu’un sourire incrédule, nous nous affrontâmes en choc décisif à la manière immémoriale. Alors, en orgie enivrée, l’homme se revancha de tout ce qu’il avait laissé perdre. Alors ses pulsions, trop longtemps endiguées par la société et ses lois, redevinrent l’unique et le sacré et l’ultime raison. Et tout ce à quoi le cerveau, au cours des siècles, avait conféré des formes toujours plus tranchantes, ne servit plus qu’à accroître la force du poing au-delà de toute mesure. (…)

Nous avons plongé tête baissée dans ce vécu, et nous revenons autres que nous ne fûmes."


E. Jünger, Le combat comme expérience intérieure, 1921. 

jeudi 18 octobre 2018

"Life is a bitch and then you die."

Pour faire suite, comme on lit dans les courriers administratifs, à des textes récents dans lesquels il est question de don, et notamment de don de la vie, et de la vie comme don



je vous propose mon contrepoint de lecteur de l’Essai sur le don, élevé à la mamelle de la culture chrétienne, mon contrepoint à cette expression aussi pessimiste que proverbiale dans le monde anglo-saxon : 


"Life is a gift and then you don’t (really) die."